Chapitre Deux
UN RETOUR FORT PREMATURE
« Voyez-vous, je n'ai plus rien aujourd'hui… »
Ces paroles revinrent rapidement en la mémoire d'Elilwë, alors qu'elle observait les différents clients à l'auberge du Poney Fringant. Les verres des fenêtres étant trop opaques, elle ne pouvait ce qui se passait à l'extérieur, alors autant se distraire par son sens aigu de l'observation à l'intérieur. Les ivrognes, les vieillards et les malfrats, entrant dans la catégorie 'non admise pour être des personnes dignes de confiance', étaient tous réunis là, dépensant leur paye du jour en boissons alcoolisées douteuses.
« Mon Seigneur, notre propre race nous craint et nous rejette en raison du pouvoir de l'Etoile-Cygne. »
Ces paroles, ce fut sa mère qui les prononça, sa voix claire et triste parlait à cette époque, dans les jardins de Minas Tirith. Sa mère était une Grande Dame Noble, comme elle le disait si souvent avec son ton pur et innocent d'enfant. Jamais sa mère ne s'était occupée d'elle, laissant la tâche aux différentes gouvernantes, et aux entraîneurs de Rôdeurs, qui lui apprenaient tout ce qu'ils savaient. La vie dans ce palais de la Ville Blanche, au Gondor, était fort ennuyeuse, pour une petite elfe, mais l'éducation par les armes l'avait endurcie. Elilwë était âgée, âgée en son cœur et en son esprit malgré son apparente jeunesse elfique. La date de sa naissance était connue de peu de Mortels, encore moins des « Belles Gens », c'est à dire de sa propre race. En 240 du Troisième Age, elle avait sept ans, et ce qui revenait en sa mémoire était l'un de ses rares souvenirs d'enfance.
« Quel est son nom ? »
« Elilwë Alquaeleni. Car, voyez-vous, je n'ai plus rien aujourd'hui, il ne me reste qu'elle. Ma fonction d'Etoile-Cygne lui sera transmise le moment venu. J'ai été mariée de force, Roi Cemendur, et je suis démunie au point de ne plus pouvoir m'occuper de ma fille. »
« Voilà quelque chose de fort fâcheux, en effet, cette enfant est le fruit d'un amour non-réciproque, c'est une bien triste chose. Pourquoi les Elfes ne veulent-ils pas vous accueillir dans leurs demeures ? Votre fille y sera bien mieux, et son éducation sera exclusivement elfique, non Humaine, leurs qualités sont bien différentes. Ici, elle apprendra à user des armes, à lire les caractères Numénoriens, elfiques, Gondoriens, mais elle sera bien différente une fois que nos Rôdeurs lui auront tout appris. »
« Mon Seigneur, notre propre race nous craint et nous rejette en raison du pouvoir de l'Etoile-Cygne. Je suis porteuse d'un Anneau, au même titre que Gil-Galad ou encore la Dame Blanche, Galadriel. Cet Anneau est dangereux, je vous l'accorde, mais seulement pour celle – je dis bien celle, il ne peut en aucun cas être porté par un genre masculin – qui en a la possession. Si vous le permettez, et sans vouloir vous manquer de respect, puis-je vous poser une question ? »
Le Roi eut un petit sourire qui se dessina sur son visage droit et fier. Ses yeux bleus étincelèrent, et ses cheveux d'un noir de jais eurent quelques mèches rebelles qui volèrent au vent. Les yeux noirs de la Dame Elfe le regardaient intensément. Il acquiesça, et elle reprit la parole.
« Vous nous acceptez, malgré ce terrible pouvoir que l'Anneau porte. Partout où nous sommes allées, Elilwë et moi, nous avons été bannies, avec une interdiction de revenir sur les différents territoires de nos voyages passés. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez à tout prix nous autoriser à aller et venir à notre guise dans les territoires Gondoriens. »
Cemendur arrêta sa marche dans les jardins du palais, et la regarda dans le blanc des yeux.
« Si c'est le prix à payer pour obtenir votre amitié, Dame Alquaeleni, le Gondor vous protégera et vous accepte dés maintenant à Minas Tirith. J'en fais le serment, mes descendants auront pour but de sauvegarder la vie de votre fille, ainsi que la votre. Pardonnez-moi, je n'ai aucune explication à fournir, si ce n'est le fait que j'éprouve de la pitié pour vous. »
« Ma petite Elilwë est la seule trace sur cette Terre de la grâce de Varda. Mais je ne m'occuperai pas d'elle. Je la laisse aux Rôdeurs, ils sauront quoi faire… »
« Aux Rôdeurs ? Etes-vous sûre… ? »
« Hélas, c'est la seule solution…Je ne veux pas qu'elle suive mon chemin…Je veux que les hommes la craignent et la respectent pour ce qu'elle est. Jamais elle ne sera mariée de force ; et elle doit se battre pour trouver l'élu de son cœur…et aussi combattre les démons de ces années d'enseignement. »
Cemendur ne comprenait pas très bien la signification de ses paroles, mais tels étaient les souhaits de la Dame Melanna, et il ferait en sorte que ses descendants respectent les volontés de son hôte, aussi longtemps que la dynastie d'Elendil subsisterait. Quant à Melanna, elle porta son regard sur une petite fille aux cheveux et aux yeux noirs comme ceux de la nuit d'Elbereth, qui tenait sa main innocemment, tentant de saisir quelques mots de la conversation qui se déroulait entre Cemendur et Melanna.
« La voici, Votre Majesté… » murmura Melanna. « Ma fille… »
« Elle est d'une grande beauté, Dame Alquaeleni…Mais, prenez garde, l'éducation de Rôdeur est longue et difficile… »
« Croyez-moi, ce ne sera pas un problème… »
Un sourire se dessina sur les lèvres de l'Etoile-Cygne, en voyant la petite tenant un jouet particulier pour une fille, une épée en bois qu'elle gardait blottie de long de sa robe.
Elilwë ferma les yeux, essayant de se remémorer certaines choses, qui, avant, ne pouvaient pas même être évoquées de crainte de provoquer une grande mélancolie chez elle. Maintenant, elle voulait savoir. Elle voulait tout savoir, en particulier pourquoi elle ne pouvait parler de son père en présence de sa mère. Mariée de force ne voulait pas forcément dire détester l'être à lequel on est lié pour toute une vie. A vrai dire, elle pensait sincèrement qu'elle l'aimait, du moins quand elle était plus jeune. D'ailleurs, le problème de la Rôdeuse était qu'elle avait mûri trop vite, et dans le mauvais sens – agissant comme un garçon dés l'adolescence – alors que les jeunes filles de son âge pensaient déjà à des relations idylliques et à leur apparence physique. Elle ne voulait pas, inconsciemment, finir comme sa mère. Elilwë ne voulait en aucun cas se laisser dominer par un homme, et elle craignait par-dessus tout l'amour, ce sentiment qui crée tant de problèmes.
« Elen ? »
Aragorn la sortit de sa rêverie, inquiet pour sa sœur d'armes, et lui toucha l'épaule amicalement.
« Les Hobbits sont sensés arriver ce soir. Si jamais ils…enfin, je te conseille d'ouvrir l'œil. » déclara-t-il sur un ton ferme.
« C'est entendu, Estel. » répliqua Elen, encore plongée dans les songes de son enfance.
Après tout, elle avait accompagné le Roi du Gondor sur la demande de sa belle et elfique épouse, la Dame Arwen Undomiel, depuis longtemps une amie et confidente de longue date. La Reine s'inquiétait en effet pour la sécurité de son mari, et il semblait naturel à Elilwë de réconforter Arwen en lui assurant qu'elle ne le quitterait pas d'une semelle. Depuis sa plus tendre enfance, ses jeux étaient la guerre, le combat, et l'amitié fraternelle qui unissait deux garçons généralement, mais qui, cette fois, liaient une petite fille elfe et un jeune garçon humain. Mais la petite fille elfe avait grandi, restant inchangée, et le petit garçon humain s'était démis de la vie terrestre depuis au moins deux millénaires, voire plus. C'était ainsi. Elle allait rester, et tous les amis humains qu'elle avait connus ou qu'elle connaissait étaient ou allaient mourir. Aragorn allait mourir, Faramir, Eowyn, et tous les Humains de Minas Tirith allaient passer de vie à trépas, laissant Elilwë toute seule. Et Boromir…Lui avait déjà disparu voici dix ans, et sa mort la chagrina grandement, plus que toute autre personne en Terre du Milieu.
Malgré les différentes opinions que l'un et l'autre avaient à propos de la notion de pouvoir, ils étaient comme frère et sœur, se disputant comme frère et sœur ; combattant comme frère et sœur, agissant comme un frère et une sœur avec des caractères différents mais complémentaires. Elle s'entendait moins bien avec Denethor, sans doute dû au fait que la Rôdeuse pouvait rester à Minas Tirith, mais qu'elle contestait sans cesse le pouvoir de Denethor, à cette époque Surintendant du Gondor. La lignée d'Isildur, selon elle, devait gouverner de nouveau, mais cette opinion gâcha un temps l'amitié qui l'unissait à Boromir, et ne fit qu'empirer les relations déjà bien difficiles avec Denethor. Pourtant, elle ne se détourna jamais du premier Roi à qui elle avait fait allégeance, Cemendur, ancêtre d'Aragorn, et continua à aider Arathorn et Gilrëen, assista à la mort du père d'Estel, mais elle avait toujours été là pour les descendants d'Isildur. Elle leur avait fait promesse de les assister en tant que servante fidèle de tous les Rois de sang Gondorien, et c'était cela qui la retenait en Terre du Milieu, pas le fait qu'elle était de sang Avari, « ceux qui refusèrent le grand voyage à Aman », en d'autres termes, le refus de traverser la Mer Extérieure pour rejoindre les Terres Immortelles, et faire comme ses semblables, entrer dans la norme, comme disaient souvent les Elfes de la communauté Avari. Elilwë était bien loin de la norme, en ce qui concernait la manière d'être d'un Elfe, toute à fait normale d'habitude. Elle était singulière, la plupart des hommes la rejetaient pour son caractère guerrier et indépendant.
La Guerre de l'Anneau était à présent finie depuis plus d'une décennie, il n'y avait aucun risque en Terre du Milieu, à part les intempéries – le Vieux craignait les rhumatismes – et bien sûr quelques orques restants en Rhovanion. Elilwë sentit l'ennui prendre le dessus, elle prit son verre et but son vin à petites gorgées, ne voulant sans doute pas abuser d'une boisson alcoolisée, ce n'était pas le moment.
« Je fais semblant d'exister… »
Quelles étaient ces pensées ?
« J'ai perdu mes souvenirs… »
Elle reposa son verre sur la table avec un geste brusque, et ferma les yeux. Quelles étaient ces pensées ?
« Je me perds dans le silence… »
Sans doute un de ces satanés rêves qui remontaient la surface des innombrables souvenirs de sa longue vie d'immortelle. Aragorn la regarda avec inquiétude, mais la laissa dans ses pensées, il savait qu'elle avait nombre de souvenirs douloureux à propos de sa famille. Elle réouvrit les yeux brusquement, comme ressentant qu'une chose familière allait arriver dans l'auberge.
« Ils arrivent… » murmura-t-elle à Aragorn. Ils vont bientôt venir, dans peu de temps…
Le pouvoir elfique d'Elilwë n'était pas très utile en temps de paix, elle pouvait cependant prévoir certaines choses. Tous étaient désorientés par l'exactitude de ce qu'on pouvait appeler, un pouvoir de prémonition, et déjà toute petite, en son cœur, elle savait que son destin était exceptionnel, malgré les démentis de sa mère. Seul Aragorn tirait à bon escient ces prémonitions, s'en servant parfois comme des conseils avisés de ses actions futures.
Sa prémonition se releva exacte, quelques minutes plus tard, huit petites silhouettes entrèrent dans l'auberge, dont sept allant pieds nus, et un autre possédant une imposante barbe brune. Aragorn adressa un sourire à Elilwë, comme pour la remercier. Les huit petites personnes arboraient des capes verdâtres, et parfois des mèches brunes de leur chevelure, qui pouvaient se voir, dépassaient des capuchons qu'ils portaient pour cacher maladroitement leurs visage. La personne à la barbe s'avança vers le comptoir, et une main potelée sortit des plis de sa cape, saluant l'aubergiste, qui craignait rencontrer une autre variété de Rôdeurs, en miniature. Relevant son capuchon, un nain se dévoila alors aux yeux de Prosper, qui s'inclina avec un grand respect.
« Maître Gimli, fils de Gloin, quel plaisir de revoir le fils de mon meilleur client nain ! Qui vous accompagne ? » demanda l'aubergiste.
« Hem…je suis enchanté de faire votre connaissance, maître… ? » déclara celui sensé être Gimli.
Prosper posa sa main sur le comptoir, et baissa légèrement la tête.
« Je suis maître Poiredebeurré, Prosper Poiredebeurré, pour vous servir. » dit-il haut et fort. « Bienvenue à l'auberge du Poney Fringant ! »
Gimli se tourna vers les autres, et leur demanda en dialecte nain de relever à leur tour leurs capuchons. C'est alors qu'Elilwë vit pour la toute première fois les Hobbits, ou Periannath, dans sa langue. Ils étaient petits, sans être trapus comme les nains, avaient les pieds poilus et grands, et avaient une épaisse chevelure brune et bouclée. Gimli les cita, en les montrant distinctement, afin de clarifier l'esprit de l'aubergiste qui n'avait pas l'habitude de recevoir autant de clients en une seule fois.
« Voici Sam Gamegie ; accompagné de son épouse, Rose, et de sa fille ; Elanorellë, Elanor pour les intimes. Ensuite, voici Meriadoc Brandebouc et Peregrïn Touque. » énuméra Gimli.
« M'dames, M'sieurs. » déclara Prosper avec un sourire.
« Ensuite, nous avons Frodon et Bilbon Sacquet, et enfin moi-même. Nous sommes de passage, et nous désirons… » (le nain regarda la table où étaient assis les deux Rôdeurs) « …deux chambres de Hobbits, quatre lits chacun. Hum…et une table pour huit, près de la cheminée. »
Prosper regarda la cheminée, puis les deux Rôdeurs assis non loin de là. Il pencha sa tête vers l'oreille du nain, et chuchota ces quelques mots.
« Vous revenez des Havres Gris, n'est ce pas ? »
Gimli fit un signe de tête incohérent, sans doute volontaire, Prosper prit la réponse pour un non, mais cela aurait été du pareil au même si la réponse à la question était oui ou non.
« Je ne vous conseille pas de vous asseoir à côté des Maîtres Rôdeurs, ils peuvent être dangereux… » continua l'aubergiste.
Sur ces mots, le nain haussa les épaules d'un air désinvolte. Prosper comprit que cela lui importait peu, et il sentit un frisson lui parcourir l'échine à l'idée qu'il serait obligé d'approcher les Rôdeurs dans un rayon de moins de dix mètres. Il commençait déjà à trembler, alors pour se calmer, il pensa à la recette de la journée (beaucoup de pièces d'or en conséquence). Soupirant, Gimli le vit plonger vers le bas de son comptoir, l'aubergiste prit alors un tonneau de bière, et versa un demi-litre bien rempli dans une grande chope. Le nain pointa la pinte du doigt avec un regard signifiant 'vous allez boire tout cela ?'. Prosper le regarda droit dans les yeux, et pendant qu'il buvait toute la pinte cul sec, Elanor cacha ses yeux en éventail pour cacher sa vue d'un spectacle aussi horrible – ce n'était pas le mot exact, mais la définition n'était pas mauvaise , sans doute à cause au regard peu approbateur que lui avait lancé sa mère. L'aubergiste posa ensuite sa pinte sur le rebord du comptoir, et d'un air légèrement ahuri, marcha d'un pas lourd et mal assuré vers la cheminée, là où justement une table avait été laissée vide, sans doute dû au fait de la proximité des deux Rôdeurs. Il rajouta quelques chaises, se méfiant du moindre geste un peu trop brusque de l'un des étrangers en noir. Les sept Hobbits et le Nain s'assirent à cette même table, et Gimli prit les commandes.
« Alors, heu…je pense que cela sera sept pintes pour nous tous, et…demoiselle Elanor, que prenez-vous ? » demanda-t-il.
« Je ne sais pas, maître Gimli. J'ignore ce qu'ils servent dans cette… » (elle regarda autour d'elle, voyant tous les malfrats installés autour d'elle) « …cette…auberge…déclara-t-elle, un sourire nerveux se dessinant sur ses lèvres.
Un « ohhh » rauque s'échappa de la bouche de Prosper à cet instant, et il demanda à Elanor si elle aimait le cidre.
« Petite demoiselle, je crois savoir que toutes les petites filles aiment le cidre. Vous avez de la chance, je crois justement avoir une bouteille qui date de quatorze cent vingt, c'est un voyageur de passage qui me l'avait offerte à la fin de la Guerre de l'Anneau, et il m'a assuré qu'il se conservait très bien, même durant un siècle ! En voulez-vous ? Je vous assure qu'il doit être vraiment exceptionnel ! »
« Du quatorze cent vingt ? Je ne comprends pas, Papa-Sam. » dit alors Elanor.
Elle était pure. Innocente, même, avec toute la fraîcheur de la jeunesse et sa naïveté, à certains moments. Les yeux bleus de la jeune Hobbite étaient grands ouverts sur un monde encore inconnu pour elle, le monde en-dehors de sa Comté natale.
« Toi qui as toujours voulu compter selon le comput Gondorien, du trois mille vingt si tu préfères, tu sais, la Grande Année d'Abondance, deux ans avant mon départ, en quatorze cent vingt, l'année où tous les enfants Hobbits sont nés blonds. » expliqua Frodon, prenant soudainement la parole.
En dix ans de temps, l'Ancien Porteur de l'Anneau n'avait pas changé. Il était encore sage en même temps que son visage juvénile montrait encore les traces de la Guerre de l'Anneau. Quelles merveilles avait-il vu aux Terres Immortelles ? Bilbon était assis, et regardait Elilwë intensément, même s'il ne savait pas qui était cette étrangère, il devinait néanmoins ce qu'elle était. Pour cela, il n'y avait pas besoin de connaître l'identité de cette mystérieuse inconnue. Aragorn était dérouté par la facilité déconcertante des Hobbits à se sentir à l'aise dans tous les endroits où il y avait de l'animation.
« Elilwë, Gimli viendra nous voir dans notre chambre, ce soir. En attendant, surveille les autres clients. Les Hobbits sont une proie bien trop facile pour certaines personnes, enfin, je vois que Gimli a sa hache…ils ne risquent rien, mais prépare Alquaesil au cas où. » murmura Grand-Pas à son oreille pointue.
Aragorn faisait allusion à l'épée d'Elilwë, elle se nommait Alquaesil et se transmettait de mère en fille, cela depuis la nuit des temps, elle avait été forgée par Aulë, le Valar des Arts, mais ceci n'était qu'une légende. La lame était légère, en mithril, pointue, prête à tuer les ennemis difficiles, et la poignée était en Ithildrin, une lame qui brillait à la lueur des étoiles. Sur le manche était sculpté deux cygnes enlacés par le cou, et au milieu des deux oiseaux, était incrusté un diamant noir, dans lequel résidait quelques éclats de diamants blancs, signe de l'appartenance de la famille d'Elilwë aux Valar même. L'Elfe glissa sa main le long de la lame, et acquiesça d'un signe de la tête affirmatif. La soirée se passa sans trop de problèmes, sauf que les Hobbits terminèrent la soirée en chantant une chanson vive et enjouée, signe que les Semi-Hommes avaient légèrement abusé de l'alcool avant cela. La petite Elanor chantait de bon cœur avec eux, après tout, elle avait déjà vu Merry et Pippin complètement saouls, lors du nouvel an Hobbit, qui se déroulait fin mars. Aragorn fumait sa pipe avec amusement, un sourire éclairant son visage habituellement sévère et droit. Elilwë soupirait simplement, détournant la tête de ce spectacle pour le moins réjouissant. Elle ne voulait, et ne montrait jamais, depuis qu'elle était adolescente, des sentiments qui pouvaient trahir une certaine faiblesse chez elle. La Rôdeuse regarda ensuite la pipe d'Aragorn avec un sentiment de dégoût, selon elle, fumer était mauvais pour la santé – argument vérifiable – mais cela n'empêcha son frère d'armes de continuer d'user de sa pipe et dégager des bouffées de fumée fort dérangeantes pour son amie.
En fin de soirée, une averse tomba au-dehors, battant contre les fenêtres opaques et rondes, provoquant des petits sons de tapotement « humides », si on pouvait qualifier un son « d'humide ». Avec le feu de cheminée qui crépitait, diffusant une douce lueur dans toute la salle, et le silence qui s'installait, dû au fait que les clients tombaient endormis sur la table, l'auberge était un endroit duquel émanait une sensation de confort extrême. Rob, le seul employé resté à peu près sobre durant son service, fit sortir les derniers clients encore capables de se déplacer. Quant aux autres, il les traîna jusqu'à l'entrée, puis ferma la porte à clé. Prosper était endormi sur un comptoir, et le feu mourut, ne laissant que quelques braises fort peu ardentes. Le Hobbit prit alors une chandelle, et indiqua aux deux Rôdeurs et au groupe de petites personnes leur chambres respectives. Avant d'entrer dans sa propre chambre, Aragorn glissa quelques mots à l'oreille de Gimli, sans doute voulant le prévenir qu'ils devaient parler en privé.
« Mon cher Aragorn, je viendrai vers trois heures du matin. Etant continuellement au contact du prince, vous pensez que mon rythme nocturne a considérablement changé ces dernières années. Arrêtez de me regarder comme cela, je vous dis que je serai là à trois heures précises, et je pense que Frodon m'accompagnera, n'est ce pas ? » chuchota le nain en se tournant vers Frodon, qui semblait pour le moins aucunement épuisé.
« Et Legolas ? » demanda Aragorn.
« Il accompagne la Dame Galadriel, Gandalf et Glorfindel vers Isengard, là où ils pourront prendre un peu de repos avant de partir pour Minas Tirith. Ils passeront par la trouée de Rohan, Radagast connaît bien le chemin, et puis Elrond et ses deux fils sont revenus également. Quant aux raisons de leur retour, Frodon et Bilbon ne veulent rien nous dire, et Elladan, vous savez, le frère d'Undomiel, n'a rien voulu dire non plus, lui qui était pourtant connu comme bavard, Legolas ne sait rien non plus, peut être moins que nous. C'est un vrai mystère mais je vous en dirai plus durant la nuit. En tout cas, profitez des deux heures de sommeil qui vous sont accordées, expliqua le nain. »
« Allons, Gimli ! » s'écria Frodon. « Allons, laissez Aragorn se reposer ! Vous saurez tout en temps voulu, mais ne l'impatientez pas, je vous en prie. De plus, j'ai aussi besoin de dormir, alors si cela ne vous dérange pas, je vais aller me coucher. » déclara le Hobbit en baillant.
Pendant que le nain et l'humain conversaient, Elilwë remarqua l'intérêt d'Elanor pour leurs paroles, mais l'Elfe ne réagit pas, préférant laisser la petite Hobbite en apprendre beaucoup, beaucoup et en quantité suffisante pour qu'un esprit d'une dizaine d'années sache interpréter tout cela, avant que Rose ne l'entraîne dans la chambre, décrétant que sa fille avait besoin de repos.
Bilbon restait dans le couloir, sa canne servant d'appui. Il écoutait attentivement ce qu'ils disaient, mais réprima un sourire naissant sur ses lèvres, en entendant les différentes suppositions de Gimli à propos de leur retour. Elilwë remarqua cela, et ses sourcils se froncèrent. Cela était étrange de voir un Hobbit – les Hobbits n'étaient pas connus pour une quelconque intelligence supérieure – tenir sa revanche intellectuellement face à un Humain et à un Nain. Son visage se fendit d'une oreille à l'autre, signifiant sans doute qu'il souriait, même si la Rôdeuse prenait cela pour un rictus amusé.
« Je pense qu'il y a un certain nombre de problèmes en Terre du Milieu, assez graves pour provoquer le déplacement de la Dame Galadriel en personne, murmura Gimli, et avant de se coucher, il tapota amicalement le bras du Rôdeur. Nous nous verrons plus tard. » déclara-t-il, et il ferma la porte de sa chambre derrière lui.
Aragorn haussa les épaules, et les deux Rôdeurs entrèrent à leur tour dans leur chambre. En entrant, Elilwë remarqua qu'un feu crépitait dans la cheminée. Les fauteuils était petits, confortables, couverts d'un tissu de brocard rouge, et les deux lits placés côte à côte semblaient déjà dans un grand état de délabrement, sans doute n'était-ce qu'une impression. Grand-Pas se jeta sur le lit, complètement épuisé, et enleva sa cape. Son épée tomba aux côtés du lit, en un tintement, le vaillant Narsil se trouva par terre, son propriétaire déjà plongé dans un sommeil profond. La Rôdeuse prit alors Narsil, et la posa sur son lit, remarquant que la lame qui avait été reforgée était un très bon exemple de l'art elfique. Faire d'une chose généralement dangereuse un objet décoratif et fin. Malgré cela, Elen avait toujours détesté sa propre race, ils l'avaient toujours rejetée, et même si elle avait toujours un grand respect pour ses semblables, Elilwë avait une très profonde aversion pour eux. Elle soupira, s'assit sur un fauteuil près de la fenêtre. Il ne pleuvait plus, mais le temps était particulièrement froid en novembre. Des petits flocons blancs et fragiles tombaient abondamment, la neige recouvrait peu à peu les rues désertes de Bree.
« Je m'appelle Estel. Mais les Humains me nomment Aragorn…Et toi, qui es-tu ? Je ne t'ai jamais vue à Imladris… »
« Je me nomme Elilwë. Je suis une Rôdeuse de passage à Fondcombe. Que fait un Humain dans une citadelle elfique ? »
Estel s'inclina avec respect en apprenant l'identité de cette Elfe si singulière, et lui dit qu'il était né prince du Gondor, également un Rôdeur.
« Tu me sembles bien jeune pour un Rôdeur, quel âge as-tu ? »
« Je viens d'avoir vingt ans. D'où viens-tu ? »
« Je ne suis originaire d'aucune région de la Terre du Milieu, cependant, du sang Avari coule dans mes veines. Alors, comme cela, tu es un prince du Gondor…j'ai connu ton père. Nous étions frères d'armes à l'époque… »
« Mon père ? Arathorn ? Tu es donc cette Rôdeuse Elfe qui a prêté allégeance au Gondor ? »
« C'est moi, effectivement. »
« Tu es de sang Avari ? Alors nous sommes très lointains cousins, car mon ancêtre est Elros, frère d'Elrond…Nous avons tous deux du sang elfique… »
« Oui… »
« Je te trouve belle, tes yeux…tes yeux ont quelque chose…de particulier… »
« Ma mère est l'Etoile-Cygne…On dit que ses descendantes possèdent le ciel étoilé dans leurs yeux… »
Elle sortit son épée de son fourreau, et commença à affûter la lame d'Alquaesil d'un geste mélancolique. Elle soupira de nouveau, voyant comment la neige pouvait l'amuser lorsqu'elle était une enfant. Maintenant, elle haïssait la neige comme elle haïssait presque tout. Elle aimait tendrement Aragorn, Arwen et leur fille Elbereth, elle aimait Eowyn, Faramir, Eomer, mais à part cela, elle ne connaissait personne, ou plutôt, ne voulait pas connaître quelqu'un. Par ailleurs, les autres hommes ne la comprenaient pas. Elle détestait la neige comme elle détestait les hommes. Personne n'allait la faire changer d'avis. C'est alors qu'une chanson lui revint en mémoire, ce que tous les Elfes avaient chanté lors du mariage d'Arwen et d'Aragorn. Lors d'un mariage elfique, la mariée avait un témoin féminin et le marié un témoin masculin, mais du mariage d'Elassar, elle avait gardé peu de souvenirs. Elle se souvenait uniquement des yeux bleus du témoin d'Aragorn, bleus comme les profondeurs de la mer après une tempête, des yeux insoumis, rebelles, reflétant une douceur pure. Il était un Elfe, mais ce mystérieux Elfe repartit vers sa Forêt Noire natale une fois le mariage terminé, ne laissant dans la mémoire d'Elilwë que ses yeux bleus. Il chantonnait de sa douce voix la mélodie, accompagnant les autres Elfes. Quel était son nom ?
'Laiqualassë, c'est comme cela qu'Elrond le nomma…c'est comme cela qu'Arwen le nommait…c'était en sindar, Laiqualassë en sindar…je ne me souviens plus de lui, seulement ; il semblait attiré par moi. Ce n'est pas très étonnant, il était évident que j'étais belle à cette soirée…Fait rare ! 'pensa-t-elle.
Sa voix comme du velours depuis longtemps rongé par les mites, désagréable selon certaines langues, rauque, grave ; éprouva le besoin de chanter, et c'est ce qu'Elilwë fit. Si elle détestait la neige, elle avait ce sentiment commun à tous les Elfes, l'amour de la musique. Lente et mélancolique, elle commença à fredonner une douce mélodie, inlassablement, répétant les mêmes paroles. Sa lame était assez affûtée, mais elle n'arrêta pas pour autant le geste, qui devenait distrait et mécanique.
All that is gold does not glitter,
Not all those who wonder are lost,
The old that is strong does not wither,
Deep roots are not reached by the frost.
From the ashes a fire shall be woken,
A light from the shadow shall spring,
Renewed shall be blade that was broken,
The crownless again shall be king.
Strider…
Une fois la chanson terminée, elle entendit quelqu'un frapper à la porte. Il était à présent trois heures du matin, et elle n'avait pas vu le temps passer. Elle réveilla Aragorn, et ouvrit la porte. Il y avait Gimli et Frodon, accompagnés de Bilbon, juste devant elle, Elilwë les laissa entrer et se tint à l'écart. Aragorn enleva son capuchon, pour dévoiler un visage fier et droit – cependant mal rasé – des yeux d'un bleu glacé – et des cheveux noirs de jais, mi-longs. Il était grand, d'allure fort noble et sage, et pour la première fois, elle remarqua enfin non pas Grand-Pas, le Rôdeur Solitaire, mais Aragorn, le Roi du Gondor. Gimli se frotta les mains auprès de la cheminée – il était vrai que le froid affectait grandement les grosses mains couvertes de cloques du nain, et commença son discours, alors que les deux Hobbits s'asseyaient sur les fauteuils.
« Il y a environ une semaine, un bateau elfique a débarqué aux Havres Gris. Legolas et moi étions sur place, et ces chers Hobbits nous rendaient visite. C'est alors qu'un garde du palais de la ville nous prévint de l'arrivée du navire de Cîrdan le Charpentier de Navires. Arrivés aux quais, le bateau était effectivement là, et Legolas poussa un cri d'exclamation en voyant la Dame Blanche marcher de nouveau sur le sol de la Terre du Milieu. Avec la Dame Galadriel, était venu Elrond, Elladan et Elrohir, de nombreux guerriers Elfes, Glorfindel, Bilbon, Frodon, Gandalf, et Radagast. Alors que les marins Elfes restés en Terre du Milieu s'exclamaient : 'Les Trois Anneaux sont revenus !'. Personne ne sait pourquoi sont-ils revenus, de plus les deux Hobbits se gardent bien de nous le dire. Décrétant que Bree n'était pas un endroit pour les Seigneurs et Reines Elfes, Legolas décida de les mener jusqu'à Isengard, et je me suis proposé de mener les Hobbits jusqu'à Bree. Les Elfes nous donnent rendez-vous au Mont Venteux, et nous continuerons notre chemin ensemble. Dame Galadriel compte se rendre à Minas Tirith, comme je vous l'ai dit, mais les raisons sont encore inconnues à ce jour. Et vous, là, vous, oui, les Hobbits, je vous parle, vous ne voulez pas nous donner un indice qui pourrait nous éclairer ? » demanda Gimli.
Frodon et Bilbon se regardèrent silencieusement, mais ne répondirent rien. Gimli poussa un cri rauque agacé, et secoua la tête, l'air dépité.
« Vous voyez, mon cher Aragorn ? Impossible de leur arracher deux mots de la bouche, ils ne veulent rrien dire, ce n'est pas la peine, j'ai depuis longtemps abandonné. Voilà, vous savez tout, et les rumeurs étaient donc vraies, à part que ces incultes d'Humains ne savent pas que Celeborn est resté en Lorien. »
Elilwë baissa la tête, mais ne réagit pas, du moins, pas extérieurement.
« Voilà une bien étrange chose, en effet, mais la nuit porte conseil. Nous vous accompagnerons jusqu'à Minas Tirith ; au fait, Gimli, je voudrais vous présenter Elilwë Alquaeleni, Rôdeuse de son état, je pense que vous l'avez aperçue à mon mariage, elle était témoin d'Arwen. »
« Oui, je me souviens, Legolas n'arrêtait pas de vanter sa 'beauté pure', enfin, Legolas est à présent un coureur de jupons invétéré, il adore tout ce qui beau, en particulier les femmes…mais cette tendance ne s'est affichée que depuis peu…l'absence d'une âme sœur doit l'affliger, alors il recherche un peu de…réconfort… »
La Rôdeuse ne dit mot, et un petit sourire, ou plutôt un rictus se dessina sur son visage. Gimli baissa la tête, puis se retourna vers les deux Hobbits, l'air dépité.
« Allons, Gimli, la nuit porte conseil, dormez un peu, tous ces évènements vous ont épuisé. » conseilla Aragorn.
« Oh, après tout, vous avez raison, on en saura peut être plus une fois arrivés au Mont Venteux, n'est ce pas, Maîtres Hobbits? » déclara ironiquement Gimli. Bonne nuit, Aragorn.
Il quitta la pièce, en fermant la porte, laissant les deux Rôdeurs seuls à leur étonnement. Un silence pesant s'installa, et Aragorn regarda sa sœur d'armes, un sourire aux lèvres.
« 'Coureur de jupons ?' Legolas ? Voilà une chose qui m'étonne grandement ! » dit-il alors.
