Chapitre 21
Regarde devant, regarde
Plusieurs mois passèrent. Parfois, elle se demandait si tout cela avait été un rêve. Mais la brûlure toujours à vif de son cœur se rouvrait, et alors elle se rappelait.
Les premiers temps avaient été un enfer. Le voir, surtout, le voir sans se sentir le droit de le regarder. Une torture. S'obliger à oublier alors qu'elle savait que c'était impossible, alors qu'elle n'en avait aucune envie.
Supporter sans broncher sa froideur professorale, puisque c'était tout ce qu'il voulait bien lui laisser désormais.
Elle avait vécu un moment dans une période floue et douloureuse, se cognant partout, entendant sans écouter, fermée comme une coquille. Ne trouvant de réconfort que dans l'étude. C'était la seule chose qui n'avait pas changé.
Elle avait même songé à mettre en pratique ses connaissances en magie noire pour le faire changer d'avis, mais elle s'était presque aussitôt haïe d'y avoir pensé.
Et cette fameuse nuit, ce soir déchirant où elle avait regagné la tour de Gryffondor, dévastée, ivre de chagrin…Blessée.
Il était bien tard quand elle était enfin arrivée dans la salle commune.
Et comme s'il l'attendait, Harry était le seul à encore veiller, profondément installé dans l'un des canapés près du feu.
Longtemps, elle resta persuadée qu'il l'attendait effectivement, ce soir-là.
Il l'avait vue entrer, et avait commencé à lui dire quelque chose du genre :
« - Je croyais que c'était Ron qui rentrait déjà de sa ronde… »
Mais il s'était tut aussitôt devant son visage ravagé par les larmes et s'était levé, maladroit dans sa précipitation, pour accourir auprès d'elle, inquiet comme seul un frère peut l'être…
Que lui répondre ? Comment lui expliquer ? Et comment comprendrait-il…
Elle s'était effondrée dans ses bras. Longtemps, il l'avait serrée contre lui. Le feu s'éteignait peu à peu.
Puis il avait voulu savoir. Mais elle ne voulut rien lui dire. Elle lui fut reconnaissante et le serait probablement toute sa vie de n'avoir pas insisté ce soir-là.
« - Tu n'as jamais eu de chagrin d'amour… », lui dit-elle d'une voix éraillée par les larmes.
« - Je crois que non, quand je te vois », répondit-il simplement.
Ils restèrent longtemps à contempler le feu qui mourrait. Les larmes continuaient à rouler silencieusement sur le visage d'Hermione.
Puis le portrait de la grosse dame pivota, et Ron entra dans la salle commune.
Elle essuya rapidement les larmes qui restaient sur ses joues, et lança à Harry un regard qui disait : Tu ne lui dis rien, n'est-ce pas…Et auquel il répondit par un bref hochement de tête.
Hermione prit une longue inspiration et se tourna vers celui qui n'avait jamais cessé de l'attendre.
Les mois avaient passé depuis cette terrible soirée. Hermione avait souvent pleuré. Dans les bras de Harry, et seule aussi, souvent. Le soir dans le dortoir, le visage enfoui dans son oreiller pour ne pas que les autres l'entendent. Dans les toilettes pour ne pas que les autres la voient.
Entre deux rayonnages à la bibliothèque, quand un souvenir remontait malgré elle. Ou encore quand le petit serpent qui avait élu domicile sous sa peau s'aventurait dans une zone où elle pouvait le voir.
Souvent. Et tout le temps, au début. Puis la peine s'était atténuée. Un peu.
Mais la douleur était trop souvent ravivée pour vraiment guérir.
Quand elle le croisait au détour d'un couloir, une expression froide et impassible sur le visage. Ou lors des cours de potion, une véritable épreuve pour elle, où il passait près, si près d'elle, la frôlant par obligation, mais fuyant son regard. Toujours.
Et elle l'aimait. Toujours. Et pire, même.
Mais elle s'obligeait discrètement à ne pas se laisser aller.
La vie devait reprendre ses droits.
Elle se força à revivre.
A plaisanter avec Harry.
A se disputer avec Ron. Souvent, même, cela la réconfortait. Etrangement.
Et quand, lors d'une tiède journée de Juin, pendant la dernière sortie à Pré-au-Lard, celui-ci l'embrassa –pas un baiser farouche et passionné, non, juste une esquisse tendre et sincère au coin de sa bouche- elle le laissa faire.
Hermione passa le premier mois des vacances chez ses parents. Ron lui manquait. Elle avait besoin de sa présence, et se languissait de pouvoir à nouveau effleurer ses lèvres, mettre sa tête dans son cou…
Il n'avait pas vraiment recommencé, après sa tentative de Pré-au-Lard. Elle s'était demandée pourquoi. Peut-être n'avait-il pas osé ?
Sauf…sauf le dernier jour, en descendant du train. Alors que Harry était loin devant eux il lui avait pris la main et l'avait entraînée derrière une des barrières. Il l'avait serrée contre lui et elle avait partagé cette étreinte avec une avidité qu'elle savait peut-être un peu trop dévorante, trop empressée pour une première fois. Puis elle avait relevé la tête et ses lèvres douces avaient à nouveau effleuré les siennes, avant de rendre le baiser plus profond.
Hermione ne se rappelait pas l'avoir déjà vu embrasser une fille, et elle songea que c'était peut-être la première fois pour lui.
Et pendant que son ami de toujours, celui qui avait toujours attendu dans l'ombre en quelque sorte, savourait la toute nouvelle et fragile victoire de ce premier baiser partagé, Hermione sentait renaître en elle, dans son corps, dans les tréfonds de son ventre, le désir lancinant, cette cicatrice de sa passion détruite. Cette tornade qui lui avait finalement laissé une soif inextinguible, une faim inassouvie. Saurait-il, lui, apaiser cela de façon définitive ?
Etait-elle vraiment honnête avec lui ?
Elle se refusa à y penser davantage.
Il se détacha alors d'elle.
Ils se séparèrent ainsi, frustrés, tristes, lui sans doute en colère contre ces vacances qui lui prenaient la fille qu'il aimait, et elle, l'esprit plus chargé de questions que jamais.
Elle passa le reste de ses vacances au Square Grimmaurd, en compagnie de tous les autres, et ses retrouvailles avec Ron amorcèrent la reprise de ce qu'ils avaient commencé au début de l'été. Hermione se surprenait parfois à chercher sur sa peau des odeurs qu'il ne possédait pas, et la caresse de ses mains douces et chaudes manquait parfois à son goût de quelque chose de…Plus rude ? Elle avait du mal à définir ce sentiment et préférait l'occulter, la plupart du temps.
Ce qu'elle fit…Jusqu'à un certain point. Elle comprenait peu à peu que les étreintes de son ami lui servaient davantage de réconfort qu'autre chose…Elle l'aimait, mais pas de la bonne façon. Avec toute la culpabilité que cela impliquait.
Et un soir brûlant du mois d'août, alors qu'ils se trouvaient tous les deux sur les toits de la maison et que Ron s'aventura à pousser un peu plus loin les caresse habituelles, elle fut partagée entre le désir de le laisser faire, de le laisser apaiser ce feu qui vivait en elle douloureusement et depuis trop longtemps et son sempiternel besoin d'honnêteté.
« - Arrête », chuchota-t-elle, le cœur et le corps déchirés d'avoir à faire cela. Mais il le fallait.
Il embrassait toujours doucement la peau de son cou.
« - Pourquoi… »
« - Ron ! »
Comment lui dire ?
« - Ron…Je ne crois pas que j'aie envie d'aller plus loin. »
« - Pas de problème, c'est comme tu veux. »
« - Non, ce n'est pas ça…Je crois que c'est pas une bonne idée, je…En fait je… »
« - Laisse tomber ! Moi je sais. C'est Viktor, c'est ça ! Mais quand vas-tu te décider à te le sortir de la tête ? Tu préfères vivre dans les rêves, c'est ça ! »
Il avait bondi sur ses pieds, furieux.
« - Ce n'est pas Viktor, arrête, s'il te plait… »
Elle était donc à son tour condamnée à briser un cœur…
« - C'est juste que si je continuais comme ça, ça ne serait pas honnête, oh, Ron, s'il te plait, si tu savais… »
Sa voix se brisa sans qu'elle ne puisse rien y faire.
Comme si elles n'attendaient que ça, les larmes jaillirent et ruisselèrent sur ses joues. La voyant soudain ainsi désemparée, il sembla se calmer.
« - Qu'est-ce que tu as ? Ne pleure pas, s'il te plait, qu'est-ce qui t'arrive…Non, arrête…Pardonne-moi, dis-moi…Arrête… »
Et il la suppliait d'arrêter, lui parlait d'une voix douce, la prenait dans ses bras pour la bercer comme une enfant.
« - Tant pis…C'est pas grave, on arrête, si tu veux, mais arrête ça, je ne sais même pas pourquoi tu pleures… »
Il était perdu.
« - Je ne sais pas si je fais bien de te dire ça, mais il…il me semble que je dois être honnête avec toi », articula-t-elle malgré ses sanglots.
« - Tu n'es pas obligée », fit-il, ses lèvres dans les cheveux mouillés de larmes d'Hermione.
« - Je t'aime tellement, si tu savais…Mais je t'ai aussi tellement menti…C'est horrible quand j'y repense. »
Un sanglot lui tordit la gorge.
« - Tu peux tout me dire. »
« - Je ne sais pas si je peux tout te dire, mais il y a des choses que je veux que tu saches. » Elle prit une inspiration et s'efforça de maîtriser sa respiration. « J'ai eu une histoire, cette année, avec quelqu'un… »
Il eut un sursaut de surprise, et étouffa un juron.
« - Mais comment as-tu…Comment ça se fait que personne ne l'ait su, pourquoi tu t'es cachée ! Pourquoi as-tu fait ça ! »
Il semblait blessé au-delà de tout.
« - Ca…Ca ne s'est pas su, c'est trop compliqué…Ron, s'il te plait, ne le prends pas ainsi, s'il te plait… »
Que lui resterait-il si Ron se détournait d'elle ? Elle avait Harry…Mais Harry était lui-même plongé dans la complexité de sa propre existence, au beau milieu de cette guerre qui faisait rage.
« - Reste mon ami, s'il te plait, ne m'accable pas, j'ai traversé beaucoup de souffrances déjà, si je méritais une punition, n'aie crainte, je l'ai eue. »
« - Non, ne dis pas ça, mais…Tu…Tu me fais de la peine, tu comprends ? »
Il faisait visiblement d'énormes efforts pour ne pas s'emporter comme elle s'était attendue à ce qu'il le fasse.
Comme il devait tenir à elle…
« - Ca s'est mal fini. »
Il resta silencieux.
« - C'est terminé, définitivement. Mais je l'aime encore. » Elle marqua une pause. « Tu sais tout. »
« - Non, je ne sais rien. Je ne sais que ce que tu veux bien me dire, comme d'habitude. »
Le ton de sa voix était amer mais Hermione avait conscience qu'elle venait de lui broyer le cœur. Et lui mentir aurait été pire, bien pire à ses yeux.
« - Dis-moi juste une chose », fit-il après un long silence. « Tu regrettes ce qui s'est passé, cet été ? »
« - Oh non…Je continuerais, si je m'en sentais le droit. Mais je ne peux pas. »
Il resta à nouveau silencieux, un moment. Elle eut peur qu'il se lève brusquement et la laisse seule. Mais il ne le fit pas. Bien loin de l'exaspération à laquelle elle s'attendait, il se remit alors à parler.
« - Si tu veux…Enfin…Je prendrai tout ce que tu voudras me donner, tu sais ? Tu le sais, maintenant. Si tu es trop triste, ou je ne sais pas. Si tu veux, je…Je peux faire avec, en quelque sorte.» Il marqua une pause. « Je suis pathétique, n'est-ce pas ?»
Il détourna son visage d'elle.
Hermione eut du mal à le croire, tant cette proposition lui semblait surréaliste. Puis elle réalisa à quel point il venait de mettre sa fierté de côté pour elle, et elle en fut touchée au-delà des mots.
« - Je ne veux pas profiter de toi, je te respecte trop pour ça. Il me faut guérir, comprends-tu ? »
« - Je comprends…Mais je ne demande que ça, que tu profites de moi », fit-il simplement.
Hermione sourit à son ami.
