Par Tsubaki HimePoupée de sang
Chapitre IV
Reflet d'une douleur lointaine
Recherches… Recherches… Le petit bibliothécaire continua de tapoter sur son ordinateur portable avec ses petites mains habiles. Il était capable de changer de fichier si vite que même un pro de l'informatique en resterait scotché.
Recherches…
Il cliqua sur une fenêtre, se connectant directement au réseau de Meifu. En composant un code, il se retrouvera tout droit à l'Enma-Cho.
Clic!
Une photo apparut devant lui. Pendant quelques secondes, ses mains se figèrent au-dessus du clavier, comme si ce qu'elles venaient de frapper était incorrect. Le bec de Gushoshin s'entrouvrit puis se referma dans un claquement.
Ce visage… c'était incroyable qu'il ressemble autant au Shinigami le plus gaffeur, le plus gourmand, le plus distrait qu'il connaissait. La forme des lèvres étirant un petit sourire triste, ces yeux noirs aux étranges éclats bleu-gris dont une lueur exactement semblable semblait pétiller, ces cheveux brun foncé…
« Tsuzuki… »
Gushoshin se ressaisit et continua de tapoter encore quelque peu. Il regarda autour de lui. Il avait élu domicile pour un petit moment la bibliothèque du centre qui était très variée. En tant que bibliothécaire de son état, Gushoshin n'avait pas pu s'empêcher de regarder la propreté de la grande salle, les livres bien rangés à travers les rangées, et surtout le calme paisible qui régnait. C'était le paradis du livre.
« Petit frère serait jaloux d'apprendre ça! », pensa joyeusement Gushoshin.
- Il n'y a personne?
- Non, j'ai vérifié…
Gushoshin se figea, terrifié. Il avait complètement oublié que d'autres personnes pouvaient venir. Vite, vite, il éteignit son ordinateur sans bruit mais enregistra le fichier qu'il avait sous les yeux quelques secondes auparavant. Bien qu'il fût invisible aux yeux des mortels, il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir cette idée stupide qu'on le surprenne.
- Personne ne t'a suivi?
- Non, j'ai fait attention…
Cette voix… On aurait dit la même que Tsuzuki en plus juvénile.
Gushoshin avait un terrible défaut: la curiosité. Cachant son ordinateur derrière une pile de livres, il voleta vers la rangée des livres de philosophie et se cacha bien derrière deux livres où une ouverture lui permettait de voir.
Il arrivait à distinguer une silhouette, le profil du visage du garçon dont la photo lui était parvenue. Il se nommait… Kagura… Tatsuhiko s'il se rappelait bien.
Le jeune garçon avait un doux regard, bien plus doux et brillant que sur la photo. Il parlait avec quelqu'un mais malheureusement, il ne distinguait pas bien à cause de la pénombre. Leurs voix étaient si basses que le bibliothécaire avait peine à entendre.
- On ne devrait plus se voir comme ça, continua la voix. C'est trop dangereux.
Kagura parut décontenancé une minute. Il se ressaisit, ses yeux étincelants d'un éclat de désespoir vain.
- Ce n'est pas sérieux… ce que…
Il secoua énergiquement la tête.
- Non, je veux rester ici! Je veux que…
Il se tut, la voix un peu bloquée par sa respiration saccadée. Son interlocuteur le prit doucement par l'épaule, effleura son cou.
- Je sais… Je sais que cela est dur mais… On ne peut pas continuer comme ça… Tous les professeurs l'apprendraient, tous, tu m'entends? Ce serait tragique!
L'interlocuteur regarda sa montre.
- Il va falloir que tu retournes en cours, fais comme je te l'ai dit, ça vaudra mieux pour nous deux. N'en parle à personne… Fais en sorte qu' « il » puisse être fier de toi comme à chaque cours, à chaque fois que tu feras des efforts. Je suis sûr que cela « lui » fera plaisir.
Kagura acquiesça d'un vague signe de la tête. Mais, alors qu'il allait partir, il revint brusquement sur ses pas et étreignit son interlocuteur de toutes ses formes. Une larme perla à son œil gauche qu'il essuya bien vite avant de disparaître vers la sortie.
La personne dans l'ombre eut comme un triste soupir puis lentement, s'en alla. Gushoshin, ébahi, n'eut pas le réflexe de voler pour voir son visage.
Son bec claqueta doucement dans le silence de la bibliothèque.
« Kagura Tatsuhiko… Quel secret caches-tu donc? »
Hisoka marchait dans le couloir, sans un but précis. Ses yeux étaient baissés vers le sol, vagues et songeurs. Machinalement, il porta la main à sa poitrine, là où battait son cœur de façon habituelle. Pourtant… à trois reprises, il avait « sa » présence, lui, l'homme aux yeux d'argent. C'était un sentiment inorganique qui s'était emparé de lui, l'avait manipulé tout entier. Comme si brusquement son esprit avait été forcé comme un coffre-fort.
« Cela voudrait-il dire… qu'il serait tout près de moi? »
Il n'osait pas y penser mais malgré tout l'idée l'effleura. La dernière fois que ce genre de douleur l'avait pris, c'était sur le Queen Camellia. Une brûlure l'avait parcourue et le soir même, « il » était venu, le toisant d'un sourire cruel.
- Hisoka!
La voix de Tsuzuki le ramena à la réalité. Il se tenait devant lui, un sirop à la main. Ses yeux améthystes avaient un étrange éclat. Un éclat qu'Hisoka n'aimait pas, à la fois furieux et triste.
- Hisoka…, répéta-t-il avec plus de douceur.
Ce ton était inhabituel. Hisoka le regarda puis lança un rapide coup d'œil au sirop qu'il tenait.
« Pantin… »
- Ah…
Ca y est… Cette brûlure le terrassait. Il fut plié en deux par la douleur, emporté par ce sentiment de cruauté ineffable.
- Hisoka!
Tsuzuki tendit une main.
- Non! Me touche pas! Cria Hisoka, la rage au cœur.
Il se tut, haletant, tenter de faire chasser le goût de sang dans sa bouche. Ses bras étaient engourdis, il n'arrivait presque plus à se tenir debout. La vague noire de cet homme l'avait frappé avec violence cette fois-ci.
- Hisoka…, souffla Tsuzuki.
Soudain, le jeune garçon comprit. Comprit ce regard presque désespéré du Shinigami devant lui.
- Il… Il est là? Demanda-t-il, ébahi. Il est donc revenu?
Tsuzuki acquiesça de la tête. Hisoka soupira, à la fois soulagé - était-ce possible?- et furieux.
- Pourquoi… faut-il qu'il soit là, encore et toujours…?
Ce furent les seules paroles qui sortirent de sa bouche à cet instant. Oui, c'était compréhensible mais finalement, cela lui importait peu. C'était bizarre mais tout ce qu'il voulait savoir, c'était si enfin cet homme allait réapparaître.
Hisoka serra les lèvres. Le rêve qu'il avait fait sous la lune rouge était un avertissement, il le savait.
Tsuzuki sentit son cœur se contracter. Ce sentiment qui le taraudait, que cela voulait-il dire?
- On se voit ce soir dans ta chambre, décréta Hisoka d'une voix métallique. Qu'on trouve des infos sur Kagura Tatsuhiko.
- Hisoka…
- T'en fais pas pour moi, ton sentiment de compassion me fait un poids d'enfer sur la tête…
Tsuzuki suivit la silhouette d'Hisoka disparaître au bout du couloir. Ses yeux améthystes s'assombrirent.
« Poupée de noir et de voilette pleurait en silence dans l'oubli de l'existence… »
A ce moment, Hisoka fut une poupée. Cette poupée que Tsuzuki essayait de protéger, prenant soin de son doux visage et son cœur de porcelaine. Ses yeux verts étaient le reflet d'une douleur si lointaine…
« Hisoka… »
- Tu sors encore ce soir?
- Hum… Un truc urgent…
Kagura mettait un sweater noir ouvrant d'un geste simultané la fenêtre. Hisoka le regardait faire, installé à son bureau, lisant un livre qu'il avait pris à la bibliothèque. Kagura avait déjà raté le repas d'hier et était rentré à minuit passée.
« Je sais que je suis pas sa mère mais il est un élément dans l'enquête, j'en suis persuadé… »
Quelle étrange sensation, Hisoka n'arrivait pas à la faire disparaître. Ce mur psychique les séparant était d'une force incroyable, on avait l'impression que l'esprit et le cœur de Kagura restaient désespérément cloîtrés en son être.
Kagura s'aperçut que le Shinigami le fixait avec insistance.
- Eh, quoi? Chuis pas bien habillé?
- Euh… Si, si, c'est bon, s'empressa de répondre Hisoka, vaguement gêné, à sa grande surprise.
Il tenta de replonger dans son livre mais les lignes lui faisaient autant d'effet qu'une théorie physicienne. Les lettres dansaient dans sa tête sans qu'il puisse les réunir pour former des mots et des phrases concrètes.
Depuis le retour de Muraki, ses pensées s'agglutinaient dans sa tête, mêlées à un sentiment d'agacement, de mépris et de rage qu'il ne parvenait pas à expliquer. Ce qu'il pensait de Muraki était très vague, en tant qu'humain - si cela était possible -.
Kagura passa près de lui, portant sa veste en jean sur son épaule. Il eut un regard vague dans la direction d'Hisoka puis referma la porte derrière lui. Hisoka se retrouva plongé dans le silence à peine interrompu par le tic-tac du réveil de son co-locataire.
Le soleil au loin, terminait sa course, se transformant dans l'éclat bleuté du crépuscule en une étrange sphère rouge sang. Quelques heures plus tard, l'astre lunaire se poserait à la même place, absorbant la couleur maudite du soleil, devenant elle-même de la couleur amère et vermeille.
Hisoka se pencha en arrière, sa tête se laissant aller contre le dossier de la chaise. Il contempla quelques instants le plafond blanc où une ombre se dessinait peu à peu, la sienne, brouillée par l'éclat de la lampe posée sur son bureau. Lentement, il fit descendre son regard jusqu'à la table de nuit de Kagura. Un livre y était posé ainsi que son réveil.
« Eh si… je trouvais des informations? »
Après tout, il était ici en tant qu'enquêteur. Tatsumi avait raison: il devaient agir au plus vite. Hisoka se leva et très calme s'avança vers les affaires de Kagura.
Il prit le livre entre ses doigts, étudia le titre: « Poèmes sous le clair de lune » dont le nom de l'auteur ne lui revenait pas en mémoire.
« Tiens? »
Il y avait une drôle d'épaisseur sous la jaquette de couverture. C'était un papier plié en quatre avec soin. Hisoka le déplia et lut:
Chaque jour, sans relâche, je t'attendais, dans le gouffre infernal de la passion…
Que je brûle les cieux si purs, que je souille les écrits sacrés, cela n'aurait pas d'importance…
Car tant que tu n'es pas à mes côtés, mon cœur reste vide et insensible à toute chaleur autre que la tienne…
Si pour te retrouver, je devrais me séparer de mon âme alors aimes un corps sans esprit que je serai…
Tout en toi éveille en moi une fougueuse et tendre adoration.
Que ton corps, ton âme, ton amour soient pour moi le plus grand des trésors.
Pour mon cher Kagura.
La lettre avait été écrite à la main, une écriture soignée appliquée, comme si la personne avait pris du temps, avait inscrit chaque lettre avec la même tendresse, la même affection. Mais rien ne pouvait dire s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme.
Hisoka plissa les yeux. Il prit une feuille de son propre cahier et inscrivit la lettre jusqu'au dernier mot puis replia le véritable bout de papier et le remit dans le livre qu'il laissa à la page exacte, au même endroit. Il entreprit de fouiller le reste de la table de chevet. Il y avait deux ou trois autres livres sans intérêt, des stylos et un bloc-notes. Hisoka le feuilleta. C'étaient des essais d'expression écrite sur divers sujets. Sûrement pour les cours particuliers qu'il avait l'habitude de prendre.
« Rien d'intéressant, à part ce mot… »
Il se figea, abasourdi. La page qu'il avait sous les yeux… ce n'était quand même pas…
Il était cinq poupées, cinq demoiselles…
La première était de pervenche et d'azur,
Parlant de sa voix la plus pure…
Le passage de la première poupée avait été rayée rageusement.
La deuxième était de rouge et vermeille,
Observant mille merveille…
De nouveau les deux lignes avaient été barrées.
La troisième était de printemps et de vert,
Écoutant des chansons de la plus belle manière…
Et là, avec encore plus de férocité, les deux vers de cette comptine avaient été rayés, surlignés jusqu'à ce qu'on les voit à peine. Hisoka avait presque le souffle coupé.
« Kagura… Ne me dis pas que… »
Non, ça ne pouvait pas être lui. Impossible. Mais pourtant…
Hisoka prit le bloc-notes et après avoir refermé le tiroir sortit de sa chambre presque en courant.
« Kagura! »
- Gushoshin, tu as trouvé quelque chose d'intéressant?
Tsuzuki, interrogateur, se pencha vers la petite épaule du bibliothécaire, occupé à ramener autant d'informations qu'il pouvait sur le centre et tous ses occupants. Son bec doré claqueta dans un signe d'agacement.
- Tsuzuki, ce n'est pas en me bavant dessus que vous trouverez des indices.
Clic!
Gushoshin cessa soudain de pianoter sur son ordinateur, ses petits yeux écarquillés par la stupeur. Son bec s'entrouvrit sous le choc. Tsuzuki se pencha encore plus.
- Quoi? Que se passe-t-il?
Le bibliothécaire eut un mouvement de bec songeur. Il fit glisser la flèche de sa souris vers le document qu'il lisait. Après avoir parcouru quelques lignes, le Shinigami aux yeux d'améthystes reconnut une lettre banale envoyée au maire de Kagoshima.
- Ben, ce n'est rien, il n'y a pas de quoi être aussi surpris.
- Abruti! Siffla Gushoshin. Vous n'avez pas remarqué quelque chose? Regardez…
Il cliqua sur les propriétés du document. Là, évidemment, Tsuzuki tiqua.
- Le fichier est anormalement gros pour une lettre d'une page et demie.
- Exact, et je crois que notre cher Migamôto cache quelque chose derrière ce fichier. Ce n'est pas très compliqué quand on y pense. Il suffit de se débrouiller un peu en informatique pour dissimuler quelques Ko en plus.
Tsuzuki eut un petit sourire amusé.
- Et je suppose que pour toi, ce ne sera pas très compliqué de les retrouver, non?
Le bec de Gushoshin claqueta de nouveau, comme dans un ravissement. Le petit bibliothécaire fit craqua les jointures de ses petites mains.
- Je vais enfin pouvoir m'amuser.
Il pianota plus d'une bonne dizaine de minutes, sans quitter un seul instant l'écran de ses petits yeux expressifs et concentrés. Tsuzuki, sans mot dire, regardait les fichiers s'ouvrir et de se refermer aussi sec avant que de nouveaux documents n'apparaissent.
Le petit manière dura ainsi vingt-cinq minutes jusqu'à ce que…
Clic!
- Voilà, je l'ai, ce fichu fichier caché! S'exclama Gushoshin, aussi victorieux que le soldat sur son premier champ de bataille.
Il se tut aussi vite, le regard exorbité. Tsuzuki, atterré, les membres pendants, regardait les images qui défilaient devant ses yeux. Ce n'était pas possible…
Une nausée s'empara de lui, tant ce qu'il voyait était si… abject…
- Le… Le salaud! Murmura-t-il, fou de rage. Comment a-t-il osé faire ça?
Gushoshin se ressaisit difficilement, tentant de baisser le regard.
- Je crois que nous savons pourquoi Migamôto s'est fait tué. Le coupable avait un mobile.
- Non, sans blague, ironisa Tsuzuki d'une voix amère. Le salaud… Faire ça…
Il regarda sa montre.
- Mais… que fait Hisoka? Ca fait plus d'une heure qu'on l'attend!
« Hisoka… »
- Alors… tu es quand même venu…
Le docteur aux yeux argentés eut un doux sourire. Ce sourire que le garçon détestait.
- Viens, mon joli…
La porte de l'infirmerie, entrouverte, s'ouvrit davantage par une main tremblante de colère. Le docteur fit un léger signe de tête.
- Entre… mon magnifique pantin…
A suivre...
