Chapitre 18
Obsession
Severus passa une des plus mauvaises journées de sa vie, ce qui n'était pas peu dire. Ses pensées qu'il croyait pourtant si bien maîtriser n'en faisaient qu'à leur tête, et le ramenaient sans cesse à cette lettre.
Ses doutes étaient-ils fondés ?
Mais au fond, que craignait-il ?
Qu'elle l'abandonne comme un chien, oui c'était bien cela.
Et le pire, dans toute cette tourmente, c'est qu'il sentait déjà renaître en lui les convulsions du désir. Au-delà de la jalousie, de la rancune. Et aussi de la haine.
Il savait également qu'il était capable de feindre d'ignorer tout cela, rien que pour pouvoir continuer à poser ses mains sur elle, quand viendrait le soir.
Oui, il était capable de faire cela, terrer ses sentiments, ses doutes afin de ne pas entraver la satisfaction de son désir. Non pas grâce à sa légendaire maîtrise de soi, mais pour sa seule satisfaction charnelle.
Seulement voilà, il avait aussi besoin de la savoir à lui dans sa tête. Son corps ne lui suffisait pas.
Et c'était un enfer d'avoir été si près du bonheur, après tant d'années, puis de voir tout s'effondrer stupidement à cause d'une simple lettre. Quand donc cesserait donc son calvaire ?
Le destin ne cesserait-il donc jamais de se jouer de lui ?
Il s'était mis à aimer à un âge où les hommes sont en général revenus de tout. Et lui qui était si maladroit…
Le serpent qui était en lui se mit soudain à remuer et fit entendre sa voix. Il ne fallait pas qu'il se laisse aller à la détresse : réagir, trouver un plan. Ruser. Bien sûr. Oui, il ne pouvait en être autrement. Sinon que faire ? L'affronter en une pitoyable scène de jalousie ?
Etait-il seulement en droit de le faire ? Et si elle finissait par se retourner contre lui et allait tout raconter à Dumbledore ou à quelqu'un d'autre ?
Cette fois la justice ne pardonnerait pas et le semblant de rédemption auquel il avait droit s'évanouirait en un instant. Que ferait-il, si il perdait le semblant de bonne figure auquel il avait droit ? Pour qui passerait-il, devant ses collègues, devant ses élèves ? Et devant ses ennemis ?
Lui qui s'efforçait d'être la droiture même, il avait lamentablement échoué. Il n'était rien, il n'était personne. Son père qui le lui avait si souvent répété avait donc finalement raison.
Quelle honte ! Comment supporterait-il de perdre ainsi la face devant tous, devant l'ensemble de la communauté sorcière ?
Severus, qui jusqu'alors croyait se moquer de sa réputation se sentit perdre pied. Il venait de comprendre qu'il ne maîtrisait absolument rien dans cette histoire et qu'il avait tout à perdre.
Il n'aurait qu'à s'enfuir, à disparaître. La honte. La honte d'avoir été encore une fois celui auquel on ne peut pas faire confiance, celui qui trahit. Et il aurait bien du mal à se supporter s'il décevait Dumbledore.
Comment faire ? Il était à la merci de cette fille. Et pas n'importe laquelle. Il savait aussi qu'il n'avait jamais été aussi heureux d'être enfin réellement à la merci de quelqu'un.
Et puis d'abord, qu'avait-il fait de cette stupide lettre ? Il fourra la main dans une de ses poches. Ses doigts frôlèrent le papier alors qu'il balayait du regard l'assistance penchée sur les chaudrons. Tous étaient concentrés sur leur travail. Il la sortit et se mit à la relire, encore une fois.
« - Professeur ? »
Il sursauta désagréablement au son de la voix d'un de ses élève qui allait, c'était certain, lui demander quelque chose de sans doute totalement dénué d'intérêt.
« - Qu'y a-t-il ! »
« - Pourrais-je savoir quand nous aurons les résultats de cet examen ? »
L'étudiant tremblait légèrement au vu de sa réaction désagréable. Il apprécia cela. Un Gryffondor, en plus.
« - Pour que j'y mette une note, il faudrait d'abord que vous acheviez votre préparation. Alors je vous conseille de vous concentrer avant tout sur ce que vous êtes entrain de faire, Crivey. »
L'élève se tut et retourna piteusement à la préparation de sa potion. Severus se renfonça dans son fauteuil, satisfait, et se remit à la lecture de la lettre. La énième fois depuis ce matin…
La journée se déroula dans le même état d'esprit et quand le soir arriva, il sentit l'inquiétude le gagner plus que de raison. La honte, aussi. La sensation de régresser. Qu'était-il sensé faire ? Il n'avait rien décidé.
Mais quoi qu'il arrive il n'en fallait rien montrer. Ca, il était capable de le faire.
Il l'attendit longtemps, et il était endormi à son fauteuil quand elle frappa à sa porte. Il se redressa brusquement et chiffonna dans le même temps la lettre posée sur ses genoux. Tout en prenant conscience que pour la première fois de sa vie il risquait de ne plus se contrôler du tout, il se leva pour aller ouvrir.
Hermione comprit que quelque chose clochait au moment même où elle le vit derrière la porte. D'habitude, il se contentait de l'autoriser à entrer d'une voix froide. Voix qui d'ailleurs, en temps normal, n'avait rien voir avec ce qu'il s'apprêtait à lui faire.
Mais quand elle le vit soudain si près devant elle, se tenant derrière la porte qu'il venait d'ouvrir d'un geste trop brusque, elle eut peur.
Elle entra, cependant.
A peine eut-il refermé la porte derrière elle qu'il la gifla à toute volée. Pas un coup spécialement douloureux, hormis l'humiliation d'un geste pareil infligé par une personne telle que lui. Non. Un claquement sec, rude, comme une décharge électrique, eut-elle le temps de penser avant de s'éloigner le plus rapidement possible de lui par peur qu'il ne recommence.
Reculant à l'aveuglette, elle trébucha et tomba lourdement assise sur un fauteuil qui semblait avoir anticipé sa chute, une main crispée sur sa joue, un regard accusateur à celui qui au lieu de la caresser comme à son habitude l'avait meurtrie.
Severus la regardait toujours, furieux, le reproche flamboyant dans son regard glacé, immobile.
Elle se releva tant bien que mal mais avant d'avoir pu lui demander un semblant d'explication il se jeta sur elle et ils roulèrent à terre.
Sa bouche s'appropria dangereusement la sienne, et elle ne put même pas protester devant ce traitement qu'il lui infligeait. Le sol de pierre meurtrissait son dos et ses mains étaient aussi impitoyables que les dalles irrégulières qui s'enfonçaient dans sa peau. Ses bras passés sous son dos l'enserraient avec tant de force qu'ils l'empêchaient presque totalement de respirer. Elle tenta une fois de plus de protester mais ses rudes mâchoires qui se fondaient dans les siennes l'en empêchèrent. Hermione sentait peu à peu la peau de ses lèvres saigner sous la pression qui leur était infligée.
Et puis elle décida que c'en était assez. Elle se débattit avec toute la force du désespoir et le courage que l'appartenance à la maison Gryffondor lui avait enseignés.
Quand il comprit que la fille ne se laisserait pas faire, et quand il saisit également qu'il pourrait presque la violer tant son désir et son désespoir se trouvaient exacerbés Severus décida tant bien que mal de se calmer, d'atténuer cette crise inattendue.
Mais tout ce qu'il put faire fut de lui dire…
« - Cette lettre que tu as oublié chez moi hier soir, dis moi ce qu'elle signifie… »
L'enchaînement d'idées se fit immédiatement dans l'esprit d'Hermione, ainsi que sa merveilleuse intelligence le lui permettait la plupart du temps. Elle saisit l'essence exacte de ce qui venait de se passer.
« - Je ne peux pas te le dire. »
Et à sa grande surprise, à sa grande peur aussi, elle l'entendit la supplier :
« - S'il te plait, dis le moi, dis le moi… »
Puis elle fut totalement perdue lorsqu'elle l'entendit sangloter dans son cou.
« - Dis le moi. »
Hermione sentait son érection contre son ventre, ses larmes contre ses cheveux, et elle eut la sensation, à cet instant précis, de l'aimer comme un enfant.
Il était fragile.
Comment pouvait-il l'être, lui ?
Elle se sentait aussi perdue que lui pouvait l'être.
« - Tu n'as rien à craindre », murmura-t-elle.
Elle le serra encore plus contre elle et ajouta :
« - Il n'y a que toi, tu le sais bien… »
Il se releva alors, une lueur presque féroce dans les yeux, la souleva littéralement de terre et la porta jusqu'à la chambre. Plus comme un butin dont on s'empare que comme une princesse, songea-t-elle. Il la jeta tout bonnement sur le lit et lui interdit de bouger lorsqu'elle tenta de se redresser sur ses coudes.
Il alla claquer la porte.
« - Ne bouge pas », fit-il sur un ton d'avertissement qui lui ôta toute envie de désobéir. Ses yeux noirs la foudroyaient.
« - Ne me menace pas ! », cria-t-elle.
« - Sinon quoi ! Tu iras tout raconter à Dumbledore ? Je te conseille d'aller directement le faire au Ministère, cela t'épargnera beaucoup de temps et de peine ! »
« - Je n'ai jamais songé à faire cela ! », répondit-elle, horrifiée. « Jamais ça ne m'est venu à l'esprit…Tu es fou… »
« - Je sais très bien que tu n'hésiterais pas à mettre cela dans la balance, au cas où j'agirais dans un sens qui te déplait ! »
« - Jamais ! Tu dis toutes ces horreurs parce que tu es en colère à propos de cette lettre… », ajouta-t-elle plus doucement. Mais il lui tournait le dos, toujours frémissant de rage. « Tu as tort, j'écrivais à un ami, c'est tout…Pourquoi es-tu si en colère ? »
Hermione sentait les larmes lui monter aux yeux. Comment pouvait-il prendre les choses ainsi ? Elle était, elle avait toujours été consentante, à chacun des moments de leur liaison, même la première fois…L'acte avait été violent. Mais elle y avait pris part avec la même conviction que lui, malgré son manque d'expérience évident. Ils avaient tous deux étés pris dans une sorte de folie enchanteresse qui resterait sans doute inexpliquée. Mais elle avait un instinct aigu de qui il était et savait qu'à aucun moment il ne l'avait méprisée.
La seule chose qu'elle se reprochait depuis cette histoire était son manque de travail scolaire et sa négligence pour ses engagements de préfète. Mais tant pis. Elle avait aussi choisi d'aimer, et elle l'assumait.
Aimer ? C'était un mot si étrange…Trop impressionnant, presque. C'était un mot qui faisait grandir d'un coup.
Il lui tournait toujours le dos.
Muet.
Elle se redressa et, rampant sur le lit, se dirigea vers lui. Elle se remit debout. Ses jambes tremblaient.
« - Ne te détourne pas comme ça. Cesse de te sentir en faute. »
« - J'ai tout à perdre », lâcha-t-il, d'une voix presque inaudible.
Hermione comprit qu'il lui ouvrait son cœur et se tut. Mais il n'ajouta rien d'autre. Il était visiblement en proie à un déchirement entre ce qu'il était sensé faire, et ce qu'il ressentait.
D'autant plus que les circonstances ne leur avait pas laissé le choix. Leur liaison avait démarré en dépit de leurs raisons respectives. Peut-être se sentait obligé, dans cette relation ?
Elle ne savait que faire.
Elle se blottit contre son dos, passant ses bras autour de sa taille. Ses larmes commencèrent à imprégner le tissu qui lui semblait alors aussi froid et dur que celui qui le portait.
« - Tout…Tu es bien sûr ? »
Il ne répondit pas.
Elle se serra encore plus à lui.
« - Parle-moi. »
Il se retourna alors dans un mouvement presque violent et la serra contre lui à l'en étouffer, comme elle aimait, finalement.
Elle releva un peu son visage et vit ses larmes, ce qui la troubla à nouveau au plus haut point. Elle sentit ses entrailles se retourner et sa propre tristesse s'en trouva décuplée.
« - Si tu pleures… », voulut-elle l'avertir.
Mais il prit son visage au creux de sa main et ferma sa bouche d'un baiser. Elle sentit le goût de ses larmes.
« - Pardon », murmura-t-elle, sans trop savoir pourquoi mais avec le sentiment qu'elle devait le faire.
« - Pardon de quoi ? », murmura-t-il contre sa joue.
« - J'aurais dû, je ne sais pas…Pardon. Je suis une idiote. J'écrivais cette lettre pour… »
Mais il l'interrompit une nouvelle fois.
« - Je n'ai rien, absolument rien à exiger de toi », et le ton de sa voix était caressant et velouté comme, elle le savait, lorsqu'il décidait de contenir ses émotions.
Il avait dit cela d'un ton résolu qui fit froid au cœur d'Hermione. Comme il devait lui coûter de dire cela…
« - Bien sûr que si, tu peux. Tu peux exiger tout ce que tu veux », ajouta-t-elle.
Il la serra encore plus fort mais ne répondit pas.
