Chapitre Quatre
LUEURS ELFIQUES
L'aube se leva, accompagnée de ses nuages roses et bleus pâle, sans bien sûr aucune pitié, le froid impitoyable était comme la morsure d'un serpent venimeux, quelque chose de coupant en même temps que fragile. L'élément de Manwë, le vent, soufflait encore plus fort. Pour Legolas, le vent était un bonheur. Le vent signifiait pour lui l'arrivée des mouettes sur un rivage elfique, les embruns maritimes qui caressaient son visage et murmuraient à ses oreilles les chansons d'Ulmo, le maître des Eaux. Le vent était la seule chose qui importait pour le moment, et il remarqua que la Rôdeuse aimait, comme lui, sentir le vent fouetter son visage et les mèches de sa chevelure se sculpter en motifs tortueux se changeant au gré des humeurs de Manwë. Finalement, cette Elilwë était moins insensible qu'elle ne voulait le paraître. Elle avait des sentiments, comme tout être vivant, mais quelque chose , quelqu'un, ou peut être elle-même les avaient enfoui quelque part dans son cœur. Il ne demandaient qu'à être relâchés, comme un prisonnier condamné à mort qui demandait grâce à son roi, comme une femme enfermée dans une cage, à la manière d'Eowyn qui craignait que son courage ne soit emprisonné pour disparaître à jamais par la suite. Elilwë Alquaeleni était quelqu'un de détestable, certes, mais une partie de Legolas ne pouvait la détester. Ce n'était pas une quelconque sympathie, mais plutôt une sorte de pitié. Il savait ce qu'elle allait dire si jamais il lui disait cela.
' Je n'ai pas besoin de votre pitié. Gardez-la pour vous.' dirait-elle.
' Une partie de vous a besoin de moi.' pensait-il alors répondre.
Elilwë la Rôdeuse le regarderait sous un autre angle, et la partie qui avait besoin de lui répondrait alors :
' Mais je suis ce que je suis. Je suis inchangeable, je vous remercie tout de même de votre initiative. J'aurai peut être besoin de vous, un jour prochain.'
C'était un dialogue imaginaire, mais Legolas espérait qu'il allait avoir un jour lieu, comme elle aurait sans doute besoin de lui 'un jour prochain'.
Pour l'instant, un sourire se dessina sur ses lèvres. Elilwë refusait en effet catégoriquement de monter sur un cheval qui lui avait été alloué par Elrond. Quelle en était la raison, Legolas ne pouvait le savoir. Elle s'opposait vivement à toute tentative de la part d'un garde d'essayer de la faire monter. Même avec l'usage de la force, Legolas était persuadé qu'elle ne monterait pas. Elle était exigeante. Finalement ; ils parvinrent à un accord, elle allait se mettre en croupe d'Elrohir, ce qui était effectivement un choix judicieux, selon le prince. Elladan aurait tenté de la séduire et il aurait compris sa douleur – sans pour autant que cela finisse en drame. Elrohir, était, comme n'importe quel Elfe considéré comme « normal », sage et raisonnable. Il se devait d'être plus respectueux envers une Demoiselle que son aîné, et n'aurait pas même pensé, ne fusse qu'une seconde, à faire la cour à la Rôdeuse. D'ailleurs, fait-on la cour à une Rôdeuse ? Fait-on la cour à une Elfe qui déteste les siens ? Fait-on la cour à une femme qui refuse de se laisser dominer par les genres masculins ? La réponse était inévitablement non. Elrohir se devait de répondre « non » et de laisser son côté courtois prendre le dessus sur les instincts masculins ravageurs qui étaient au fond de ses pensées. Le groupe se mit alors en route, tous étaient à cheval, le voyage vers Isengard durerait en tout une semaine et demie. A vrai dire, personne n'était d'une humeur excellente. Cependant ; Legolas savait pertinemment que ceux qui étaient de retour cachaient quelque chose, quelque chose de grave, il ne pouvait déceler exactement les pensées de chaque Elfe ou Hobbit de retour. Au fond de lui-même ; il éprouvait une certaine antipathie pour la Dame Galadriel, Elilwë avait quelque part raison, on ne revient pas en Terre du Milieu comme on peut en partir. Cela ne se faisait pas. Ils n'avaient pas vraiment aidé pour la Guerre de l'Anneau, eux, les Seigneurs Elfes, les seuls qui avaient fait quelque chose étaient Elrond et…son père Thranduil. Une goutte d'eau douce dans l'océan amer et froid des Rois Nouveaux-Nés de ce Monde.
Aussi loin que ses souvenirs portaient, Legolas avait été instruit par un maître de guerre, son adolescence placée sous le signe des armes et du combat. Il avait appris à tenir une épée avant même de savoir lire et écrire. Oh, bien sûr, il était cultivé, mais il aurait aimé recevoir une éducation un peu plus intellectuelle, et moins barbare. Il rattrapa très vite le temps perdu en s'intéressant à l'astronomie après la Guerre, écrivant, faisant des cartes, et aux yeux des femmes, il paraissait fort singulier, s'intéressant plus à l'écriture qu'à conter fleurette aux belles demoiselles. Les suivantes et demoiselles d'honneur étaient sans cesse attirées par lui, même s'il ne recherchait que très peu les plaisirs charnels. Quand une femme lui demandait de partager une nuit avec elle, il ne refusait pas, se laissait emporter par la passion d'une unique nuit d'amour, toujours grande par son intensité. Thranduil condamnait son comportement à propos des relations volages qu'il entretenait avec telle ou telle demoiselle de la cour de la Forêt Noire. Aucune Elfe n'était tombée enceinte après sa relation avec Legolas, il était au moins soulagé sur ce point-là. Les Elfes étaient des êtres, qui, malgré toutes leurs qualités, étaient forts inféconds, et ne procréaient qu'une dizaine d'enfants par siècle dans une même communauté, qui regroupait au quatrième âge près de dix millions d'Elfes, de part et d'autre de l'Océan.
Le Mont Venteux s'éloignait au fur et à mesure de leur champ de vision, lorsque Elilwë regardait derrière elle. La colline perdait de sa majesté, n'était plus qu'un amoncellement de ruines posées sur un rocher minuscule. Elilwë craignait toujours autant la monture sur laquelle elle était installée, malgré le fait qu'elle sache parler aux chevaux, et les apprécier en tant que tels, elle ne pouvait s'empêcher de les craindre, suite à une mauvaise chute de son enfance. Cela amusait Aragorn, mais plus particulièrement Legolas, qui voyait soudain le portrait de cette Elfe arrogante se transformer en dessin d'une petite fille apeurée, cramponnée à son père – en l'occurrence Elrohir pour l'occasion.
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Le soir arrivait à peine sur les Landes Désertes, lorsque le crépuscule fut annoncée, accompagné par son ciel orangé, des ses nuages d'un violet foncé. Il était étrange que le ciel ne se mette pas l'humeur du temps, froid et mordant. Ils s'arrêtèrent en fin de soirée, pour permettre aux Hobbits de se reposer. Les collines se faisaient à présent plus rares, laissant la place à des plaines infinies et vides, parfois on pouvait voir quelques arbres, par-ci, par-là, mais rien de plus. Les herbes éparses étaient la seule flore des environs sur des centaines de kilomètres, et au loin, ils pouvaient voir les Montagnes et bien sûr une sorte de vallée verdoyante, la Trouée du Rohan. Cet endroit était un passage dangereux ; notamment à cause des deux grandes forteresses aux mains des Orques, Barrow-Downs au Nord et Ost-In-Edhil au Sud, pour enfin arriver à un endroit situé entre la Tour d'Isengard, restaurée depuis la guerre, et les Cavernes Etincelantes.
Le froid mordant allait en augmentant, au fur et à mesure qu'ils s'approchaient des montagnes, mais il n'y eut aucune chute de neige, et plus étrange encore, l'eau ne se solidifiait pas, et même Galadriel, en possession de l'Anneau de l'Eau – était dans l'incapacité d'expliquer ce phénomène pour le moins très étrange. Personne ne s'en inquiéta, sauf Elilwë, mais chez les personnes susceptibles, tout était inquiétant – même ce qui n'avait pas raison de l'être. Il y avait un contraste entre la beauté des paysages que le groupe rencontrait et froid, qui étrangement, n'eut aucun effet sur le ciel. En temps normal, lorsqu'il fait relativement froid, l'aube ne prenait aucune couleur, ce qui n'était pas le cas – le soleil levant donnant aux nuages une couleur d'une rose pâle, et teintant le ciel en bleu pâle. Legolas était en éclaireur, Gimli installé derrière lui, et il veillait à ce qu'aucun ennemi ne puisse se trouver devant leur chemin. Glorfindel et Aragorn allaient avec lui, quant au reste du groupe, il était à une vingtaine de mètres en retrait.
« Legolas, je commence à comprendre cette Rôdeuse. Je vous le dis sérieusement, j'ai tendance à l'apprécier ! » s'exclama Gimli, sans prendre garde aux oreilles indiscrètes. « Elle n'aime pas les chevaux, et je dois avouer qu'elle a une certaine aversion pour les Elfes – ce n'est pas mon cas – certes, mais tout de même…elle aurait dû naître Naine, cela serait bien mieux pour elle et pour nous. »
« Allons, maître Gimli, ne dites pas cela ! J'apprécie Elilwë, mais ce n'est pas pour ses qualités que je l'aime à la manière d'un frère. Elle a souffert, durant deux millénaires, la seule communauté d'Elfes qui a voulu l'accepter était celle de Fondcombe, et après…elle erre continuellement, cherchant la solitude, cette solitude qui apaise son cœur. Sa mère ne l'a jamais aimée, pas plus que son propre peuple. » déclara Aragorn.
« Ce n'est pas une raison pour mettre tout le monde dans le même sac ; si je puis m'exprimer ainsi. » murmura Legolas, son regard portant vers le lointain.
Aragorn secoua la tête en souriant. Un petit rire bas se fit entendre, le sien, et il chevaucha aux côtés de Legolas.
« Estel, dites-moi ce qui vous fait sourire ainsi. » dit Legolas sans détourner ses yeux de l'horizon.
Legolas tourna enfin son regard vers lui, ses yeux comme la mer l'observèrent, il l'invita à poursuivre son récit, comme l'indiquait son regard interrogateur.
« Une fois que vous verrez Elilwë parée telle une princesse Elfe, vous changerez vite d'avis, mon cher Legolas. Demoiselle Alquaeleni sait être de toute beauté, lorsqu'elle en a l'occasion. »
« Vous plaisantez, Aragorn…Elle ne fait pas un effort pour paraître belle. Elle s'enlaidit, car elle déteste se faire dominer par un homme. Je sais tout cela. »
« Vous avez tort, maître Vertefeuille ; oublions tout cela. » répliqua Aragorn.
Glorfindel acquiesça, mais ne dit rien. Un léger sourire apparut sur ses lèvres, sans que Legolas ne s'en aperçoive. Gimli eut un petit rire bien à lui, amusé de voir que toutes les conversations ayant pour sujet agaçaient Legolas.
« Je doute de sa beauté, Gimli ! » déclara Legolas sans tourner sa tête. « Je dois aussi avouer que votre discrétion est légendaire, maître Nain ! »
Il avait entendu le rire de son ami ; après tout, les Elfes avaient l'ouïe fine, tous le savaient, mais Gimli se moquait éperdument des conséquences de ses paroles pour le moins empreintes d'un état d'esprit « je m'en foutiste », en encore c'était là une manière bien correcte de définir le caractère du fils de Gloin. C'est alors qu'Aragorn entendit le galop des sabots d'un cheval à quelques mètres derrière lui. C'était tout simplement Elrohir et la Rôdeuse, tous deux sur la monture du fils d'Elrond. Legolas ne comprit pas immédiatement quel était cet étrange manège, mais il vit Merë (le cheval d'Elrohir), les dépasser au triple galop, puis s'arrêter à quelques dizaines de mètres au devant. Glorfindel alla les rejoindre, puis, en désespoir de cause, Legolas et Aragorn vinrent à leurs côtés. Elilwë était lestement descendue de sa monture – aucune grâce n'émana d'elle selon Legolas, mais Gimli aimait voir cette femme se comporter comme un genre masculin. Il avait toujours ce petit rire moqueur qui agaçait décidément de plus en plus Legolas ; Elilwë ne remarqua rien, elle était agenouillée à même le sol, à effleurer du bout des doigts la terre. Son regard exprimait une profonde inquiétude.
Aragorn descendit de sa monture, et alla se placer à ses côtés, mais il ne pouvait voir ce que les yeux d'Elfe de son amie voyaient. Elle toucha une tache noire et humide, qui se voyait particulièrement à cause du sable clair qui était la terre caractéristique de cette région. Elle porta le liquide, assurément du sang, à sa bouche, ce qui était une technique de Rôdeur pour reconnaître la race de tel ou tel individu. Elle recracha aussitôt le liquide dés qu'il eut atteint sa langue, une expression de dégoût pouvait se lire sur son visage. Legolas eut quant à lui une expression de mépris, on ne goûte pas le sang comme cela.
« De l'Uruk-Hai. Du Mordor…c'est caractéristique, il y a cet arrière-goût de pourriture, déclara la Rôdeuse sur un ton sombre. Les traces sont larges, et irrégulières. »
Descendant d'Arod, Gimli s'approcha lui aussi et goûta à son tour le liquide, il était à présent certain que c'était du sang, et il le recracha à la manière d'Elilwë.
« C'est une race proche de l'Orque, mais de là à deviner la race et le lieu de provenance précise…vous êtes douée, Rôdeuse. » murmura Gimli sur le ton rauque qu'il prenait toujours.
« Je sais. » répliqua Elilwë sur un ton équivoque.
Le vent se mit à souffler, Legolas se rendit compte alors d'une chose : s'il y avait bien une partie de l'anatomie d'Elilwë qui était plaisante, c'était bien sa belle chevelure, légère et soyeuse, malgré sa saleté apparente. Quelques mèches rebelles volaient dans le courant d'air, il aimait voir ces cheveux noirs comme la nuit bouger dans tous les sens, modelés par l'élément de Manwë.
Et puis ses yeux, qui brillèrent alors qu'elle regardait le lointain, et sa silhouette se démarquait parmi les montagnes et la tour d'Isengard au loin, comme des objets fantomatiques tout droits sortis de brumes mystérieuses, l'horizon rendait ces immenses constructions de pierre, naturelles ou artificielles, tellement fragiles, tous voyaient l'ancienne tour de Saroumane telle que les Valar l'auraient aperçue.
« Que font des Uruk en Landes Désertes ? » demanda Glorfindel. « Ce n'est pas dans leurs habitudes de s'éloigner de leurs régions natales, à moins qu'une force plus maléfique – je doute que cela puisse exister - les ait chassés. Un Balrög assurément, je ne vois aucune autre explication. »
« Les Balrög n'existent plus depuis que le dernier a été terrassé par Gandalf le Gris. Il en reste encore dans les profondeurs de la Terre, seulement des cadavres inertes parmi d'autres créatures maudites depuis la nuit des temps. D'où serait-il sorti sinon ? Il n'y a pas de caverne dans les Montagnes proches de la Moria, à part les Cavernes Scintillantes, mais il n'y a aucune créature ayant pris le parti de Sauron parmi celles qui y vivent. » déclara Gimli.
« En tout cas, ils sont ici, nous ferions mieux d'être sur nos gardes. » murmura Legolas, gardant son arc contre son torse, il se surprenait à avoir peur.
« Ces choses n'ont qu'à bien se tenir, nous sommes là pour défaire toute attaque. » dit Aragorn, et il remonta sur son cheval.
Elilwë acquiesça, et remonta – avec une certaine réserve – sur Merë, et, se cramponnant à Elrohir, regarda Legolas avec une telle intensité qu'il détourna la tête, se retint pour ne pas dire une remarque désobligeante à propos d'elle. Mais…
« Comment savez-vous que ce sont des Uruk-Hais ? » dit Legolas soudainement, cela lui avait échappé, finalement, à quoi bon se retenir ?
« Je le sais, Prince Legolas, je n'ai aucune explication à donner. »
« Vous savez. Très bien. Vous savez tout, pour résumer. »
« Cessez de prendre ce ton arrogant avec moi. » répliqua Elilwë en le regardant avec une telle haine qu'elle se demandait seulement si elle n'allait pas dégainer Alquaesil et le transpercer d'un coup d'épée.
Legolas tint fermement les rênes d'Arod, et serra les dents, mais ne répondit plus rien.
« Elilwë, cela suffit ! » s'écria Aragorn, sachant que son amie avait un caractère difficile, il prit néanmoins la peine de défendre Legolas, qui ne savait pas quoi répliquer.
« Laissez, Estel. Vous êtes une Demoiselle des plus arrogantes, je n'ai jamais vu cela. On dirait que vous en voulez à la Terre du Milieu entière. » déclara Legolas alors que la Rôdeuse remontait sur Merë.
Sur ces mots, qui firent bien évidemment leur effet, l'Elfe se retourna brusquement une fois sur le dos du cheval. Elle fit face à Legolas, cette fois, il était allé trop loin, et elle secoua la tête, se remémorant un de ses souvenirs.
« Thranduil nous a refusées, hélas pour nous. Il nous reste les royaumes Humains, Gondor et Rohan… »
C'est ce que sa mère avait dit lorsque qu'elles quittèrent la Forêt Noire, un territoire à présent interdit pour Elilwë et sa mère.
« Je me souviens seulement des paroles qu'avait prononcé ma mère alors que l'on quittait Mirkwood. Le Roi qui nous avait bannies de là était Thranduil Vertefeuille. »
« Mon père ? Je l'ignorais. »
« C'est normal. Vous n'étiez pas né, en l'an 239 du troisième âge. Pourtant, votre mère avait essayé de persuader son époux de nous laisser rester, et il a refusé. A l'époque, elle savait déjà quel nom donner à son premier fils, enfin… »
« C'est une bien belle enfant, Dame Melanna. » déclara la Reine en voyant la petite Elfe a ses côtés.
« Je vous remercie, ma Reine. Et vous, n'avez-vous pas d'enfants ? »
« Non, hélas, mon mari voudrait que son premier enfant soit un garçon…J'espère pouvoir lui donner un fils. Je n'ai aucune idée de son nom futur, mais il faudrait qu'il convienne à un Prince. »
La fille de Melanna regarda alors les branches d'un arbre qui tombaient gracieusement entre les colonnes qui soutenaient le toit du long couloir du palais.
« Lae-go-las. » dit-elle de sa petite voix enfantine. « Regardez, Mère, les feuilles sont encore vertes par ici ! Que c'est étrange…Nous sommes pourtant en automne. » déclara la petite Elilwë.
« Legolas… » murmura la Reine. « En voilà une idée bien étrange, mais… »
« Que dites-vous, ma Reine ? » demanda Melanna.
« Je suis pensive. Allez vous reposer, Dame Alquaeleni, je dois me retirer. »
« J'espère vous revoir bientôt, ma Reine. »
Une silhouette si fine et gracile. Des cheveux roux et bouclés qui tombaient gracieusement sur ses épaules, et ces yeux, ces yeux bleus comme un Océan ensoleillé, comme une source prise dans la tourmente des glaces, comme l'eau proche des banquises, des yeux glacés mais pas glacials. Telle était l'image qu'Elilwë avait gardé de la Reine Vanyawen. D'elle, son fils avait seulement gardé ses yeux bleus comme les profondeurs de la Mer. D'ailleurs, savait-il seulement que son prénom était à l'origine de l'imagination d'une petite fille de quatre ans ? Finalement, Legolas ne dit plus rien, son visage empreint d'un trouble indéchiffrable, et, chantant pour lui-même, il demanda à Arod d'avancer, toujours sur ses gardes, et dans ses pensées, l'image de sa mère, telle qu'il aurait aimé la connaître et la voir de ses yeux, était bel et bien présente. Son rire et sa bonne humeur n'étaient plus qu'un brouillard confus, presque effacé, quand à ses yeux, leur bleu s'estompait parmi les nuages des cavernes de Mandos, là où son âme reposerait pour l'éternité.
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Leur voyage continua jusqu'au crépuscule, le soleil se coucha, et ce fut tard dans la soirée qu'ils arrivèrent à un bosquet, à quelques deux cent lieues d'Isengard. En ligne droite, la fière tour ne se voyait plus, dans la nuit noire, seuls des yeux elfiques auraient pu la distinguer. Les étoiles firent leur apparition, particulièrement lumineuses ce soir-là, comme si Varda voulait à tout prix que les Vivants les voient. La Lune, par contre, était décroissante, se faisant de plus en plus absente, surtout sa lueur. Elilwë, bien entendu, n'aimait pas la compagnie des Elfes, et se mit à l'écart, comme chaque soir. Près du feu de camp, tous étaient réunis, sauf bien sûr la Rôdeuse, et, au loin, ils pouvaient la voir faire des gestes avec son épée, des gestes d'homme, brutaux et violents, et pourtant, elle maniait ses armes à la manière d'une Princesse Elfe, il y avait une certaine grâce dans ses gestes.
« Elle est malheureuse, et cache bien son amertume. » déclara Merry. « Je ne la connais pas très bien, mais son visage m'est familier. »
« Oui, je pense l'avoir déjà vue, mais je ne sais plus où. » continua Pippin. « Elle était à votre mariage, Aragorn, n'est ce pas ? »
Aragorn acquiesça, et continua à tirer sur sa pipe d'un air distrait. Un très léger sourire se dessina sur ses lèvres ; les Elfes ne dirent rien, c'est alors que Gandalf intervint.
« Privée de sentiments, voilà son problème. Jusqu'à l'âge de dix ans, Elilwë était une enfant des plus belles et des plus joyeuses qui existaient. Feägaer, des Havres Gris, était son père. De lui, elle n'a gardé qu'un tempérament explosif, et difficilement contrôlable. Hélas, Melanna Alquaeleni décida que la vie aux Havres Gris n'était pas l'idéal pour une petite fille comme elle, d'ailleurs, les Elfes n'appréciaient guère Feägaer, ni Melanna, donc leur fille reçut un jugement au préalable. Pendant plusieurs années, Melanna et Elilwë parcoururent la Terre du Milieu en quête d'un royaume plus clément à leur égard, mais… » commença le vieux magicien.
« Ils n'ont pu les accepter. A cette époque, l'Alquaeleni, malgré le fait qu'elle soit d'origine divine, avait quelque chose de Melkor. Tous les Valar ont donné quelques qualités à la fille de Varda et de Manwë. Seulement, le côté de Melkor de l'Etoile-Cygne…se manifesta, cela est très rare. Melanna faillit tuer toute une famille royale, alors qu'elle leur demandait asile dans leurs territoires. Ce pouvoir de Morgoth est terrifiant, une fois l'Etoile-Cygne en possession de son Anneau, il peut se manifester n'importe quand, n'importe où. » expliqua Radagast.
Rose, la femme de Sam, écoutait attentivement, elle avait pensé depuis le début que cette Rôdeuse était triste de n'avoir pu être acceptée par son propre peuple. Cependant, elle décida d'intervenir.
« Elle a été privée de l'amour d'une mère, voilà ce qui l'attriste. » dit-elle en secouant la tête. « Privée d'amour, tout simplement, je trouve cela regrettable, ce manque de sentiments à son égard l'a rendue elle-même complètement sourde à n'importe quelle forme d'amour. »
« Maman-Rose, crois-tu qu'elle nous en veut ? » demanda alors Elanor.
Un faible sourire se dessina sur le visage de la Dame Galadriel. Il était vraiment amusant de voir comment les questions d'une enfant pouvaient dérouter les adultes.
« Je ne pense pas, demoiselle Elanorellë. » répondit la Dame Blanche en voyant Rose balbutier. « Allons, jeune Hobbite, approche, et ne me crains pas. »
Elanor mordit sa lèvre inférieure, et s'avança avec un grand respect auprès de l'ancienne Reine de la Lorien. Elle chuchota quelques mots en elfique à l'oreille de la petite Hobbite, et la Elanor acquiesça vivement à qu'elle lui avait dit. C'est alors que Glorfindel s'approcha, puis, un sourire aux lèvres, lui donna une enveloppe en feuilles contenant des lembas. Elanor fit une révérence assez travaillée, et ses parents comprirent qu'elle était chargée de distribuer des lembas aux absents, c'est à dire à Elilwë, jouant avec son épée, et aux trois Princes, Legolas, Elladan et Elrohir. La petite Hobbite décida d'aller voir Elilwë en premier lieu.
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« Que fais-tu là ? » demanda Elilwë.
La petite fille ne répondit pas à la question, du moins, pas dans l'immédiat. Il s'agissait d'Elanor, qui se tenait à aux côtés d'Elilwë. Ses yeux bleus étincelèrent en voyant la lampe elfique accrochée aux branches du sapin. Il faisait toujours aussi froid, mais la fille de Sam oubliait la température en dessous de zéro en portant toute son attention sur la lueur de la lampe. D'ailleurs, la lumière donnait à l'Elfe et à la petite Hobbite des allures fantomatiques, d'esprits lumineux à la peau si pâle qu'on aurait pu, elles aussi, les qualifier de lueurs.
« Je regarde la lampe. » répondit Elanor.
« Je sais que tu regardes la lampe, mais n'y a-t-il rien d'autre à faire pour une petite fille ici, à part venir m'importuner ? »
« Nan. » dit-elle sur un ton puéril. « Je m'ennuie – les conversations des adultes sont trop sérieuses pour moi. Ils parlent guerre et tuerie, et des Orques aussi. C'est ennuyeux d'être un adulte…Mais vous avez raison, il n'y a rien à faire pour moi, ici. »
Elilwë soupira. Elanor ne comptait pas la laisser en paix. Mais malgré tout, cette petite Hobbite avait une bonne manière de penser. Ne disait-on pas que la vérité sortait toujours de la bouche des enfants ?
« Comment cette lampe peut-elle briller toute une vie sans jamais s'éteindre ? » demanda Elanor.
« A vrai dire, je n'ai pas le temps de me poser cette question – ni d'y répondre. Laisse-moi en paix. »
« Vous êtes une Elfe, vous savez beaucoup de choses. Je sais que vous pouvez donner la réponse à cette question. Vous ne pouvez pas – ou ne voulez pas répondre, si vous ne savez pas. » répliqua Elanor sur le même ton.
Sur ces mots, la Rôdeuse essaya de garder son calme, elle en avait bien besoin, et puis à quoi bon passer son énervement sur une enfant qui pose une question ?
« Selon certains dires, il y a un cristal dont la lueur est éternelle dans cette lampe en métal. Ce même cristal est entouré de mailles en verre qui réfléchissent la lumière, expliqua la Rôdeuse sur un ton sombre. Tu as ta réponse, va-t-en maintenant. »
« Non. Je reste. » déclara Elanor sur un ton ferme.
La Rôdeuse fit une grimace mécontente, et continua son observation de la lampe, touchant du bout des doigts les mailles qui se voyaient – l'objet en métal qui contenait le cristal n'était pas totalement fermé. Les mailles en verre étaient brûlantes. Finalement, autant avoir un brin de conversation avec une enfant, si les adultes ne la comprenaient pas. Elanor était une fille curieuse, surtout des choses ayant attrait aux Elfes.
« J'ai des lembas, la Dame Galadriel m'a chargée d'en distribuer à tout le monde, déclara la Hobbite sur un ton fier, comme si elle était chargée d'une mission spéciale. En voulez-vous un ? » demanda-t-elle en lui tendant un gâteau elfique.
Elilwë acquiesça, en prit un, et Elanor reprit la parole.
« Je cherche le Prince Legolas. Il doit être en compagnie d'Elladan et d'Elrohir, vous savez, les fils du Seigneur Elrond. Savez-vous où ils sont ? »
« Non, je ne cherche pas à savoir leur emplacement exact, loin de là. »
Etrange ; cette petite était décidément bien étrange. Elle aimait les Elfes sans avoir appris à les connaître, il était vrai que la civilisation elfique avait toutes les raisons d'être intrigante aux yeux d'une semi fille comme elle, mais tout de même. Les Elfes, sous leur apparence d'êtres sages et calmes, étaient en réalité dangereux et redoutables d'intelligence. C'est alors qu'Elanor se rappela d'une conversation entre les Elfes revenus des Terres Immortelles. Glorfindel était troublé du manque de respect de la Rôdeuse, et Cirdàn Le Charpentier de Navires était furieux, pestant contre la jeune fille comme s'il s'agissait des Nains en personne.
« Cirdàn le Charpentier vous a qualifiée de 'petite impertinente', et de 'honte de la race elfique'. Aragorn m'avait dit pendant le voyage que vous étiez triste que les Elfes ne vous acceptent pas. Pourquoi vous trouvent-ils détestable ? » demanda Elanor.
« Les Elfes me détestent parce que je suis…différente…Avec le temps, on apprend à ne plus s'en attrister. Je modère les pleurs qui causent ma tristesse, pour les transformer en amertume et en haine. Je suis consciente du fait que je suis arrogante, je l'assume. »
« Assumer comme une assume une responsabilité ? » demanda naïvement Elanor.
Sur ces mots, la petite Hobbite vit un sourire illuminer le visage de la Rôdeuse. La pâle figure de cire qu'elle était prit un semblant de couleur, c'était certes un petit sourire – timide et à la fois franc. Elanor se rendit compte qu'Elilwë n'était pas laide. Le masque d'arrogance que la Rôdeuse portait cachait sa beauté, cette beauté si pure et fragile comme une rose.
« C'est un peu la même chose. Hélas, mon arrogance est la seule chose qui me reste à présent. Les Elfes ne veulent pas comprendre – me faire rejeter par mon propre peuple ! Quelle ironie ! A présent, je suis une princesse en exil d'un peuple qui n'existe même plus. Ma mère était une Moriquendi, et mon père un Avari ; mon ancêtre commune était une Avari, à la base. Je ne représente rien pour les Elfes. Rien. Mais tu ne peux pas comprendre cela, tu n'es qu'une enfant. » dit-elle. « Je me confie à une enfant…c'est tout simplement un acte pathétique et à la fois désespéré. »
« 'Moriquendi' signifie Elfes de la Nuit et 'Avari', les Elfes du refus. Vous refusez tout et vous aimez la nuit. » déclara Elanor, sans prêter attention au commentaire assez négatif de la Rôdeuse à propos de sa personne.
Elilwë trouvait cela étrange, après tout, elle n'avait pas tort. La Rôdeuse se refusait à devenir princesse d'un peuple déchu, et la seule Valier à qui elle se vouait entièrement était Varda, Dame des Etoiles et par conséquent, de la Nuit également. C'est alors qu'Elanor fit une sorte de moue enfantine, signifiant qu'elle était en pleine réflexion. Voir une enfant réfléchir était singulier mais fort amusant. La petite avait un doigt posé sur ses lèvres, et baissait les yeux comme un philosophe cherchant par tous les moyens à expliquer sa thèse.
« Papa-Sam dit que les Elfes sont revenus pour protéger la Terre du Milieu. Mais il trouve aussi qu'ils n'avaient pas le droit de revenir, il pense comme vous finalement. » chuchota Elanor en prenant garde qu'aucune personne à part Elilwë ne l'entende.
En voilà un avis plus que singulier. Il était rare de voir une petite Hobbite de dix ans exprimer son opinion sur une chose qui n'était effectivement pas de son âge ; le sujet de leur conversation était politique. Elanor était plus intelligente que la moyenne des Hobbits, c'était une certitude, le peuple de la Comté n'était pas connu pour une quelconque intelligence supérieure, ni pour certains travaux intellectuels se démarquant de toutes les autres races douées de parole en Terre du Milieu. Les Hobbits possédaient des livres, certes, mais ils n'en faisaient pas grand usage. Sam conservait depuis la fin de la Guerre de l'Anneau, le complétant au fur et à mesure que les années passaient, sa fille devait l'avoir déjà lu.
« Penser comme moi n'est pas une chose facile, Demoiselle Elanorellë, soyez-en bien consciente, croyez-moi, je ne connais pas grand monde qui a les mêmes opinions que moi. » déclara Elilwë.
« Tout le monde trouve les Elfes parfaits, il est rare de voir une personne, qui plus est une Elfe, détester son peuple et lui trouver des défauts. »
« Vous êtes jeune, mais dotée d'un bon sens vraiment déconcertant. » déclara Elilwë.
« Et une fois que vous respectez une personne, vous arrivez à la vouvoyer. Mais je ne suis pas une grande personne, ni une noble dame. » dit la petit hobbite.
Elanor lui adressa un sourire, et s'inclina respectueusement. La Rôdeuse réprima son amusement, elle ne pensait pas qu'une enfant pouvait avoir ne serait-ce qu'une once de respect pour elle. La Hobbite prit un pan de sa robe pour faciliter son déplacement, et salua la Rôdeuse avec réserve, sachant que le reste du groupe l'observait avec un certain étonnement, surtout Sam et Rosie, qui ne pensaient pas que leur fille puisse adresser la parole à une Rôdeuse comme Elilwë. Justement, l'Elfe pensait sincèrement qu'Elanor méritait d'être écoutée plus souvent, ses avis étaient parfois plus qu'intéressants. La petite Hobbite, entendant les cris de sa mère au loin qui l'appelaient, prit un pan de sa robe et quitta la Rôdeuse précipitamment, non sans lui avoir souhaité bonne nuit. Leur conservation se termina par un petit sourire de la petite Hobbite, et c'est ainsi qu'Elilwë la Rejetée fit la connaissance d'Elanor Gamegie, une petite Hobbite n'ayant pas conscience de l'idiotie du monde adulte. Au loin, près d'une des lampes semblables à celle qu'elle regardait, venait d'apparaître trois nouvelles silhouettes, celles des Princes.
Elle n'alla pas les rejoindre ce soir.
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Posant ses mains sur le rebord du balcon, Arwen regarda les jardins du palais de Minas Tirith, avec cette vue imprenable sur le fleuve. Le soleil se couchait au loin, près des montagnes, et à l'horizon, les Monts du Fer ne donnaient aucun signe d'activité maléfique. Elle soupira, ne sachant pas quand son aimé allait enfin rentrer de son périple. Avec Elilwë, que pouvait-il lui arriver ? Cependant, le Roi du Gondor aimait partir à l'aventure, et il revenait bien souvent avec des souvenirs lointains, avant qu'il ne sache son ascendance – celle des Rois et Reines du Gondor. Le mois de novembre en Gondor était bien chaud, aussi chaud d'une soirée du mois d'août. Le temps était lourd, et avant qu'Undomiel ne s'en rende compte, le royaume de Varda avait pris sa place dans les cieux. Elle, l'Etoile du Soir de son peuple désormais déchu, ne s'intéressait même plus aux Etoiles ; les Etoiles de Varda, les Etoiles qu'elle aimait tant les jours où son époux était là. Dans sa chambre, sa fille Elbereth était allongée sur son lit, lisant un des vieux grimoires de la bibliothèque. Enfin, près de l'armoire, une suivante jouait de la harpe en chantant un air mélancolique. Cette suivante s'appelait Ys, elle était une humaine du peuple de Gondor, fille de la bibliothécaire du palais, et également suivante d'Elilwë. Elbereth ferma le livre en un soupir enfantin, et alla rejoindre sa mère sur le balcon.
« Pourquoi Papa ne revient-il pas ? » demanda-t-elle.
Arwen tourna la tête vers sa fille, et lui adressa un sourire bien triste.
« Il reviendra, avec ton parrain Legolas. » dit alors la Reine du Gondor.
« Legolas va revenir ? Très bien, il faudra que je mette ma plus belle robe. Et j'apprendrai Elilwë à se coiffer, car sa chevelure est toujours emmêlée. » murmura la petite fille.
Elbereth avait déjà sept ans. Dotée de la beauté de sa mère, du courage de son père, et de l'intelligence des Eldar, la Princesse du Gondor attendait avec une certaine impatience l'arrivée de son petit frère ou de sa petite sœur – la Dame Undomiel était enceinte de son deuxième enfant. Ys se leva et rejoignit la Princesse.
« Demoiselle, il faudrait que vous alliez vous coucher, à présent. » dit-elle à Elbereth.
« Bonne nuit, Maman. » déclara la petite fille, et la suivante partit avec elle en direction de sa chambre.
« Je reviendrai, ma Dame. » murmura Ys avant de disposer.
Arwen acquiesça sans quitter le ciel des yeux, et lorsqu'elle se retrouva enfin seule, dans la pénombre, elle s'avança vers son lit, et s'assit sur le rebord, pensive ce soir-là. Aragorn n'allait certainement pas revenir avant deux semaines, et cela l'attristait au plus haut point. Finalement, elle ferma les yeux, ayant pris certains attraits humains lors de son mariage ; comme le sommeil humain. Elle s'endormit, ses cheveux d'ébène étalés sur la couverture de soie.
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« Bonne nuit, Princesse Elbereth. » déclara Ys en embrassant la petite sur le front alors qu'elle s'endormait.
Prenant un pan de sa robe, elle sortit de la chambre, puis, changeant d'avis, n'alla pas rejoindre la Reine, sachant qu'elle avait l'habitude de tomber dans un profond sommeil, depuis qu'elle était enceinte. Pour s'en assurer, elle s'approcha de la porte de la chambre d'Arwen, puis l'entrouvrit. Effectivement, elle dormait, et même la pièce semblait dormir, tout le palais était calme, seul le vent donnait encore signe de vie. Elle se dirigea vers la chambre d'Elilwë, souvent inoccupée du fait que sa propriétaire n'était jamais là. Des papiers voletaient dans la pièce à cause de la brise fraîche de la nuit, les Etoiles brillaient, toujours indifférentes, à travers la draperie transparente qui séparait la pièce du balcon. Sur le lit à baldaquin de la Rôdeuse se trouvait un carquois de flèches et un arc d'obsidienne. Mais cette chambre était dans un état de dérangement passif, certains vêtements étaient par terre, car Ys n'avait pas encore eu le temps de les ranger. Le plus impressionnant dans cette pièce était sans conteste la bibliothèque d'Elilwë, les étagères étant remplies de livres de géographie, d'histoire et de légendes de la Terre du Milieu. Il y avait des papiers éparpillés partout dans la pièce, surtout des croquis de tel ou tel endroit, cartes de géographie, et parmi ceux-là, un seul et unique dessin – un dessin d'Elilwë.
« Par Varda, vous avez toujours été d'une grande beauté, quoi qu'il advienne. » murmura Ys en regardant l'autoportrait de la Rôdeuse.
Dans ses yeux, se traduisait la tristesse d'être Princesse d'un peuple banni ; maudi par tous les autres peuples Elfes, que ce soit les Vanyar, les Eldar, ou les Teleri. Ce dessin n'était pas de la Rôdeuse, mais d'un poète humain, Nelë, qui vivait dans le palais. Il était secrètement tombé amoureux d'Elilwë, bien qu'il soit un peu lunatique selon certaines mauvaises langues, il avait bon cœur et son seul souhait était d'admirer la beauté de celle qu'il aimait.
« Que faites-vous ici ? » déclara alors une voix derrière elle.
Elle se retourna brusquement, la feuille du dessin encore dans sa main, et en voyant la personne, elle lâcha le croquis, qui tomba par terre sans un bruit.
« Vous ! » s'exclama Ys.
