Poupée de sang
Par Tsubaki Hime
La fin approche lentement mais bientôt… le mot « fin » se lira sur vos lèvres au moment de l'épilogue et vous vous direz, tout simplement, avec une voix enrouée de sanglots : « Mais merde, pourquoi y'a pas de suite !! ». J'avoue que je ne fais qu'exprimer des choses totalement incongrues tout en sachant que ce n'est que le chapitre VIII. Mais bon, autant prévenir… (ça doit faire mal…)
Vous disiez à la fin du précédent chapitre des choses comme Hisoka va mourir, je veux pas, je l'aime trop… Mais détendez-vous donc. J'ai beau être sadique avec les lecteurs et les personnages, je n'irais tout de même pas tuer le gars le plus mignon de YnM. Du moins maintenant (hahaha, que je suis méchante !)
Sur ce, je vous souhaite une agréable lecture.
Chapitre VIII
Souvenirs artificiels
Noir…Il fait si noir dans cette pièce que je hais tant. Une impression de glace s'insinue en moi, dilate mes veines. J'ai l'impression de mourir. Ce symptôme de peur n'est que le résultat de ma faute. Je n'aurais jamais dû. Papa et Maman avaient raison: je ne dois pas montrer ce « don du Diable » comme ils l'appellent. Jamais. Sinon je serai encore puni dans cette pièce. Mais pourtant… c'est plus fort que moi. Comment puis-je savoir que ma mère est triste, que ses larmes muettes cachées au fond d'elle glissent dans mon esprit et mon cœur? Comment puis-je savoir la violente colère dont est souvent pris mon père lorsqu'il apprend que j'ai encore divulgué ses sentiments? Je ne veux pas… Je ne veux plus… Je me sens si seul… Je me sens si… misérable…
Personne ne m'aime… je ne suis qu'un Enfant du Diable, je ne suis pas le fils de mes propres parents. La pluie bat encore contre la fenêtre close. Le vent passe à travers le carreau fissuré. Je frissonne. J'ai faim. J'ai froid… J'ai besoin…
J'ai tellement besoin que quelqu'un m'aime…
Par pitié…
La porte restée fermée depuis des jours s'ouvre enfin. L'heure de ma délivrance. La lumière m'aveugle, je passe une main devant mes yeux pour ne pas m'éblouir.
- Mon petit Hisoka…
Je sursaute. Depuis quand ma mère me parle aussi doucement? Mais c'est agréable, je ne peux que le constater.
- Que fais-tu donc ici, enfermé au sous-sol? Tu voulais encore jouer sur les tatamis, c'est ça?
Je reste sans voix. Jouer? Dans cet endroit si sinistre? Je ne comprends pas. Je ne comprends plus ce qui se passe. Et je comprends encore moins lorsque maman me prend dans ses bras.
- Mon chéri, tu as froid…, remarque-t-elle, sa voix ayant une pointe sincère d'inquiétude. Oh, je crois que tu ne vas plus jouer ici pour un moment. Maintenant, il est temps d'aller changer ton kimono et que tu ailles te coucher.
Maman ne voit pas mes yeux écarquillés par ma stupeur. Mais moi, je vois son regard. Tendre, sincère, aimant. Un regard d'amour que je cherchais depuis longtemps.
Je me serre contre elle, contre sa chaleur. Son parfum… comme je l'aime.
- Maman…
- Oui, mon petit Hisoka?
- J'ai fait un cauchemar… Je rêvais que tu n'aimais pas, même papa me détestait. Et puis, la salle fermée à clé…
Tout en remontant les marches menant à ma chambre, maman me berce avec douceur.
- Chut, Hisoka… Tu as raison, ce n'était qu'un cauchemar…
Elle plonge ses yeux dans les miens. Je vois mon reflet rassuré.
- Jamais je ne te laisserai tout seul. Jamais, m'entends-tu? Tu es mon fils, la chair de ma chair. Je t'aime beaucoup trop pour ne penser ne serait-ce une seconde à ça.
- Maman…
Maman enlève mon kimono sale pour m'en mettre un propre. Je me sens au frais, et tranquille. Oui, ça ne devait être qu'un cauchemar. Comment mes parents pourraient-ils me détester?
Papa entre dans ma chambre et me borde. Il m'embrasse sur le front avec tendresse. J'hume son odeur, comme celle de maman. Il sent bon. Je voudrais que cette odeur ne me quitte pas, qu'elle reste sur ma peau. Je n'entends plus la pluie et la chaleur gonflant en moi m'envahit de bien-être.
Je suis heureux…
Et l'image troublante de cet étrange homme aux yeux d'améthystes se brouille en moi pour disparaître dans l'infinie douceur des bras de papa.
- Sa… Sa perte? Murmura le surveillant, abasourdi.
Il ne pouvait pas y croire. Non, ce que venait de dire le jeune télépathe près de lui n'était que pure invention. Hisoka… Hisoka ne pouvait être…
- Hisoka! Hisoka! Cria Tsuzuki, complètement paniqué. Réveille-toi! Réveille-toi, je t'en supplie!
Il eut beau secouer ce corps fragile dans ses bras, les yeux de l'empathe ne cillèrent pas un instant. Ouverts et vagues, ils étaient absents de ce monde. Tout comme son esprit enfermé loin, très loin dans une partie de son être. Une poupée. Voilà ce qu'il était. Une simple poupée sans âme ni cœur. Rien d'autre.
« Non… Je vous en prie… »
- Hisoka! Hisoka!
Furieux, il se retourna vers Kagura qui était aussi pâle que le Shinigami aux yeux d'émeraude.
- Qu'est-ce que tu lui as fait?! Explosa-t-il. Pourquoi l'as-tu attaqué? Il ne t'avait rien fait! Au contraire…
Sa voix se brisa.
- C'est… à cause moi… si tu as paniqué… Pourquoi…? Pourquoi faut-il toujours que je sois le responsable…?
Il se tut, sentant déjà le corps d'Hisoka dans ses bras se refroidir peu à peu. Il n'allait bientôt plus revenir.
Kagura se tenait agenouillé, la main posée près des yeux de Hisoka. Son visage pâle était tendu par une concentration certaine et son regard flamboyait de cette étincelle de pouvoir que seul l'empathe avait eu quelques fois. Les sourcils du jeune orphelin se froncèrent.
- Je… Je n'arrive pas à retrouver son esprit… C'est bien ça: Hisoka s'est enfermé dans son inconscient, c'est un lieu que je peux pas franchir. Je… Je ne peux rien faire…
- Rien faire? S'épouvanta Tsuzuki. Tu as été pourtant capable de l'y enfermer!
Au regard blessé que lui lança Kagura, Tsuzuki sut qu'il venait de faire un pas de trop sur l'amour-propre et les sentiments du jeune garçon, déjà suffisamment piétinés. Il avait tué ses parents pour vivre libre, puis Amano qui lui avait rappelé ce crime… Comment lui, Asato Tsuzuki, pouvait-il ainsi blesser autrui de la sorte?
- Papa…
Une petite voix rompit le silence tendu. Sentant son coeur se gonfler de joie, Tsuzuki se pencha vers l'empathe qui bougeait un peu dans ses bras.
Lentement, d'un geste évasif, Hisoka tendit une main vers la joue de Tsuzuki et eut un doux sourire. Un étrange sourire que Tsuzuki ne lui connaissait pas.
- Papa…, répéta-t-il. Reste avec moi… Tu… Tu voudrais me raconter une histoire…
Le sourire inhabituel s'élargit.
- S'il te plaît… Papa…
Les yeux d'Hisoka étaient toujours aussi vagues et ternes mais son sourire avait illuminé son visage pâle. Sa voix, qui d'habitude était d'une froideur et une maturité calculée, n'était plus que le gémissement capricieux d'un petit enfant de sept ans. Son sourire était le reflet d'une innocence infantile pure, une enfance qu'il n'avait jamais eu. Comment était-ce possible?
- Oh non…, murmura Kagura, plus pâle encore. C'est… C'est pire que ce que je croyais….
- Quoi? Quoi? demanda nerveusement Tsuzuki, laissant Hisoka lui caresser la joue, comme un petit enfant s'endormant tranquillement.
Kagura contempla le visage de l'empathe rayonnant de bonheur, un bonheur non feint plein de tendresse.
- Il existe des gens qui, après avoir été victimes d'actes horribles et douloureux, enfouissent dans leur mémoire des souvenirs qu'ils ont créés. Tout au long de leur vie, ces souvenirs inconsciemment créés se retrouvent prisonniers de leur esprit et ne ressortent jamais, sauf cas exceptionnel. Ce sont principalement le contraire de ce qu'ils ont vécu, comme une enfance difficile, la mort d'un proche ou autre chose encore. Et là, sans vraiment s'y attendre…
- Hisoka a basculé dans les souvenirs qu'il a créés…, finit Tsuzuki, ulcéré. Des souvenirs artificiels qu'il a construit à son insu au plus profond de lui-même.
Voilà pourquoi le visage d'Hisoka semblait si enfantin et heureux. Il croyait que ses parents l'aimaient dans ses souvenirs artificiels. Tout ce qu'il vivait dans son rêve psychique… n'était que mensonge et espoir vain.
« Non… Hisoka… Tu ne dois pas… », songea Tsuzuki.
Il serra Hisoka contre lui.
- Réveille-toi, Hisoka! Ne te laisse pas influencer par ce que tu vois! Réveille-toi! Hisoka!
Les yeux d'Hisoka n'eurent qu'un reflet, un soubresaut à la réalité. Puis de nouveau, son visage redevint impassible, le laissant plonger complètement dans son inconscient truffé de faux souvenirs.
Maman rit. Je ris avec elle tout en lisant l'ouvrage qu'elle m'a offert pour mon anniversaire. J'ai dix ans maintenant. Je deviens grand mais pas encore un homme, comme dit Papa. Il a de grands projets pour moi, par exemple reprendre tout ce qu'a le clan Kurosaki. Je voudrais bien mais je n'y pense pas en ce moment. Je suis bien trop heureux pour que ces soucis d'adultes influencent mon humeur.
Je ne vais plus au sous-sol. Je m'amusais avant à jouer au fantôme puis j'ai arrêté. Il fait bien trop froid. Je me sens mieux dehors, au soleil, lisant tranquillement tous les livres de la bibliothèque. Maman dit que je suis un dévoreur de pages. Mais j'adore les livres. Lire me transporte dans des univers incroyables, si vastes et impressionnants.
J'aimerais voyager et parcourir le monde. Rencontrer des gens et dialoguer des voyages que j'aurais fait. Puis, je me mettrais à les écrire. Pour moi, pour mes parents si fiers de leur fils. Écrire sera pour moi un nouveau plaisir.
La vie me plaît… car elle est réelle…
« HISOKAAAA!!! »
Une voix stridente vrille mon esprit. Abasourdi, je regarde tout autour de moi. Personne. J'ai dû rêver. Ce ton grave… j'ai eu l'impression de le reconnaître…
- Hisoka?
Je sursaute puis souris à maman qui me tend la main pour m'aider à me relever. Elle sait que j'adore lire sur l'herbe, enveloppé dans la chaleur du soleil.
- Tu viens, mon chéri? Ta leçon de kendo va commencer.
Je me relève et en profite pour l'embrasser sur la joue. Elle sent bon. J'adore son parfum fleuri.
- Oui, j'arrive. Je vais remettre le livre sur l'étagère et je viens.
Maman sourit à son tour puis se dirige vers papa qui se repose tranquillement sur une chaise. Il me dédie un clin d'œil puis fait un signe me désignant ma montre. Je soupire.
- Je sais, je sais…
Je mime ces mots sans produire le moindre son. Papa n'aime pas les retardataires, encore moins s'il s'agit de son fils.
Je cours à la bibliothèque pour remettre le livre à sa place? Je le finirais bientôt.
« HISOKAAAA!!! »
- Aïe!
La voix ressurgit de nouveau. Elle semble si angoissée, paniquée. De nouveau l'image que je croyais disparue de mon esprit réapparaît. Cet homme aux yeux d'améthystes… Pourquoi son regard mauve me rend-t-il tout d'un coup nostalgique? Je ne comprends pas ce qui m'arrive.
Une impression désagréable s'insinue en moi. L'impression de ne faire qu'un rêve…
« Toi qui hantes mon esprit… Qui es-tu donc? »
- Hisoka! Hisoka!
Rien à faire. Tsuzuki criait son nom, encore et encore mais cela était inutile. Les portes de l'esprit de l'empathe étaient closes par un paradis artificiel, un endroit où tous les faux souvenirs qu'il avait créés inconsciemment étaient réunis.
« Non… Hisoka… Je t'en supplie… »
- Hisoka… reviens… Je t'en prie… Reviens parmi nous… Ne nous laisse pas…
« Ne « me » laisse pas… »
Il avait tant besoin de ce gamin. Tant besoin de ses reproches acides et touchant toujours là où il le fallait. Tant besoin de ses yeux vert émeraude pleins d'intelligence et, brillant de cette maturité froide que ne possèdent que les adultes responsables. Tant besoin de ce visage pâle où restait figé une fugitive seconde l'ombre d'un sourire, un vrai sourire lorsque Tsuzuki commettait une gaffe tellement pitoyable mais aussi tellement drôle.
Dès leur première rencontre, à Nagasaki, Tsuzuki avait sentit son cœur torturé par les ombres frémir à la vue de cet adolescent si introverti. De cette moue boudeuse lorsqu'il lui disait qu'il était une tête de mule. Une adorable fossette se dessinait au coin de ses lèvres quand il s'énervait et ses yeux en amande étincelaient, prenant un éclat digne du plus beau des joyaux.
Hisoka avait guéri les plaies de son âme meurtrie par son passé douloureux. L'empathe, par sa présence, par le simple fait d'être à ses côtés, lui avait donné la signification complète de « vivre ». Son esprit affûté, sa fragilité, son visage si fin et si beau… Tsuzuki aimait tout cela. Tout en Hisoka éveillait en lui une chaleur sourde et généreuse, un baume guérisseur. Hisoka l'avait sauvé. C'était lui qui avait tout tenté lorsqu'il avait été possédé par un démon maléfique. Il avait tout fait, jusqu'à risquer sa propre vie bien qu'immortelle de Shinigami.
Et maintenant, lui Tsuzuki, ne pouvait rien faire pour le sauver à son tour. Il ne pouvait qu'assister impuissant au rêve mensonger de son partenaire qui se glissait peu à peu dans les affres de l'inconscience éternelle. Ce n'était pas juste. Il ne pouvait pas l'abandonner comme ça.
- Hisoka…, murmura Tsuzuki, le désespoir faisant une ombre devant ses yeux à la couleur maudite. Hisoka… S'il te plaît… Ne me laisse pas tout seul… Je suis qu'un idiot… Comment un idiot comme moi pourrait se débrouiller sans toi? Hi… Hisoka…
Lentement, une boule enfla dans sa gorge, brûlante et douloureuse. Sa vue se brouilla étrangement, vacilla dans une vision qu'il n'arrivait pas à expliquer.
- Hi… Hisoka…
« Bougre d'idiot! Tu rates jamais une occasion de tirer au flanc! Mais qu'est-ce que j'ai fait pour être avec un débile pareil? »
Hisoka… au tempérament de feu. Ses yeux flamboyant de cette étincelle d'énergie juvénile incroyable.
« Pourquoi… Pourquoi t'es-tu énervé quand tu as su je m'étais fait tuer? Pourquoi… fais-tu ça pour moi? »
« Hisoka… »
Troublé, le regard aux larmes fugitives… Il ne comprenait pas que quelqu'un daigne s'approcher de lui.
« Pour moi… tu es donc prêt à tout… »
Une goutte d'eau glissa sur la joue de l'empathe. Mais elle ne venait pas de lui. Puis une autre la suivit, tombant des prunelles mauves du Shinigami. Bientôt, les perles liquides envahirent le regard de Tsuzuki, le brouillèrent jusqu'à ce que ses yeux ne ressemblent plus qu'à des paillettes colorées, enfouies dans la tristesse.
- Hisoka… Reviens… Je t'en conjure…
Les larmes tombèrent en une pluie chaude et amère sur le visage de Tsuzuki avant de couler sur le visage inerte d'Hisoka, les yeux toujours aussi vagues. Le flot de désespoir qui était monté en l'homme aux yeux d'améthystes avait débordé. Il avait supporté de nombreuses choses dans sa vie avec plus ou moins de difficulté. Mais là… Là… Il ne pouvait pas… C'était bien trop dur… Bien trop dur de voir la personne… qu'il… Le mot n'arriva pas à émerger de son cœur.
Il fallait qu'il le lui dise. Qu'il lui dise maintenant.
« Hisoka… Non… Je ne veux pas te perdre… Pas là… Pas comme ça… »
Ses lèvres tremblèrent, ses yeux se brouillèrent davantage. Il serra plus fort encore le corps de l'empathe tout contre lui, tout contre son cœur qui battait la musique de l'espoir vaincu.
- Hisoka…, chuchota-t-il à l'oreille du jeune garçon inconscient.
« Dis-lui… Dis-lui ce que tu ressens… »
Les joues blanches d'Hisoka furent trempées des larmes de Tsuzuki.
- Hisoka… Je… Je t'aime… Reviens près de moi…
Une perle glissa de nouveau. Une améthyste brilla pour une émeraude. Et la musique du cœur continua de battre inlassablement.
Je grandis. J'ai seize ans. Et toujours la désagréable impression que quelqu'un m'appelle, encore et encore.
Il fait nuit et la lune est d'une couleur vermeille proche du sang frais. Cette couleur… Je ne l'ai jamais aimée. Elle produit au fond de moi un horrible dégoût et des étranges visions apparaissent devant mes yeux.
L'air du ciel bleu-noir est frais, pur. Je respire tranquillement, je regarde le cerisier en fleur. Cet arbre magique au printemps me laisse songeur et mélancolique. Les pétales roses et blancs des branches sonnent en moi comme une onde ancienne et incessante. On m'appelle. Quelqu'un m'appelle. Mais qui?
Je m'approche du tronc. Ma main, un peu rêveuse comme moi, effleure le tronc.
FLASH!!
Du sang… Les pétales du cerisier devenues d'un rouge macabre. La terre éventrée par ce liquide qu'elle ne connaît pas. Un couteau s'enfonçant dans la chair innocente d'une victime.
FLASH!!
Le regard froid et démoniaque… Cet homme… Je l'ai connu. Je le connais. Il… Il m'a fait mal… Mon corps me brûle… Je souffre!
FLASH!!
Les marques maudites apparaissant sur un corps blanc et sacré. Ce corps… est le mien. Mon kimono passe sur ces dessins qui me brûlent la peau. Je veux l'enlever mais ma tête me tourne et je ne parviens pas à contrôler mes mouvements.
FLASH!!
La lune rouge sang appelant un sacrifice. Je l'ai été. Je… Je me souviens. On… On m'a tué! Je suis mort à seize ans!
FLASH!!
Cette image… Un homme qui est près de moi. Cette vision a parcouru mon enfance et a troublé ma joie d'être vivant. Il est grand, très grand même. Il a l'air plus âgé que moi mais cela n'a pas d'importance car je contemple son visage. Un visage doux, si bien sculpté, ayant gardé une empreinte d'innocence. Ses yeux… sont deux améthystes brillant dans l'éclat froid de la lune. Son regard a vu tant de tristesse, tant de désespoir. Une aura bienveillante l'entoure. Il se tient près du cerisier et me regarde comme moi je le fais. Il a l'air… désespéré.
- Hisoka… Ne te laisse pas influencer par ce que tu vois… Ne regarde pas ce qui t'entoure… Tout ceci n'est qu'une illusion… Ce n'est pas ta vraie vie.
Il me parle mais je ne comprends pas. Pas ma vraie vie? Si, je le sais. Mes parents m'aiment, s'occupent de moi. Je suis heureux et j'ai seize ans. On ne m'a pas tué… Qui l'aurait fait?
- Non… tu mens…
- Hisoka… Crois-moi… Fais-moi confiance…
- Comment pourrais-je te croire? Je ne te connais pas! Tu ne sais rien de moi comme moi je ne connais rien de toi! Laisse-moi! Tu n'es qu'une image idiote de mon imagination!
Je ne veux pas l'écouter. Je ne veux pas savoir. Je veux rester ici. Car c'est ma vraie vie. La vie que j'ai eu, que j'ai et que j'aurai encore. Mais les visions dans ma tête vrillent mon esprit. Je me sens nauséeux.
FLASH!!
« Fils de démon! Tu n'aurais jamais dû naître! »
« Papa! Que t'ai-je fait?! »
« Ce que tu m'as fait? Petit diable! Comment oses-tu lire en moi? Tu n'es pas notre fils! Tu ne le seras jamais! »
Je vois… Un petit garçon prisonnier dans le noir… Il pleure, pleure jusqu'à ce que ses yeux laissent couler du sang. Il a mal… Sa souffrance est telle que mon cœur vacille.
Puis soudain un rayon fugitif éclaire son visage. Je retiens un cri. C'est moi. C'est moi, le garçon maudit, l'Enfant du Diable, le petit démon qui lit les sentiments de ses parents. Je suis un monstre qui souille l'honneur des Kurosaki. Je ne devrais pas exister.
FLASH!!
« Montre-moi ta lumière… Montre-moi ton âme qui s'éteint telle une bougie condamnée… Je veux voir tes yeux refléter l'étincelle du désespoir… Regarde-moi, mon pantin… »
« Non… Non… Aidez-moi… »
« Ton corps est mien, ton cœur est à moi… Tu n'es rien d'autre que ma marionnette… Laisse-moi profiter de ton esprit vacillant… »
« Au secours!!! »
Cet homme… Cet homme est penché tout contre moi, tout contre mon corps dévêtu. Ses yeux, tels des poignards s'enfoncent dans ma peau. Les pétales blancs du cerisier me semblent des étoiles perdues. Je crie… Je crie tellement fort. Mais tous mes cris restent à l'intérieur de mon âme meurtrie. Personne n'a pu me sauver. Personne n'a pu empêcher cet homme d'inscrire sur mon corps le maléfice qui me fit courir à ma perte. Personne n'a pu m'aider dans cet hôpital froid où je suis mort, trois ans après.
FLASH!!
Je suis mort. Je suis un être qui n'appartient plus au monde des humains. Mon cœur est clos pour l'éternité. Je ne crois plus en personne. Plus jamais quelqu'un ne viendra vers moi. Je serai seul, à me noyer dans ma tristesse infinie.
FLASH!!
« Asato Tsuzuki, Shinigami du secteur de Kyushu. Enchanté. »
Mais toi. Tu es là. Tu es toujours là. Dès le début, tu étais là. Ma première mission consistait à retrouver le vampire de Nagasaki. Et tu étais mon partenaire. Tu l'es toujours et pour moi cela semble normal. Tu es la personne la plus distraite, la plus maladroite que je connaisse parmi des dizaines. Mais ton tempérament enjoué comme celui d'un gosse la Veille de Noël étonne plus d'un. J'ai bien été le plus surpris de tous. Moi qui pensais que j'étais seul au monde, à ressasser mes souvenirs noirs… Tu m'as vite fait comprendre que ce n'était pas le cas. Je ne suis plus seul. Grâce à toi. Grâce à ton sourire si jovial. Grâce à tes yeux magnifiques qui pétillent d'énergie. Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas. Tu mets toujours les pieds dans le plat. Mais tout cela fait partie intégrante de toi. Même tes propres souvenirs qui n'ont rien à envier aux miens. Tu as souffert énormément. Ton cœur est encore plus fragile que ne peut le penser. Je suis là, cette fois. C'est moi qui vais t'aider.
- Hisoka…
Il me regarde. Je le regarde. Je contemple le cerisier en fleurs qui ne peut pas me mentir. Ses racines ont goûté à mon sang il y a des années. Les arbres ne peuvent oublier le liquide amer qu'on leur a offert.
Il me tend la main. Une main sûre que j'ai toujours voulu prendre. Mais cet univers était tellement accueillant. Il était la vie que je voulais mener.
- Tsuzuki…
Son nom est une mélodie que je chante au fond de moi-même. La mélodie chaude de mes sentiments envers lui.
Mes parents m'ont détesté et craint, par la faute de mon empathie. Un homme fou aux pouvoirs démoniaques m'a violé, torturé et maudit à treize ans. Je suis mort à seize dans un hôpital, seul, sans quelqu'un à mon chevet lorsque mon souffle s'est tu au fond de moi. Ainsi était ma vie sur Terre. Je ne peux plus me voiler les yeux dans cet espace distordu.
- Hisoka… Revenons à la réalité…
- Oui…
Mes doigts entrent en contact avec les siens et se joignent. Une lumière m'aveugle et dans une inconscience proche de la fin, je sens quelque chose de doux me caresser les joues.
« Tsu…zu… ki… »
Le noir. Il ne voyait plus rien mais sentait quelque chose de doux et humide passer sur ses joues. Une chaleur contre lui l'incita à s'endormir mais ses yeux étaient restés ouverts. Puis la vue lui revint peu à peu. La lumière du couloir lui faisait mal. Lueur… et tristesse se mêlaient en lui. Il se devait de prononcer ce nom qui lui était si cher. Une fois… rien qu'une fois…
- Tsu…zu… ki…
A ce mot, le Shinigami aux yeux d'améthystes se figea. Avait-il bien entendu? Etait-ce encore possible que l'empathe puisse murmurer son nom? Lentement, avec une angoisse inexpliquée, il se releva et contempla le visage du jeune garçon. Il était là. C'était bien lui. Ses yeux vert émeraude brillaient de vie, une lueur d'incompréhension dans les prunelles. Ses joues avaient repris quelques petites touches de couleurs qui rassurèrent très vite Tsuzuki. Il était de retour parmi eux. Il avait déjoué le piège de ses illusions.
Hisoka regarda son partenaire, bouleversé. Tsuzuki avait pleuré. Pour lui. Les larmes qui perlaient encore à ses yeux étaient étincelantes comme des cristaux liquides. Mais l'ombre désespérée de son regard avait disparu, remplacée par un sourire plein de bonheur et de soulagement.
- Tsuzuki…, murmura-t-il avec plus de conviction.
Comme il aimait ce nom. Cette mélodie qui vibrait dans sa bouche était limpide et délicieuse. Pris de panique à l'étrange idée de repartir dans son inconscience, Hisoka ouvrit les bras et serra son partenaire de toutes ses forces contre lui.
- Tsuzuki!
Tsuzuki, abasourdi, se laissa faire. Puis, de nouveau, des larmes remplirent son regard. Mais elles n'étaient plus douloureuses. Elles lui faisaient du bien, le rassuraient. Comme le corps contre lui qui tremblait sans pleurer. Tsuzuki caressa les cheveux châtain clair du garçon de soixante-dix ans de moins que lui.
- C'est bon, Hisoka… C'est fini… Tu es de retour parmi nous…
- Je sais…, murmura Hisoka, la respiration saccadée de larmes qui ne voulaient pas venir. Mais… ça fait tellement mal de revenir ici… Après tout ce que j'ai laissé…
Il ne finit pas sa phrase, profitant de la main tendre qui lui caressait la tête. Si cela pouvait se réaliser, il serait rester toujours comme ça. Tsuzuki tout près de lui, passant une main dans ses cheveux.
- Hisoka…, fit une voix tremblante près d'eux.
Le dénommé se releva et vit Kagura le regarder avec soulagement.
- Kagu…
Il ne put finir ce qu'il voulait dire car le télépathe l'enlaça brusquement. Des larmes coulèrent de ses yeux dont la forme était la même que ceux de Tsuzuki.
- Je… Je suis tellement désolé, hoqueta-t-il. Je n'aurais… n'aurais jamais dû t'attaquer comme ça… Dé… Désolé…
Il pleura sans aucune retenue; déversant ses sentiments de peur et joie mêlées à Hisoka qui les accueillit bon gré mal gré. La barrière, cependant, les sépara de nouveau et enfin l'empathe ne sentit plus les émotions de son col-locataire qui ne put lire à nouveau dans ses pensées.
Tsuzuki sourit à Hisoka puis à Kagura.
- Rentrez donc. Je vais surveiller un peu le couloir. Kagura, on tirera cette affaire au clair.
Les deux adolescents acquiescèrent puis d'un pas rapide sortirent. L'air du crépuscule était aussi léger que leurs âmes, débarrassées du poids de leurs secrets communs. La journée se finissait dans le soulagement. Près de l'infirmerie, Kagura s'arrêta, le visage encore pâle.
- Hisoka, fit Kagura avec un sourire. Je me sens patraque. Je te laisse aller devant.
- Bon. Ok, répondit l'empathe, un peu soupçonneux. Je te retrouve au dortoir.
En montant les marches menant à sa chambre, Hisoka sentit que quelque chose allait se passer. Une chose dangereuse. Mais la fatigue eut raison de lui et lorsqu'il tomba sur son lit, il s'endormit aussitôt, voulant profiter de l'instant qu'il avait passé avec son partenaire.
La mélodie de son cœur battait son plein…
- Docteur? Je me sens pas très bien. Avez-vous quelque chose contre le mal de tête?
Le médecin sourit. Le sourire professionnel qui rassurait tous les élèves.
- Attends, je vais te passer quelque chose.
Il sortit de l'armoire à pharmacie un flacon rempli de gélules blanches et en prit une qu'il donna à Kagura. Tout en faisant, il eut un petit signe de tête.
- Que t'es-t-il arrivé, Tatsuhiko? Demanda-t-il poliment.
- Rien, monsieur, répondit Kagura.
Une ombre passa devant ses yeux. Ses yeux magnifiques…
- Au fait, savez-vous où se trouve Mr Kawashi?
Le sourire du docteur changea du tout au tout. Une aura glaciale l'enveloppa. Sa main se crispa autour du flacon de verre. Un grondement naquit dans le fond de sa gorge, comme un fauve sur le point d'attaquer.
Désemparé, Kagura ne cessait de fixer le médecin dont les yeux avaient étrangement durci.
- C'est de leur faute…, fit Muraki, les yeux plus froids que la glace. Tout est de leur faute…
Kagura tressaillit.
- Que voulez-vous dire? Qu'avez-vous, docteur?
La cruauté se dessina sur le visage pâle et beau du docteur. Lentement, il effleura une joue de Kagura qui ne put retenir un petit frisson.
- Docteur…
- Ne dis rien, Kagura… Ne dis rien et écoute-moi… Écoute celui qui ne te dit que la vérité…
« Ma tête… me tourne… J'ai des vertiges… Comme toutes ces dernières fois… »
- Kawashi… a été emmené par la Mort…, souffla Muraki. Les Dieux de la Mort… l'ont pris dans le creux de leurs ailes noires… Il n'est plus auprès de toi…
« Ma tête… Mon Dieu… »
- Plus… auprès… de moi? Répéta Kagura, le corps de plus en plus rigide. Pour… quoi?
- C'est de leur faute… A eux deux…, répondit le docteur. Comprends-tu que tu es de nouveau tout seul…
« Mes yeux… se brouillent… Mes idées… s'annulent… »
La main de Muraki passa devant les yeux de Kagura, enveloppée d'un halo argenté. Une onde frappa les prunelles de Kagura. Vagues et imprécises, elle n'eurent qu'une étincelle. La lueur de la vengeance. Cette lueur que l'homme aux yeux d'argent avait vu tant de fois. Le jeune garçon devant lui le fixait, impassible, ses yeux sombres reflétant l'éclat rougeâtre du crépuscule. Le soleil disparaissait dans le ciel des ténèbres, laissant la lune contempler son œuvre.
- Vas… Mon cher pantin… Encore une fois… Que ta vengeance soit complète…
« Poupée de sang… Pantin de chair… Soyez à moi et à personne d'autre… »
A suivre…
