Elle ne s'était pas éloignée du camp, non... Elle n'avait pas profité de l'occasion pour s'en aller. En quelques grandes enjambées, Boromir la rejoignit et s'arrêta à ses côtés.
Elle ne fit pas un mouvement et ne dit rien. Elle garda les yeux levés vers les étoiles: un spectacle impressionnant dans le désert. Ce fut lui qui interrompit le silence:
- Depuis le début, j'ai vu que vous évitiez cet homme. Est-ce pour les raisons qu'il a si rapidement données?
Merwa ne se tourna pas vers lui, mais répondit après un temps:
- Si ses paroles étaient véridiques, je n'aurais pas déploré qu'il soit vivant à la place de ma famille.
Boromir voulut lui dire ce qu'il pensait, mais pour un homme tel que lui, il était très difficile de dévoiler ses sentiments. Il essaya tout de même:
- J'aurais cru que...
Cette fois, elle se tourna vers lui, ses yeux lançaient des éclairs, mais derrière cette rage se cachaient des larmes:
- Vous le croyez? Sa parole vaut plus que la mienne?
Il secoua lentement la tête:
- Non Merwa mais... Je ne sais plus.
Elle baissa les yeux. Puis, d'une petite voix elle raconta:
- Mon frère l'avait sous ses ordres, mais il n'approuvait pas sa manière d'agir. C'est un homme impérieux et de nature violente. Mais aussi un astucieux guerrier... Il venait souvent chez nous, j'étais jeune...
Elle s'interrompit pour relever ses yeux et voir son expression. Boromir restait de marbre, alors elle continua d'une voix qui se voulait ferme:
- J'étais très jeune, je croyais l'aimer... Après tout, il était d'apparence très noble et avait des bonnes manières avec les femmes. Je ne pense pas qu'il ait eu d'intérêt pour moi, sauf que j'étais la fille du roi.
Elle s'arrêta. Comment expliquer à Boromir que Karan n'était rien, rien du tout comparé au gondorien? Elle faillit se remettre à courir. Elle devenait vraiment folle... Elle n'aurait jamais dû quitter son foyer, le Gondor l'avait poussée vers des étranges chemins.
Mais, fermement, Boromir demanda:
- Alors vous vous êtes fiancés?
Elle secoua la tête:
- Non... Avant que je ne tombe dans le piège si brillamment construit par Karan, mon frère s'est fermement opposé à cette union. Et il l'a licencié de l'armée, un geste que beaucoup de gens attendaient depuis longtemps. Je ne l'ai plus jamais revu...
Boromir s'avança d'un pas et de ses mains rugueuses de guerrier sécha une larme qui s'était échappée de ses yeux sombres:
- Alors pourquoi ces larmes?
Elle ne répondit pas, car il y avait trop de réponses...
Boromir lui prit la main et haussa les épaules:
- Si vous ne pouvez pas répondre, cela ne fait rien...
Alors elle répondit d'une voix tremblante:
- J'ai trahi mon pays, j'ai tout perdu Boromir... Tout perdu, alors j'avais peur de perdre encore quelque chose...
Une étrange confiance s'était créée entre les deux. Elle osait tout lui raconter.
Il la regarda d'un air interrogateur.
- J'avais peur de perdre votre regard... Votre sourire...
Elle s'interrompit par pudeur. Elle n'arrivait pas à dévoiler cette violente passion qui l'empêchait de réfléchir ou de vivre.
Il gardait sa main dans la sienne et la serra plus fort:
- Merwa...
L'intonation de sa voix suffisait... Elle savait.
- Vous n'avez pas trahi votre pays ni qui que ce soit... Car si vous êtes une traîtresse, je l'ai été des centaines de fois... Non, moi qui ai vraiment trahi le Gondor dans mon passé, je peux vous l'affirmer... Vous n'êtes pas une traîtresse Merwa.
Elle ne répondit pas. Elle gardait les yeux baissés sur leurs mains liées. Et il continua à parler:
- Vous n'avez pas tout perdu...
- Ma cité est en ruine et mon pays dans un chaos inimaginable et j'ai tourné le dos à mon peuple.
Du bout de ses doigts écorchés, il caressa la chevelure de la jeune femme:
- Que pouviez-vous faire de plus?
Elle ne répondit pas... Toute son âme se détendait sous quelques paroles empreintes de consolation. Malgré sa nature fière et obtus, elle avait longuement désiré ce réconfort, cette tendresse.
Mais elle s'arracha à ceux-ci et fit un pas en arrière:
- Nous ferions mieux de retourner au camp... Il nous reste encore quelques heures avant l'aube.
Il hocha la tête et la suivit.
Aux premières lueurs de l'aube, les voyageurs rangèrent leur camp et s'apprêtèrent à continuer leur errance. Les yeux encore embrumés de sommeil, aux côtés de sa monture, Merwa admirait ce petit matin brumeux. Cette brume naissait de l'union entre la terre froide d'une nuit sans chaleur et du terrible soleil du désert. Et c'était comme errer dans un pays magique et mystérieux.
La brume créait des illusions, pas comme les mirages dus à la chaleur, mais plutôt des esquisses que dessinait ce brouillard.
C'était une belle matinée... Qui présageait pourtant une torride chaleur. Les gondoriens s'étaient habitués à ce rythme. Pourtant, chacun d'entre eux rêvait de leur retour. Turhavan eut une moue dégoûtée en regardant Merwa qui admirait le désert. Qui pouvait admirer cet enfer?
- Dépêchez vous, nous allons bientôt partir.
Les yeux de Merwa lancèrent des éclairs. Elle ne supportait pas le ton du jeune gondorien. Il lui parlait comme à une... prisonnière.
Elle se mordit les lèvres pour ne pas éclater de rire. Elle en voulait au pauvre garçon parce qu'il la traitait comme elle l'était. Mais elle haussa les épaules, d'ailleurs pour qui se prenait-il? Elle était une descendante de rois!
Lui lançant un regard noir, elle entreprit de se jucher sur sa monture pendant qu'Amdir haussait le ton en parlant à Boromir. A son goût, il n'y avait aucun intérêt d'avoir un guide: ils pouvaient se débrouiller seuls. Car pour le dúnadan cet haradrim devait être celui de la pire espèce.
- Je sais Amdir. Mais nous n'avons pas le choix... Une parole est une parole!
Magor qui ne pouvait pas oublier la perte de ses deux doigts, grommela dans sa barbe:
- Depuis quand Boromir fils de Denethor tient tellement à sa parole?
Sa voix était lourde d'ironie et elle enflamma le sang de Boromir:
- Magor, Je n'ai pas demandé ton avis!
Son ton était dur et son regard redoutable. Il fit reculer Magor de la colère qui embrasait ses yeux gris. Mais Amdir s'interposa:
- Nous ferions mieux de nous mettre en route. Plus vite cette excursion sera terminée, plus vite nous rentrerons dans le Gondor.
Les hommes hochèrent la tête et firent une trêve. Bientôt, Boromir prit la tête de l'escadron et ils commencèrent leur journée.
Il faisait encore très frais, mais on pressentait la chaleur que réveillait le soleil.
Amdir était un peu amusé par la tension qui montait au sein du groupe. Qui aurait cru que la tension serait créée par leur capitaine lui-même? On aurait cru que cela fut dû à Merwa. Mais celle-ci semblait troublée par des problèmes qui la séparaient des gondoriens. Elle se tenait même très bien. Quoique le rôdeur suspectait que Boromir avait à voir dans cette affaire.
Leur itinéraire les poussa vers le Sud, ils allaient traverser le désert sans aucune verdure. Leur guide les avait prévenus qu'il n'y aurait que de très maigres points d'eau jusqu'à ce qu'ils rejoignent la route royale ; le chemin que suivaient les caravanes du Roi et de sa famille.
Personne n'était d'humeur à discuter ou rire. Ils étaient tous las de ce voyage. Ils désiraient rentrer chez eux, ce qui se passait ici ne les regardait pas. Certes cela pourrait les affecter plus tard, mais cette mission, à leur avis, ne servait à rien.
Merwa ne voulait pas quitter son pays, mais elle ne pouvait plus rester non plus. Son coeur était brisé, déchiré, entièrement déchiré... Elle n'avait plus sa place ici. Comment agir? Il n'y avait plus personne pour la conseiller...
Autant mieux qu'elle quitte son pays.
Le guide gardait le regard fixé vers l'horizon, pour seulement quelques fois les enjoindre de se dépêcher. Il n'avait rien dit de plus: il savait que sa présence n'était pas acceptée. Mais il avait un plan dans la tête et il allait le suivre jusqu'au bout.
Non, Karan ne voulait pas quitter le Harad. Il allait y revenir. Il devait juste entrer dans le royaume du Gondor pour tirer des informations que Merwa ne lui donnerait jamais.
Son devoir allait au-delà du Harad, mais pas au-delà de ses propres désirs...
Amdir ne le quitta pas des yeux. Il pressentait peut-être son caractère profiteur et belliqueux. Ou peut-être lisait-il dans ses pensées. Le dúnadan voulait aussi poser quelques questions à Merwa, elle pourrait l'aider à élucider ce mystère. En ce qui concernait Amdir: cet haradrim ne devait pas entrer dans le Gondor.
Magor ne pouvait pas s'empêcher de regarder sa main qui n'avait plus tous ses doigts. Et la colère remontait en lui. Il en avait assez de la soi disante noblesse de Boromir... Il voulait en finir avec cette vermine de haradrim. La princesse n'était pas mieux: elle manipulait tout le monde. Il en avait tout bonnement assez de ce pays....
Il semblait que l'horizon était trouble, une sorte de vapeur rendait le paysage mouvant. Des perles de sueurs glissaient sur les visages et les chevaux faiblissaient l'allure. Le paysage était si nu et ondulé... La monotonie les berçait et les plongeait comme dans un mauvais rêve. Un rêve dont ils ne pouvaient pas s'enfuir, ils étaient obligé de supporter cette chaleur, ce paysage et ce silence.
Turhavan avait envie de vomir, une constante nausée l'accompagnait. Il n'avait jamais connu une telle chaleur ni un si grand silence. Il avait le désir irraisonné de fermer les yeux et quitter la réalité.
Mais il ne pouvait pas. Il était soldat du Gondor et ici était sa place. Jamais il n'avait pensé que cette mission serait à ce point difficile. Ce n'était pas le manque de talents guerriers qui le rendait insupportable. C'était différent... Ici on ne se battait pas, on côtoyait les mêmes gens dans des conditions étranges et c'était surtout la patience qui était mise en épreuve. Depuis sa tendre enfance, il avait été choyé... Étant le seul garçon de la famille, on le destinait à l'armée et ainsi à une voie quasiment royale. Il avait toujours eu ce qu'il désirait: le partage et l'esprit de communauté. Il les avait durement acquis lors de sa préparation. Son père Mablung était tombé pendant la guerre de l'anneau. Et sa famille avait été durement affectée par cette perte.
Le jeune homme était hanté par la mort de son père. Déjà parce qu'à présent il était le seul espoir de sa mère et puis.... Il se demandait si, comme son père, il sacrifierait sa vie pour le Gondor. Certes, comme tous les jeunes gondoriens, c'était son but suprême, mais il ne savait pas s'il y croyait vraiment. Voulait-il sacrifier sa jeune vie pour son peuple? Mourir avant d'avoir vécu???
Il secoua la tête, il était bien loin de la mort. Pourquoi avait-il de telles pensées? C'était sûrement la chaleur et le paysage morne qui inspiraient de tels raisonnements.
Le gondorien but une petite gorgée de sa gourde. L'eau avait un goût tiède...
Le jeune homme espérait qu'ils allaient bientôt faire une halte.
Rodthelion espérait aussi cela. Il était aussi épuisé par cette chaleur. Il désirait se coucher quelques instants et dormir... Mais en temps de mission, on ne pouvait pas penser à ses aises. Le jeune homme glissa un regard sur ses supérieurs: malgré la situation, Boromir et Amdir restaient droits et ne semblaient pas sentir le plomb du soleil.
Alors, inspirant profondément, le gondorien se redressa. Il se retourna légèrement pour voir si Turhavan tenait le coup. Mais le jeune homme ne semblait pas en forme. Son visage était pâle et il restait vautré sur sa monture. Rodthelion tenta d'attirer son attention, mais aucun son ne sortait de sa bouche.
Avec peine, il sortit sa gourde et avala un peu d'eau, puis il appela faiblement:
- Petit, ça va?
Turhavan ne répondit pas. C'était une preuve de son malaise: ils savaient tous qu'il ne supportait pas de mention sur son âge.
Rodthelion attira l'attention d'Amdir et l'escadron fit halte. Boromir s'empressa de faire descendre Turhavan de sa monture. Mais leur guide s'impatientait:
- Si vous rester dans Soleil ici; Vous devenir fou et mort!
Merwa lui rétorqua quelque chose en haradrim et le guide se tut.
Amdir examina le jeune gondorien:
- Il a besoin d'ombre et d'eau.
Merwa hocha la tête:
- On peut monter une tente... C'est sûr qu'on risque de se faire repérer mais...
Le dúnadan hocha la tête:
- Vous avez raison, la vie de Turhavan est plus importante... Et je pense que nous sommes tous épuisés...
Ils montèrent une basse tente pour qu'ils puissent tous se mettre à l'abri dessous. Ils s'allongèrent, car il était impossible de s'asseoir. Merwa s'était glissée dans un coin et il y avait à ses côtés le jeune malade.
Amdir vida sa gourde pour humecter le visage du gondorien, puis il soupira:
- Y a t-il un point d'eau pas trop loin d'ici?
Le haradrim ne répondit pas.
- Nous avons besoin d'eau... Nous ne pouvons pas continuer ainsi!
L'espace était réduit et la chaleur était intense. Le haradrim ne répondit pas.
Magor ne tint pas, il tenta de se redresser pour se jeter sur le haradrim. Mais Boromir le retint par terre et s'écria:
- On vous a posé une question!
Le haradrim répondit très doucement:
- Point d'eau très loin. Vous pas pouvoir aller là-bas!
Magor ne se tint plus, il hurla:
- Le Gamin va très mal! Bon Sang! Sale brigand, nous devons trouver de l'eau!
- Magor!
Boromir le réprimanda. Amdir essaya de rester calme, mais l'air était trop étouffant. Alors Merwa proposa quelque chose:
- Il doit y avoir une pointe d'eau pas trop loin si nous rejoignons la route royale.
Amdir hocha la tête:
- Reste à savoir quelle distance nous sépare de la grande route et comment nous allons la trouver... Elle est reconnaissable?
- Cela dépend si le temps a été clément... Normalement il y a une sorte de route pavée en argile rouge.... Mais s'il y a eu trop de tempêtes de sable...
Le dúnadan acquiesça. Puis, Boromir proposa:
- Peut-être qu'il vaudrait mieux que nous continuions... Et que quelqu'un prenne Turhavan sur sa monture. Rodthelion, tu tiens le coup?
Le gondorien hocha la tête:
- Ça ira... Mais je ne pourrais pas m'occuper de Turhavan, je le crains...
Amdir se proposa après quelques instants. Puis, ils décidèrent de rester encore sous la tente quelques minutes.
Durant ce temps là, Turhavan délirait presque. Il n'entendait pas vraiment leurs voix... Et il ne voyait que des silhouettes brouillées. Il sombrait dans une douce léthargie. Il ne sentait plus la chaleur à ce stade, il se laissait juste glisser vers l'oubli. L'oubli qui était délicieusement tiède et à la fois brûlant.
Amdir tenta de lui redonner conscience. Mais après encore quelques discussions, ils sortirent de la tente pour reprendre la route. C'était le soleil de l'après midi qui pesait sur eux. Toutefois, ils décidèrent de le braver. Le guide restait toujours autant silencieux et désagréable.
Amdir jucha Turhavan à l'avant de sa monture et chacun grimpa sur la sienne et on reprit la route. Le guide semblait les emmener vers la route royale.
Merwa était non loin derrière lui, suivie de Boromir et des quatre autres hommes. Rodthelion tenait d'une main la bride du cheval de Turhavan.
L'après-midi touchait à sa fin quand il rejoignirent un chemin qui ressemblait de loin à une route. Elle semblait souvent foulée. Les gondoriens soupirèrent de soulagement, bientôt ils trouveraient une source d'eau...
Mais ce ne fut que lorsque le soleil commença à disparaître qu'ils trouvèrent un énorme caravansérail. Ses murs étaient blancs et hauts, et il y avait une sorte de grande étable. C'était là que les marchands laissaient leurs dromadaires et leurs nobles chevaux.
Amdir laissa le soin aux autres hommes de s'occuper de sa monture et celle de Turhavan et entraîna le jeune gondorien à l'intérieur. Il y faisait délicieusement frais. Le dúnadan se désaltéra et fit de même avec Turhavan.
Turhavan ouvrit les yeux mais ne dit rien. Il était encore dans une sorte de placebo et, après quelques vérifications, Amdir sut qu'il était aussi fiévreux.
Le dúnadan soupira: c'était vraiment une situation délicate. Un grand malade dans une région hostile et avec peu de vivres. Ils n'auraient pas dû prendre ce jeune... Il n'avait pas assez d'endurance.
Boromir se pencha à ses côtés pour observer le malade:
- Qu'a t'il? Il va mieux?
Amdir secoua la tête:
- Je ne sais pas ce qu'il a au juste... Une insolation peut-être ou pire. J'aurais dû prendre des herbes guérisseuse, de l'athelas....
Rodthelion entra à ces mots:
- De l'athelas? Mais Amdir j'en ai avec moi... J'en mâche toujours après les repas.
Il sortit une pièce de cuir dans laquelle était enroulée la précieuse herbe.
Alors qu'Amdir s'appliquait à soigner le malade, les autres profitaient de l'abri et de l'eau. Merwa était partie dans un autre coin du caravansérail pour se laver, Rodthelion avait les yeux fermés, Magor buvait avec avidité et le guide était assis en tailleur.
Après quelques minutes, Merwa revint... Elle était rafraîchie et avait rattaché ses cheveux sombres. Elle alla aussi s'enquérir sur la santé de Turhavan. A ce stade, Amdir lui avait fait boire du thé au gingembre et à l'athelas. Et, peu à peu, le jeune gondorien reprit des couleurs. Plus ils descendaient vers le sud, plus la chaleur devenait insoutenable... C'était évident. Comment allaient-ils continuer leur route? Aucun d'eux, à part les haradrims, n'était habitué à ce climat.
Amdir enjoignit tous ses compagnons à boire de l'eau au gingembre et à l'athelas après chaque repas. Puis, il entraîna Boromir à l'écart et se concertèrent tandis que les autres préparaient quelque chose à manger.
Magor était silencieux, mais Rodthelion parlait à mi voix avec Merwa. Il appréciait étrangement sa compagnie. Il s'interrompit et remarqua la main mutilée de Magor:
- Mais que t'es tu fais? Tu as perdu tes doigts? Je n'avais pas remarqué...
Magor leva ses yeux et cracha:
- C'est la faute à cette crapule d'haradrim! Et à notre capitaine qui a perdu beaucoup de choses avec sa mort!
Interloquée, Merwa leva les yeux: Boromir mort?
- Je ne comprends pas...
Mais Magor s'était détourné d'eux pour rafraîchir ses bandages. Rodthelion haussa les épaules:
- Notre capitaine Boromir nous revient de la mort. Il s'est passé quelque chose de très étrange...
Et il entreprit de raconter la fantastique histoire de Boromir. Et dans l'esprit de Merwa la clarté se fit. Tellement de choses qui paraissaient bizarres, étaient logiques...
Et cet étrange rêve... Ce n'était qu'un souvenir de la mort de Boromir. Quand il revint avec Amdir, elle ne put détacher ses yeux de sa silhouette. Qui était-il? Un être magique?
Sentant un regard sur lui, Boromir se tourna vers elle et s'interrompit dans sa phrase. Mais elle baissa vite les yeux. Elle n'osait plus le regarder... Un envoyé des valar!
Ils mangèrent que quelques dattes autour d'un feu de camp. Même Turhavan mangea un peu. Ils finirent avec un thé d'Amdir. Rodthelion frissonna et s'entoura de sa cape:
- C'est horrible cette région! On passe de la chaleur intense au froid cruel!
Puis il remarqua le regard blessé de Merwa et il s'excusa:
- Non Mer... Zayana... Je ne voulais pas dire ça.
Elle se força à sourire et Rodthelion se tut.
Après quelques temps de réflexions, ils se préparèrent à dormir. On organisa les heures de garde. Turhavan, bien sûr, eut droit à un sommeil complet, mais les autres se dévouèrent à surveiller le camp un par un.
Boromir fut le premier à prendre la garde. Alors que les autres sombraient dans le silence. Le capitaine observait le feu brûler et crépiter. Aujourd'hui, un de ces hommes avait frôlé la mort. Enfin peut-être pas, mais il avait failli ne pas s'en sortir. Et Boromir se sentait terriblement coupable. Bien sûr, il n'était pas leur mère... Ce n'était pas à lui de veiller à se qu'ils boivent assez d'eau et évite un contact direct avec le soleil. Pourtant, il était leur chef, et les jeunes comme Turhavan avaient besoin d'être tout de même surveillés. C'était sa première mission...
Boromir soupira et prit sa tête entre ses mains... C'était parfois difficile d'être un chef. Tant dépendait sur lui...
Il porta ses yeux sur la lointaine silhouette de Merwa qui dormait non loin du feu. Il ne pouvait pas distinguer ses traits, mais elle paraissait paisible et sereine. Il était empli d'une soudaine tendresse en la voyant si confiante. Elle leur faisait confiance... Elle lui faisait confiance.
N'y avait-il pas de plus beau cadeau? Mais il y avait tant des choses qu'il ne savait pas d'elle... Pourquoi avait-elle détourné les yeux plus tôt dans la soirée? Alors que depuis le soir des révélations, elle avait cessé de cacher ses sentiments.
Il était un capitaine...
Il devait se concentrer sur sa mission.... Sur ses hommes. Pas sur une femme.
Même si celle-ci représentait la vie pour lui à présent.
Respirant calmement, il se força à penser à la marche à suivre... Même si les ombres étaient hantées des yeux sombres de Merwa.
Il somnolait presque quand Amdir l'envoya dormir et prendre la garde. C'était dans ces situations qu'on reconnaissait un vrai chef. Et le vrai chef était Amdir. Le dúnadan restait calme et critique malgré la chaleur et la confusion. Il avait une attitude détachée envers ses compagnons. Et avec curiosité, il remarquait que plus le voyage durait, plus les gondoriens appréciaient la compagnie de Merwa. Magor et Turhavan étaient plus difficile à plier. Mais Rodthelion et Boromir se comportaient avec gentillesse et respect envers la princesse. Le dúnadan lui-même apprenait à connaître cette étrange jeune femme à la fois si différente, mais aussi si proche d'eux. Peut-être qu'ici aussi c'était une marque que les valar ne les laissaient pas seuls. Pour que la paix reste, il fallait apprendre à se connaître et se comprendre.
Le dúnadan haussa les épaules et alluma sa pipe: il se laissa emporter par son désir de paix. Toute sa vie était dédiée à ce rêve. Il était certes jeune pour un dúnadan, mais il n'avait toujours pas pensé à fonder un foyer. Il n'avait que très peu de yeux pour l'amour sentimental. Il préférait la camaraderie entre rôdeurs ou comme ici... Même si quelques fois il enviait la chaleur des foyers de ses compagnons. La plupart de ses cousins ou amis dúnedain avaient des familles et des maisons pleines de gaieté et de rires. Lui, pour ses jours de permissions, il allait se reposer chez sa soeur ou seul dans une auberge d'un village perdu.
Il n'avait pas de maison propre. L'idée de rentrer chez soi n'existait pas en lui. Il était un des derniers purs dúnadan. Il le savait, comme Aragorn descendait d'Elendil. Comme son roi et capitaine, il avait grandi dans l'idée que c'était à eux de donner leur vie pour la terre du milieu. Et c'était ainsi qu'il continuait de vivre... Sachant que la paix réalisée à la mort de Sauron n'était pas éternelle...
Et il y avait bien trop peu de dúnedain... Qui veillerait sur la terre du milieu à leur disparition?
Amdir mâchonnait ces sombres pensées en observant le feu crépiter.
