Poupée de sang

Par Tsubaki HimePour Kima Muraki qui attendait impatiemment la suite…

Chapitre V

Poupée de neige

Comment avait-il pu se mettre dans un tel pétrin? Il se rappelait, il avait couru hors de sa chambre, avait longé le couloir près du préau et soudain… il y était entré.

Il était entré dans l'antre de l'Ange de l'Apocalypse. Les membres tremblants, les yeux vides, sa main s'était posée sur la poignée glacée de la porte et lentement…

- Entre… mon magnifique pantin…

Et lui, avait obéi. Tel le pantin qu'il était.

La porte se referma sur eux.

- Je savais que tu me reviendrais… Ce n'était qu'une question de jours.

Cette voix, comme elle le faisait frissonner… Une voix si douce mais si froide. La voix cruelle du démon.

- Tu n'étais donc pas mort, siffla Hisoka, tentant de faire passer le tremblement qui le parcourait.

- Comment le pourrais-je?

- ….

- Tu n'as pas changé.

Le docteur s'approcha de lui, son visage se noyant dans l'ombre du crépuscule. Il tendit une main vers son visage pâle comme la Mort. Hisoka tressaillit, son cœur battant à tout rompre.

« C'est… comme dans mon rêve… »

- Arrête!

PAF

Il le repoussa violemment, se colla pratiquement contre le mur, le corps tremblant de violents spasmes. Muraki, imperturbable, le toisa froidement puis, dans un petit rire, s'approcha de l'armoire à pharmacie.

- Tu n'as pas changé, répéta-t-il comme une jolie formule de politesse. Toujours aussi froid, tu laisses ce qui te sert de cœur fermé. Mais reconnais-le, tu es seul…

Hisoka secoua énergiquement la tête.

- Non! C'est faux!

- Ah oui? Fit Muraki, un rictus se dessinant alors sur ses lèvres blanches. Alors, dis-moi qui pense à toi, qui se soucie de toi encore maintenant. De toute façon, tu as toujours été seul, depuis l'instant même où tes parents ont découvert ton empathie. Vas-y, dis ce nom qui te brûle les lèvres…

Cette aura si noire, tel un gouffre, elle l'aspirait, le vidait de son énergie. Hisoka sentit son esprit défaillir mais il devait s'accrocher, continuer à rester conscient.

- C'est…

- Dis-le… Cherche dans ton esprit mais tu ne trouveras personne…

« Arrête… C'est faux… », songea Hisoka, de toute la ferveur de son âme. « Je… Je ne suis plus seul… Je le sais, j'en suis persuadé… »

- C'est… C'est…

Ses lèvres tremblèrent, comme si elles voulaient retenir cette révélation. Mais il le fallait, car c'était la vérité. Il se l'était cachée depuis plusieurs mois. Cette personne, cet individu si gentil le protégeait depuis leur rencontre. Dès le début, il ne l'avait pas laissé tomber. Ses yeux si chaleureux, pleins de confiance l'avaient gagné et combler… Mais il avait fermé sa raison, avait préféré daigner cette vérité. Son cœur, encore cisaillé par les grandes violences qu'il avait subi, s'était cicatrisé au fil des missions. Son âme s'était comme… purifiée de ses cauchemars ténébreux. Et cette chaleur qui naissait au fond de son être, de plus en plus présente; un rayon de soleil tellement agréable… Amitié? Non, c'était plus fort, plus puissant que ce sentiment.

Il s'en rendait compte maintenant. Pourquoi, dans ce songe si cruel, il avait crié avec rage qu'il allait protéger cette personne. Pourquoi il pensait à lui, songeait toujours s'il n'allait pas faire une bêtise, pour le protéger de toutes ses forces.

« Cet homme… C'est… C'est… »

- Tsuzuki!

Le cri éclata dans l'air. Le docteur se figea et demeura une demi-seconde surpris. Le frémissement qui avait parcouru son visage disparut comme un éclair de chaleur. Il contempla le garçon qu'il avait tué plusieurs années auparavant.

- C'est… C'est Tsuzuki! Répéta Hisoka avec encore plus de conviction. C'est lui, c'est grâce à lui si je ne suis plus seul! C'est encore lui qui me permet de t'oublier, de ne plus me rappeler toutes les tortures que tu m'as infligés !Tu pourras dire ce que tu veux, je m'en contrefiche mais c'est ainsi, je ne pourrais pas le cacher!

Muraki ricana.

- Ce mouton noir…

Sa voix était tout un rire à elle seule.

- Hahaha! Comment peux-tu croire une seule seconde que cet homme rejeté par Dieu lui-même, cet individu au passé plus noir que les ténèbres puisse t'aimer comme toi, tu sembles l'aimer? Imbécile de marionnette, tu me déçois. Je pensais vraiment que tu avais gardé au fond de ton âme ignorante un semblant de bon sens mais je vois que je me suis trompé.

Il eut de nouveau un grand éclat de rire si violent qu'Hisoka sursauta, tentant de ne pas montrer son visage aux rougeurs évidentes de gêne et de colère. Gêné d'avoir divulgué ce qui était son véritable secret, ses propos qui lui tenaient à cœur. Furieux d'entendre cet homme qu'il haïssait se moquer de lui.

- Qui de nous, finalement, n'est pas le plus seul? Dit enfin Muraki d'une voix profonde après s'être calmé.

Sa main prit un flacon de désinfectant à peine entamé.

- Mais…

CHLING!!

Hisoka à cet instant, ressentit quelque chose de froid frapper violemment son visage puis éclater sous le choc, déversant un liquide à la fois brûlant et glacé. Des morceaux de verre lui rentrèrent dans l'arcade sourcilière, la joue et l'œil. Des larmes de sang coulèrent sur sa peau blessée tandis qu'abasourdi, il regardait Muraki qui lui avait envoyé férocement la bouteille en pleine figure.

Malgré la douleur physique, rien n'était comparable à celle qui émanait de Muraki tout entier, cette aura de colère si violente, si enflammée qu'elle en était palpable.

- Jamais, siffla-t-il d'une hargne tenace. Jamais je ne tolérai que ma marionnette, mon pantin tissé dans ma chair et mon sang puisse être heureux! Jamais! Tant que je serai là, tu ne seras jamais heureux, je m'y opposerais!

Une colère… semblable à la rouille ou au sang. On avait beau frotter, frotter, ou même supplier, elle demeurait, aussi vivace et brûlante que la lave en fusion. Hisoka, les membres de plomb, sentait le sang couler sur son visage maintenant en un large filet chaud, se perdant dans son cou avant de dégouliner en gouttelettes rougeâtres dans sa chemise blanche.

La fureur du docteur disparut peu à peu, remplacée par une moquerie sûre.

- Il est temps que tu t'en ailles…, souffla-t-il, presque calmé. Sinon, je crois que je n'hésiterais pas à te trucider sur le champ.

Il lui tourna le dos mais joua un dernier joker.

- Ce serait beaucoup trop facile, je tiens à savourer cet instant…. Viendra le jour où, par ma seule volonté, tu seras de nouveau à moi.…

Cette phrase glissa dans l'air, aussi menaçante qu'un couteau sous la gorge. Une flamme glacée brilla dans les yeux du docteur pour pénétrer dans le cœur blessé du Shinigami aux yeux d'émeraude.

La face du démon s'évanouit, laissant place au sourire chaleureux que devrait habituellement un véritable médecin.

- N'oublie de nettoyer ta pauvre plaie, tu es vraiment dans un sale état…

« Sale… Sale… »

La colère qui était en lui débordait, faisait frémir son visage ensanglanté. Mais il ne devait pas montrer de la faiblesse, il ne devait en aucun cas prouver qu'il était encore si fragile devant son assassin.

Comme un automate, il recula jusqu'à la porte qu'il ouvrit d'une main glacée par un mélange étrange de peur et de haine, avant de disparaître, ses pas résonnant dans le couloir.

Le docteur eut un bref soupir, reposant sa blouse blanche sur le dossier de sa chaise. Il s'assit, les paumes soutenant son menton, son regard si perspicace et en même temps si maléfique brouillé par la réflexion. Puis, lentement, son visage se baissa vers les dossiers qu'il examinait avant l'apparition de son pantin.

Ces lettres… Il les avait lues et relues, les prenant comme pièces de son échiquier. Trois meurtres avec pour seuls indices ces poupées de porcelaine aussi mal au point que les victimes. Et cette comptine si amère tirée d'un vieux livre anglais: les cinq poupées…

« Poupée de sang… Pantin de chair… Vous êtes à moi, vos yeux vagues se perdant dans ma contemplation… »

- Ah Hisoka!

Enfin, il était venu. Tsuzuki, en voyant l'adolescent apparaître, le visage en sang, avait eu raison de s'inquiéter malgré la courte distance qui séparait sa chambre de la sienne. Des bouts de verre étaient restés enfoncés dans sa peau blanche devenue gonflée par l'impact et son œil, rougi par le liquide rouge qui coulait sur ses joues, avait gardé une lueur de peur et de haine assourdie par l'angoisse qu'exprimait inconsciemment le Shinigami aux yeux d'améthystes.

- Tsuzuki, c'est bon, calme-toi, fit sèchement Hisoka. Ca va cicatriser, c'est rien du tout… Mais éloigne-toi de moi, s'il te plaît.

- Hisoka, je…

- Tes sentiments… sont lourds à porter.

Tsuzuki se rendit compte que leurs deux corps étaient presque serrés l'un contre l'autre, lui tentant de mettre de l'eau sur les coupures pour les faire disparaître plus vite. Mais ses angoisses et ses pensées revenant vers Muraki créaient malgré lui des vagues froides d'émotions, ce que Hisoka ne supportait que très difficilement.

- Ah pardon…

Il se recula, laissant Hisoka prendre de lui-même le mouchoir que le petit bibliothécaire, ne les quittant pas du regard, lui avait tendu avant de se replonger dans la contemplation monstrueuse des images qu'il avait dénichées.

- Alors, du nouveau? Demanda Hisoka en enlevant un bout de verre coincer vers la tempe.

- Ca on peut le dire, avoua Tsuzuki, amer. Gushoshin a retrouvé sur les dossiers de Migamôto des choses particulièrement intéressantes, et en fait…

- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHH!!!!!

Un cri déchira le paisible silence du centre. C'était une voix de femme, complètement hystérique. Une peur intense déferla sur Hisoka qui sentit ses muscles se contracter. Quelque chose de froid planait dans le centre.

- La bibliothèque!

Tsuzuki, en se mettant sur les mêmes ondes que le jeune empathe, ressentit à son tour ce brusque changement d'atmosphère. Le cœur battant à tout rompre, les deux Shinigami sortirent de la chambre en trombe, suivi par Gushoshin passé en mode invisibilité.

Ils arrivèrent devant la porte ouverte de la pièce où se tenait, livide, une jeune surveillante. Ses pupilles étaient dilatées par l'horreur et ses mains tremblantes, étaient tendues vers quelque chose sur le sol.

- Mademoiselle!

La jeune femme vit avec semi-soulagement le nouveau surveillant arriver, suivi par un pensionnaire. Il s'arrêta près d'elle, ne comprenant pas cette terreur.

- Que se passe-t-il?

- Là… Là… Je… Je l'ai trouvé sur le sol…, bégaya la surveillante, complètement dépassée par ce qu'elle venait de voir. Je faisais ma ronde habituelle lorsque j'ai vu la porte de la bibliothèque entrouverte et c'est là… c'est là que…

Elle éclata en sanglots, montrant de nouveau la cause de son horreur.

En voyant cela, les deux Shinigami eurent comme un haut-le-corps.

Du sang. Il y avait du sang partout sur le sol, comme une étrange mare rougeâtre, étincelant à la pâle lueur de la lune. Et, gisant dans ce liquide amer…

Un buste, le torse complètement déchiqueté, laissant entrevoir les entrailles; une tête au crâne fracassé comme une coquille d'œuf; des bras et des jambes figés dans la rigidité cadavérique, habillés du tissu de l'uniforme scolaire….

Tout cela avait été éparpillé en six morceaux distincts, comme une étoile macabre luisant dans le sang frais.

Ce visage… Un visage où habituellement régnait la méprise et la moquerie, mise à l'avant pour masquer toute peur et lâcheté… Un piercing argenté à l'oreille ne laissait plus de doute concernant son identité…

Shinayama.

Ses yeux voilés par la mort avaient gardé une expression de terreur jamais égalée et sa bouche se tordait étrangement, comme s'il avait tenté de crier avant de passer de vie à trépas.

- Hisoka…

La main de Tsuzuki désigna une petite forme près du corps de l'adolescent.

Une poupée, à l'habit d'un blanc dorénavant moucheté de rouge. Ses cheveux d'un brun doré s'étalaient en bouclettes sur ses joues froides et ses lèvres peintes en forme de cœur étiraient un sourire savamment triste et mélancolique.

Une poupée. Enfin ce qu'il en restait.

De ce petit tas de cire habilement construit, il ne restait que six fragments, les six membres éparpillés de la même manière que le pauvre pensionnaire.

Il était cinq poupées,

Cinq charmantes demoiselles,

Toutes de robes élégantes vêtues et de dentelle.

La quatrième était de neige,

Goûtant aux joies du cortège.

La quatrième victime de la comptine. La poupée de neige.

Les deux Shinigami, sans bruit, contemplèrent le cadavre de Shinayama.

« Bourreau, qui es-tu donc pour sacrifier autant de vies? »

A suivre…