Chapitre Six
MORGOTH
Legolas et Elilwë entrèrent dans la salle. Une vingtaine de convives les attendaient, une certaine anxiété régnait en ce lieu, ce qui inquiétait Elilwë. Plus que d'habitude, elle craignait une chose qui allait être dite ce soir. Tous s'assirent, silencieux et pensifs, ne dirent aucun mot considéré comme inutile. Une sorte de buffet avait été installé, avec des mets appartenant à la réserve, lieu où Merry et Pippin étaient déjà allés après la défaite de Saroumane, due en très grande partie à la participation aux Ents à la bataille d'Isengard. Elilwë baissa la tête, repensant à Saroumane qui la menait à la salle des archives, plus précisément en l'année 1409 du troisième âge. Apparemment, ce ne fut pas l'inondation des jardins d'Isengard causée par la rupture des barrages orques qui abîma la plus grande collection de livres et de parchemins de la Terre du Milieu. Celeborn se leva alors, et déclara :
« Ma chère épouse, veuillez à présent nous expliquez les raisons de votre retour. Et également, nous aimerions savoir pourquoi les Hobbits et les Maia vous ont accompagnés. »
Le roi de la Lorien posa alors sa main sur celle de son épouse, et Galadriel se leva, mettant l'Anneau Nenya bien en évidence. Au milieu de la grande table longue, se trouvait un espace, intentionnellement laissé. La fille de Finarfin retira son anneau et le posa près de l'espace libre.
« Nenya. » dit-elle. « L'Anneau de l'eau. »
Gandalf le Blanc se leva à son tour, montra son anneau, et le posa près de celui de Galadriel.
« Narya. » murmura-t-il de sa voix râpeuse. « L'Anneau de feu. »
Tout le monde devina une étincelle dans les yeux d'Elrond, étant donné qu'il était le troisième porteur d'un Anneau elfique. Il se leva, retira son anneau et le posa près des deux autres de façon à ce que les Trois forment un triangle.
« Vilya. L'Anneau de l'air. » déclara-t-il.
Personne ne pouvait deviner quelle était cette étrange cérémonie, seuls les concernés semblaient impassibles, contrairement à Elilwë ou encore à l'air étonné et curieux d'Elanor, qui fixait les Trois Anneaux de Pouvoir comme elle avait fixé le palantir d'Ulmo. Glorfindel se leva à son tour, et alla chercher un écrin en bois exotique, finement ciselé de signes étranges, ce n'était en aucun un alphabet elfique, ni les lettres transcrivant les sons en ancien numénorien, mais certainement une langue qui n'existait que sur les rivages des Terres Immortelles. Il l'ouvrit, le posa au milieu du triangle formé par les Anneaux. A l'intérieur de l'écrin se trouvait un coussin en soie violet, et trois autres petits écrins, à peine assez grands pour contenir une bague. Il ouvrit les trois petits écrins, décorés à la manière du plus grand. A l'intérieur se trouvait une sorte de joyau, un losange en pierre blanche lumineuse, auquel était accroché huit branches courbées et légèrement nacrées. Aux branches situés dans la direction des quatre points cardinaux se trouvait des cercles plats minuscules, de la même matière que le losange principal. Les quatre points au bout des branches est, ouest, sud et nord étaient reliés entre eux par des fils tressés en diamant. Elilwë écarquilla les yeux. Les silmarils. Trois des silmarils étaient devant ses yeux. Ils avaient été forgés par le plus doué des Elfes, Fëanor, malheureusement, Morgoth, le Valar des ténèbres les convoita, et une guerre eut lieu avant le Premier Age, preuve de la convoitise des Elfes, malgré le fait qu'ils soient parfaits. Au départ, sept silmarils subsistaient en Terre du Milieu, et il en restait un dans chaque petit écrin.
« Les Silmarils… » murmura Celeborn, mais, trop surpris, il ne dit plus aucun mot, abasourdi par le fait que trois silmarils soient encore intacts.
Legolas écarquilla les yeux, et regarda Elrohir assis à côté de lui. Comment avaient-ils pu cacher que les silmarils existaient encore ? Comment avaient-ils pu mentir à ce point là et cacher dans leurs bagages les joyaux les plus convoités de cette Terre ? Elilwë craignait que ce fussent les Valar qui les reforgèrent avec ce qui restait des silmarils. Personne ne pouvait deviner la matière en laquelle les joyaux étaient faits, à part peut être Gimli, qui avait l'œil pour reconnaître telle ou telle matière.
« Du silima pur… » murmura le nain en roulant les 'r', signe d'un quelconque accent. « Inimaginable…C'est assurément de la magie…Cela ne peut être autrement ! »
« Non, Gimli. Ce n'est pas de la magie, et les silmarils sont reliés au pouvoir de l'Alquaeleni. » déclara Frodon en intervenant soudainement. « Aulë les a reforgés pour que nous puissions nous en servir. »
« Aulë…Un Valar… » murmura Aragorn. « Pourquoi les silmarils ? Ils n'ont aucun pouvoir par eux-mêmes, mes ancêtres, Beren et Luthien, ont pu en faire usage, mais hélàs personne ne sait comment. »
Elilwë avait donc raison. Au fond d'elle-même, le seul pouvoir elfique qu'elle avait, celui de deviner les choses en avance sur le temps actuel ne se trompait jamais. Si Boromir avait été là, il aurait été attiré par ces joyaux comme il avait été attiré par l'Anneau Unique.
Le matin se levait sur la ville en ruines d'Osgiliath, alors que le fils de l'intendant Faramir terminait son discours devant les soldats victorieux. Denethor observait avec satisfaction sa chair, son sang, qui, en si peu de temps, avait mûri, pour devenir un homme. Un vrai. Et, contrairement à ce bon à rien de Faramir, lui avait réussi à repousser l'ennemi jusqu'au frontières, libérant l'ancienne capitale de Gondor. Malheureusement , la cité avait été totalement dévastée, et le sceptre que gardait Denethor avait transféré à Minas Tirith, devenant par là la ville la plus importante du royaume. Boromir retrouva son jeune frère, le serrant longuement dans ses bras comme s'il retrouvait un être cher perdu depuis longtemps. Et le regard du guerrier s'illumina soudain, voyant qu'une autre personne les abordait. Les retrouvailles furent heureuses.
« Ah, Elilwë, ma belle Elilwë ! Osgiliath est enfin sauvée ! C'est une grande nouvelle pour le Gondor ! » s'exclama Boromir en l'étreignant telle une sœur.
« Oui, et ton discours était juste…Un peu conquérant, mais juste ! » déclara l'elfe en émettant son opinion, avec une certaine ironie, tout de même. « Voici que la capitale est délivrée du joug des envahisseurs. C'est une excellente chose pour nous tous. Combien de fois n'ai-je pas combattu pour libérer… » murmura-t-elle rêveusement.
« Je ne suis pas d'accord, chère Etoile, son discours était concis et absolument divertissant ! » dit Faramir, et tous les trois éclatèrent de rire. « Holà, tavernier, ces hommes ont soif, il leur faut de la bière ! »
Le frère de Boromir interpella le tavernier qui était présent sur le champ de bataille pour soigner les éventuels blessés, et si la victoire était acquise, de leur distribuer de la bière pour réchauffer leurs cœurs meurtris par le combat. Les soldats acclamèrent cette décision avec joie, et ce fut alors que le sourire sur le visage de Faramir s'effaça.
« Oh non… » murmura-t-il.
Et Elilwë vit Denethor s'avancer parmi les hommes, les félicitant d'avoir risqué leur vie pour sauver le Gondor. Boromir accepta les congratulations de son père, bien qu'il ne fut pas très éloquent avec son cadet Faramir. Elilwë reçut des encouragements de l'intendant, mais le ton sur lequel ces paroles furent dites était froid.
« Au fait, protectrice de Gondor, je vais devoir te conférer une mission très spéciale qui concernera les elfes…Ils ont retrouvé l'Anneau Unique en la demeure d'Elrond, et un conseil s'y prépare…Ils ont besoin d'un envoyé du Gondor, et je vais te laisser y aller…A une seule condition…Rapporte-moi l'Anneau. Coûte que coûte. » expliqua Denethor en chuchotant à l'oreille pointue de la rôdeuse.
Des frissons désagréables parcoururent son dos…l'Unique. Arme redoutable mais qui permettrait de sauver le Gondor. Elle avait une décision terrible à prendre, elle ne pouvait pas réfléchir. Non, cela pouvait causer leur perte. Leur perte à tous.
Alors Galadriel se leva de nouveau, regarda toutes les personnes présentes dans la salle, et entama son récit.
« Une nuit, alors que je laissais mon esprit se reposer dans mes rêves, j'ai eu une vision. Je voyais le Mordor, et une personne enveloppée d'une cape noire assise sur un trône. C'est alors que je vis une armée d'orques s'étendre sur toute la Terre du Milieu. Je croyais avoir affaire à un simple mauvais rêve, mais hélas, c'est ce qui risque de se passer si nous ne réagissons pas. »
« Etes-vous sûre de ce que vous avez vu, ma Dame ? » demanda Legolas.
« J'en suis certaine, jeune prince…ne laissez pas votre cœur se troubler maintenant, il le sera bien plus tard. »
« Continuez, mon épouse. » déclara Celeborn.
La Reine de la Lorien accorda un regard à Celeborn, puis fixa Elrond et Gandalf. Son regard, enfin, se porta sur Elilwë. La Rôdeuse ressentit un malaise en croisant les yeux bleus de Galadriel, et baissa la tête, comme percluse dans ses pensées.
« Puis, j'ai entrevu la Tour de Barad-Dûr, et je puis vous assurer que Sauron n'était pas dans la tour. Il n'y avait pas l 'Œil Unique qui regardait nos agissements. Je suis alors sortie de mes rêves, ne pouvant croire que le mal est revenu. Car le mal est revenu en Terre du Milieu. Les Neuf sont éveillés. »
« Les Neuf ! s'exclama Elilwë. Les Nazgûl ? Comment cela peut-il exister ? Je ne connais aucune puissance, bonne ou mauvaise, capable de les faire renaître. L'Anneau Unique a été détruit, il est impossible que… »
« Demoiselle Alquaeleni…Connaissez-vous une puissance capable de faire revivre les humains trépassés ? » demanda alors Glorfindel.
Elrohir regarda la Rôdeuse, qui crispa ses mains sur les rebords de sa chaise, et avec une certaine nervosité, elle acquiesça. Un hochement de tête. Radagast et Gandalf se regardèrent, elle semblait intimidée ; ce qui semblait étonnant pour une personne possédant un tel caractère.
« Elilwë, tu dois le dire. Tu sais. » dit Aragorn en posant sa main sur la sienne.
« Estel, je ne le crains pas…Son nom est simplement sacrilège. Je ne peux le prononcer…Quelle preuve avez-vous de sa renaissance ? » demanda-t-elle en s'adressant à Glorfindel.
« Les Valar nous l'ont dit. » intervint Bilbon. « Varda et Manwë nous ont envoyés en Terre du Milieu. Nous savons que nous pouvons être d'une quelconque utilité. »
« Manwë et Varda ? » demanda Aragorn. « Directement ? Ils vous ont chargé d'aller en Terre du Milieu ? »
« Oui. Du moins, leur esprits respectifs, le vent et les étoiles, nous ont envoyés des signes, et nous les avons interprétés. » répondit Radagast en tirant sur sa pipe.
« Et…dans vos conversations, vous parliez de l'Alquaeleni… » murmura Merry.
Un léger sourire se lut sur le visage d'Elrond, et il déclara :
« Maître Meriadoc et Maître Perëgrin, je vois que nos conversations sensées restées secrètes n'ont pas échappé à vos oreilles de Periannath. »
« Pourquoi l'Alquaeleni ? Va-t-elle devoir se sacrifier ? » demanda Sam. « Nos légendes relatent de ce fait, Tintawen la Belle, l'ancêtre de la demoiselle Alquaeleni, est venue en Comté. Elle y a planté un chêne, le chêne de Cul-de-Sac. Et je puis vous assurer que cet arbre est plus que millénaire. »
« L'Alquaeleni va devoir se sacrifier, en effet, maître Gamegie. C'est le seul moyen pour contrer l'ennemi…pour le moment… » déclara Viressë, ne s'étant guère manifestée jusqu'à maintenant.
Legolas était assis à côté d'Elilwë – cela ne lui déplût pas, bien au contraire – il la trouvait aussi belle, aussi magnifiquement parée qu'une princesse, mais chassa tout de même certaines pensées de son esprit. Il se pencha vers l'oreille pointue de la Rôdeuse, et lui murmura :
« Je sais à qui vous pensez, demoiselle… »
« Arrêtez, je ne puis le dire…Ce mot ne doit pas être prononcé, il est la source du mal absolu… »
« Dites-le, je vous en prie…Vous le savez…montrez aux Elfes que vous savez raisonner comme eux… »
« Cessez de m'importuner ! » déclara-t-elle.
C'est alors que Galadriel remarqua la proximité de Legolas envers Elilwë, et elle devina la conversation entre la Rôdeuse et le prince.
« Prince Legolas ! Elle n'a nul besoin de le dire. » déclara-t-elle. « Le Prince des Ténèbres est de retour. C'est lui qui a ressuscité les Nazgûl. »
Legolas regarda Galadriel avec une sorte d'effronterie.
« Morgoth… » murmura Elilwë.
Tout la salle fit un silence. Morgoth était de retour. Et cette Rôdeuse, au destin peu commun, avait osé le dire.
« Comment a-t-il pu quitter la frontière au-delà de l'espace et du temps ? » demanda Aragorn. « Les Valar ont assurément relâché leur surveillance, laisser Melkor sans surveillance dans sa prison est une grave erreur ! Après sa défaite, il a été condamné à rester hors des limites du temps, au-delà des cavernes de Mandos. »
« Peut-être était-ce cela, le destin de l'Alquaeleni ? Melanna, la présente Alquaeleni, possède toutes les caractéristiques des Valar qui ont participé à la création de l'Etoile-Cygne. Manwë est le frère de Melkor, malheureusement – et cela, peu de gens le savent – le prince des ténèbres déversa une partie de lui dans l'âme de l'Alquaeleni. Le pouvoir de Melkor peut tuer n'importe qui, pourvu que l'Etoile-Cygne se trouve près de lui. Si le sacrifice est en marche et que le pouvoir se déclenche, Alquaeleni mourra, mais en faveur du mal. Le destin de l'Etoile-Cygne est lié à celui de Melkor. » expliqua Elilwë.
« Pourquoi avez-vous reforgé les Silmarils ? » demanda Merry.
« Les Valar en ont besoin. Les pouvoirs pour pouvoir tuer une personne de sang divin sont immenses…Varda déversa tous les pouvoirs des Valar capables de sacrifier Alquaeleni dans les Silmarils…et… » déclara Elilwë.
' Et ? ' demanda mentalement Galadriel.
' Rien.' répondit la Rôdeuse.
Glorfindel hocha la tête, en signe de remerciement, et Elilwë soupira. Elle n'avait pas l'air de craindre Melkor, seulement d'avoir un dégoût inimaginable pour lui.
« Le craignez-vous, demoiselle ? Votre cœur est-il troublé lorsque vous pensez à Melkor ? » demanda Gandalf.
Elilwë regarda Elrond, puis Elanor qui semblait avoir peur de la tournure des évènements, comme toute personne présente dans la salle. Elle baissa la tête, regarda ses genoux, et ferma les yeux. Tout le monde attendait sa réponse.
« Alors ? » demanda Glorfindel.
La Rôdeuse était assurément troublée, mais elle ne montra aucun signe de cela.
« Non. » dit-elle simplement en relevant la tête. « Je ne le crains pas. »
C'est alors qu'Ulvian, qui savait le destin de cette Terre du Milieu mieux que quiconque se leva, parcourut la salle des yeux, et prit la parole de sa voix grave :
« Minas Morgul, comme vous le savez tous, était autrefois Osgiliath, la seconde ville principale du Gondor. Il est à présent le repaire du Roi-Sorcier et de ses sbires. Minas Tirith est en grand danger. » dit-il.
Aragorn parut choqué, malgré tout, ses frontières étaient bien gardées, il ne put cependant s'empêcher de s'inquiéter pour sa femme et sa fille.
« Le Mordor a repris son activité. » déclara Viressë, son regard inexpressif se portant sur une étagère en particulier. « Son volcan crache des milliers de rivières de lave maléfiques. La réponse à vos multiples questions se trouve dans un de ses livres, et je crois savoir que la demoiselle Elilwë l'a déjà lu… »
La Rôdeuse acquiesça, sans toutefois prendre la parole. Elle avait déjà visité une contrée lointaine, là où le sacrifice de l'Alquaeleni devait avoir lieu. Cependant, le sacrifice était également faisable à la source du mal même, c'est-à-dire aux prétendues ruines de Barad-Dûr, 'prétendues', puisque selon les dires des revenants des Terres Immortelles, elle avait été reconstruite.
Elilwë eut des frissons dans le dos, et se sentit mal à l'aise, en repensant à tous ces évènements, et en son cœur, Legolas le savait. Comme si, après l'avoir vue sous sa vraie nature – plus féminine que son côté « Rôdeuse qui déteste n'importe quelle forme vivante , il ressentait ses sentiments. Il voulait lui apporter de l'aide, mais elle allait sans doute le refuser, sous prétexte qu'elle pouvait se débrouiller toute seule.
« Bien. » déclara Celeborn. « Mangeons, en espérant que nous puissions contrer toutes les forces du mal qui nous accablent. »
C'était une manière dramatique de le dire, mais l'unique chance de la Terre du Milieu était sans aucun doute le sacrifice de l'Alquaeleni. Tous mangèrent, les conversations animées existaient, mais à chaque fois, Elilwë ne s'y mêla point. Elle n'avait aucune envie de parler, n'avait jamais eu cette envie, et laissa son esprit vagabonder parmi les nombreux souvenirs qu'elle avait. Elanor, la seule enfant, s'était mise dans un coin et lisait un livre à propos de l'histoire des Hobbits. Seul un chapitre était consacré aux Periannath, mais tout ce qui concernait sa propre race était bon à lire, ne fut-ce que quelques paragraphes. La Rôdeuse se leva, et alla rejoindre la petite Hobbite. La fille de Sam était assise en tailleur, le lourd livre sur les genoux, et semblait très absorbée par sa lecture.
« Bonsoir, Elanorellë. » dit Elilwë.
Elanor leva les yeux et adressa un sourire à l'elfe.
« Bonsoir, Dame Elilwë. » dit-elle sur un ton travaillé. « Asseyez-vous, je vous en prie. »
Sa voix enfantine était claire, mais Elilwë aimait sa compagnie en tant que celle d'un être vivant doté d'intelligence, et ne regardait point la jeunesse ni la taille réduite de la petite fille. La Rôdeuse hésita au premier abord, mais se décida à s'asseoir près d'elle.
« Pour une femme non mariée, généralement, on dit 'Demoiselle'. »corrigea-t-elle de sa voix rauque.
La voix d'Elilwë n'était pas vraiment rauque, mais seulement, il n'y avait pour ainsi dire pas de son dans sa voix. Elle parlait toujours dans un souffle, à la manière des Dunedains Rôdeurs, mais certainement pas comme une jeune femme elfe noble.
« Demoiselle Elilwë, excusez-moi. »
« Ce n'est pas grave. Que lis-tu ? »
« Un livre sur les Hobbits. Les notes sur nous sont bien rares, mais je viens de trouver pourquoi notre race est allée en Comté. Ici, ils supposent qu'une épidémie est à l'origine de cela. »
Un léger sourire, un vrai, se dessina sur les lèvres de la Rôdeuse. Etre au contact d'une enfant avait l'air de changer son humeur.
« Vous êtes belle quand vous souriez. » déclara Elanor.
« Non, je suis loin d'être belle. L'idéal de la beauté chez les Elfes est d'être pure et féminine. Hélas, je ne suis ni l'un ni l'autre. Aucun homme ne veut de moi parce que je suis laide…C'est comme cela. »
« Vous n'êtes pas laide. Pas à mes yeux. Regardez-moi, j'ai des pieds poilus et je suis petite. Je crois qu'il y a un garçon de Lézeau qui est tombé amoureux de moi, mais… »
« Aucun elfe n'est tombé amoureux de moi…Te voir me fait penser que je n'aurai jamais d'enfants, ou que je ne les verrai pas grandir… »
« Pourquoi cela ? »
« Je suis une Rôdeuse. Je ne suis pas faite pour m'occuper des enfants. »
« Toutes les femmes savent s'occuper des enfants, même vous. De toute façon, je veux me marier assez tard. Je veux profiter de ma jeunesse, moi, et puis jouer avec ma petite sœur et lui apprendre tout ce que je sais. »
« Tu as donc une petite sœur ? »
« Oui, elle s'appelle Boucles d'Or et elle a deux mois. Une tante la garde en Comté en ce moment. Et vous, avez-vous une sœur ? »
Elilwë repensa à sa chère demi-sœur, le seul membre de sa famille qu'elle adorait par-dessus tout.
« Pas vraiment. » répondit-elle.
Elanor ne comprit pas la signification de ses paroles ; étant une enfant, elle ne pouvait deviner.
« Et toi, qu'as-tu retenu de…notre conversation ? »
« Je ne comprends pas pourquoi les Valar ont permis que Melkor survive. » dit-elle.
« Les Humains appellent les Valar des 'Dieux'. Ils sont immortels et leur corps ne peut être perdu ni détérioré par le temps. Contrairement aux Elfes, qui peuvent recevoir des blessures. »
« Oh. »
« Mais tu as raison, les esprits maléfiques ne devraient pas exister. »
« Gandalf m'a dit que l'Alquaeleni était votre mère. Est-ce vrai ? »
« Oui. »
Elle ne dit plus aucun mot. Cette fois-ci, Elanor devina tant bien que mal un malaise entre l'Alquaeleni et Elilwë.
« Vous êtes fâchées, votre mère et vous ? » demanda-t-elle naïvement.
« Nous l'avons toujours été. » répliqua la Rôdeuse.
« Vous savez quoi ? J'aime votre compagnie. » déclara Elanor.
Elilwë baissa la tête. C'était un compliment qui ne pouvait pas la laisser insensible, et elle se mit à rougir.
« Vous voulez paraître insensible, mais en réalité, vous ne l'êtes pas. » dit la petite Hobbite.
Elle referma le gros livre et le remit tant bien que mal sur l'étagère.
« Je dois aller rejoindre mes parents, bonsoir, Dame…heu…Demoiselle Elilwë. »
' Tes parents ont beaucoup de chance, petite…' pensa Elilwë.
Elle se retourna et quitta discrètement la pièce, enfin seule, parcourut les couloirs de la Tour d'Isengard, et décida d'aller prendre l'air malgré le temps froid qu'il faisait. La nuit, pour Elilwë, avait quelque chose de très particulier. Les Etoiles brillaient, la lune, par contre, n'était plus présente, due à sa décroissance. Après tout, cette période de douze heures avait quelque chose magique. De plus, les jardins de la tour possédaient eux aussi leurs particularités, comme les plantes qui ne mouraient jamais, placés sous la protection de Yavanna, la Vala de la nature et du renouveau printanier. Elilwë contempla alors les crevasses gigantesques laissées par les Orques, afin de reproduire les Uruk-Hais, créations ignobles destinées à contrer l'avancée de la Communauté de l'Anneau. Elle laissa donc ses pensées vagabonder, mais ses pensées se fixaient surtout sur toute l'explication que Galadriel avaient fourni. Pourquoi les avaient-ils prévenus si tard de la renaissance du mal absolu ? A présent, Melkor recherchait Melanna, afin de la sacrifier à son profit, et de cela, Elilwë en était certaine.
Soudain, un bruit étrange la fit sortir de ses rêveries. Un craquement de branche que ses oreilles elfiques n'avaient pas manqué de dénoter. Et dans un coin d'ombre, entre deux pins, elle vit deux yeux jaunes brillants l'épier.
