Chapitre 24

Bloody weather

« Se peut-il que l'hiver fasse exprès de se montrer si violent ? »

C'est ce que se demandait Hermione qui, distraite un instant de son travail, regardait au travers des longues fenêtres de la bibliothèque. La neige tombait, si épaisse qu'aucun des éléments habituels du paysage ne ressortait.

Une semaine que c'était comme ça. Les entraînements de Quidditch étaient annulés jusqu'à nouvel ordre, et les garçons étaient comme des lions en cage.

Sale Janvier…

Elle retourna à son parchemin, écrivit trois phrases, dont elle ponctua la dernière d'un geste vainqueur avant de relever son visage, satisfaite.

Une bonne chose de faite.

Elle s'étira, regardant discrètement alentours. Ernie MacMillan discutait avec Ginnie Weasley, à une table éloignée. A la vue de la tignasse flamboyante de la jeune fille, Hermione eut un sursaut imperceptible, et un léger sourire vint illuminer ses traits sans qu'elle le sache.

Cette couleur si chaleureuse…Deux semaines que ça durait, maintenant. Tout le monde avait fini par l'apprendre, et Hermione était heureuse de cela.

Un amour tout neuf, presque une vie nouvelle.

Par délicatesse pour Harry, ils s'efforçaient de ne pas trop se montrer cette affection en public, mais elle se doutait que leur ami savait aussi cela.

Des baisers dans les coins sombres, fébriles, avides. Des rendez vous cachés, et la Salle sur Demande comme repaire, voilà de quoi était faite leur histoire.

Eblouis, émerveillés, ils avaient recommencé, encore, jusqu'à en tomber de fatigue, en sueur, reconnaissants. Main dans la main, doigts entremêlés, comme deux amis. Quelle différence, de toute façon ?

Désormais, il savait si bien lui rendre tout ce qu'elle lui offrait…

Elle se leva et se dirigea vers la Grand Salle. Le dîner allait être servi.

Elle hâta le pas.

Severus la vit entrer et frissonna, comme toujours.

Pas la peine d'y penser.

Elle alla s'asseoir à sa table maudite, et quelques instants plus tard, ce stupide rouquin arriva et vint l'enlacer par derrière avec un geste horriblement possessif.

Comment osait-il…

Mais il devait cesser de se laisser ainsi aller. A quoi pensait-il ? Il avait d'autres préoccupations. Il baissa son regard et se mit à penser à la guerre, pour ne pas penser à d'autres choses. Cela marcha un peu.

Cela marchait souvent, mais à condition bien sûr de garder les yeux baissés.

Heureusement, les préoccupations ne manquaient pas.

Tard dans la soirée, Hermione maudissait son rôle de préfète, alors qu'elle effectuait sa ronde dans un des couloirs du cinquième étage. Couloir désert, bien sûr. Et en plus, elle était seule. Annah, qui ce soir là partageait avec elle ses obligations, avait pris le couloir Nord, tandis qu'Hermione avait pris celui Est. En fait, commença-t-elle à penser, elle n'était pas très loin de…Rien du tout.

Elle inspira un grand coup, et avança d'un pas qu'elle voulait plus assuré. Malgré les torches allumées, on n'y voyait pas très bien. Elle prononça un Lumos.

Ca allait beaucoup mieux, de cette façon. De quoi avait-elle peur, des fantômes ? A part Peeves, ils étaient plutôt inoffensifs, par ici.

Ses craintes étaient autres, en fait. Elle s'imaginait Voldemort, un Voldemort ayant réussi à franchir les protections du château, s'avancer dans les couloirs et…Se traita d'idiote. Il ne pouvait pas entrer à Poudlard. Et puis elle ne représentait pas sa cible prioritaire. L'idée la fit frissonner. Harry…

Elle se secoua mentalement.

Quelle idiotie d'avoir à faire des rondes dans cette partie du château…Aucun élève n'avait l'habitude de s'y aventurer, c'était la partie du château où habitaient les professeurs.

Devenait-elle paresseuse?

Non, mais tant qu'à jouer parfaitement son rôle de préfète, autant aller surveiller les couloirs menant aux cuisines, ou encore ceux du troisième étage, bien plus fréquentés par les noctambules peu enclins à respecter le règlement.

Quelqu'un approchait. Et pourtant elle ne voyait personne.

Alors une silhouette noire sortir du noir.

C'est pour cela qu'elle ne l'avait pas vu arriver.

C'était, oh Merlin…C'était lui.

Il avançait toujours, et tout ce qu'elle trouva à faire fut de s'arrêter net, et de contempler obstinément la forêt interdite qui brillait sous la lune, à travers les nombreuses fenêtres du couloir.

Severus.

Arrivé à son niveau, il ralentit et elle redouta qu'il ne s'arrête complètement. Mais il continua malgré tout son chemin, disparaissant comme il était apparu.

Tout le long, elle avait senti son regard brûler sa silhouette.

Pourquoi l'avait-il regardée ainsi ? Pour la mettre mal à l'aise ? C'était réussi.

Visiblement, il quittait ses appartements. Elle avait entendu ses pas dans l'escalier qui amenait à l'étage inférieur. Si seulement elle avait la Carte du Maraudeur…

Sans savoir pourquoi elle faisait cela, elle se détourna de sa ronde et ses pas la guidèrent, comme une somnambule, à la porte de ses appartements. Envisageait-elle d'y entrer ? Non, bien sûr.

Et pourtant…Elle savait comment faire. Avant qu'elle ait osé se censurer, elle avait saisi sa baguette et l'avait levée vers la porte, s'apprêtant à dire l'incantation. Mais que faisait-elle là ? Elle n'allait pas oser…

Et pourquoi pas. Pourquoi faire les choses à moitié ?

C'était mal.

Et c'était une tentation trop forte, tant pis. Même si ça n'avait aucun sens.

Elle prononça les quelques mots, se concentrant sur le sort qu'elle était entrain de lancer.

La porte bourdonna un instant, et revint au silence. Ce n'était pas bon signe. D'habitude, elle cliquetait et se déverrouillait. Elle eut aussitôt la confirmation de ce qu'elle pensait lorsqu'elle tendit la main vers la poignée : celle-ci s'actionna dans le vide.

Le sort ne marchait plus.

Se demandant soudain ce qu'elle était bien entrain de trafiquer à essayer de forcer la porte de Severus, elle se retourna brutalement et repris sa ronde dans les couloirs. Annah devait déjà l'attendre.

Elles allaient enfin quitter cette aile sinistre du château et descendre faire une courte ronde vers les cuisines, où elles finiraient la soirée en buvant une dernière tasse de chocolat en papotant.

Excellent programme.

Elle hâta le pas.

Longtemps après qu'elle fut remontée des cuisines, après qu'elle eut enfin gagné son lit, longtemps encore après qu'elle eut enfin fermé les yeux, oubliant en s'endormant la chose étrange qu'elle avait ce soir-là presque faite malgré elle, Severus regagna ses appartements.

La potion qu'il avait préparée ce soir là était une réussite, le résultat de recherches qu'il menait ces derniers temps avec un acharnement qu'il s'interdisait de trouver suspect.

Il l'avait réussie, malgré les pensées dérangeantes qui l'avaient menacé au début de son essai. Mais il avait réussi à se concentrer. Il y arrivait toujours. D'un certain côté, sa vie dépendait de ses facultés mentales, ces derniers temps. Ce soir-là, il s'était plongé totalement et avec délectation dans la science, sachant qu'elle était la seule, la seule qui lui permettait d'oublier…

La recherche s'avéra être un succès. Bien entendu. C'était une évidence, avec le mal qu'il s'était donné, pensa-t-il.

Ses recherches sur le sang de dragon polaire avançaient à pas de géants. Si tout continuait ainsi, il pourrait déposer la formule de sa potion avant la fin de l'année.

Il arriva enfin à sa porte. Il était bien tard pour la croiser à nouveau, mais un instant il avait…Rien.

Il s'apprêtait à lancer machinalement le sortilège de déverrouillage, quand quelque chose, un frisson…Une intuition le gagna. Il scruta la porte, comme s'il voulait en mémoriser chacune des aspérités, puis, de sa baguette qu'il tenait toujours levée, il murmura :

« - Révèle tes secrets. »

Sa baguette laissa échapper un sort qui se fondit aussitôt dans la porte. Alors en son centre se mit à briller un éclair rose foncé, mordoré. On avait essayé d'entrer. Et la couleur du sortilège, qui prenait la teinte de l'aura de la personne dont il provenait, lui révélait bien plus que ce qu'il croyait trouver. Elle. Comment…Mais bien sûr, quand il l'avait croisée dans le couloir, en début de soirée.

Pourquoi avait-elle fait cela ?

Cette question-là le laissait perplexe.

Il se rappelait trop bien la couleur de son aura, ce rose profond aux reflets changeants, la plupart du temps dorés.

Une aura remarquable.

Il l'avait aperçue à maintes reprises quand il l'exerçait à l'occlumencie. C'était une des choses que l'on commençait à entrevoir, quand on avait une certaine expérience dans la pratique de la legillimencie.

C'était la sienne, il l'aurait reconnue entre toutes.

Et l'éclair, la forme délicate qu'avait imprimé sa baguette lorsqu'elle l'avait agitée pour le sort, lui fit presque revoir la façon qu'elle avait de lancer ses sortilèges. Le geste délicat et précis.

Cesse de penser à cela.

Mais il demeurait comme hypnotisé.

Il contempla longtemps l'éclair, la forme tendre et rosée du sortilège qu'elle avait appliqué sur la porte de ses appartements et sentit son cœur se serrer dangereusement quand il l'effleura du bout des doigts. Il s'ordonna immédiatement de cesser, puis ouvrit la porte et rentra enfin chez lui.

La première chose qu'il fit fut de se ruer sur la corbeille pleine des lettres qu'il avait écrites pendant l'été précédent. Il ne s'était jamais décidé à s'en séparer, même s'il s'était obligé à interrompre cette habitude. Pourtant, il avait toujours interdit aux elfes de la vider.

Il en renversa le contenu entier sur le sol.

Ses mains caressèrent un instant la masse de papiers froissés, puis il déplia les lettres une à une, les défroissant délicatement, du mieux qu'il put.

Il passa ainsi le reste de la nuit à les aplanir, à les ranger, à les classer. Quand il eut fini, il les glissa dans une épaisse chemise de cuir qu'il remisa dans les tréfonds d'une vieille malle en sa possession depuis des années.

Février.

Ron profita sans doutes du fait qu'elle était concentrée sur cet ouvrage de préparation aux ASPICS pour venir poser un baiser léger dans son cou, ce qui la fit sursauter.

« - Viens par là mon cœur… », fit-il en la prenant dans ses bras. « Tu travailles trop. »

« - Tu te trompes, Ron, je travaille tout juste ce qu'il faut pour préparer l'examen que tu passeras aussi à la fin de l'année, je te rappelle. Je fais un minimum. J'aurais déjà dû finir ce livre il y a des mois », ajouta-t-elle.

La salle commune de Gryffondor était déserte. Tous les élèves batifolaient dans la neige, en bas.

Tous, sauf Hermione.

Il soupira.

« - Ok, très bien, je te laisse. Mais tu ne sais pas ce que tu rates. »

Elle sourit, exaspérée.

« - Sors d'ici ! Tu m'empêches de me concentrer… », cria-t-elle en faisant mine de lui jeter le livre qu'elle lisait à la figure.

Ron s'éclipsa en riant, espiègle, comme toujours.

Hermione ne voulait pas se raconter d'histoires, mais elle sentait qu'elle l'avait rendu heureux. Il avait changé, subtilement. Il semblait plus vivant, enfin épanoui après des années à l'ombre de ses frères, de Harry…

D'un côté, il était entrain d'obtenir tout ce qu'il avait toujours voulu. Faisait-elle partie du lot de ses trophées ?

Sans doutes un peu. Mais il l'aimait, c'était certain.

Ils se voyaient dès qu'ils avaient une seconde. Ron semblait se ficher éperdument des ASPICS qui approchaient, mais elle, elle s'efforçait de demeurer sérieuse. Elle n'allait pas gâcher l'aboutissement de sept années d'études pour…

Quelques virées dans la Salle sur Demande ? Elle sourit à cette évocation avant de redevenir pensive.

Ron était son ami. Avant tout. C'était une chose immuable. Il faudrait qu'elle tente de le raisonner sérieusement, pour ses examens. Il n'y avait pas que le Quidditch dans la vie !

Elle l'aimait, d'un amour profond et sincère, depuis toutes ces années…Elle s'était souvent demandé si elle supporterait de le perdre. Lui, ou Harry.

Ils étaient, en quelque sorte, frères d'armes. Gryffondors de nature et de cœur.

Elle l'aimait, mais ça ne serait jamais comme…Comme avec…Non, jamais. Elle se demanda un instant si elle aurait la chance de revivre une telle chose, et en vint à la conclusion que non.

Non, jamais cela n'arriverait à nouveau.

Hermione repensa à une phrase stupide qu'elle avait entendue d'une oreille, autrefois, et qui bizarrement était restée dans sa mémoire, bien qu'elle lui avait semblé absurde, sur le coup :

« La première fois, on aime l'homme. Toutes les fois suivantes, c'est l'amour que l'on aime. »

Cette pensée, comme à son habitude, l'agaça et elle la chassa aussitôt.

Elle était heureuse. Heureuse.

Alors pourquoi, pourquoi le soir, chaque soir juste avant de s'endormir, seule dans son lit avec les bruits du vent battant les pierres de la tour de Gryffondor, poussait-elle un soupir à fendre l'âme ? Un soupir remuant ses entrailles comme si le vent glacé au-dehors s'était engouffré sous ses draps ? Pourquoi ?