Chapitre 29

Miss Je-sais-tout

Severus se contenta de la regarder, placide, avant de dire, de sa voix veloutée :

« - On dirait que tu te plais à te trouver là où on ne t'attend pas. »

Puis il se dirigea vers un fauteuil sur lequel il jeta sa cape de voyage.

« Il a maigri, pensa Hermione. Enfin, si c'est possible de maigrir davantage… » Son teint était également particulièrement hâlé, comme s'il avait passé son été en plein soleil. Et c'était sûrement le cas…

« - J'ai pourtant cherché à t'écrire pour t'avertir, mais… »

« - J'ai fais en sorte que ça ne puisse pas marcher », finit-il pour elle, tranchant. « J'aimerais connaître le sens de ta visite, si ça ne t'ennuie pas. Ensuite je voudrais que tu partes, j'ai du travail. »

« - Tu dois bien te douter du pourquoi de ma venue. »

Sans rien ajouter, elle se leva et se dirigea vers le bureau en plongeant la main dans une poche intérieure de sa cape.

Elle abattit avec fracas la pile de lettres sur le bois de la table, sans prendre garde au fait qu'elles s'éparpillèrent dans le désordre. Certaines même tombèrent à terre.

« - Je ne voulais pas les garder », fit-il pour toute explication.

« - Et que suis-je sensée en faire ? Me lamenter dessus jusqu'à la fin de mes jours ? Tu espérais quoi au juste ! »

« - Simplement m'en débarrasser, rien de plus. »

« - Tu n'as pas pensé que j'allais en être bouleversée, tu n'attendais rien en faisant cela ? »

« - Rien, je te le promets »

Il la regardait dans les yeux, froidement. Un instant, Hermione crut à cela.

« - Je ne te crois pas », dit-elle mécaniquement.

« - Ca m'est égal. »

« - Tu te moques de savoir que tout ça… » Elle fit un geste vers le tas de papier qui s'élevait sur le bureau « …Ca m'a empêché de vivre pendant des semaines ? »

« - Permets moi d'en douter », répondit-il d'un ton léger en allant s'asseoir dans un des fauteuils près de l'âtre. Il pointa sa baguette dessus et y fit apparaître un feu crépitant.

Elle ne sut que répondre. Pendant des semaines elle avait imaginé la scène qui se déroulait sous ses yeux, et rien ne se passait comme elle aurait pu le penser. Pourquoi avait-elle le sentiment qu'il la haïssait ? Le soir où il avait condamné leur relation, à aucun moment elle n'avait ressenti cette animosité envers elle. De la tristesse, oui, de la jalousie, de la souffrance, mais rien qui ne la vise elle en particulier. Qu'avait-il donc bien pu se passer depuis ?

« - Pourquoi dis-tu cela ? »

Il la dévisagea un moment.

« - Réponds-moi », insista-t-elle.

Il détourna son visage vers le feu.

« - Et bien, je n'imaginais pas que cela te ferait quoi que ce soit après la façon dont tu t'es remise de ce qui s'est passé», fit-il avec une ironie blessante, un demi-sourire méprisant accroché aux lèvres.

« - De quoi parle-tu… » Mais elle avait déjà commencé à comprendre.

« - De ta conduite, elle me semble très significative. »

« - Tu parles de Ron. »

Elle avait dit cela sur un ton neutre, égal.

Il ne répondit pas.

« - J'aime Ron. C'est mon ami. »

« - C'est parfait », fit-il avec un petit rire cruel. « Et maintenant fiche le camp, j'en ai assez de te voir ici. »

Son agressivité le trahissait, et elle finit de comprendre le sentiment qu'il s'efforçait sans succès de dissimuler.

« - Tu es jaloux. »

« - Tu dis n'importe quoi », répondit-il avec rage.

Le serpent allait bientôt mordre, pensa Hermione, il fallait le calmer. Sinon il allait lui faire très mal, comme sa langue fourchue était tant capable de le faire. Oh oui il était jaloux, et c'était même un trait dominant de sa personnalité qu'elle découvrait avec stupéfaction.

« - Alors pourquoi me parles-tu de cette façon ? Je…J'ai… »

Ses nerfs commençaient à lâcher.

« - Tu as continué à vivre et tu as eu bien raison », finit-il pour elle. « Il n'y a rien à ajouter, et je voudrais que tu partes, maintenant. »

L'indifférence dans sa voix la blessa encore une fois.

« - Non. Je vois bien que je t'ai fait du mal. »

« - Tu me prends pour qui ! Crois-tu que je sois si sentimental ? Tu n'es pas aussi intelligente que ce que je le croyais… »

Il était complètement fermé. Hermione ne savait pas quoi faire. Ses joues étaient trempées de larmes, à présent, et elle se sentait horriblement impuissante. Et surtout terriblement jeune. Elle inspira un grand coup.

« - Je pense que tu es jaloux de Ron, et qu'aujourd'hui ça n'a plus de sens. »

« - Tu es d'une stupidité révoltante. Veux-tu bien sortir d'ici ? »

« - Pourtant c'est toi qui a voulu en finir », répliqua-t-elle, sans prendre en compte l'ordre qu'il lui donnait.

« - Je l'ai fait parce qu'il n'y avait pas d'autre solution, tu le sais bien », fit-il sur un ton d'avertissement.

« - Mais toutes ces lettres…Tu espérais qu'une fois la guerre finie… »

« - Je n'espérais rien du tout ! », vociféra-t-il. « J'en ai assez ! Fiche le camp ! »

« - Non ! »

Il s'était levé et l'avait saisie au bras.

« - Sors d'ici ! »

Mais c'était trop tard, il l'avait touchée.

Ses doigts crispés sur son bras se figèrent puis s'écartèrent légèrement d'elle, comme si le contact l'avait brûlé, et elle en profita pour se dégager.

« - Tu ne m'impressionnes pas, quand tu fais ça », hoqueta-t-elle.

Ses tremblements et son visage baigné de larmes disaient le contraire, mais Severus ne pouvait s'empêcher d'admirer son courage.

« - Et il est hors de question que je parte maintenant, tu n'es pas franc ! »

Ils se tenaient à un mètre l'un de l'autre, à la fois près mais figés dans leurs espaces respectifs.

« - Je n'ai aucun compte à te rendre. »

Elle se tut. Il se passa un long moment silencieux et douloureux.

« - Tu en es bien sûr ? »

Il la toisa, comme il savait si bien le faire, mais ne répondit pas.

Elle baissa les yeux, vaincue, et amorça un mouvement pour se retourner vers la porte.

« - Bon, très bien », murmura-t-elle simplement. « Je vais m'en aller. Passe une bonne rentrée. Je te souhaite tout le bonheur que tu mérites. Peut-être se verra-t-on au Ministère, mais je ne le souhaite pas. »

Elle avança la main vers la poignée.

« - Au revoir », dit-elle à voix basse.

Encore une fois, il ne répondit pas. Sans un regard en arrière, elle sortit de la pièce.

Severus avança une main comme pour la retenir mais se ravisa, le bout de ses doigts effleurant seulement le tissu de sa cape et l'extrémité des boucles de ses cheveux, avant de se replier dans le vide.

Dans le couloir, elle se retourna une dernière fois, comme si elle s'apprêtait à ajouter quelque chose, les lèvres entrouvertes. Une de ses larmes coula le long de sa joue et tomba au sol. Il avait envie de l'embrasser là, sur cette peau ruisselante.

Mais elle se contenta de secouer la tête avant de s'en retourner, et elle serait définitivement sortie de sa vie si, au dernier moment, il n'avait pas dit quelque chose de stupide, quelque chose d'insensé, d'une voix où la pudeur le disputait à une infinie tendresse, et qui la fit se retourner une ultime fois…

« - Et c'est avec une allure pareille que vous comptez faire carrière au Ministère, espèce d'épouvantable Miss Je-sais-tout ? Laissez-moi au moins essuyer cette figure mal embouchée… »

Elle ne bougea pas, mais il n'eut pas le loisir d'observer plus longtemps les diverses émotions qui passèrent dans ses yeux sombres, car il s'était déjà précipité pour la prendre dans ses bras.