Chapitre 28

Quand on cherche

A peine avait-elle franchi le seuil de sa chambre qu'elle vit posé sur le rebord de sa fenêtre un gros hibou gris foncé, attendant vraisemblablement qu'elle vienne lui ouvrir.

Elle entendait en bas les rires de ses parents, tout heureux de l'accueillir après une si longue absence, et ferma prudemment la porte de sa chambre avant d'aller à la rencontre de l'oiseau majestueux qui la toisait de son regard ambré. Elle ouvrit, et pendant un instant le bruit de la rue vint vriller ses tympans. Il déploya ses ailes et sautilla à l'intérieur de la pièce. Hermione vit qu'il apportait une enveloppe assez conséquente.

Mais le monde magique attendrait bien le temps d'une soirée. Elle la lirait plus tard.

Le hibou picora quelques miettes qu'elle lui tendait au creux de sa main avant de reprendre son envol.

Elle revêtit des vêtements moldus et descendit voir ses parents, se préparant à passer une soirée tranquille dans le cocon tranquille de cet appartement londonien qui avait vu grandir son enfance.

Il était presque minuit quand elle remonta se coucher. En peignoir, elle se laissa tomber sur son lit, éreintée. Elle vit d'un œil la volumineuse enveloppe posée sur son bureau. Tant pis, demain…Ses yeux se fermèrent, mais aussitôt le démon de la curiosité fit son apparition et fut plus fort que la fatigue.

Et puis ça pouvait être important.

Elle se releva et tendit un bras vers le bureau pour atteindre la lettre.

C'était presque un colis, au vu de son poids. Hermione s'installa confortablement, le dos contre ses oreillers, et déchira l'épais papier. Une pluie de parchemins en tomba, pliés et tous de la même taille. Elle en saisit un au hasard et en entama la lecture.

Le matin la surprit alors qu'elle tenait serrée dans sa main le dernier qu'elle ait lu, le visage ruisselant, la gorge si serrée qu'elle en était douloureuse, les yeux ouverts sans toutefois voir quoi que ce soit.

Etrangement, la seule lettre qu'elle écrivit ce matin-là fut destinée à Albus Dumbledore.

En l'attente d'une réponse, elle tourna en rond dans sa chambre pendant une bonne partie de la journée, avant de se décider à sortir prendre l'air.

Elle marcha sans but, dans la tiédeur de l'après-midi puis du soir qui tombait, dans les rues désertées par la population, réfléchissant.

A son retour, une petite chouette tachetée l'attendait, perchée sur le rebord de sa fenêtre. Elle se précipita pour lui ouvrir.

L'écriture fine et harmonieuse de Dumbledore commença à lui parler. Et quand elle eut bien compris ce qu'elle disait, Hermione reposa le parchemin et attrapa sa veste. Il n'était peut-être pas trop tard…

Elle prétexta une amie à voir et sortit de l'appartement à la hâte, sous les yeux éberlués de sa mère qui préparait le dîner.

Il faisait nuit, à présent. Elle s'engouffra dans la première bouche de métro qu'elle trouva sur son chemin.

Après vingt minutes de trajet, Hermione se retrouva dans un quartier assez animé, plutôt populaire, qu'elle connaissait peu. Les immeubles aux façades défraîchies se succédaient, mais elle ne se laisserait pas avoir de la sorte : elle n'ignorait pas que dans le monde des sorciers, les couvertures les plus modestes abritaient la plupart du temps bien des surprises. Elle lisait avec attention les numéros au-dessus des portes, si bien qu'elle finit par bousculer une jeune femme au teint mat habillée d'un sari, aux cheveux tressés et qui, au lieu de la regarder d'un air mauvais comme elle s'y attendait, partit dans un grand rire étincelant avant de s'éloigner en parlant dans une langue inconnue.

Elle était arrivée.

L'immeuble était vraiment un des plus misérables qu'elle avait bien pu voir depuis qu'elle était sortie du métro, mais c'était bien l'adresse que lui avait donné Dumbledore.

La nuit était presque complètement tombée, à présent, mais le quartier était pleinement éveillé et enjoué, comme lors d'une fête.

Elle poussa la porte d'entrée de l'immeuble, qui d'ailleurs ne possédait pas de poignée, et entra. Les noms sur les boites aux lettres lui étaient soit totalement inconnus, soit illisibles. Celle qui l'intéressait n'en portait aucun. Ca sentait le bois pourri, la moisissure, l'humidité, mais rien qui lui aurait fait oublier le but de sa visite. Elle monta les escaliers quatre à quatre. Appartement 26. Elle y était.

Hermione inspira un grand coup et sonna. Trois fois.

Personne ne vint.

Une porte s'ouvrit derrière elle.

« - Y'a personne, si vous voulez mon avis… »

C'était un vieil homme à l'expression hostile. Apparemment elle avait fait assez de bruit pour le déranger.

« - Vous connaissez le locataire de cet appartement ? », demanda-t-elle hardiment.

« - Un peu que je le connais ! », fit-il d'une voix plus forte, « Même si je compte sur les doigts de la main les fois où je l'ai vu, impossible d'oublier une dégaine pareille ! Un type louche, si vous voulez mon avis, mais ça fait une paye que je l'ai pas vu…Sûrement en prison, avec une allure pareille », ajouta-t-il avant de sortir un vieux mouchoir dont il se servit bruyamment.

« - Vous l'avez vu, ces derniers temps ? », le relança-t-elle, pleine d'espoir.

« - Viens de vous dire que ça fait bien six mois que je l'ai pas vu, et maintenant dégagez de là, sinon j'appelle la police ! Ici c'est encore un immeuble correct, même si le quartier est devenu une poubelle… »

Découragée, Hermione jeta un dernier regard à la porte irrévocablement close et descendit les escaliers, abattue, les propos aigris du vieil homme accompagnant ses pas, s'atténuant à mesure qu'elle redescendait les marches « …Toujours pareil avec ces étrangers…Devrait mettre toute cette vermine en prison… »

Nul doute que c'était bien l'appartement de Severus dont elle revenait, mais son propriétaire n'était pas là. Elle soupira, resserrant autour d'elle la veste en jean qu'elle portait. Il commençait à faire froid, malgré la saison.

Elle allait écrire à Dumbledore pour le remercier, c'était la moindre des choses pour l'avoir dérangé, d'autant plus que sa demande n'avait donné aucune explication. Juste : « Cher professeur Dumbledore, auriez-vous la gentillesse de me donner l'adresse du domicile du professeur Rogue, c'est une affaire assez urgente et je vous en serais très reconnaissante. Bien à vous, miss Hermione Granger. »

Il la lui avait donc donnée, et maintenant elle se retrouvait à errer sans but dans ce quartier populaire de Londres, aussi désespérée, aussi triste qu'au matin lorsqu'elle avait achevé la lecture bouleversante d'une cinquantaine de lettres d'amour toutes aussi déchirantes les unes que les autres.

Les larmes coulaient librement sur ses joues sans qu'elle cherche à les cacher.

Elle eut beaucoup de mal à trouver le sommeil cette nuit-là.

Le lendemain elle se rendit sur le Chemin de Traverse, afin d'envoyer un hibou. Au Chaudron Baveur, elle rencontra Drago. Lui non plus n'allait pas pour le mieux…Même s'il s'efforçait de le cacher.

« - Le plus dur », finit-il par lui avouer, « c'est de penser que c'est ce bon vieux Rogue qui a tué mon père. Ils étaient amis, même si c'était une drôle d'amitié, pleine de mensonges, et de tout le reste…Je les ai tellement vus ensemble que de savoir qu'il l'a tué, même pour se défendre, ça me…Je ne sais pas. »

Il eut un long soupir.

Hermione ne savait que répondre. C'était la première fois qu'il se confiait ainsi à elle, et elle avait toujours conservé par rapport à Malefoy une rancœur qui mettrait du temps à s'effacer. Mais elle n'avait pas non plus oublié qu'il avait vraiment choisi son camp lors de la bataille finale, ainsi que les gestes protecteurs qu'il avait pu avoir envers elle.

Elle fut touchée par sa confession.

Ils se trouvaient dans un coin de l'auberge, devant deux pintes de Bièraubeurre auxquelles aucun d'eux n'avait vraiment touché.

« - Et toi, que vas-tu faire l'année prochaine ? », demanda-t-il soudain.

« - Je…Je vais peut-être travailler au Ministère, je n'en sais rien encore. Sinon, je m'offrirai une année sabbatique, je…Oui, hein, tu trouves ça étonnant de ma part, n'est-ce pas ? », fit-elle d'un ton malicieux devant la mine stupéfaite du blond. « J'en ai assez de tout ça, ça me ferait du bien de m'éloigner. En fait ça dépendra de mon stage de cet été, je n'en sais rien. Peut-être faut-il que je ne me laisse plus aller, ça n'a pas été une période facile, ces derniers mois. »

« - Pour personne », ajouta Drago, sombre.

« - Pour personne », fit-elle en écho.

Elle ne lui demanda pas ce que lui comptait faire, n'ignorant pas que la fortune dont il héritait de son père le mettait à l'abri du besoin pour l'étendue de son existence.

Une idée folle vint alors éclore à l'esprit d'Hermione, mais elle devait se montrer habile…

« - Tu me parlais de Rogue, tout-à-l'heure, mais crois-tu qu'il va conserver son poste à Poudlard, l'année prochaine ? », dit-elle en connaissant pertinemment la réponse. « Tu l'as vu, ces derniers temps ? »

Il soupira.

« - Il me semble, oui, qu'il va rester professeur. Il y a eu des rumeurs comme quoi il enseignerait même la Défense contre les Forces du Mal, à la rentrée. Mais rien n'est sûr. Je l'ai croisé, il y a deux jours, ici. »

Hermione réprima un sursaut. Elle aurait voulu en crier.

« - Il m'a laissé comprendre qu'il partait en vacances, probablement dans le Sud de l'Europe, je n'ai pas très bien compris. Ca a été bizarre. Cette histoire, avec mon père, ça a créé une drôle d'ambiance. Je ne l'ai pas vu longtemps, finalement. Il est comme nous, je pense que ça l'a secoué, tout ça. »

Il avait le regard plongé dans le liquide ambré et sirupeux de sa chope de Bièraubeurre, et ne pouvait donc voir l'expression fébrile d'Hermione, en face de lui

« - C'est comme une épidémie, on veut tous ficher le camp du coin », ajouta-t-il le regard perdu dans le vide.

« - Tu vas partir, toi aussi ? »

Drago Malefoy leva vers elle ce regard rêveur, mais plein de lourds nuages qui n'attendaient que d'éclater. Il la regarda longuement, comme s'il cherchait à la reconnaître, avant de répondre :

« - Je penserais que tu es folle, si tu me disais que tu n'avais jamais envisagé de te tirer de ce foutu pays pour ne plus jamais y remettre les pieds. »

Des dix-neuf lettres qu'elle envoya au nom de Severus Rogue au cours des deux mois qui suivirent, chacune lui revint intacte, dans les quelques heures qui suivaient leur envoi.

Severus entra avec un frisson de plaisir –qui l'aurait cru - dans le Grand Hall de l'école de sorcellerie Poudlard, et contempla chacun des détails qui s'offraient à sa vue avec comme une sensation de revenir enfin chez soi.

La rentrée aurait lieu demain. Il allait d'abord ranger ses affaires, puis il irait aux nouvelles chez Dumbledore. Cette année, il rentrait vraiment au dernier moment, mais il s'en fichait.

Il monta les escaliers lentement, sans se presser, avec presque un frisson de volupté en sentant le tissu de sa robe frotter contre les marches de pierre.

Il huma les odeurs anciennes, celles de la pierre millénaire, de la cire des bougies qui se consumaient un peu partout autour de lui, écouta le silence qui serait bientôt réduit à néant, et pour la première fois de sa vie il se dit que ça allait être une bonne année.

Il traversa les couloirs, jusqu'à celui qui le menait chez lui et qui lui sembla amical, en cet instant.

Il prononça le sortilège et la porte s'ouvrit. Enfin, il était chez lui.

La pièce sombre s'éclaira alors, et il vit la jeune fille, presque une femme, qui attendait, assise dans son fauteuil préféré, et qui leva paisiblement les yeux vers lui dès qu'il eut fait un pas dans la pièce.