Chapitre 19

Un jour, peut-être

« - Pose tes mains sur moi… », souffla Hermione à son oreille.

Mais il se sépara légèrement d'elle et la considéra un instant.

« - Ta conscience te travaille, c'est cela ? », constata-t-elle, triste. « Je comprends. »

Elle se haussa sur ses pieds et, même ainsi, elle n'arrivait pas à sa hauteur. S'appuyant à lui, elle commença à sécher les sillons encore humides de ses larmes avec sa bouche, embrassant les traces salées en espérant qu'elles disparaissent, qu'elle s'évanouissent pour ne plus jamais, jamais revenir…

« - Si je te cause plus de peine que de bonheur, il faut me le dire », souffla-t-elle. « Tu sais bien que je ne chercherai jamais à te nuire. »

Elle laissa aller sa tête contre son épaule. Severus était toujours droit, immobile. Comme absent.

Elle passa ses bras autour de lui.

Il enfonçait ses ongles dans la chair de ses poings pour ne pas se laisser aller à faire de même mais ça ne marcha pas.

Encore une fois il fut faible…Et ravi de l'être.

Ses mains caressèrent le dos d'Hermione avant même qu'il ait songé à s'en empêcher, et sa bouche chercha la sienne sans même qu'il se souvienne s'en être donné la permission. Son cœur aussi se mit à s'emballer quand elle répondit à son baiser, effleurant ses lèvres avec une douceur toute en retenue. Il s'emballa sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit.

C'était bon…Et c'était interdit. Adorablement interdit. Délicieusement interdit. Et ce problème qui s'imposait douloureusement entre eux devint quelque chose de beau, comme une raison supplémentaire de s'aimer.

Il eut presque envie d'en rire.

Alors soudain il repensa à quelque chose d'ancien.

Quelque chose qu'il avait occulté, quelque chose, qu'avec son esprit devenu si performant, il avait presque su effacer de ses souvenirs. Cette pensée avait un nom : dépendance.

Et tout ce que ce mot voulait dire lui revint brutalement.

Tandis que sa bouche se fondait dans celle d'Hermione, que ces mains enrobaient ses hanches si minces, ses pensées refluèrent, de plus en plus fortes, son raisonnement se fit sans qu'il ait à réfléchir vraiment, et il comprit alors quelque chose qui le ramena froidement à la réalité.

Cette volonté de satisfaire malgré tout son désir, d'aller à l'encontre du bon sens, de la morale qu'il s'était fixé au péril même de son salut, de sa propre vie, ce sentiment délirant qui l'empoignait quand elle était dans ses bras…Tout cela avait pour nom dépendance.

Tout cela était comme l'opium, aussi bon, aussi dangereux, en termes de valeur, en terme de risques.

Tout cela lui rappelait qu'un jour, il avait réalisé qu'il était dépendant et, au prix de souffrances terribles, tant physiques que mentales, il avait dû se sevrer.

Tout cela lui rappelait l'opium. Oui…

Et son cortège de souffrances. Sa jeunesse brisée. Le désespoir. Tout.

Severus se demanda alors si il aurait un jour à se sevrer d'elle.

Bien sûr. Il était déjà plus que dépendant. Et tant son attachement à cette fille que les risques qu'ils encouraient étaient des signes qui ne trompaient pas.

Comment ne l'avait-il pas compris plus tôt?

Lentement il desserra son étreinte, et la repoussa progressivement malgré ses gémissements de protestation.

« - Pourquoi fais-tu cela… », dit-elle sur un ton plaintif, presque boudeur.

Il soupira, puis s'autorisa une pause avant de répondre. Il inspira profondément. Du fond de son cœur, il pensa… « peut-être dans quelques années, si tu ne m'a pas oublié… »

« - Je veux que cette histoire s'arrête. Ce soir. Maintenant. »

Il affronta alors son regard et la vit reculer, de façon bien pire que lorsqu'il l'avait giflée, quelques instants plus tôt.

« - Pourquoi dis-tu cela… »

Ses traits étaient crispés, les premières larmes firent leur apparition.

« - Ne dis pas, ne me dis pas… »

« - Il n'y a pas d'autre solution. J'arrête tout. Je ne veux plus qu'on se voie. Et je ne te donnerai plus de cours aussi. »

« - Et ce que moi je veux ça ne compte pas ! », s'écria-t-elle, en larmes, courbée douloureusement comme si elle venait de recevoir un coup de poing dans l'estomac.

Severus n'ignorait pas qu'il était entrain de lui briser le cœur.

Mais il ne pourrait plus se regarder en face s'il persistait à poursuivre cette liaison. Autant rompre tout contact maintenant, tant qu'il le pouvait.

« - En fait, tout ce que tu voulais savoir c'était si j'allais te dénoncer ! C'est ça, bien sûr », murmura-t-elle la voix au bord des larmes.

« - Non, ce n'est pas ça. » Severus en fut un instant horrifié. « Mais tu représentes, tu es… »

Il cherchait ses mots et s'en voulut de ne pas les trouver. Il ne devait pas faiblir, pas maintenant.

Les sanglots d'Hermione étaient les siens, et chacun des soubresauts de sa poitrine résonnait dans la sienne. Et pourtant il restait droit, immobile.

Et puis au diable, il avait partagé son intimité, ses émotions, ses souvenirs…Il pouvait bien en partager un dernier.

Pendant ce temps elle s'était rapprochée de lui et il avait rattrapé de justesse ses poignets au moment où elle allait à nouveau le prendre dans ses bras.

Il reprit alors, d'une voix presque inaudible, prenant grand soin de choisir ses mots malgré l'émotion qui menaçait de plus en plus d'éclater :

« - Tu es, aujourd'hui, pour moi, ce qu'a été l'opium à une époque. »

« - Je ne comprend pas… » Elle sanglota un instant, avant de rajouter, désespérée : « Je ne te crois pas ! Jamais je n'ai vu de souvenir, en toi… »

« - Il a des choses, même si tu es persuadée du contraire, que pour rien au monde, je ne t'aurais laissée voir. Il a bien des choses que tu ne sais pas et jamais, je prie pour cela, tu ne les verras. J'ai connu des périodes où mon besoin d'opium n'était pas plus fort que l'obsession que tu représentes pour moi. Je connais trop bien les méfaits de la drogue qui rend esclave avant de détruire…J'ai vaincu une fois cela, je ne veux plus prendre de risques. »

« - Tu te trompes…S'il te plait, écoute-moi… »

« - Non, il n'est plus temps que je t'écoutes…Je ne doute pas… »

Si, il doutait.

« - Je ne doute pas…De ton attachement. Mais il faut arrêter. Le danger, ce n'est pas toi, non… »

Et il dut se retenir d'effleurer sa joue du revers de sa main.

« - Mais tu n'as pas idée, dans les circonstances actuelles, du danger que représenterait la situation si elle était découverte… »

« - Mais j'ai aussi mon mot à dire, tu ne crois pas ? »

Ne la laisse pas te convaincre, Severus

« - Je regrette, mais non. »

Elle leva vers lui un regard indigné. Elle n'attendait visiblement pas une réponse aussi catégorique.

« - Tu es encore trop optimiste, trop idéaliste, mais c'est normal. Tu grandiras… »

Elle se recula soudain, comme s'il l'avait insultée.

« - J'ai déjà compris une chose… » Elle avait l'air blessée au-delà de tout. « Je suis trop jeune…Pour ce qui t'arrange. »

« - Je t'interdis d'insinuer une chose pareille ! », tonna-t-il.

Mais elle se rapprochait à nouveau dangereusement de lui…

« - C'est terminé, ne t'inquiètes pas, j'ai bien compris. Tu devais savoir que j'apprends vite… »

Elle détacha la boucle argentée de sa cape qui glissa à terre. La haine emplissait son regard.

« - Mais si c'est fini, puisque tu es si déterminé… »

Des larmes coulaient toujours sur ses joues. Mais son regard était noir.

« - Alors une dernière fois. »

Sa main remonta jusqu'à son cou et elle desserra sa cravate.

« - Non, c'est terminé », fit-il doucement.

Il secoua légèrement la tête en la regardant droit dans les yeux. Severus était entrain d'utiliser ses dernières réserves de résistance, il le sentait. Mais il n'en laissa rien paraître.

Elle se figea, son regard toujours rivé droit au sien. Visiblement convaincue par son attitude. Si elle savait…

Il en profita pour en finir. Cette scène sonnait tant comme une mise à mort…

« - Tu sais bien que je pourrais te mettre sous Oubliettes et effacer tout ce qui s'est passé. Mais je ne veux pas le faire.»

« - Peut-être devrais-tu », répondit-elle simplement.

« - Je ne veux pas le faire », répéta-t-il.

Alors elle baissa les yeux et il sut qu'il avait vaincu.