Chapitre Sept
BAISERS INTERDITS
Elle sursauta, ne sachant pas quelle était cette chose qui la regardait. La Rôdeuse souleva alors légèrement sa robe, dévoilant des sandales elfes, nouées par des lacets aux chevilles, et une lame y était accrochée. Plus vite que l'œil humain ne pouvait le voir, elle eut le réflexe de sortir l'arme et la pointer en direction des deux yeux jaunes qui la fixaient.
« Qui est là ? Montrez-vous ! N'ayez pas l'impudence de vous cacher ou vous goûterez à ma lame ! » s'écria-t-elle.
Sa voix était tremblante, non pas qu'elle craignait la chose qui l'observait, mais la nuit environnante et les différents sons inquiétants qui parvenaient à ses oreilles n'étaient sûrement pas là pour lui rappeler qu'elle était dans un endroit sécurisant, et malgré le fait qu'elle soit une Rôdeuse, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur. Les yeux jaunes clignèrent une fois, et une grande forme brune sortit de l'endroit où elle était cachée. Elilwë recula, inquiète de savoir qui était cette chose qui semblait avoir beaucoup d'intérêt pour elle.
« Houm, ha, hem…ne reconnaissez-vous pas vos alliés, demoiselle Alquaeleni ? Vous ne m'avez jamais vu, et pourtant tous les Ents vous connaissent. »
Les Ents ? La chose qui l'observait était assurément non-humaine, et l'elfe ne sut que penser de cette situation délicate. Un Ent irait la voir, elle, la Rôdeuse antipathique et sans-cœur, elle, l'errante sale ? Elle, la princesse déchue d'un peuple inexistant ? Elle, simple fille d'une demi-déesse qui ne portait aucune attention sur elle ? Elilwë fut tentée de s'étonner , mais, trop surprise, ne dit cependant pas un mot.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-elle.
Les yeux jaunes de la créature, ou du prétendu Ent clignèrent deux fois, et la masse brune qui servait de tête à la chose se pencha sur le côté, comme pour mieux observer la Rôdeuse.
« Les Ents, petite elfe, pensez aux Ents… » murmura la créature.
A la lueur des étoiles, le prétendu Ent avança d'un pas lourd qui fit craquer quelques branches mortes au sol. Elilwë se recula, tenant toujours la lame, et elle se méfia. Les choses, en ce moment, n'étaient pas celles qu'elles paraissaient être en Terre du Milieu.
« Les Ents ? Etes-vous Sylvebarbe ? »
La chose toussota, et continua, de sa voix grave, presque gutturale et lente, son récit, du moins, les quelques mots qui dévoilèrent définitivement son identité à son interlocutrice.
« Vous possédez, hem, broum, une grande perspicacité…demoiselle… »
La grande masse brune, qui se révéla être Sylvebarbe mesurait environ cinq mètres de haut, et il fit un pas en avant, montrant ainsi à ce qu'il ressemblait.
« Broum…Voilà…vous n'avez rien…à craindre… » déclara alors Sylvebarbe, se dévoilant aux yeux de la Rôdeuse.
La grande silhouette sombre ressemblait en effet à un arbre, au tronc d'un brun sombre, et aux branches noueuses. Deux branches plus grosses que les autres, terminées par un feuillage épars, faisaient office de bras, et le tronc se séparait vers le bas en deux parties, se terminant par des racines solides, étaient en fait les jambes de l'Ent. Ensuite, la cime de l'arbre était composée d'un amas noueux de matière d'arbre et de feuilles, il n'y avait aucun autre définition, vu que le tronc était à cette partie beaucoup plus gros en diamètre. Un trou noueux servait de bouche, et des gros yeux jaunes aux pupilles noires comme les yeux de l'elfe regardaient aux alentours, d'un air inquiet. Enfin, une barbe composée de feuilles et de petites branches pendait au bout du menton de l'Ent, lui recouvrant cependant une grande partie de son visage.
« Oh, c'est donc vous. » dit-elle en replaçant la lame à son endroit initial.
Elle souleva légèrement sa robe de nouveau, et glissa habilement la lame entre les lacets de ses sandales et sa peau. Sylvebarbe semblait quelque peu gêné, car il trahit une couleur différente à l'emplacement de ses joues. Elilwë secoua la tête, le léger déplacement des coins de ses lèvres trahissaient quant à eux un certain amusement. Ce n'était pas un sourire, mais un rictus, comme d'habitude.
« Les murmures de la forêt parlent beaucoup de vous en ce moment…et de votre mère…enfin, si je puis appeler votre génitrice ainsi… » murmura l'Ent, sachant l'antipathie qui séparait Melanna et Elilwë.
« Elle m'a donné naissance, et il est certain qu'à un moment donné, Melanna se passait pour une mère. Elle s'est détournée de ce chemin il y a fort longtemps… » déclara Elilwë, en regardant Sylvebarbe droit dans les yeux.
Elle baissa la tête, en repensant aux moments, aux bons moments passés avec sa mère, les rares qu'elle avait pu obtenir d'elle. Maintenant, elle était une femme, et toute la haine que Melanna avait au fond d'elle était reportée sur son enfant. Son époux n'avait pu la combler en lui donnant de l'amour, pourquoi allait-elle aimer la progéniture d'un homme qu'elle détestait plus que tout ?
« Hem, houm, ha, maintenant, la petite fille qui prenait une épée comme ' joujou ' a grandi, et certes, son épée n'est plus un jouet, mais un moyen pour elle de se faire remarquer dans un monde viril et parfois mesquin… »
Il semblait à Elilwë que son cœur était plus léger lorsque l'Ent prononça ses paroles, il n'avait certainement pas tort.
« De quoi parlent les murmures de la forêt, Sylvebarbe ? » demanda la Rôdeuse.
« Des choses qui furent, et des choses qui seront…houm, broum, ha…mais également du présent…Oromë, le Seigneur des Forêts, fait courir un bon nombre de rumeurs parmi nos amis…les feuilles murmurent votre nom, les racines chuchotent vos pensées, et les branches ne font que répéter vos dires…plein de secrets emplissent Fangorn aujourd'hui, d'autant plus que le mal revient…le mal ultime... »
« Melkor s'est libéré des limites du temps et de l'espace…Je ne sais rien à ce sujet, Sylvebarbe, et vous avez l'air d'en savoir plus que moi… »
« Le savoir ! Savez-vous seulement que le savoir est un lourd fardeau, même pour un esprit de la forêt tel que moi ? »
Sur ces mots, qui semblaient prendre de la gravité par la bouche de Sylvebarbe, Elilwë ne sursauta point, à la grande surprise de l'Ent, car le don qu'elle possédait l'aidait à ne pas être surprise de certains évènements futurs.
« Savez-vous la vérité ? » demanda-t-elle.
« Un Ent sait beaucoup de choses… »
« Dites-moi tout, Sylvebarbe, je dois savoir ce qui se passe en Terre du Milieu ! » s'écria-t-elle soudain.
Sylvebarbe tendit sa grande main, et s'agenouilla devant Elilwë, l'invitant à monter sur son épaule. Il voulait sans doute la mener à un endroit où les oreilles indiscrètes ne pourraient les entendre. La Rôdeuse hésita, puis se décida à monter sur l'Ent, bien que ce ne fusse pas facile avec une robe. Après tout, si deux Hobbits avaient réussi à se hisser en haut des cinq mètres d'un Ent, une Elfe était parfaitement capable de faire la même chose. Elle s'assit alors sur l'épaule de Sylvebarbe, se cramponnant au cou de la créature, et il entama sa marche vers une partie plus secrète de la forêt qui entourait Isengard. Pendant qu'il marchait, ils continuèrent leur conversation.
« Tout d'abord, sous quelle forme pourrait se présenter Morgoth ? »
« Hem, ha, sous forme d'un esprit…un esprit encore volatile. Mais tant qu'il n'a pas recouvert toute sa puissance, il ne peut quitter le Mordor…Tout ce qu'il recherche en ce moment est l'Alquaeleni, votre mère. »
« Il recherche les Silmarils…c'est pour cela qu'il a ressuscité les Neuf… » murmura-t-elle.
« C'est exact, demoiselle…Les Valar ont reforgé les Trois…et si jamais il met la main dessus, il pourra retrouver sa forme physique… »
« La tâche sera plus ardue que vous ne le pensez, Sylvebarbe…il lui manquera les quatre autres silmarils, et personne ne sait quel est leur emplacement… »
« Vous pensez vraiment que cette légende puisse exister…hem, ha…Fëanor aurait donc forgé Sept Silmarils au lieu de Trois ? »
« Oui…à vrai dire…. Il en fit trois pour commencer, mais il avait nombre de convoitises cachées, et en forgea donc quatre de plus. Il aimait ces joyaux, aurait donné sa vie pour de simples pierres qui recelaient un bien moindre pouvoir. Malheureusement, sa cupidité l'aveugla, et il perdit quatre des sept Silmarils à sa disposition alors qu'il voulait les mettre en sûreté dans un lieu secret. Leur perte, d'après certains dires, serait due à une attaque de Suderons sur la route de Fëanor, qui partagèrent ensuite les Silmarils parmi les quatre tribus qui existaient au sein de leur peuplade. Leur trace s'arrêta là, et personne ne sut ce que devinrent les Silmarils perdus. De plus, les Trois qu'il avait furent eux aussi délaissés, un fut perdu dans les profondeurs de la Mer, le second tomba dans l'abîme avec son porteur, et le troisième devint Etoile pour donner de l'espoir aux Hommes et aux Elfes… » expliqua la Rôdeuse.
Sylvebarbe s'arrêta alors dans une clairière, et déposa Elilwë sur l'herbe, qui, avec la rosée glacée, était aussi fragile que du cristal. Vêtue d'une robe relativement légère, Elilwë frissonnait à chaque brise un peu plus forte que la précédente, peut être était-ce à cause d'un sentiment d'insécurité qu'elle se mit à trembler, mais Sylvebarbe ne put sonder l'esprit tourmenté de l'elfe.
« Voilà qui est…houm, hé, très justement expliqué, demoiselle…Le Mal recherche donc les Sept Silmarils afin de pouvoir tuer l'Alquaeleni à son profit. »
« Le pouvoir de Morgoth que l'Etoile-Cygne possède peut se déclencher à l'improviste...parfois, le prince des Ténèbres sera capable de le déclencher…mais tout de même, si le monde est entouré de ténèbres, on pourra dire que le hasard y était pour quelque chose. » dit-elle sarcastiquement.
« A présent, Melkor recherche les Silmarils…et votre mère… » déclara l'Ent. « Et les Ennemis sont déjà en route pour Minas Tirith, bien qu'il ont oublié l'emplacement exact de la ville…Les Nazgûl ne sont plus les mêmes ; demoiselle. Prenez garde aux Esprits Servants ! »
Elilwë s'inclina avec grand respect, elle n'allait pas oublier les paroles de Sylvebarbe. Tout ce qu'elle savait était quelque part enfoui dans sa mémoire et il fallait qu'elle les utilise à bon escient. Tout en pensant, elle ferma les yeux ; et ses souvenirs s'axèrent sur les nombreuses batailles passées auxquelles elle avait pris part, dont certaines avec les Nazgûls. Il fallait qu'elle se méfie de ces créatures, ces esprits ignobles dont le seul but était de tuer. C'est alors qu'une main se posa sur son épaule, et Elilwë sursauta, brusquement sortie de ses pensées.
« Demoiselle ! »
Cette voix était masculine, mais elle ne pouvait pas savoir qui était l'inconnu qui l'avait surprise. Elle ouvrit les yeux, et devant elle se trouvait Elrohir, une lueur d'inquiétude se vit en son regard.
« Que faisiez-vous dans cette clairière ? » demanda-t-il.
Elilwë se tourna vers les arbres, il n'y avait malheureusement plus aucune trace de Sylvebarbe. L'Ent était parti, laissant la Rôdeuse et le fils d'Elrond, seuls, dans le parc d'Isengard.
« Je parlais…à un vieil ami… » murmura-t-elle, regardant les Etoiles.
Elrohir posa sa main sur le front de la Rôdeuse, et avec un sourire lui demanda si elle n'était pas souffrante. Elilwë fixa le prince d'un air gêné, mais ne répondit pas à la question, et se contenta de marmonner quelques paroles incompréhensibles.
« A un très vieil ami… » continua-t-elle.
A vrai dire, elle était sans aucun doute déconcertée par la présence d'Elrohir à ses côtés, lui qui n'avait jusqu'à maintenant manifesté aucun signe de sentiment à son égard. Il semblait plus aimable, et était sans aucun doute plus enclin à tenir une conversation avec elle.
« Legolas et mon frère s'apprêtaient à partir à votre recherche. Nous étions inquiets de votre si soudaine disparition. » dit-il avec un sourire.
« Soudaine, certes, mais je n'aime guère rester en compagnie d'autres gens, surtout si ceux-ci sont des elfes. Vous devriez pourtant le savoir, mon prince. » déclara-t-elle.
Elle soupira. Se savoir seule près d'un elfe lui rappelait vaguement la conversation qu'elle avait eu avec Legolas quelques jours plus tôt. Le Prince de la Forêt Noire l'avait abordée pour une raison inconnue. Son pouvoir elfique, aussi moindre fut-il, aurait permis de découvrir quelles étaient les motivations futures de la personne qui allait l'aborder, ou tout simplement connaître son identité. Dans ce cas là, Elilwë n'avait rien pu déceler auprès de cet elfe sensé être calme et posé mais néanmoins coureur de jupons. Quant à l'arrivée d'Elrohir, en son cœur, était prédestinée, sans aucun doute, car la Rôdeuse savait qu'il allait l'aborder à un moment où à un autre, lors de cette journée riche en surprises.
« Vous êtes fort mystérieuse, demoiselle Elilwë, vous devriez pourtant le savoir. » rétorqua Elrohir.
Elle ne prit pas la peine de répondre et fit signe à Elrohir qu'elle allait retourner en direction de la Tour. Il lui proposa alors de l'accompagner, et elle accepta avec une certaine réticence. Pendant qu'ils marchèrent en direction d'Isengard, le Prince tenta d'entamer une conversation avec Elilwë.
« Le Seigneur Cirdàn a une mine bien renfrognée depuis que vous êtes arrivée au Mont Venteux. Il avait connu votre père, à une certaine époque, n'est ce pas ? »
« Oui, c'est exact. Fëagaer des Havres Gris est mon père. A mon avis, il avait une très mauvaise opinion sur lui, et comme je suis sa fille, il ne doit pas forcément apprécier la progéniture maudite de celui-ci. Et puis, je hais aborder le sujet de ma famille. » dit-elle froidement.
« Pardonnez-moi, on me reproche souvent d'être d'une nature trop curieuse, ce qui n'est pas forcément en accord avec ce que je suis. On me considère comme étant discret, à mes yeux, lire un livre est plus intéressant que de manier une épée ou de tuer des orques. »
Elrohir baissa la tête, puis, discrètement, lança un regard appuyé à la Rôdeuse, comme voulant lui dire quelque chose de difficile.
« Qu'avez-vous donc à me dévisager de la sorte, maître Elrohir ? » demanda-t-elle.
Il ne répondit pas à la question, et, d'un froncement de sourcils, manifestait une certaine inquiétude. Elilwë pouvait sonder qu'il semblait déconcerté par tout ce qui arrivait, il était perdu, même lui, revenu des Terres Immortelles, ne comprenait pas pourquoi les dirigeants elfiques mirent autant de temps à expliquer la situation grave de la Terre du Milieu. Et la Rôdeuse devinait que ses idées et les siennes étaient en accord, en parfaite symbiose. Le Vent souffla sur le parc d'Isengard, glacial, et les plaies sur les mains d'Elilwë provoquaient une douleur fort lancinante. Le froid pouvait causer certains effets sur elle – sans doute à cause de ses rapports avec les elfes. Vivre avec les humains avait supprimé certains attraits elfiques en elle.
« Avez-vous froid ? Seule une Elfe malade peut ressentir le froid…Vous vous sentez assurément mal ! » s'inquiéta Elrohir.
« Non. Je ne suis pas tout à fait elfe…le sang des Valar coule en mes veines, ce qui rend ma perception différente…le froid et la chaleur peuvent causer certains effets minimes sur mon physique. »
Elrohir acquiesça, et lorsqu'ils arrivèrent près de la Tour, Elilwë se tourna vers le prince.
« Je vous remercie de m'avoir accompagnée, mon prince. Bonne nuit. »
Un mouvement un peu brusque d'Elrohir la fit sursauter, et il la retint par l'épaule. Elle ne put se dérober, et il caressa lentement sa joue. Elle ne voulut pas arrêter son geste. A quoi bon ?
' Dans quelle situation me suis-je empêtrée ? ' pensa-t-elle.
Les mains douces du prince descendirent vers ses hanches, et ses bras encerclèrent sa taille. Il semblait à Elilwë que l'amour elfique, courtois dans toute sa splendeur était reproduite par Elrohir.
« Vous ne laissez pas forcément le temps à vos interlocuteurs de vous souhaiter, à vous aussi, bonne nuit. » dit-il.
« Je suis comme le vent…libre de partir à tout loisir… » répliqua-t-elle.
« Le vent est invisible…et vous ne l'êtes pas…Permettez-moi… »
Elle sentit alors que les bras d'Elrohir appliquèrent une pression pour que leurs hanches se retrouvèrent en contact. Elle sentait les battements de son cœur s'accélérer, et son souffle, à quelques centimètres de son visage.
« Permettez-moi de… » répéta-t-il.
Leurs lèvres entrèrent en contact. Ce ne fut qu'un très léger baiser pour commencer, mais très vite, elle encercla son cou de ses bras, glissant ses doigts dans ses cheveux noirs, comme les siens. Inconsciente, elle ne savait pas quoi faire d'autre. Elle avait vaincu tous les ennemis ; mais il y avait un combat perdu d'avance, celui de l'amour. Ils se rapprochèrent encore plus, aucun espace ne résidait entre leurs deux corps ; mais aucun désir n'émanait d'eux. Juste une sorte d'attraction animale, de recherche d'un réconfort mutuel. Elle gémit contre ses lèvres, et permit enfin à son compagnon d'approfondir ce baiser. Il se fit plus passionné, plus ardent aussi, et Elilwë ne voulait pas lâcher prise. Son corps demandait plus, mais son cœur voulait à tout prix cesser cette si délicieuse torture. Quant à sa conscience, elle était perdue, et même le seul pouvoir elfique qu'elle avait semblait absent. Pourtant, depuis quelques temps, il était omniprésent, obsédant, et cherchait sans cesse à lui montrer l'avenir proche.
' Elilwë…oh…j'aimerais tant…' pensa Elrohir.
Et la Rôdeuse savait dans ses pensées qu'il ne voulait pas s'arrêter. Mentalement, elle reçut nombre d'éloges sur sa beauté, même son côté libertin avait été complimenté. Et son pouvoir elfique lui supplia De cesser ce tourment qui allait sans aucun doute lui causer de graves ennuis. Elilwë, dans un ultime effort, repoussa violemment Elrohir. Tous deux étaient essoufflés. Ils portèrent leur regard vers l'entrée d'Isengard. Et là, dans l'ombre, Legolas regardait, arc à la main, une lueur de furie dans les yeux. Il s'entoura de sa cape grise, en proie à une furie incommensurable, se retourna, et entra dans Isengard.
« Je suis confus, demoiselle Elilwë…pardonnez-moi. » déclara Elrohir, en touchant ses lèvres.
Elilwë posa son index sur les lèvres du prince, lui indiquant de se taire, et murmura :
« Bonne nuit. »
Sa sombre silhouette n'était plus là, et seul restait Elrohir, et le murmure du vent glacial, soufflant, encore et toujours, sur Isengard.
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Le matin se leva, et ceux restés en Terre du Milieu eurent le temps de réfléchir aux récents évènements. Elilwë ne dormit pas cette nuit-là. Le baiser d'Elrohir l'avait troublée, et elle ne parvint pas à trouver le sommeil. Cela ne l'incommoda guère, les rêves qu'elle faisait souvent pouvaient lui fournir un sommeil plus que suffisant. Isengard était décidément un endroit bien étrange, et tous les Elfes avaient l'impression que leurs pouvoirs elfiques étaient renforcés. Après tout, cela était fort possible. Quant aux deux gardiens de la Tour, Ulvian et Viressë, le sommeil n'était qu'un aspect de vivants, eux qui parmi tous les êtres de la Terre du Milieu, pouvaient prolonger leur vie indéfiniment, contrairement aux Elfes, leur corps vieillissait jusqu'à ne plus pouvoir subir les désagréments du temps qui passe. Les Elfes restaient éternellement jeunes mais leurs souvenirs et leurs pensées s'effaçaient peu à peu en suivant les âges. Le ciel était toujours blanc, et la surprise fut de constater qu'il neigeait de nouveau. Leur prochaine destination serait sûrement Edoras, la capitale du Rohan, car les Rohirrim étaient autant concernés que les Gondoriens par la réapparition de Melkor. La guerre concernait cette fois tous les peuples d'origine pure.
Elilwë sortit alors de sa chambre, épée en main, et s'apprêta à sortir de la Tour. Un détail, néanmoins, l'attira. La réserve d'Isengard semblait tout le temps en activité, ou du moins, quelqu'un devait y passer ses journées. Une odeur âcre, comme du souffre, qu'Elilwë décela près de ce bâtiment annexe à la Tour, flottait dans les airs. C'est alors qu'elle se rendit à la réserve pour y trouver aucune âme qui vive. Cet endroit semblait fort étrange. En effet, toutes sortes de choses y étaient entreposées, de la nourriture, des fruits, des légumes, et Elilwë doutât de la présence ou non d'un potager dans le parc. On pouvait y trouver des fusées de feu d'artifice, des serres de dragon conservés dans de l'huile, et effectivement une grande quantité de souffre. Toutes sortes de potions étaient entreposées dans une armoire, et certaines armes elfiques parmi les plus mortelles étaient accrochées aux murs. L'atmosphère était étouffante, malgré le froid glacial qui régnait au-dehors. Il y avait quelqu'un dans cette salle. Elle le savait, et ils étaient de plus d'une discrétion égale à celle d'un nain, c'est à dire en vérité aucune. Elle s'approcha d'une cape jetée à même le sol, mais un très léger – précisons qu'Elilwë était fort portée sur l'atténuation de certaines choses – indiquait que quelqu'un se trouvait en dessous. Elle sortit son épée avec la rapidité elfique, et souleva brusquement le tissu fin. Deux petites personnes étaient blotties l'une contre l'autre, mangeant des pommes.
« Demoiselle Alquaeleni ! Quelle bonne surprise ! » déclara alors l'une des personnes, qui se révéla être Pippin.
« Hem….voulez-vous vous joindre à nous ? Nous prenons notre premier petit-déjeuner. » dit Merry.
Un rictus pouvait se voir sur le visage de la Rôdeuse. Après tout, ces Hobbits avaient un sens de l'humour sans même y prêter une quelconque attention. Cela leur semblait tout naturel de réagir comme cela, et ce n'était pas dénué d'un certain comique.
« Maître Touque, maître Brandebouc…je ne vous savais pas si matinaux ! Dites-moi, que faites-vous sous cette cape ? »
« Nous mangeons, demoiselle Alquaeleni. Gandalf pense qu'il n'est pas nécessaire que nous prenions deux petit-déjeuners. Seulement, l'estomac d'un Hobbit a besoin d'un apport en calories toutes les trois heures. » expliqua Pippin.
« Oui, effectivement, malgré le fait que nous avons connu des périodes de famine intenses, et que nous avons survécu sans carences, nous devons régulièrement fournir à notre organisme de quoi subvenir à nos besoins. » continua Merry.
L'explication scientifique terminée, la Rôdeuse secoua la tête. Elle était amusée, mais aucun sourire ne paraissait sur son visage, toujours aussi sévère.
« Allons, levez-vous, petits hommes, et finissez ce que vous avez dans votre bouche, maître Meriadoc ! » ordonna-t-elle.
Les deux Hobbits se levèrent tous deux en même temps, une bonne vingtaine de pommes en main, et finirent ce qu'ils étaient en train de commencer. Une autre personne fit son irruption dans la salle, et ce fut la Maia Viressë. Elle ne paraissait pas d'une excellente humeur, et sentir la présence des deux Hobbits ne fit qu'empirer les choses.
« Maître Meriadoc et maître Perëgrin ! » s'écria-t-elle. « Vous êtes aussi discrets qu'une troupe d'Oliphants à la charge ! Gandalf vous avait pourtant interdit de manger ! Les réserves sont bien maigres ces temps-ci ! Allons, allons, sortez, sortez, je ne veux plus vous voir dans les parages ! » déclara-t-elle en s'appuyant sur sa canne d'aveugle.
Les deux Hobbits partirent, et à leur grand regret furent contraints de laisser les pommes. Aussitôt les deux Periannath sortis, la Maia renifla l'air et un sourire éclaira son vieux visage, néanmoins d'une grande beauté.
« Demoiselle Elilwë…allons, asseyez-vous, dit-elle en présentant une chaise à la Rôdeuse. Une légère odeur de lavande suit vos pas, fille de Melanna. »
Viressë, qui semblait à présent apaisée, s'assit difficilement sur une autre chaise, le fait qu'elle soit aveugle ne lui empêchait pas de savoir l'identité de telle ou telle personne, ou de savoir parfaitement l'emplacement des objets dans une pièce.
« Qu'est ce qui vous amène dans cette humble réserve, demoiselle ? »
Elilwë baissa la tête, et avec une certaine réserve se contenta de répondre qu'elle avait été attirée par l'odeur de souffre. Viressë semblait enchantée de voir que sa potion, composée d'un mélange de souffre et de poudre d'écailles de dragon avait bien macéré dans l'huile.
« Pourquoi faites-vous toutes ces…décoctions étranges ? » demanda Elilwë.
« Ah…je pense que les Maiar ne doivent pas tout dévoiler aux Vivants de ce monde…néanmoins, je voudrais vous prévenir d'un terrible danger qui pèse sur vous. »
« Lequel ? Dame Viressë, vous savez tout sur les rumeurs des Valar… »
« Oui, effectivement…Varda, en particulier, me confie tous ses secrets…elle s'étonne souvent de votre indifférence envers Melkor. Vous ne craignez pas la personne, vous craignez son nom…Ce n'est plus vraiment une crainte… »
« Non ! » s'écria la Rôdeuse en se levant brusquement.
Viressë fut surprise de cette réaction, mais Elilwë s'apaisa rapidement, et se rassit à sa place.
« Je crains les Esprits Servants…Galadriel sait qu'ils sont de nouveau sous une forme physique… »
« Les Nazgûl. » déclara la Maia en exagérant l'accent. « Je veux vous parler de ce sujet, justement… »
« Cela me concerne, sans aucun doute… »
« Oui…Je vous demande simplement de vous méfier des Esprits…ils sont…différents…Leur forme physique est bien plus dangereuse qu'autrefois…et…ils possèdent à présent le pouvoir de tuer par un simple geste. Les Nazgûl sont certes aveugles, mais leur odorat est puissant… »
« Tuer par un simple geste ? Lequel ? » demanda la Rôdeuse.
« Leur bouche est un trou béant…celui-ci ne leur sert pas à respirer, loin de là…leurs assaillants, si ils venaient à se trouver à proximité d'eux, pourraient sentir la vie se faire aspirer d'eux, par un simple baiser de Nazgûl…Et leur victime est déjà toute désignée, mais ne croyez pas que tout vous concerne…Le Prince Legolas est en danger, Elilwë, les Nazgûl savent déjà d'avance qu'il va mourir… »
« Et c'est à moi de le protéger. » continua Elilwë.
« Je sais que vos relations sont très difficiles, mais avoir un mort sur la conscience est dur à supporter…nul doute que votre esprit tourmenté ne supportera pas une torture de plus…Empêchez les Esprits Servants de tuer Legolas…vos destins sont reliés par des sentiments futurs très forts… »
« Le Destin…Il y a une très légère limite entre destin et futur ; Dame Viressë… »
« Le destin est votre futur…vous ne pourrez pas y échapper… » murmura la Maia.
Elilwë déglutit, et caressa lentement son cou, comme voulant le protéger d'un quelconque coup. Son destin et celui de Legolas étaient liés. Malgré sa haine pour lui, elle devait le protéger.
« Nous allons voir, ma Dame… » déclara-t-elle.
Elle se leva lentement, et quitta la pièce sur ses mots :
« Viressë, malgré tout le respect que je vous dois, je doute que je puisse un jour avoir des sentiments pour Legolas, quels qu'ils soient. »
Elilwë sortit alors de la salle, prit son épée au passage, et ne regarda plus la Maia. Son cœur fut empreint d'une mélancolie profonde, et la Grande Prêtresse de Varda se contenta de marmonner :
« C'est ce que nous verrons, Elilwë Alquaeleni… »
