Boromir et Merwa entraînèrent leur protégée jusqu'à leur chambre pour pouvoir l'interroger à leur aise. Ils dépassèrent les inquiétantes rues et traversèrent l'étrange auberge dans laquelle ils vivaient. Boromir pouvait sentir le regard des haradrims le cibler. Ils devaient se demander ce qu'il faisait avec deux jeunes femmes haradrims.
Leurs autres compagnons de voyages n'étaient pas rentrés de leur mission. Ainsi il n'y avait qu'eux dans la pièce. Le calme de la chambre leur fit du bien. Boromir était soulagé d'être loin des regards accusateurs qu'il sentait sur lui. Devenait-il paranoïaque? Se sentait-il comme un voleur parce qu'il avait d'étranges sentiments pour la princesse des haradrims?
Il s'aspergea le visage. Il avait l'impression que ce soleil, malgré sa protection, brûlait sa peau. Il avait envie de sentir de l'eau sur son visage. Mais il fit une grimace de dégoût ; elle semblait tiède. Merwa, pendant ce temps là, avait guidé la rescapée vers sa couche et l'avait assise. Elles parlaient toutes les deux.
Boromir leva la tête et secoua ses cheveux mouillés par sa toilette. Il se retourna pour voir ce que faisaient les deux haradrims.
La dame murmurait en haradrim et Boromir perçut le nom Merwa. Il sursauta et fit un grand pas vers la princesse en question:
- Que vous raconte-t-elle? Vous lui avez donné votre nom!???!
Merwa n'aimait pas le ton de sa voix, il se prenait encore pour quelqu'un au-dessus d'elle. Ce regard hautain, cette voix orgueilleuse l'énervait parfois beaucoup et secrètement cela l'amusait aussi.
- Bien sûr que je lui ai donné mon vrai nom.
Boromir rugit:
- Mais Bon Sang! Vous avez oublié les précautions?? Inconsciente!!!
Ses yeux gris étaient injectés de colère. Ses mains s'étaient crispées sur sa cape qu'il avait retirée. Il s'était donné tellement de mal pour la protéger et la voilà qui dévoilait son identité. Si les viarags venaient à savoir que la princesse des haradrims se promenait avec une si petite escorte, ils étaient partis pour une terrible course poursuite. Il avait envie de la secouer comme un prunier et lui dire quelle piètre guerrière elle était.
Elle sourit et secoua la tête:
- Pourquoi ne faites-vous pas confiance à mes initiatives?
L'étrangère les regardait d'un air perdu. Elle ne semblait pas connaître la langue commune. Elle devait être une simple femme du peuple. Mais Merwa lui parlait avec une voix douce et avec un ton très chaleureux. Pendant un bon nombre de minutes, elles parlèrent en haradrim, ignorant Boromir. Il avait lâché son vêtement et arpentait leur petite chambre. Sa démarche était lourde et il gardait ses poings serrés.
Finalement, la princesse se tourna vers le gondorien et lui expliqua:
- Cette dame est la fille de ma nourrice, une des seuls qui ont survécu à ce carnage.
Un éclair d'irritation irradia les yeux gris de Boromir et il passa une main dans ses cheveux en déclarant:
- Vous auriez pu me le dire plus tôt!
A son grand étonnement, Merwa éclata de rire. Il ne l'avait jamais vu rire comme ça. Son visage, normalement sérieux par les soucis et triste à cause de la peine, était celui d'une fille de son âge. Malgré son irritation, le gondorien ne put s'empêcher de rire aussi. Après un moment, reprenant une mine autoritaire, il secoua la tête. Merwa soupira et arrêta de rire. Puis elle s'expliqua:
- Je suis désolée... Mais des fois c'est tellement hilarant de vous faire enrager.
Elle le regardait d'un air très étrange avec un mince sourire sur ses lèvres. Boromir sembla sur le point de beugler au sujet de cette farce, mais ne dit pas un mot. La rescapée ne les regardait pas, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Mais il semblait qu'un grand silence s'abattait dans la pièce. Et une douce lumière emplissait ce silence.
Boromir était plongé dans un semi rêve, entre la réalité et d'étranges espoirs. De nouveau, de très loin à présent, il entendait le chant d'Elbereth.
Puis, la paix emplissait lentement son âme.
Merwa allait dire quelque chose quand la porte s'ouvrit brusquement.
Boromir fit volte face et porta une main sur la garde de son épée. Mais ce n'était qu'Amdir et Rodthelion. Ils saluèrent Boromir, puis le rôdeur du nord expliqua:
- Nous avons pu enquêter ça et là. Et nous savons à peu près quelles villes sont occupées... Vous avez une témoin ici?
Il regardait d'un air grave la pauvre jeune femme. Le dúnadan avait un regard redoutable et très inquisiteur. La rescapée baissa les yeux d'un air terrifiée.
Merwa posa une main sur le bras de la femme pour la calmer, puis apporta son information:
- Cette femme est la fille de ma nourrice. Et bien que je n'aie pas eu le temps de l'interroger, je pense qu'elle saura nous éclairer sur le...
Elle se rembrunit, ne voulant pas reparler de ce massacre. Les trois hommes hochèrent la tête et aucun d'entre eux ne lui demanda de continuer sa phrase. Alors que les nouveaux arrivants partageaient leurs idées, Merwa jeta un discret regard sur Boromir.
Il était très concentré et ne semblait pas sentir un regard sur lui. Il hochait la tête et toute sa posture restait fière et droite. Toute sa pensée était tournée vers son devoir et la situation délicate.
Puis, elle se retourna vers sa protégée et lui proposa quelque chose à manger. Le lembas lui ferait du bien. Mais Merwa se garda de lui dire que cette nourriture était préparée par des elfes. Autant elle s'était ouverte à une nouvelle vision de la vie, elle savait que les gens du Harad auraient du mal à comprendre ce qu'elle savait. Beytina, la fille de la nourrice, semblait aussi très effrayée par les gondoriens. Comment lui expliquer que ce n'était pas des violeurs ou des brigands comme on leur avait enseigné?
Elle reporta son attention sur la conversation entre Amdir et Boromir:
- ... Nous devrions peut-être explorer une ville occupée.
Amdir attendait la réponse de Boromir quant à sa suggestion. Mais Merwa interrompit leur conversation:
- Je me dois de ramener Beytina dans le village de son père. Qui sait, ils sont peut-être vivants. On ne peut pas l'emmener dans une ville occupée, ça serait trop dangereux.
Boromir hocha la tête en ajoutant:
- Ni vous d'ailleurs, princesse.
Elle lui jeta un sombre regard. Puis, les deux hommes continuèrent d'échanger des informations. Merwa se sentait à l'écart, elle était pourtant une fille du Harad qui en savait bien plus qu'eux sur son pays. Elle se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire: ils semblaient savoir bien plus qu'elle maintenant qu'ils infiltraient le pays. En quelques jours, ils auraient pu, sans sa présence, s'en sortir... Sauf peut-être à cause de la langue. Alors elle n'était qu'une traductrice?
Revoir cette amie d'enfance lui rappelait les valeurs qu'on lui avait inculquées et surtout lui rappelait d'où elle venait. Mais pourtant elle ne pouvait pas s'empêcher de guetter les gestes de Boromir alors qu'il parlait. Il lui semblait qu'elle connaissait par coeur son maniérisme, ses expressions... Son regard... D'un autre côté, elle le connaissait tellement mal. Cette peine qui des fois rendait son visage plus âgé, plus tiré. Elle n'en connaissait pas la raison. Ni pourquoi il ne mentionnait jamais son passé, sauf par des allusions évasives.
Il restait un mystère.
Mais il était aussi un homme qu'elle avait l'impression d'avoir connu depuis la nuit des temps.
Beytina la fit sortir de sa rêverie en lui posant encore des questions quant à sa disparition. La princesse tenta d'expliquer ses raisons pour avoir attaquer le Gondor aussi stupidement. Il lui semblait qu'elle parlait de quelqu'un qu'elle avait connu vaguement, quelqu'un qui n'existait plus. Elle était à cet âge qui était un tournant décisif. Cette nouvelle culture, ces nouvelles connaissances et cette solitude lui avaient beaucoup appris. Elle n'était plus cette petite princesse fière, orgueilleuse et insensée... Elle ne savait plus qui elle était.
Elle n'avait pas envie d'en parler, elle avait juste envie de fermer les yeux et sentir son coeur battre si vite. Se sentir comme sur un nuage avec le vent qui faisait voler ses cheveux. Et ne penser qu'à lui, lui...
Mais Beytina la pressait de questions, et Merwa se devait de répondre. Avec des mots maladroits, elle lui expliqua son emprisonnement, laissant sous silence sa tentative de suicide. Finalement elle lui parla de chacun de ces hommes. Lui avertissant qu'il valait mieux éviter de parler ou de croiser Magor et Turhavan. Mais elle lui exprima sa confiance pour Amdir, Boromir et Rodthelion. Mais la petite bergère préférait ne jamais avoir à parler à ces rustres, elle voulait rester dans l'ombre de sa princesse. Elle ne pouvait pas lire entre les mots alors que Merwa qualifiait Boromir d' honorable, noble et bon... certes colérique .
Merwa était de plus en plus énervée de ne pas être invitée à échanger les informations qu'ils avaient. Alors elle décida elle-même d'interroger Beytina au sujet du massacre.
La haradrim pleurait tout en racontant tout cela:
-... J'étais venue m'établir quelques temps à Gulab pour être avec ma mère. J'attendais un enfant de mon époux. Et mon époux était mort, comme vous le savez, pendant la Grande Guerre. Ils sont venu pendant la nuit avec des torches et ils hurlaient... hurlaient. Mon bébé avait que quelques semaines. Je ne pensais qu'à lui, je ne voulais que le protéger.
Elle éclata en sanglots et Merwa la serra dans ses bras. Elle avait elle-même la gorge nouée.
-Personne n'a eu le temps de fuir, ils ont brûlé tout ce qui était inflammable. J'ai couru avec mon bébé, avec quelques personnes qui se trouvaient près de la brèche. La plupart des gens sont morts, mon bébé aussi. Je suis venue ici, tentant de rentrer chez moi, mais Princesse vous savez que je ne sais pas lire ni m'orienter. J'ai toujours voyagé accompagnée...
Elle pleurait encore dans les bras de Merwa. La princesse ne savait pas quoi penser. Elle devait retourner à Gulab voir ce qu'il en restait, mais elle ne s'en sentait pas capable... Comment pourrait-elle voir son foyer réduit en cendres? Mais elle se promit qu'elle y retournerait, elle n'était pas une femmelette. Elle devait voir sa ville elle-même.
L'attention de Boromir fut attirée par les sanglots de leur nouvelle protégée. Et il remarqua le visage grave de Merwa. Il comprit sans peine que Merwa, de sa propre initiative, avait déjà interrogée l'étrangère et les nouvelles semblaient terribles. Assurément, le rapport sur un massacre ne pouvait pas être très réjouissant.
Magor et Thuravan revinrent aussi peu après avec leurs informations. Ils n'apportaient rien de nouveau. Encore une fois l'idée d'aller dans une ville occupée devenait imminente. Merwa se mordait les lèvres pour ne pas hurler qu'elle aussi avait un avis. Beytina s'était réfugiée sur le lit de camp de Merwa et gardait ses yeux fixés sur l'obscurité grandissante.
Merwa se sentait déchirée. La présence de la fille de sa nourrice lui rendait impossible d'agir comme elle l'avait fait tout le long du voyage. Elle devait à présent se tenir comme une vraie princesse. Mais au fond d'elle sa flamme rebelle refusait de se laisser faire. Alors, jetant un dernier regard sur sa protégée, elle se leva et interrompit les hommes:
- Je pense que vu le nombre que nous sommes, cela serait difficile de passer inaperçu dans une ville occupée...
Amdir hocha lentement la tête. Rodthelion renchérit:
- Surtout si vous insistez sur le fait que nous devons ramener cette femme dans son village d'origine.
Magor était ravi: c'était un excellent moyen de se débarrasser de Merwa et d'un même geste de cet ennuyant rôdeur du nord qui croyait tout savoir. Il s'éclaira la gorge et se tourna vers Boromir:
- Je pense que l'idée la plus pertinente serait d'envoyer Amdir avec Merwa et sa protégée. Car il semble très bien connaître les chemins...
Il remarqua que son capitaine avait les yeux rivés sur la princesse des Haradrim. On ne pouvait pas lire ce qui se cachait dans ce regard. Mais Merwa ne pouvait pas s'empêcher, elle aussi, de lever ses yeux. Une pensée, rapidement écrasée, s'imposa à son esprit: Il allait lui manquer...
Puis, inspirant profondément, elle reprit la parole:
- Oui ce serait une bonne idée...
Rodthelion, plus fidèle à Amdir qu'à Boromir, hocha la tête:
- Et je vais vous accompagner.
Boromir semblait troublé, mais il déplia sa carte lentement pour établir un itinéraire. Amdir pointa une ville non loin de Bhar Magh:
- Bukh est occupée et c'est la ville la plus proche de notre position.
Merwa leur montra où se trouvait le village de Beytina, entre Gulab et une ville appelée Dhur Shehr. Boromir, pour une raison étrange, refusa qu'ils se retrouvent à Gulab. C'est vrai que Dhur Shehr se trouvait plus proche de la ville occupée qu'ils allaient infiltrer. Mais sa véhémence étonna ses hommes.
Ainsi, il fut convenu que le lendemain Boromir, Magor et Thurhavan allaient prendre la direction du Sud pour atteindre Bukh. Tandis qu'Amdir, Rodthelion, Merwa et Beytina se dirigeraient vers l'Est.
Merwa avait la gorge étrangement serrée alors qu'elle se préparait à dormir. Boromir était encore penché sur la carte et notait des idées sur son carnet. Elle regardait son profil à la lueur de la chandelle. Pourquoi avait-il refusé qu'ils se retrouvent à Gulab? Avait-il peur qu'elle s'enfuit?
Elle ignorait la vraie raison ou bien elle n'osait pas imaginer qu'il puisse penser à elle à un tel point.
Elle se laissa aller à le contempler depuis l'obscurité environnante. S'ils allaient se séparer pour quelques temps, autant mieux qu'elle profite de ce moment... Elle le trouvait juste beau, ça ne pouvait pas être plus...
Boromir repensait à son refus de rencontrer les autres à Gulab alors qu'il griffonnait sur son carnet. Il avait commencé à comprendre vraiment Merwa, sa peine pour son pays, son impression de ne plus avoir de racines... Il avait peur qu'en voyant une Gulab en ruines elle s'effondre pour ne jamais se relever. Il devait accepter qu'il ressentait en lui un désir imminent de la protéger de ce terrible monde. Mais il restait Boromir du Gondor, un homme de guerre. Il avait son devoir qui passait avant cette ennemie.
Oui la jolie petite Merwa était une ennemie...
Une compagne d'arme que pour quelques temps et après il devrait l'oublier...
Pourrait-il oublier ce regard où se reflétait la lumière de Valinor?
Cette voix qui lui rappelait Valinor...
Et ce si rare sourire...
Il se tourna légèrement pour regarder vers le coin où dormait Merwa. Dans l'obscurité, il pouvait voir des yeux qui le fixaient avec insistance. Il plongea dans son regard. Il lui semblait que toute sa vie, et même avant, il avait connu ce regard et cette âme qui s'y reflétait. Avec un serrement de son cur, il se retourna vers sa carte, brisant ce moment unique et fragile.
Le devoir devait passer avant tout.
