Chapitre 22
L'été en pente douce
L'essentiel de ses regrets s'était focalisé sur la gifle. Cette gifle qu'il lui avait donné, ce dernier soir de…De quoi au juste ? Leur liaison ? Leur aventure ? Leur…Histoire, tout simplement ?
Depuis cette soirée déchirante, il avait regretté bien des choses. Ce qu'il avait fait, ce qu'il avait pu dire…Mais cette gifle était de trop. Elle revenait sans cesse douloureusement à son esprit.
Severus se doutait bien que la récurrence du regret de ce seul geste lui servait en quelque sorte à masquer ceux qu'il avait de tout le reste. Et surtout le remords de lui avoir volontairement brisé le cœur. Bien sûr, ç'avait été la meilleure solution, la plus raisonnable. La plus adulte.
Mais il ne pouvait s'empêcher de penser que ce soir-là, il avait également décidé de renoncer à la seule chance qui lui serait donnée d'aimer quelqu'un.
Ce fameux soir, après qu'il eut refermé derrière elle la porte de ses appartements, après le choc et la peine dans laquelle il se trouvait…Après avoir réussi tant bien que mal à réduire le tremblement qui secouait ses mains et le reste de son corps, la première chose à laquelle il avait réfléchi était : comment allait-il réussir à garder le contrôle sur lui dorénavant, et continuer avec la même force et la même assurance son double rôle d'enseignant et de membre de l'Ordre ?
Il aurait voulu s'éloigner de l'école, partir loin, loin d'elle, et là, peut-être aurait-il eu une chance de retrouver une existence normale ? Mais c'était rigoureusement impossible.
Il faudrait donc composer. Et plus que jamais, et puisque c'était une des raisons qui avaient grandement influencé sa décision, il allait s'impliquer dans ses missions pour l'Ordre.
Pour la vie de tous les jours…Et là les difficultés se profilaient, il faudrait bien qu'il s'arrange, entre potions de paix, sortilèges de calme et d'allégresse, et pratique plus que rigoureuse de l'occlumencie pour contrôler son esprit…Il y arriverait. Il le fallait.
Bien entendu, les premiers jours furent un enfer. La journée, il vivait perpétuellement avec ce manque, et une tristesse lancinante lui broyait le cœur sans aucun répit. Son ventre se tordait de douleur quand il lui était donné de l'apercevoir, et cette fois non seulement à cause de ses sentiments, mais aussi de ses regrets. Mais il n'en laissait rien paraître.
Ce droit, il ne l'avait pas.
Et il y avait les nuits, aussi. Bien souvent, les potions destinées à le calmer se révélaient insuffisantes et il devait s'ensorceler. Il fut même parfois bien près de recourir à des sortilèges noirs, tant les sorts usuels restaient inefficaces à contenir ses sens.
Allongé sur le dos, il fermait les yeux un instant et l'imaginait étendue près de lui…Tristes chimères. Sa main descendait alors le long de son ventre, lentement, et venait effleurer cette partie de lui brûlante de fièvre, de désir et de frustration, et il réalisait qu'il n'avait même pas envie de l'en soulager. Cela n'avait pas de sens et n'aurait pas suffit à l'apaiser.
Il ne trouvait de réel soulagement que dans la pratique du piano. Les premiers temps, il passait la majeure partie de ses nuits dans la salle insonorisée où il conservait l'instrument, rejouant sans arrêt les mêmes morceaux…Chopin, surtout. Et en particulier les jours où il avait eu affaire à elle : dans l'un de ses cours, ou l'ayant frôlée de trop près au détour d'un couloir…Il évitait son regard. Comme si cela suffisait…
Les vacances de Pâques étaient arrivées, et ce recul l'avait aidé. Il espérait qu'il en serait de même pour elle, même si cette séparation avait également apporté son lot de douleur.
Puis les semaines, les mois passant, il avait réussi à reprendre un certain contrôle sur sa vie et ses émotions, même si ses pensées, ses sentiments profonds restaient les mêmes.
L'été arriva. Elle partait.
Il la regarda s'éloigner sur la pelouse du parc en direction des voitures attelées aux sombrals, depuis une des tours du château d'où il savait qu'il ne raterait pas une miette de son départ.
Allait-elle l'oublier ? Qu'allait-elle faire, durant cet été-là ?
L'oublier…N'était-ce pas ce qu'il avait souhaité, en un sens ? Il l'avait contrainte à suivre cette voie. Il les avait contraints tous les deux.
Les premiers temps de leur séparation, les premiers temps de son supplice, Severus avait remarqué les yeux rouge d'Hermione, son teint blafard, son regard hanté. Mais comme lui elle avait semblé reprendre peu à peu un certain contrôle sur elle.
Le temps, le meilleur remède. Un remède à condition d'avoir envie de guérir.
Il la regarda partir, encore et encore, après même que les voitures eurent quitté le parc. Il repassa les mêmes images dans sa tête des centaines de fois. Il la revoyait gracile, légère, suivie quelques pas derrière elle par cet adolescent gauche et efflanqué qu'était Ronald Weasley. Suivie. La suivait-elle vraiment ? C'était impression qu'il donnait.
Mais les doutes, les vrais, ne viendraient pas encore.
Sans se lasser, il détaillerait encore et encore cette dernière vision d'elle, sous le soleil éclatant de ce début d'été.
Le front appuyé à la vitre, le visage ruisselant, il se rappellerait pendant longtemps le tee-shirt à manches courtes vert pâle qu'elle portait ce jour-là, le pantalon estival de toile beige qui enrobait ses hanches et flottait nerveusement autour de ses jambes. Il se rappellerait la veste en jean qu'elle tenait sous son bras replié, et la besace de velours marron qui rebondissait négligemment sur sa hanche gauche. Longtemps, il se rappellerait ses boucles brunes luisant sous le soleil de reflets flamboyants.
Il verrait cela jusqu'à ce que les derniers rayons du soleil s'inclinent et deviennent dorés, plongeant la campagne dans la torpeur d'une tiède soirée d'été, teignant les cimes de la forêt interdite d'une nuance incendiaire trop douloureusement familière à sa mémoire.
Mais il se souviendrait également qu'avant, juste avant qu'elle ne monte dans une des voitures, elle s'était retournée, juste une seconde, et qu'elle avait jeté un regard vers le château, vers lui, ne put-il s'empêcher de penser, et il murmura un au-revoir insensé, juste avant qu'elle ne se retourne et le quitte définitivement.
Il eut envie de s'étendre sur la pelouse du parc et d'attendre sans bouger, pendant deux mois, qu'elle revienne. Il avait envie, pour la première fois de sa vie, de se confier. Mais personne ne saurait entendre une telle confession. Il eut envie de prendre un balai et de s'envoler loin, de partir la retrouver où qu'elle soit, sans doutes encore dans le train.
Il alla jouer ce morceau de Chopin qu'il trouvait si beau.
Il ne put se résoudre à quitter le château, cet été-là. Ses missions pour l'Ordre le tenaient occupé certains jours de la semaine, mais il se surprenait parfois, le temps restant, à errer sans but dans les couloirs, repérant çà et là les endroits qui avaient vu naître leur histoire. Ici, cette salle de classe où il l'avait un peu bousculée, un jour. Là, un couloir où il l'avait croisée et où elle avait détourné les yeux, rougissante. Il lui arrivait parfois de ne voir personne pendant des journées entières. Severus évitait les rares occupants estivaux du château.
Chaque matin, quand son emploi du temps le lui permettait et alors que le soleil éblouissant était déjà haut dans le ciel, il descendait les innombrables escaliers du château jusqu'à la fraîcheur grandiose et silencieuse du Grand Hall.
Puis il ouvrait les lourdes portes et la chaleur et le soleil, les bruits de la nature, étaient comme une explosion des sens.
Il traversait les pelouses jusqu'au lac.
Le parc était désert.
Il se débarrassait de sa robe noire déjà trop chaude, peu soucieux de la vue qu'il offrait alors.
Cette sensation d'aise dans la nudité lui rappelait la seule autre circonstance où il aimait être nu. Avec elle. Mais il ne s'attardait pas trop sur cette pensée. Ce moment était le sien. Consacré seulement à son bien-être. Il se réservait-là une infime parcelle de bonheur. Son corps entrait progressivement dans l'eau tiède et légèrement bourbeuse du lac, et il fermait les yeux, emplissant pleinement ses poumons des senteurs lacustres, écoutant le doux clapotis de l'onde qui l'accueillait, le vent léger qui soufflait par moments, le chant des oiseaux et le bruissement de la Forêt Interdite, savourant le soleil victorieux sur sa peau. Les premières fois il resta en sous-vêtements, mais constatant qu'il n'avait jamais été dérangé il se décida par la suite à se baigner entièrement nu.
En quelques mouvements de brasse, il fendait l'eau qui étincelait alors de mille feux autour de lui.
Détendu, à demi inconscient, il se laissait flotter sur le dos. Ses pensées, tel son corps, dérivaient, et il imaginait son rire mouillé et étincelant tout près de lui, une Hermione dorée et éclaboussée, ruisselante, riant, riant à ses côtés…Parfois, il croyait même entendre ce rire et, agité, sombrant à demi dans les eaux noires, brûlantes et insondables du lac, il se retournait vivement et scrutait, agité comme au réveil d'un cauchemar, inspectait la rive, l'onde, mais il était seul, bien sûr…
Torse nu, il regagnait le tour qui abritait ses appartements.
Quand son emploi du temps (quand l'Ordre !) le lui permettait, il s'installait à son bureau qu'il avait installé près de la fenêtre qu'il ouvrait en grand, et il lui écrivait.
« Ma bien aimée, ma perdue, je t'ai laissée repartir là-bas, loin de moi, loin du monde des sorciers, et ce monde qui a toujours été le mien me semble aujourd'hui froid et impersonnel, vide de touts sens.
Ces meubles dans lesquels je vis et qui on vu s'écouler en moi les quinze dernières années me sont comme étrangers, froids de tes mains qui ne se posent plus dessus, flous de ton regard qui ne les caresse plus, comme moi, comme moi…
Et ce vieux lit de chêne, dans lequel ont dormi tant de mes nuits, de nos nuits, et qui me regarde comme un étranger…
Je n'ai jamais osé croire qu'il me serait capable de t'oublier, mais tu comprendras un jour que je ne pouvais, ne devais pas agir autrement. Je ne regrette pas ma décision. Si tu as eu mal, songe, si cela peut alléger ta peine, que la mienne a été d'autant plus grande que je sais que jamais plus je n'aimerai après toi.
Mais que peuvent donc de stupides mots contre la souffrance qui elle, est si réelle ? Pardonne-moi, peut-être n'as-tu pas ressenti la même douleur que moi. Et bien que je l'espère profondément, cela me déchire le cœur d'imaginer que peut-être, tu ne penses déjà plus à tout cela. »
Il relut attentivement la lettre et, comme toutes les précédentes depuis le début de l'été, il la froissa et l'envoya dans la corbeille en-dessous de son bureau.
Quel homme stupide il faisait ! A se complaire ainsi dans la torpeur de cet été brûlant, anesthésié, figé dans sa douleur.
Il se reprochait cela après la relecture de chacune de ces lettres…Lettres qu'il écrivait toujours ainsi, encore mouillé de ses ébats dans le lac.
A chaque fois il se détestait de cet état dans lequel il se complaisait et à chaque fois, il recommençait tout de même à lui écrire ainsi, pris comme il l'était dans l'atonie de cette semi-existence qui semblait vouloir s'étirer à l'infini.
La mi-Août approchait.
Severus repensa à ce rêve qui n'avait cessé de le poursuivre tout l'été. Il rêvait d'elle toutes les nuits. Rêve récurrent. Il la voyait, ruisselante d'une baignade qu'elle venait de partager avec lui, s'avancer vers lui, sourire. Oh, ce sourire…
Le soleil miroitait sur sa peau, et elle était entièrement nue. Les pelouses du parc étendaient leur tapis sous leurs pieds, désertes, verdoyantes sous la chaleur moite, bruissante de grillons.
Des insectes effleuraient la surface de l'eau avant de reprendre leur envol dans le ciel clair qui se reflétait dans le lac.
Sa peau rafraîchie par la baignade était toute piquetée de chair de poule, et ses seins frémissants semblaient tendus vers lui. Alors il avançait une main vers elle et rejetait en arrière les quelques mèches qui retombaient sur sa poitrine, empêchant sa vue de jouir pleinement des merveilles qui s'offraient à elle.
Bienveillante, la luxuriante Forêt Interdite chuchotait doucement au loin. Le rêve était saisissant de réalité et toujours identique.
Elle se collait alors franchement à lui, son visage renversé en arrière, offerte, attendant que son bon-vouloir daigne la satisfaire. Ce qu'il faisait presque aussitôt.
Puis elle glissait entre ses bras et s'étendait dans l'herbe tendre qui ne demandait qu'à les accueillir. Elle tendait sa main vers lui en une invite sans équivoque.
Il la saisissait et venait alors s'allonger sur elle, entrant en elle immédiatement, et tout en elle l'attendait. Elle l'accueillait en un long frisson.
Il lui semblait alors que cet acte sans préambule manquait quelque part d'humanité mais il chassait vite cette pensée car le rêve devait continuer et, savourant la chaleur dans laquelle il venait de plonger, il allait encore plus profondément en elle, et elle était aussi brûlante à l'intérieur que sa peau était fraîche sous ses mains. Sa peau exhalait l'odeur plate et minérale du lac, du soleil, de l'été.
Il restait ainsi immobile, savourant ce moment intense où il prenait possession d'elle, se préparant à bientôt aller et venir, étirant ce moment à l'infini, se complaisant sans bouger dans sa chaleur fiévreuse et moite.
Il cueillait sur ses lèvres de tendres baisers au goût de fruits rouges, les fruits de l'été, et effleurait la courbe charnue de ses joues embrasées. Hermione, ou du moins le personnage que son esprit avait créé, fermait les yeux, aussi offerte que son désir l'exigeait.
Le rêve était bon, mais se complaire ainsi à le faire, nuit après nuit, lui rappelait une chose que lui avait dit un jour Dumbledore et qu'il avait du mal à se rappeler, bien que l'essence du message lui restât : Eviter le plus possible de se réfugier dans l'imaginaire…
Mais Severus se sentait cet été-là une âme de poète, un poète doublé d'un fou, et se restreindre ainsi sur les dernières choses qui lui restaient d'elle lui était absolument impossible.
Alors il rêvait.
Sa main descendait jusqu'à sa hanche, et la soulevant légèrement contre lui, il entamait son va-et-vient. Elle gémissait, un son rauque, et sa peau se couvrait de délicates rougeurs. Une coccinelle rampait sur son épaule veloutée.
Il ne songeait pas le moins du monde à contrôler l'intensité de l'acte, qui s'achevait toujours de façon assez violente.
Alors il se réveillait en sueur, les draps trempés, et renonçait à se rendormir, préférant se lever et attendre à sa fenêtre que le jour se lève une fois de plus sur la campagne triomphante, luisante de rosée et retentissante des chants d'oiseaux, de la vie sauvage qui s'éveillait et accompagnait le soleil dans sa progression.
Une nouvelle journée, pareille à celle qui venait de s'écouler, commençait à égrener ses heures.
Assis à son bureau Severus contemplait la corbeille remplie de ses lettres d'amour, et qu'il interdisait aux elfes de vider bien qu'il n'envisage absolument pas de les envoyer un jour. L'été allait bientôt toucher à sa fin ou plutôt les vacances, ainsi que cette période étrange qu'il venait de traverser. Mais il réalisait à peine la chose.
Quelques jours plus tard, levé comme à son habitude avant l'aurore il dût se couvrir et attrapa sa cape qui traînait dans un coin de sa penderie. Le soleil ne fit pas son apparition ce jour-là. Il n'y eut pas non plus de baignade au lac. L'air était frais.
Attrapant son agenda sur le coin de du bureau, il le feuilleta et tomba presque aussitôt sur la date du premier Septembre. Il prononça ces deux mots à voix haute. Ils entrèrent dans ses oreilles, firent sauter les barrières de l'inconscient et traversèrent comme une étoile filante son cerveau endormi pour le faire bondir de sa chaise, comme sous la morsure d'un coup de fouet.
Dans une semaine.
Quoi, dans une semaine ?
Rien, écoute.
Son cœur battait à une allure folle.
