Chapitre 27

Egarés

Severus détourna la tête au spectacle désagréable de ce crétin de Weasley qui embrassait Hermione sur la joue. C'était toujours désagréable à regarder, et pour tout dire presque impudique. Mais l'habitude avait fait en sorte que ce genre de choses ne le faisait que frissonner, au lieu de le faire serrer les poings, comme au début.

Il avait fini par renoncer à combattre cela. Il était bien placé pour savoir que le passé ne s'effaçait jamais complètement.

On peut avoir l'apparence la plus noble, la plus respectable, la robe que l'on porte sert uniquement à cacher une peau marquée par la vie d'avant.

Puis Minerva avait engagé la conversation au sujet des prochaines élections du Ministre de la Magie, et il avait plongé avec une loquacité peu habituelle dans la conversation.

Et bien entendu, Gryffondor avait encore une fois gagné la coupe.

Il accueillit la fin du repas avec reconnaissance.

La tête penchée, perdu dans ses pensées, ou plutôt dans le magma incertain et vaguement désagréable de ses idées, il avançait dans les couloirs en direction de ses appartements.

Il faisait sombre. Le discours de Dumbledore, dégoulinant de bons sentiments, lui avait laissé une impression indigeste. Ou bien était-ce le vin qu'on leur avait servi et dont il avait peut-être un peu abusé ? Mais peu importe, le Seigneur des Ténèbres était vaincu, et il était un homme affranchi, désormais.

En aucun cas il ne vit la silhouette qui heurta la sienne, manquant de le précipiter au sol.

A travers la vision incertaine que lui offrait l'obscurité du couloir et le vin qui courrait dans ses veines, il reconnut une tête blonde ébouriffée, posée sur un corps qui s'était retenu tant bien que mal aux aspérités du mur de pierre.

« - Lovegood ! Que trafiquez-vous ici ! Faut-il que je vous rappelle où se trouve la tour de Serdaigle ! Vingt points en moins pour votre maison ! Filez ! »

Il était d'autant plus énervé que le choc avait réveillé la blessure qui ornait le côté droit de son abdomen.

Légèrement ahurie, elle ne bougeait toujours pas, ou du moins pas assez vite au goût de Severus qui commençait à perdre patience.

« - Excusez-moi professeur, j'ai perdu mon chemin et… »

« - Je me moque éperdument de vos raisons ! Dégagez le passage, et je retire encore dix points à Serdaigle ! »

La fille ne demanda pas son reste, sans doutes rassurée par le fait que l'année était terminée et que les points qu'il lui avait enlevés ne seraient pas comptabilisés, et s'éloigna prestement, une expression toujours aussi ahurie sur le visage.

Il reprit son chemin, passablement énervé et à la fois cruellement satisfait d'avoir eu l'occasion de passer ses nerfs sur quelqu'un. Tant pis si son retrait de points demeurait fictif, c'était la dernière fois avant au moins deux mois, il fallait en profiter.

C'est alors que derrière lui, il entendit …

« - En fait je m'étais perdue… »

Etrangement, sa voix était claire et posée.

Severus soupira en massant son front, exaspéré. Elle avait décidé de l'achever, apparemment…Pourquoi le provoquait-elle, n'avait-elle peur de rien, cette stupide Serdaigle ? Elle lui rappelait…Mais non.

« - …Et quand ça arrive, j'ai tendance à persister dans mes erreurs. »

Elle se tut un instant.

Severus était abasourdi.

Pour la première fois de sa carrière d'enseignant, il se trouvait à cours de répartie, tant elle s'exprimait avec un naturel plein de sincérité. Elle poursuivit:

« - Mais là, je suis revenue sur mes pas, tout simplement. A croire que ça marche », ajouta-t-elle. « Bonnes vacances, professeur. Enfin, si je puis me permettre. »

Les yeux exorbités, il était tellement stupéfait qu'il ne put rien dire, en particulier face à l'aplomb de la jeune fille.

« - A ce propos, vous n'auriez pas entendu parler d'un manuel de métamorphose qu'on aurait retrouvé… »

« - Filez, sinon je vous envoie directement chez Dumbledore », fit-il à voix basse, d'un ton calme qu'il savait bien plus terrifiant que les cris.

Ca n'était pas pour l'impressionner, simplement il se trouvait dans l'incapacité de parler plus fort. Ses neurones fonctionnaient à toute vitesse, et c'était d'une voix presque distraite et qu'elle avait sans doute interprétée comme menaçante, qu'il l'avait une dernière fois sommée de quitter les lieux.

Luna Lovegood s'interrompit aussitôt et s'en retourna en haussant légèrement les épaules.

Figé, il resta un bon moment dans la même position, massant distraitement son ventre blessé avec sur le visage la même expression ahurie, exorbitée. Il ignorait à quel point ainsi, il ressemblait à la jeune fille qu'il venait d'envoyer balader.

Puis il se retourna et rentra dans ses appartements.

Longtemps, il se débattit contre lui-même, en proie à l'émotion qui couvait en lui et qu'il essayait tant bien que mal de réprimer, troublé par le décalage entre ce que lui avait dit cette fille de Serdaigle et les émotions que cela avait réveillées en lui. Quand il comprit qu'il n'allait pas arriver à se concentrer sur autre chose il se leva, si énervé qu'il renversa sa chaise sans y prêter attention.

Ordonné comme il l'était, il retrouva sans peine la pile soigneusement rangée des lettres qu'il avait écrites l'été précédent.

Son regard fit plusieurs fois l'aller retour entre l'épais paquet et le feu qui se mourait à l'autre bout de la pièce. Puis il le serra résolument dans sa main et se dirigea vers son bureau dont il sortit une épaisse enveloppe de papier foncé.

Il y rangea soigneusement l'ensemble des lettres, sans rien y ajouter, et la scella. Il la posa sur son bureau déjà débarrassé de toute la paperasse qui s'y était accumulée durant l'année, et la contempla un instant d'un air satisfait, seul vestige de son ancienne vie, au centre de ce bureau où il avait enfin fait un ménage salutaire.

Elle partirait demain.

Puis il s'en retourna vers sa chambre d'un pas tranquille.

Cette nuit-là et pour la première fois depuis des années, il dormit parfaitement bien.

Il goûta, pour la première fois de sa vie lui sembla-t-il, au délice de se faire réveiller par les rayons du soleil, constatant avec une joie presque enfantine qu'il avait oublié de fermer les lourds rideaux qu'il n'oubliait jamais, autrefois, de tirer.

Tout était vraiment fini…

Severus se leva lentement et avança torse nu vers la fenêtre de sa chambre qui lui offrait une vue resplendissante sur le parc. Il vit qu'il était près de midi.

Enfin il s'étira, sans prendre garde à sa blessure qui n'était pas encore guérie et qui le rappela douloureusement à la réalité. Elle ne s'était toujours pas refermée correctement…Mais ça n'était pas très grave, au fond. Il guérirait.

Alors que Lucius Malefoy, qui en était à l'origine, pourrissait déjà dans sa tombe.

Il en était ainsi.

Il allait prendre le chemin des vacances, des vraies vacances, les premières de toute une vie.

Il allait d'abord s'offrir un petit-déjeuner royal lui qui, habituellement, n'avalait qu'un café au réveil. Mais avant…Il sortit de la chambre et attrapa d'un geste décidé l'enveloppe qui se trouvait sur son bureau. Sur le rebord de sa fenêtre, un hibou de la Gazette du Sorcier, impatient, cognait du bec contre la vitre. Severus lui ouvrit, prit son journal et le paya, puis appela son propre hibou à l'aide de son sifflet minuscule posé non loin.

L'oiseau, un Grand-duc anthracite fit son apparition.

Il lui gratta un instant la tête avant d'attacher l'enveloppe à sa patte tendue.

« - Tu sais à qui tu dois la porter, bien sûr… »

Il lui sembla que l'oiseau avait cligné malicieusement ses yeux ambrés, avant de s'envoler dans un frou-frou de plumes.

Severus respira profondément, autant que sa blessure le lui permettait, et se rappela qu'il avait des potions à prendre, avant de descendre. Se dirigeant vers une étagère encombrée de fioles, il déplia distraitement le journal, lisant les titres en première page.

« La vérité sur les réseaux intra-ministériels des mangemorts… », « A trois mois des Grands Procès, nos opinions sur les véritables alliés de Celui-dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le-nom… »

Severus eut un sourire méprisant à la vue de ces titres. On pouvait dire que la guerre était un sujet vendeur…Et elle le resterait sans doutes un long moment.

« Qui sont ces héros de la Résistance ? Gilderoy Lockart nous raconte l'Ordre du Phénix comme si nous y étions… »

En temps normal il aurait du en être exaspéré, mais il ne fit que retenir un rire.

« Viktor Krum, l'attrapeur-vedette de la célèbre équipe de Bulgarie annonce enfin publiquement son homosexualité après des années de controverse. »

Il fit tomber la fiole qu'il avait à la main alors qu'il farfouillait distraitement sur l'étagère.

Ca, c'était nouveau.

Le bruit de verre brisé ne lui parvint que partiellement aux oreilles.

Absorbé dans la lecture d'un article qu'en temps normal il aurait ignoré royalement, il en occulta entièrement l'hypothèse que ledit article, comme la grande majorité de ceux qui étaient édités dans ce torchon, pouvait simplement être un tissu d'insanités. Celui-ci disait la vérité.

Allons, ça ne changeait plus rien à présent, puisque toute cette histoire était finie…Il se rappela cependant sa jalousie. Quelle part réelle avait-elle eu dans sa décision de s'éloigner d'Hermione ? Il y avait le danger dû à la guerre et à son rôle dans l'Ordre, bien sûr, l'aspect amoral de leur situation aussi, mais cet fameuse lettre qui avait déclenché sa jalousie, cette violente jalousie, n'avait-elle donc pas représenté davantage que ce qu'il avait toujours voulu croire ?

Il n'en pouvait plus de retourner tout cela dans sa tête. Il s'affala dans un de ses fauteuils préférés, le front dans sa main, comme il avait l'habitude de le faire quand il sentait poindre en lui l'exaspération.

Etait-ce…Sa fierté, tout simplement, qui avait pris les commandes ce soir-là et avait frappé un grand coup, excluant de sa vie la seule personne capable de recevoir son affection et de l'aimer en retour ? Etait-il aussi peu sûr de lui ? Non, voyons…

Et pourquoi, pourquoi quand il croyait être enfin débarrassé de cette histoire, revenait-elle immanquablement le rappeler à sa souffrance ?

Elle l'avait vite oublié…S'emparant de l'affection maladroite que lui offrait le dernier fils Weasley avec une avidité qui lui avait fait mal.

Avait-il donc aussi peu compté ?

Mais tant pis, à présent le destin était en marche. Et Severus s'apprêtait à partir loin, très loin, alors que le hibou envolé un peu plus tôt volait à tire d'ailes vers son objectif, emportant en une seule fois l'ensemble des lettres qu'il aurait dû envoyer il y avait bien longtemps, la folie de tout un été, d'un amour gâché, l'ultime tentative d'une rédemption chère payée.

Dans le compartiment inondé de soleil du train qui amenait Hermione Granger vers sa nouvelle vie, celle-ci se laissait aller à la nostalgie. C'était la dernière fois qu'elle prenait le train, et elle ne reviendrait pas à Poudlard à la rentrée. Tant de choses l'attendaient au-dehors…Mais elle se laissait aller, juste un instant, à éprouver un peu de peine à quitter cet endroit où elle avait appris tant de choses. Vécu également : toutes ces choses qui faisaient d'elle une adulte aujourd'hui impatiente de devenir quelqu'un, de se réaliser en tant que sorcière, en tant qu'adulte, enfin.

Elle se rappelait, en début d'année, le temps épouvantable qui les avait accueillis. Ses pensées dérivèrent alors vers Harry. Il avait été si présent pour elle…Alors qu'il aurait pu faire preuve d'égoïsme, d'indifférence, il avait su malgré la complexité de sa propre existence, lui faire une place et tendre une oreille aux difficultés de la sienne. Il devait se remettre à vivre, coûte que coûte, car Harry méritait enfin d'avoir une vie.

A ses côtés, en grande conversation avec sa sœur, Ron n'avait pas vu la mine triste et songeuse de son amie, et tant mieux, pensa celle-ci. Elle aurait voulu être seule en cet instant. La seule personne de sa connaissance à la quelle elle aurait voulu dire qu'en elle se mélangeaient à présent la tristesse, le regret, le remords, la nostalgie, l'appréhension, lui avait à tout jamais fermé la porte de son cœur.

Le train finit par arriver à King's Cross, et la foule des élèves, jeunes ou moins jeunes, se précipita vers la chaude journée d'été qui touchait à sa fin, mais prometteuse de vacances inoubliables.

Enfin, c'est ce qu'elle aurait pu croire si elle avait encore eu douze ans.