Chapitre 23

Vivre et laisser mourir

De grosses gouttes de pluie s'écrasaient contre les fenêtres du compartiment du Poudlard Express. A l'extérieur, la nuit était prématurément tombée à cause des nuages sombres qui obstruaient le ciel ce soir-là.

Hermione traçait du bout des doigts des symboles insensés sur la buée qui recouvrait les vitres glacées.

Derrière elle, Ron et Harry discutaient, mais pour une des rares fois de sa vie elle n'était pas attentive à quelque chose. Elle repensait à cette étrange distance, et à la fois ce rapprochement qui existait désormais entre elle et ce jeune garçon roux, assis dans un des sièges en face d'elle.

Ils ne s'étaient plus vraiment retrouvés, depuis cette conversation sur les toits du Square Grimmaurd. Leurs échanges étaient devenus légèrement distants, comme si chacun tentait d'éviter tout affrontement qui raviverait la douleur de leur situation si complexe.

Elle savait qu'il l'aimait. Aujourd'hui c'était une évidence dont elle se demandait comment elle ne l'avait pas devinée plus tôt. « La divination n'a jamais été mon fort, c'est au moins une qualité que de savoir l'admettre », songea-t-elle un demi sourire aux lèvres.

Quand à elle, elle l'aimait, c'était sûr, mais pas tout à fait de la bonne façon, ils l'avaient compris tous les deux. Peut-être dans quelques temps quand ses blessures se seraient refermées, si elles y parvenaient un jour…Après tout, la vie réservait tant de surprises ! Qui aurait cru, oui, qui aurait cru…

Inutile de recommencer à penser à tout cela.

Elle avait pris de saines résolutions, l'été aidant. Mais au fond, quelque chose lui disait que…

« Chut, tais-toi !», s'ordonna-t-elle silencieusement.

Son poing serré venait de s'écraser contre la vitre embuée, massacrant les runes étranges qu'elle dessinait depuis un moment.

« Ne pense pas à cela. Arrête toi tout de suite. C'est interdit. »

A son grand soulagement, elle comprit que la voix de plus en plus insistante de Harry s'adressait en fait à elle, et qu'elle avait tardé à lui répondre.

« - Hého ! Hermione…La Terre appelle Hermione !

Elle se retourna soudain, comme prise en faute.

« - Tu rêves… »

Ils la regardaient avec une lueur amusée dans les yeux. Elle les interrogea du regard, et Ron détourna le sien. Elle repensa à leur premier voyage dans le train. Tout était si différent, alors…Elle se prit à regretter ce temps-là, oubliant alors qu'elle avait été si seule, à ses débuts à l'école…

Comme aucun ne répondait à son regard interrogatif, elle se décida à parler :

« - De quoi vous parliez ? Désolée, je n'ai pas suivi. »

Harry reprit :

« - On se de mandait à qui on aurait droit, cette année, en Défense Contre les Forces de Mal. Finalement, on n'aura jamais eu un même prof pendant deux années consécutives. »

« - Oui, c'est vrai, le frère de Dumbledore était vraiment bien, mais il était aussi vraiment bizarre. Longtemps, je me suis demandée ce que je devais penser de lui. »

« - Tu n'es pas la seule, c'était vraiment un drôle de type », renchérit Ron, pensif.

« - Enfin, on aurait dit que c'était le seul professeur de Défense Contre les Forces du Mal que ce bâtard de Rogue semblait respecter », observa Harry.

Hermione réprima un sursaut à l'entente de son nom, et s'efforça de composer un visage neutre. Elle s'en voulut de sa réaction, qui signifiait aussi qu'elle était loin d'être encore guérie de toute cette histoire, espérant que ses réflexes ne l'avaient pas trahie devant ses amis.

« - Oui, c'est vrai…Ca change », ajouta-t-elle d'une voix qu'elle voulait assurée.

« - Va savoir », fit Ron après un moment de silence.

Harry reprit la parole :

« - Tu sais, Hermione, c'est la première fois que je traite Rogue de bâtard et que tu ne me fais pas la leçon. On dirait que tu es en progrès… »

Elle hésita un instant.

« - Oui, on dirait », fit-elle, un sourire sur les lèvres.

Si le temps qui les avait accompagnés le long du trajet avait été hostile, celui qui les attendait à la gare de Pré-au-Lard s'apparentait à un véritable ouragan.

Hermione vit au loin Hagrid qui s'agitait pour rassembler les premières années, gesticulant en tous sens sous le déluge au risque de blesser quelqu'un.

Déjà trempes, ils s'engouffrèrent dans une des voitures qui les attendaient et qui paraissaient encore plus miteuses et nauséabondes que les années précédentes.

Une fois arrivés, Harry, Ron et Hermione se précipitèrent en courant vers les lourdes portes du Grand Hall qu'ils atteignirent définitivement trempés. Une fois à l'intérieur, ils se séchèrent magiquement du mieux qu'ils purent avant de pénétrer dans la Grand Salle et de s'asseoir à la table de Gryffondor.

Hermione n'avait pas une seule fois levé les yeux vers la table des professeurs. Elle ne voyait aucune raison de le faire.

Pourquoi le ferait-elle ?

Puis le professeur MacGonnagall annonça le début de la Répartition et malgré elle, elle redressa la tête vers l'estrade.

Elle aperçut bien sûr le vieux Choixpeau rapiécé, et derrière lui la table où se tenaient les enseignants. Un nouveau professeur, manifestement le nouveau professeur de Défense Contre les Forces du Mal, était assis à la gauche de Dumbledore. Puis comme un aimant, son regard glissa vers la silhouette sombre à l'autre bout de la table.

Lui, toujours si sombre et si hostile, océan de contradictions, ténèbres fascinantes et souffrance majestueuse, attirant comme jamais.

Hermione sentit aussitôt son ventre se remplir d'un liquide brûlant alors que les battements de son cœur retentissaient avec une telle force qu'elle fut certaine qu'une personne extérieure pourrait les percevoir.

De son côté, il contemplait le Choixpeau avec un intérêt poli, immobile. Elle voulut baisser les yeux, mais ne put s'empêcher de continuer à discrètement le détailler.

Il avait maigri. Impression sans doutes renforcée par le hâle léger et inattendu qui ornait sa peau. Qu'avait-il donc fait cet été ?

Elle n'avait pas à s'en soucier. Elle s'en fichait.

Son regard agacé revint un instant se poser sur le professeur MacGonnagall qui appelait un premier élève, et rebondit pour revenir aussitôt se poser sur Severus. Il la regardait.

Leurs yeux se rencontrèrent au moment où la table de Serdaigle explosait d'applaudissement pour accueillir leur nouveau camarade.

Un instant ce fut comme si la lumière douce des chandelles devenait soudain trop forte, presque insupportable. Un instant, ce fut comme si les sons n'étaient plus qu'un grondement lointain, tandis que ses pupilles noires vrillaient les siennes.

Un instant, ce fut comme s'ils ne s'étaient jamais quittés.

Elle sentit ses pensées disparaître au profit d'une unique sensation : celle de ne l'avoir jamais quitté, de n'avoir vécu que pour le revoir un jour. Elle se força à détourner son regard la première, et cet effort lui sembla un des pires qu'elle ait jamais eu à faire. L'étrange sentiment d'être froide, sèche, l'étreignit lorsqu'elle fit cela.

Bien des fois ils avaient eu affaire l'un à l'autre, lors de ce dernier trimestre si douloureux, mais à le voir ainsi, elle se demanda si leur histoire avait véritablement pris fin pour lui aussi.

Elle se trouva stupide. Il n'avait jamais souhaité cela de gaîté de cœur, c'était évident.

Evident ? Une voix perfide venait de se réveiller en elle. N'avait-il pas voulu se débarrasser d'elle une fois ses instincts assouvis ? Non, c'était là sa fierté qui parlait.

Il avait pleuré pour elle.

Jamais elle n'aurait pu croire cela possible.

Et pourtant. Elle avait été si amoureuse…comment avait-il pu volontairement la faire souffrir ainsi ?

Une fois abandonnées les apparences, sa froideur et sa sévérité, il savait si bien lui procurer toute la douceur du monde, tant de bonheur. Lui qui avait su, avec une tendresse inouïe, la consoler de cette première fois si brève et si violente…

Non ! Elle devait arrêter de penser à cela. Mais comment faire, en l'ayant ainsi si près d'elle?

Elle avait cru reprendre le pouvoir sur elle-même, réapprendre à vivre, et cet été…Ron, ce qu'ils avaient vécu, tout cela…

Elle posa son regard sur le jeune homme roux assis en face d'elle. Il observait la répartition qui se poursuivait, au rythme des applaudissements des différentes maisons, avec une expression de joie rêveuse.

Il était beau. A sa façon maladroite et hésitante, avec sa silhouette frêle et son profil d'ange gauche. Elle se rappela ses lèvres tendres, ses mains maladroites et sincères, son cœur sans secrets.

Il l'aimait.

Elle aurait voulu lui offrir son cœur tout neuf, mais par un singulier détour du destin, quelqu'un l'avait brisé avant. Leur histoire s'était donc arrêtée : Hermione avait eut peur, trop peur d'un jour se mettre à imaginer que ses caresses étaient celles d'un autres.

Pourquoi tout cela était donc arrivé…L'extirpant de l'enfance trop vite, détournant son chemin qui semblait pourtant si droit, si simple, si logique…Pourquoi ?

La table de Gryffondor explosa alors d'applaudissements pour accueillir un nouvel élève, et elle retourna alors à la réalité.

Evitant toutefois de lever les yeux vers la table des professeurs.

Harry et Hermione étaient tous deus assis confortablement dans la salle de Gryffondor. Au-dehors, l'automne avait apporté son cortège de pluies glaciales, et Octobre débutait tout juste.

Ils étaient assez rarement entre eux, à part pour les cours de potion que Ron avait allègrement abandonnés au début de sa sixième année.

Quelques élèves allaient et venaient de temps à autres, mais c'était une soirée relativement calme.

Calme jusqu'au moment où Harry prit la parole et lui demanda de but en blanc, en la regardant au fond des yeux :

« - Hermione, qui était-ce ? »

« - De quoi parles-tu ? »

Mais déjà, elle avait compris. L'occlumencie, peut-être…

« - Tu sais bien…L'année dernière. Tu as pleuré tout le long du dernier trimestre… »

Elle l'interrompit :

« - Oui, je sais. J'étais pitoyable, n'est-ce pas ? »

« - Ne dis pas cela. C'est hors de propos. Tu allais mal. Tout le monde l'a senti, d'ailleurs. Et puis tu as fini par me rendre la carte du maraudeur. Je suis désolé de te le demander, mais je t'ai vue dans de tels états, à cette période, que cela continue de m'inquiéter. Allons, tu ne veux pas me dire qui c'était, puisque c'est terminé maintenant ?

Hermione se détourna. Sur ses genoux, Pattenrond miaula de mécontentement, alors qu'elle avait cessé ses caresses.

« - Non, je ne veux pas. Je ne peux pas non plus. C'est trop…Non. »

« - J'ai essayé de deviner, tu sais ? », poursuivit-il. « J'ai vraiment essayé de savoir. Tu ne voulais pas faire de peine à Ron, ça je l'ai compris. Mais pour Viktor, tu ne t'en étais pas cachée, donc j'ai pensé que cette fois-ci il y avait quelque chose d'autre, de plus grave, qui t'encourageait à garder le secret. Quelque chose de plus qui n'a rien à voir avec Ron. Tu es si secrète…Je m'inquiète, comprends-tu ?

« - Harry, tu ne dois pas… », tenta-t-elle de l'avertir…

« - Attends, laisse moi en finir. Je me fais vraiment du souci pour toi. Tu comptes, sais-tu ? »

« - Je sais. Mais tu ne dois pas te compliquer l'existence avec mes problèmes, tu sais, je m'en voudrais vraiment. »

Les larmes lui venaient aux yeux. Elle tournait le dos à la salle commune, et seul Harry pouvait les voir.

« - Non, ne pleure pas… »

Il se rapprocha d'elle et lui prit la main avant de poursuivre :

« - Je me suis torturé les méninges. J'ai même pensé que c'était quelqu'un de Serpentard, et que tu trouvais cela trop inavouable… »

« - Harry…Je ne hais pas les Serpentards autant que toi, tu devrais le savoir, ça n'a pas de sens. »

« - Oui, je le sais, et j'en ai d'ailleurs déduit que ce n'était pas ton genre de te cacher pour des choses pareilles. Alors j'ai abandonné. J'ai préféré te poser franchement la question. Mais maintenant j'ai presque peur de la réponse. Je m'attends à tout. Même que tu me dises que c'était Rusard. »

Elle pouffa entre ses larmes, et il répondit joyeusement à cette ébauche de sourire.

« - Non, je ne suis pas sortie avec Rusard, mais… »

Son expression redevint soudain sérieuse.

« - Si je te disais la vérité, je perdrais peut-être mon meilleur ami, car tu es mon seul appui dans cette histoire. Tu t'es montré si présent, si compréhensif… »

« - Tu peux tout me dire. »

Elle le dévisagea longuement. Après tout…Mais non. Avait-elle perdu la tête ? Harry le détestait. Il cesserait aussitôt de la soutenir, et peut-être la trahirait-elle? Et à quoi bon attiser sa haine, lui qui avait déjà un tel poids à porter…Et puis comment comprendrait-il que Severus lui avait fait tant de mal pour son bien, alors qu'elle-même avait tant de difficultés à le croire, à l'accepter ?

« - Non, Harry. Pas tout. C'est aussi ça, devenir adulte : garder certaines choses pour soi. Tu sais cela mieux que moi, je pense.

Il ne répondit pas.

Un silence lourd de sens, chargé de sous-entendus, régna un long moment. Chacun évoquait, pensa Hermione, le poids qu'il avait à porter, et qui s'accroissait au fil des ans, au fil des mois, même.

Harry fut cependant le premier à briser le silence.

« - Quand même…Ne me dis pas que c'est cette fouine de Malefoy ? », fit-il un sourire aux lèvres. « A moins que tu ne veuilles me faire mourir d'une crise cardiaque. »

« - Ce n'est pas cet imbécile de fouine de Malefoy, ne t'inquiète pas. »

Et elle sourit à son tour.

« - Alors pourquoi t'être cachée ? »

Il approchait de la clé du problème. Hermione sentit poindre la panique. Mais cela ne s'entendit heureusement pas quand elle lui répondit d'un ton espiègle :

« - Tu es obstiné, petit Gryffondor... »

« - Par Godric, je le suis ! », s'exclama-t-il avant d'éclater de rire. Un rire devenu trop rare ces derniers temps, songea-t-elle tristement.

« - Je te promets qu'un jour tu le sauras, mais pour le moment, je crois qu'il vaut mieux que je garde cela pour moi », conclut-elle à nouveau sérieuse.

Novembre. Les premières neiges.

Plutôt tardives pour un automne qui avait démarré sur les chapeaux de roues.

Novembre, un dimanche après-midi.

En revenant de la bibliothèque après la rédaction d'un devoir fastidieux sur les runes anciennes, Hermione avait rencontré Neville qui lui avait proposé d'aller faire un bonhomme de neige avec lui. Elle faillit refuser, mais elle s'accorda toutefois cette distraction. Il fallait bien profiter un peu de la vie ! C'était un amusement enfantin, agréable, et puis c'était aussi le moment de passer un peu de temps avec Neville, qu'elle aimait beaucoup.

Son cerveau surchauffé la remercierait sans doutes aussi…Et puis au diable ! Elle avait envie de s'amuser, pourquoi se cherchait-elle des excuses !

Depuis peu, elle trouvait cela charmant de cultiver en soi une parcelle d'enfance, de naïveté et de pureté, et surtout dans le contexte actuel où la guerre, Voldemort, sévissaient plus que jamais.

Ils devisaient joyeusement quand ils croisèrent Ginnie, qui se joignit à eux.

Ils foulèrent tous les trois la neige fraîchement tombée sur le parc et après avoir soigneusement choisi un endroit où élaborer leur future création, ils se mirent au travail.

Les joues de Ginnie étaient aussi rouges que ses cheveux.

« - Je préfère vous prévenir », fit-elle en riant. « Je veux vraiment que celui-là soit le plus gros, le plus impressionnant que personne ait jamais fait ! Ils doivent en prendre plein la vue, tous ces Serpentards et ces premières années prétentieux ! », s'exclama-t-elle sur un ton excessivement enthousiaste, très enfantin. « Il faut vraiment que ça soit un monstre, et pas question d'utiliser la magie, hein ? Faut faire du jamais vu, tu vois ce que je veux dire ? »

Hermione et Neville étaient écroulés de rire sur le corps du bonhomme de neige qu'ils avaient commencé à façonner, et qu'ils roulaient pour le faire grossir. Ils riaient encore et encore, devant le spectacle de ce petit bout de jeune fille dont ne dépassait de l'écharpe tricotée par madame Weasley qu'un nez rouge et une crinière flamboyante, et qui gesticulait démesurément, agitant ses moufles pour mieux appuyer ce qu'elle disait.

Elle ressemblait tellement aux jumeaux, quand elle se laissait ainsi déborder par l'enthousiasme et l'énergie, pensa Hermione…

Ils ne virent pas Harry, Ron et Luna qui arrivaient discrètement derrière eux, préparant la plus apocalyptique bataille de boules de neige jamais disputée à Poudlard.

Le premier projectile atteignit Ginnie qui tel un sémaphore, représentait la cible parfaite. La force du lancer la fit s'étaler dans la neige, et dès ce moment l'affrontement fit rage.

Après une bataille rangée dans les règles de l'art, après moultes trahisons et règlements de compte, Ron et Hermione se retrouvèrent tous deux réfugiés derrière le début de corps du bonhomme de neige qui représentait une relative protection, le temps de reprendre leur souffle. Ils étaient trempes et de plus en plus fatigués, l'air glacé brûlant leurs poumons et endormant la peau de leur visage.

« - Rendez vous, tas de veracrasses ! », lança Ginnie, « Vous avez déjà perdu de toute façon ! »

Hermione envoya une boule de neige qui explosa en une gerbe de flocons sur la tête ébouriffée de Harry, avant que ce dernier ne retombe derrière la barricade qui protégeait son camp.

Elle se laissa retomber contre le semblant de bonhomme de neige qui les abritait, elle et Ron.

« - Cette fois-ci c'est bon, ils ont compris, maintenant il ne faut pas se… »

La phrase resta suspendue dans l'air glacé de Novembre, alors que Ron venait d'appliquer par surprise ses lèvres fraîches contre les siennes.

Elle se prépara mentalement à ce qu'il interrompe aussitôt le baiser mais il l'appuya, retirant même le gant de sa main gauche pour venir tendrement la poser sur sa joue rougie par le froid.

Son souffle était chaud, sa main douce, tiède.

Hermione eut désespérément envie que jamais cela ne s'arrête, laissant aller sa tête contre la paroi de neige qui les abritait.

Leurs lèvres se réchauffaient mutuellement, et ils restaient sourds aux invectives du camp adverse qui commençait à se trouver en mal de riposte.

La main de Ron glissa sur sa joue et vint tendrement enserrer sa nuque, alors que ses baisers réchauffaient peu à peu son visage endormi par le froid. Ses lèvres se posaient sur ses joues, ses yeux, comme autant de pétales tièdes qui rendaient la vie à sa peau glacée.

Il se recula alors, et elle rouvrit des yeux qu'elle ne se souvenait pas avoir fermés, brillant d'une lueur accusatrice pour avoir cessé quelque chose d'aussi bon…

« - Oui, je sais », fit-il d'une voix rauque, croyant manifestement qu'elle lui reprochait son baiser.

Il baissa alors le yeux, visiblement triste et troublé, ramassant en tremblant son gant pour le remettre aussitôt.

Elle l'aimait tant…

« - Non, tu ne sais rien », répondit-elle avant de l'attirer à elle, faisant à nouveau se joindre leurs bouches, bien plus empressée que lui n'avait jamais osé l'être.

Sa bouche se fondit dans la sienne, plus affamée que jamais, entaillant presque se lèvres, cherchant sa langue, la trouvant, jouant avidement avec elle.

D'abord surpris, Ron se laissa entièrement faire, étonné, extasié entre ses mains, mais il se prit bientôt au jeu et se montra de plus en plus sensuel, plus entreprenant. Elle le serra alors tout contre elle, son visage dans son écharpe rouge et or, caressant sa cape élimée à travers ses moufles gelées. Il sentait bon.

« - Tu ne sais rien espèce d'idiot », répéta-t-elle. « Tu ne sais rien. »

Elle le serrait à l'en étouffer.

Depuis une des fenêtres du premier étage, un homme observait la scène, figé comme une statue. Un homme dont l'œil exercé avait décelé dans le parc une agitation chahuteuse et agaçante qui avait réussi à le détourner de son travail, avant qu'il ne reconnaisse parmi celles qui s'ébattaient dans la neige une silhouette douloureusement familière.

Un homme dont les yeux n'avaient pu se détacher de cette agitation, scrutant en secret (le secret le plus total) les ébats de la silhouette chère.

Il s'était levé de son bureau de la salle des professeurs, vide à cette heure-ci, et se tenait près de la fenêtre, si près que la buée de sa respiration s'étalait par à-coups sur la vitre glacée.

Un homme qui avait assisté ensuite à quelque chose d'autre, à quelque chose de pire, à quelque chose qui faisait mal. Qui glaçait le cœur avant de le broyer (enfin, ce qu'il en restait).

Un homme aux poings si serrés que ses articulations en étaient blanches, et aux yeux trop brillants.

Une larme s'en échappa malgré lui et roula sur sa joue, pluie secrète et parfaitement solitaire.

Il se détourna alors sèchement de cette vue, faisant tourbillonner ses robes sombres, et revint s'asseoir à son bureau en essuyant d'un poing rageur sa joue humide. Il resta immobile un instant, puis balaya violemment l'ensemble de ce qui se trouvait sur le bureau et qui partit se fracasser au sol dans un vacarme qui le soulagea à peine.

Noël.

Noël dans la Salle sur Demande.

« - Je t'aime, Ron. Sois mon ami. »

Un garçon et une fille incertains, sauf au sujet du désir qui les habite, et de l'amour qu'ils éprouvent de façon aiguë. Le garçon tremble dans les bras de la fille, qui le serre comme un enfant.

Il a un soupir qui ressemble à un sanglot, avant de lui murmurer à l'oreille :

« - Tu es sûre que tu veux…Je sais bien que tu penses encore… »

« - Non. Ne dis rien. C'est toi que je veux. »

Elle pense soudain à quel point elle a changé, en un an. Puis elle chasse cette pensée et desserre son étreinte, avant de porter les mains à la cravate du garçon, qu'elle dénoue en essayant de contrôler le tremblement de ses mains. Elle répète, son regard planté dans le sien…

« - Toi. »

Et elle ne ment pas.

Il penche son visage et des mèches cuivrées tombent sur ses yeux. Ses joues sont rouges, et il ne répond pas.

Leurs capes gisent à terre un peu plus loin, et ils sont assis sur les coussins qui recouvrent le sol de la salle d'entraînement de l'A.D.

Ils sont les seuls à s'être attardés après la réunion, ce soir là.

« - Mais si tu ne veux pas… », veut-elle ajouter.

« - Je le veux aussi », fait-il simplement en prenant timidement la main d'Hermione encore attardée sur sa cravate. « Tu sais bien. »

Il sourit derrière les mèches qui tombent sur ses yeux, et elle se dit qu'il n'a jamais été aussi beau.

Quelque chose en lui (le contours de sa mâchoire ? La courbe de ses épaules ?) est indéniablement devenu masculin.

Elle hésite un instant, puis commence à défaire avec une lenteur délibérée les boutons de sa chemise. Il lui est si étrange d'être ainsi celle qui mène la danse, mais pas tout à fait désagréable à vrai dire. Elle se sent même un peu comme un prédateur s'apprêtant à dévorer une proie toute fraîche. Car elle sera la première, il le lui a avoué, bien qu'elle s'en soit doutée.

Son territoire à elle, rien qu'à elle.

Elle se rapproche encore un peu de lui et fait glisser la chemise sur ses épaules pâles et parsemées de tâches de rousseur. Il est mince, mais sa musculature harmonieuse, sans doute développée par le Quidditch, confère toutefois à sa silhouette un aspect carré et solide.

Or à l'instant, il respire une fragilité et une vulnérabilité évidente.

Hermione fait descendre le tissu le long de ses bras, le laissant ainsi effleurer sa peau de la façon la plus sensuelle possible. Il soulève ensuite les poignets pour finir de quitter le vêtement.

Elle approche son visage de sa peau, et son odeur est un délice : chaude, légère, rassurante. Comme celle d'une maison dans laquelle on revient après une longue absence. Elle frôle son épaule du revers de la main, et l'embrasse dans le creux du cou. Il tremble, et elle se demande pourquoi.

Ses lèvres remontent ensuite le long de son cou, effleurent sa pomme d'Adam avant de courir sur l'arête de sa mâchoire jusqu'à son oreille, qu'elle mordille. Il tremble violemment, mais ses yeux restent un mystère derrière les cheveux qui tombent sur son visage. Il respire à peine.

« - Détends-toi », lui souffle-t-elle.

Pour toute réponse il sourit.

Hermione attrape ses poignets, et pose ses mains sur ses hanches encore enrobées de l'uniforme.

Elle lève les yeux vers lui, et il est entrain de la contempler à travers ses paupières mi-closes.

« - Tu…Tu peux me toucher, si tu en as envie. Je veux bien, tu peux… »

Il remonte sa main jusqu'à son visage, et se penche pour l'embrasser.

Il tremble, et elle se demande si c'est de froid. Ses lèvres chaudes caressent les siennes, les effleurent avant de plonger dessus, et Hermione se dit que le contact de cette peau contre la sienne doit être d'une douceur sans égale.

Elle le prend dans ses bras et malgré leur différence de taille, elle le renverse en arrière sur les coussins qui recouvrent le sol.

Allongée sur son corps, elle ressent toute l'étendue de l'offre qu'il lui fait.

Il est totalement soumis dans ses bras, sous ses lèvres. Elle se redresse alors, commence à desserrer sa propre cravate et il se relève aussitôt pour l'aider à enlever sa chemise.

Elle est en soutien-gorge devant lui et il hésite à faire un geste pour le lui enlever.

« - Je… Hermione… »

« - Je voudrais que tu me touches. Mais si tu ne veux pas, si je ne te plais pas, enfin…Tu n'es pas obligé. »

Hermione est bouleversée par ce qu'elle lit sur son visage. Elle voudrait qu'il se sente le mieux possible, mais cela ne sera possible que s'il ose enfin porter les mains sur elle.

« - Tu me plais… »

« - Alors touche-moi. »

« - Tu es sûre d'en avoir envie ? Je veux dire… »

« - Ca ne peut être que toi. »

Il soupire.

Elle ajoute :

« - Touche-moi, s'il te plait. »

Elle amène une de ses mains à la courbe d'un de ses seins.

Sa bouche s'écrase alors sur la sienne avec passion, et il entoure son buste de ses bras pour détacher l'agrafe de son soutien-gorge qu'il lui enlève avec une assurance toute nouvelle. Hermione soupire. Sa peau est encore plus douce que dans son imagination. Il la renverse et elle sent son corps sur le sien, pesant de tout son poids. Il caresse ses cheveux et plonge dans son cou pour en goûter la douceur.

Elle sait qu'il a attendu cela longtemps. Elle sent contre elle cette partie de lui qui se tend désespérément vers elle, et son cœur se met à battre très fort. Ses mains caressent son dos et descendent jusqu'à la ceinture dont elle suit les contours pour enfin venir la détacher.

Il soulève un instant son ventre pour qu'elle puisse en défaire la boucle.

Puis elle le débarrasse du restant de ses vêtements, et il se laisse faire. Il s'enhardit même à passer une main sous la jupe d'Hermione, et elle est heureuse de cette initiative.

Elle frissonne.

Le désir la brûle et la consume et elle sent que Ron en est au même stade.

Il roule alors de côté, et caresse l'intérieur de sa cuisse, remontant lentement, la bouche contre sa joue. Elle frissonne et attend, impatiente, le moment où il va enfin aborder l'endroit sensible qui ne vit que pour ses caresses.

Il l'effleure, elle se tord. Il semble comprendre ce pouvoir sur elle, et revient s'y attarder, jouant avec elle, à la fois fasciné et bouillant.

Elle convulse et le supplie. Il fait alors glisser la jupe et les derniers vêtements qu'elle porte, avant de revenir près d'elle. Hermione lui tend les bras, et il accepte l'invitation. Il est tout contre elle, à présent.

Sur le point d'être à elle.

Elle caresse ses cheveux, et elle le sent qui se presse contre sa cuisse. Elle entremêle ses jambes aux siennes, et le guide. Il donne une vive poussée, adorablement maladroite, et elle le sent enfin dans sa chair. Il donne un second coup de rein et s'enfonce bien plus profondément en elle. Elle l'enlace pour qu'il reste ainsi, sans bouger, quelques secondes. Puis elle enroule ses jambes autour de lui et il commence à bouger, allant et venant lentement, alors qu'il porte une main timide à un de ses seins, bougeant de plus en plus rapidement.

Hermione sait que c'est la première fois, et sait aussi que s'il veut prolonger le moment, il ne doit pas se précipiter, n'ayant pour l'instant que peu de contrôle sur ses pulsions.

Alors elle l'encourage à ralentir, entre deux baisers qu'il écrase sur sa bouche en feu. Elle roule au-dessus de lui, et le domine ainsi de toute sa taille. Ainsi positionnée, elle voit ses traits tendres envahis par la tension de ce désir qu'il maîtrise comme il peut.

Puis il avance une main et effleure son ventre du bout des doigts, avant de convulser sous elle, et c'est un spectacle dont elle ne perd pas une miette : son visage embrasé, sa respiration désordonnée, les gouttes de sueurs qui perlent sur sa peau…

Elle caresse la peau luisante de son torse haletant, fascinée par le spectacle de sa jouissance, émue de cette vie qui circule entre eux et dont il est entrain de se libérer, personnalisant ainsi la petite mort au centre même de l'acte. A l'écoute de son partenaire, elle en oublie son propre désir de jouissance, et cesse de bouger alors que ses traits se calment déjà et qu'il rouvre les yeux, la regardant rêveusement. Puis il tend ses mains vers elle et elle s'étend sur lui, contre lui, contre la chaleur de sa peau.

Il referme ses bras tremblants autour d'elle.

« - Est-ce que tu as…aussi… »

« - Ne t'en fais pas pour moi, mon cœur. »

« - Mais...Tu as trouvé ça bien ? Sois honnête. »

Il a un ton désespéré des plus adorables. Elle sourit. Il lui a apporté bien plus de bonheur qu'il ne le pense. Elle le serre encore plus fort, avant de lui répondre.

« - Tu n'as même pas besoin de demander, j'ai trouvé ça beau, simplement. »

« - Promets-moi de me laisser me rattraper… »

« - Dès que tu seras prêt, mais pour l'instant tu ne bouges plus. Non, tais-toi…Tais-toi. Je t'aime tellement… »

« - Hermione… »

Il cherche sa bouche qu'il embrasse tendrement.

Et ils s'endorment ainsi, flottant dans la chaleur l'un de l'autre.

Severus regarda la neige qui tombait toujours aussi dru, au-dehors. Encore un Noël seul. Enfin, sans personne de vraiment…Important. S'il avait su que le retour à sa solitude coutumière serait si douloureux…

Et pourtant cela faisait plus de six mois.

Il se sentait parfois plus mal que d'habitude, sans savoir pourquoi. Comme ce soir par exemple. Il ouvrit un instant la fenêtre qui donnait sur la nuit glacée et une rafale de vent chargé de flocons de neige s'engouffra dans la pièce, ainsi que dans ces poumons.

Il referma aussitôt. Oui, il était seul. Et cela lui pesait, lui pesait si douloureusement...

Un instant, il se demanda ce qui lui faisait penser qu'il était toujours en vie.

Il continua de regarder la neige tourbillonner, jusqu'à ce qu'il en tombe de sommeil.