Chapitre Neuf

ETOILE ENSANGLANTEE

Les ténèbres devinrent un voile devant ses yeux. Elle eut l'impression de flotter dans un monde sans douleur, empli de lumière, et le temps n'était qu'un aspect inutile. Pourtant, elle devint vite souffrante, et revint dans un monde réel, composé en grandes parties de souvenirs anciens et de murmures elfiques. La douce voix de Galadriel l'apaisait, et les ordres fermes d'Elrond la poussaient à revenir à la vie. Elle n'était cependant pas morte, mais plongée dans un coma profond durant lequel elle put ressentir les choses de l'extérieur. Ce sommeil était calme, et en même temps troublé par nombre de tourments douloureux. Des cauchemars noirs comme une nuit sans étoile la dérangeaient dans son repos spirituel, mais la faisaient également souffrir physiquement. Deux heures ou deux siècles, quelle différence ?

Elilwë n'avait aucune conscience du temps, tout n'était que douleur et mort. Et puis, elle eut l'impression de voir quelques anciens souvenirs ressurgir, comme pour la distraire de la violente fièvre qui s'était emparée d'elle. Les chandelles des Marais des Morts, la Montagne du Destin, les Orques, la Bataille du Gouffre de Helm, la Campagne de Pelennor, et enfin l'Anneau Unique, qu'elle eut la malchance d'approcher une fois, revinrent en son esprit. Et les esprits des gens qui lui étaient chers, et qui à présent hantaient les Cavernes de Mandos, tentaient de la faire revenir à la vie. Boromir semblait lui parler, mais ce n'était en fait que de brefs souvenirs des moments qu'elle avait passé avec lui. Et Théoden…Bien qu'elle ne l'ait que très brièvement fréquenté, à lui aussi, son image revenait sans cesse, image d'un roi qui était mort pour son royaume, le Rohan, mais également pour le Gondor. Parfois, l'esprit d'Elilwë se contentait de sangloter. Des sanglots d'une enfant meurtrie, blessée par si peu d'amour. Et parfois, elle pleurait. Pourtant, jusqu'à une certaine époque, elle avait été convaincue qu'elle ne savait pas faire couler des larmes d'amertume le long de son visage pâle. Les pleurs étaient venus avec les nombreux deuils qui ponctuaient la vie d'Elilwë. Et puis, certains murmures en langage Rohirrim lui indiquaient qu'elle était passé à des endroits emplis de souvenirs sanglants, en particulier ce village de paysans en ruines. Et, Elilwë sentait la présence de son frère d'armes. Aragorn était auprès d'elle, et surveillait ce coma qui semblait n'être qu'un léger sommeil paisible.

Malheureusement, les apparences étaient fort trompeuses, et la Rôdeuse avait sa vie entre ses mains. Elle se devait de choisir entre la vie et la mort. Et le deuxième choix serait fort pratique, surtout pour ces maudits elfes qui ne demandaient qu'une seule opportunité pour se débarrasser d'elle. Cependant, sa mort chagrinerait beaucoup Estel, et les Rôdeurs du Gondor qui l'appréciaient grandement. Et elle faillit oublier la petite Elanor. Nul doute que, même si elle était parfois rude avec cette Hobbite, son cœur s'était profondément attaché à ce petit être fragile et intelligent. Elrohir serait lui aussi endeuillé par cette nouvelle, car étant le fils d'Elrond, il avait une place importante dans son cœur.

Et Legolas.

Etrangement, le prince elfe avait conquis la Rôdeuse. Elilwë se forçait à le détester, mais cette idée était une véritable épreuve. Elle haïssait les elfes, il était normal qu'elle haïsse un de leur espèce. Son père avait banni Melanna et Elilwë de la Forêt Noire. Mais l'image qu'Elilwë gardait de Legolas était bien différente de celle de Thranduil. Le père avait une apparence sévère, ferme, peu aimante. Cela avait dû s'aggraver avec le temps, depuis la mort de sa femme, sans aucun doute. Legolas, lui, était un personnage étrange, facétieux, et selon certains dires, avait beaucoup changé depuis la dernière décennie. Il était séduisant, et en même dangereux. La mer turquoise de ses yeux était froide et coupante comme de la glace, mais Elilwë aimait pourtant s'y noyer. Les ténèbres devinrent oppressantes, et son esprit s'endormit pour quelques temps. Plus aucun souvenir, plus aucune douleur, plus aucune pensée.

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Gandalf entra au sein de la cour du Roi Eomer, en compagnie d'Aragorn. En fin de soirée, le Seigneur de la Marche les avait invités afin de confirmer les alliances militaires existantes, et discuter des effectifs de cavalerie du Rohan, qui étaient assurément un bon parti pour l'ensemble des armées humaines. La grande salle du Château d'Or de Meduseld était ornée de dorures magnifiques, qui recouvraient toute l'argenterie et les candélabres. Les colonnes en bois, finement ciselées, soutenaient un toit formé de lourdes poutres en chêne, provenant d'une ancienne forêt à proximité des montagnes, mais ce n'était guère celle de Fangorn, mais un autre bois maintenant disparu. Selon certaines légendes, les Ents y avaient élu domicile quelques millénaires de cela, et s'étaient ensuite déplacés vers Fangorn.

Une table rectangulaire avait été placée au centre de la pièce, et des chaises en bois peu confortables malgré leur aspect décoratif se trouvaient autour de celle-ci. Les gardes Rohirrim restèrent discrets, placés aux quatre coins de la salle, mais accordèrent une oreille attentive à la conversation. Après tout, le sujet les concernait directement, car les soldats de la garde personnelle du Roi étaient bien souvent les meilleurs cavaliers du royaume. Gandalf s'assit non sans difficultés, et Aragorn prit place rapidement, et s'empressa d'allumer sa pipe. Eomer n'était guère incommodé par la fumée, vu que lui même faisait grand usage de sa pipe. Un des soldats apporta une carte de la Terre du Milieu, sur la demande d'un des conseillers d'Eomer, Fregon, également un de ses plus proches amis. Si Eomer avait une longue chevelure blonde tirant sur le roux, un visage droit, fier, et mal rasé – il fallait le mentionner , l'intendant du Château d'Or avait les cheveux entièrement roux, quelques taches de rousseur sur le nez, et avait une stature noble et sage. Apparemment, cet homme était doté d'une grande intelligence.

« Bien ! Je suis très heureux de vous accueillir, Aragorn, fils d'Arathorn. » déclara Eomer en se levant pour s'incliner.

« C'est un honneur de vous recevoir, mon Seigneur. » murmura Fregon d'une voix douce et pourtant ferme. « Comment se portent les Rois Elfes qui vous accompagnent ? J'espère que nos chambres sont assez confortables pour leurs personnes elfiques. »

« Oui, ils déclarent être satisfaits. Mais passons, voilà deux jours depuis l'attaque des Nazgûls que nous sommes présents en ces lieux, et nous vous avons prévenus du danger qu'encourt la Terre du Milieu, une fois de plus. » dit Gandalf en posant sa main sur la table.

Fregon remarqua qu'il portait Narya, l'Anneau de Feu, et ses yeux s'illuminèrent en voyant les beaux motifs qui ornaient le bijou. Jamais il n'avait pu approcher un Anneau Elfique de si près, lui qui n'était qu'un simple Mortel.

« Nos armées sont vaillantes, et prêtes à combattre pour le Gondor. Notre alliance tient depuis dix ans, il serait dommage de s'arrêter en si bon chemin. » dit Eomer en s'approchant de ses interlocuteurs.

« C'est une bonne nouvelle, Eomer, fils d'Eomund. » déclara une voix féminine.

En effet, une femme venait d'entrer à son tour au sein du Château d'Or. Elle devait être une personne connue de la garde personnelle d'Eomer, puisque les soldats l'avait laissée passer. Elle s'approcha de la table, et salua avec respect le Seigneur de la Marche, avec de s'asseoir.

« Aragorn, Gandalf, je vous présente Aiwëluin, le quatrième Maréchal de la Marche, et mon successeur – ou devrais-je dire, l'héritière du poste de Maréchal au Rohan. Elle est bien évidemment la première Maréchal de genre féminin, et possède le titre de Demoiselle Protectrice de notre royaume. » dit Fregon.

Aiwëluin avait un teint halé, et étrangement, avec cette peau légèrement brune, se trouvaient assortis des cheveux roux flamboyants, mi-longs, et bouclés comme ceux d'Elilwë. Ses yeux étaient verts comme les collines Rohirrim en été, et son visage ressemblait tout à fait à celui d'Elilwë, et Estel trouva cela fort étrange. Elle avait un nez fin et assez long, des joues parfaitement modelés, et les mèches qui semblaient recouvrir son visage n'arrivaient pas à cacher l'évidence : la jeune femme était une elfe. Cependant, sa beauté était humaine, bien que très grande. Gandalf en tira une conclusion, et prit la parole :

« Il est évident que votre ouïe semi-elfique n'a pas manqué d'écouter le début de la conversation. Une preuve que les murmures humains sont fort peu discrets… » dit Gandalf en riant. « Mais vos secrets se gardent bien mal, Aiwëluin, fille de Melanna. »

« Fille de Melanna ? Etes-vous donc la sœur d'Elilwë ? J'ignorais tout de cela ! » s'exclama Aragorn.

Le Roi du Gondor semblait outré de ne jamais avoir été informé des liens de parenté qu'Aiwëluin entretenait avec Elilwë. Cependant, ce genre de secret était difficile à garder. Fregon expliqua que Melanna, la mère d'Elilwë, se retrouva à une certaine époque prisonnière des Suderon, et leur chef, Hithelkâ, s'éprit très vite de la captive. Pendant un moment de folie, il viola celle qui l'aimait mais ne l'aimait guère en retour. Afin de se faire pardonner, il la libéra sans plus attendre. Malheureusement, le mal était fait, et Melanna accoucha d'une fille, Aiwëluin.

« Oh, je comprends mieux à présent. » dit Aragorn en s'excusant de s'être emporté. « Vous êtes donc la demi-sœur d'Elilwë. »

« C'est exact, mon Seigneur. » répondit poliment Aiwëluin. « Croyez-moi, si la situation n'était pas si difficile, vous auriez été au courant. En parlant d'Elilwë, comment se porte-t-elle ? »

« Elle est très souffrante, et plongée dans un coma profond. Cependant, son état s'est amélioré depuis quelques heures. La jeune Freya, l'apprentie guérisseuse du palais, s'en occupe. Le Rohan s'est doté de forts bons herboristes ces derniers temps…la tisane à base d'Athelas et de feuilles de Mallorne est efficace. Vous faites sans aucun doute du commerce avec les rares Elfes qui peuplent encore la Lorien. » affirma Gandalf.

« Alors voyez-m'en soulagée, car elle est sous la protection de Bastet, la déesse-chat guérisseuse. » soupira Aiwëluin.

« N'est ce pas l'équivalent de la Vala Estë ? » demanda Fregon. « Je ne sais rien de la culture suderon, demoiselle. »

« Vous avez parfaitement raison, mais l'heure n'est pas à la mythologie, maître Fregon. Veuillez nous montrer les emplacements déjà conquis par l'ennemi, Gandalf. » dit Aragorn en se levant.

Il posa son index sur la représentation cartographique de Minas Tirith. Ses sourcils se froncèrent, et il baissa la tête. Sa famille était en danger, et il avait bien l'intention d'arriver à sa capitale le plus rapidement possible. Gandalf posa une main bienveillante sur son épaule, et lui demanda de ne pas s'inquiéter. L'Istari commença à expliquer la situation de la Terre du Milieu. Les activités maléfiques étaient en grande partie internes au Mordor, excepté la présence des Nazgûls en Rohan et celle des Uruk-Hais un peu partout en Rhovanion. Etrangement, les créations de Saroumane, survivantes du Gouffre de Helm, avaient décidé de prendre le parti de Melkor. Les artifices noirs et vils du Prince des Ténèbres les avaient sûrement soumis.

« Minas Morgul a connu une activité sans précédent depuis les dix dernières années. Cela fait deux mois que la cité noire est le repaire des Esprits Servants. D'ailleurs, en parlant de ces infectes créatures, leur forme est bien différente. Ils sont plus rapides, plus intelligents, et peuvent réapparaître et disparaître à volonté. » expliqua Gandalf.

« Elilwë a été victime d'un de ces baisers mortels…il est étrange qu'elle ait voulu se donner librement à son ennemi…question de fierté, sans aucun doute. Sans le Prince Legolas, elle serait morte à l'heure qu'il est. » murmura Aragorn en posant son regard sur une partie bien précise de la Terre du Milieu.

Les yeux bleus d'Aragorn ne purent se détacher d'une forme étrange, sur la carte, dessinée à l'encre. Cela constituait une sorte de fort, près d'un point de verdure. Il observait la ville principale des Suderons, Oasis du Harad, comme l'appelaient les Dunedains. Il effleura du bout des doigts le parchemin jauni de la carte. Et sa main rencontra celle d'Aiwëluin. La jeune semi-elfe se mit à sourire nerveusement, car elle devinait les pensées du Roi du Gondor.

« Les Suderons peuvent-ils être d'une quelconque aide dans ce conflit ? » demanda Estel en reprenant ses esprits.

« Il y a une centaine de tribus Suderonnes, ou Haradrim, si vous préférez. La plupart ont été décimées lors de la dernière Guerre de l'Anneau. Cependant, je suis allée récemment auprès des tribus alliées au Gondor, et elles sont effectivement prêtes à combattre pour la liberté de la Terre du Milieu. » répondit Aiwëluin.

« C'est une bonne chose, demoiselle. Je pense que vous pourriez dés à présent servir d'ambassadrice, étant donné que vous savez parler la langue des Suderons. » déclara Fregon.

Sur ces mots, Aiwëluin s'inclina avec respect, et semblait enchantée de pouvoir une fois de plus retourner au sein de son vrai peuple, celui qui l'avait acceptée. Même si les Rohirrim l'avaient officiellement adoptée en tant qu'Enfant de la Marche, les Elfes ne pouvaient guère l'élever. Melanna avait simplement décidé de confier son enfant le plus jeune au Roi du Rohan de l'époque. C'était ainsi. Aiwëluin haïssait sa mère, mais contrairement à sa demi-sœur, admirait les Elfes.

« Je serai plus qu'honorée d'accomplir cette tâche, maître Fregon. » dit-elle.

« Quant à nous, notre devoir est de rejoindre Minas Tirith au plus vite. Il nous faudra cependant porter un lourd fardeau. Si Elilwë ne sort pas du coma ce soir, je pense que… » murmura Aragorn.

« Ne vous inquiétez pas, Estel. Elle se porte bien. J'ai la vague impression que son esprit va la pousser à recouvrir tous ses moyens. » déclara Eomer. « Aiwëluin viendra donc avec vous, et un contingent de cavaliers Rohirrim vous accompagnera. »

Et ce fut sur ces mots que tous se quittèrent, se souhaitant une bonne nuit, ou parfois adressant quelques mots courtois, avant de quitter la salle. Les soldats partirent à leur tour de la salle principale, et, seules, les bougies des candélabres diffusaient une douce lueur.

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Vers minuit, Aiwëluin quitta sa chambre installée dans le palais, pour aller dans un bâtiment imposant d'Edoras, l'annexe médicale, qui comportait une herboristerie et un dortoir. D'un pas léger, elle marcha vers cet endroit, réputé pour ses moyens efficaces de guérison. En effet, les plaines Rohirrim offraient de l'herbe éparse en quantité, mais également nombre de plantes médicinales. En entrant, elle fut gratifiée par une douce chaleur, d'un feu qui crépitait lentement dans une large cheminée. L'endroit était relativement sombre, mais la Maréchale arriva à se guider dans bien que mal parmi les nombreux lits inoccupés. Et une ombre était penchée au-dessus du lit de sa sœur, malheureusement plongée dans un profond coma. La silhouette était masculine, et il était évident que son bras n'était guère dans une bonne posture. Et une voix masculine se fit entendre, murmurant avec lenteur les paroles d'un chant elfique. Aiwëluin se cacha derrière un large pilier en bois sculpté qui soutenait le toit. Qui était cette personne ?

« Qui est là ? » demanda alors l'inconnu, d'une voix douce et pourtant grave.

Il se leva, non sans avoir caressé le visage d'Elilwë. Et elle remarqua que cette personne était en fait un elfe. Le Prince Legolas. Il était torse nu, cependant, son épaule était couverte de bandages, ainsi que son bras et sa hanche. Certainement une blessure due à une quelconque chute. Aiwëluin se dévoila aux yeux bleus de Legolas, et mit ses mains bien en évidence, pour montrer qu'elle n'était guère armée.

« Qui êtes-vous ? » demanda Legolas en prenant une de ses lames elfiques.

« N'ayez aucune crainte, mon Prince. Je suis Aiwëluin, Quatrième Maréchale de la Marche. »

« Aiwëluin ? Heavenly Star vous connaît fort bien, d'après certains dires…Vous seriez également une très proche parente de la famille Alquaeleni. »

« Elilwë vous a-t-elle dit quelque chose à mon sujet ? » demanda Aiwëluin.

« Oui. Vous êtes sa demi-sœur, d'après ce que je sais. Les dires de personnes mal intentionnées diraient que vous ne surpassez guère la beauté d'Elilwë. »

« Oh, vraiment ? »

« Je ne suis pas une personne mal intentionnée, demoiselle Aiwëluin. Votre…sœur…est l'une des plus belles personnes qui m'est advenu de rencontrer… » balbutia Legolas.

Aiwëluin remarqua qu'il avait un certain mal à trouver ses mots. Il semblait très attaché à Elilwë, mais elle douta un instant qu'elle puisse un jour s'attacher un elfe sans avoir de connaissances sur son passé ni sur son caractère.

« Et vous êtes aussi belle que l'Etoile de Varda…murmura-t-il. Vous avez…un charme oriental… » dit-il en s'approchant d'elle.

Apparemment, ses instincts animaux refaisaient surface. Legolas n'était point insensible au charme d'Aiwëluin. Il devait se l'avouer, il se sentait attiré par elle. Mais ce n'était que du désir, rien de plus. Se contrôlant, il s'apprêta à prendre la parole, mais Aiwëluin le coupa :

« Allons ! Nous sommes dans une maison de guérison, et pas un endroit où courtiser les jeunes damoiselles. Par ailleurs, ne vous appelle-t-on pas Indagnir, le Briseur de Cœurs ? »

Le torse de Legolas se bomba légèrement, puis revint à son attitude initiale. Oui, Indagnir. Oui, Briseur de Cœurs. Depuis une décennie, il avait conquis nombre de femmes, comme il brisa le cœur de certaines d'entre elles. Aucune ne perdit sa vie terrestre, car les elfes ne meurent qu'en cas de chagrin amoureux grave, lorsque la personne qu'ils aimaient sincèrement les avait délaissés pour une autre âme en quête d'une aventure d'une nuit.

« Ne répondez-vous rien, mon Prince ? » demanda avec ironie la Maréchale.

« Je n'ai rien à me reprocher. »

« Au contraire, Legolas. Vous avez tout à vous reprocher. J'ai l'impression que vous vous attachez à Elilwë. Mais si ce n'est que pour le côté charnel et la beauté, alors vous feriez mieux d'abandonner. Ma sœur a eu des amants, tous attirés par ce qu'elle était vraiment. Et non par son ascendance ou sa beauté, aussi incroyable fut-elle. »

« Demoiselle Aiwëluin. J'ai une dette envers votre sœur. Je ne suis nullement attiré par elle, du moins, je n'éprouve aucun besoin de plaisirs charnels. Bien entendu, sa beauté égale celle d'Elbereth, mais par fierté, Elilwë n'accepterait jamais de… »

« Ma sœur est fière, vous avez parfaitement raison. Vous semblez être lié à elle d'une manière ou d'une autre. Cependant, je crains que vous ne lui brisiez le cœur. »

Legolas ne répondit pas à la question, car il venait de s'apercevoir de l'intrusion de deux autres personnes, deux jeunes humains, incapables de comprendre les problèmes elfiques. La première personne était une jeune adolescente aux cheveux roux et aux yeux bleus. Deux mèches blondes ornaient sa chevelure flamboyante, et elle était vêtue d'une simple robe en toile blanche. Quant à la deuxième personne, c'était un jeune homme d'une vingtaine d'années. Il portait une armure de garde Rohirrim, et semblait assez surpris de voir Legolas et Aiwëluin en plein conversation.

« Legolas, je vous présente Freya, la jeune herboriste du Château d'Or, et voici Eothain, un soldat de la garde du Roi Eomer. Ils sont tous deux les enfants de l'intendante du palais, Morwen. Avec leur mère, ils étaient les seuls rescapés de Forochwait, un village proche de la Forêt de Fangorn. » déclara Aiwëluin en se tournant vers les deux jeunes gens.

« Enchanté de faire votre connaissance, mon Prince. C'est moi qui ai pansé votre blessure alors que vous vous reposiez. » murmura Freya, apparemment intimidée par la présence d'un prince elfe dans son humble herboristerie.

« Je suis Eothain, fils d'Elthor et de Morwen. Mon supérieur, Haleth, fils de Hama, lui même sous le commandement de la Maréchale, la Dame Aiwëluin, m'a chargé de vous surveiller cette nuit, afin qu'aucun intrus ne vienne vous déranger cette nuit. » dit fièrement Eothain en mettant en évidence le fait qu'il possédait une épée.

Contrairement à sa sœur, Eothain semblait hautain, sans toutefois accorder une grande chose à l'apparence physique. Freya était fort humble et serviable, et rappelait son frère à l'ordre dés qu'il s'obstinait à faire du zèle. Aiwëluin les quitta donc prestement, salua froidement Legolas et sortit du bâtiment sans plus attendre.

« Veuillez vous allonger, mon Prince. Je vais vous soigner. » dit Freya en s'asseyant sur un lit couvert de fourrures douces et de couvertures en toile rugueuses.

Legolas s'allongea, et sous bonne garde de son frère, la jeune fille put dévoiler ses talents en médecine. En effet, il s'avéra qu'elle était douée pour s'occuper de personnes malades blessées avec tendresse et une grande douceur. Les blessures elfiques guérissaient bien plus vite avec des soins adéquats. Cependant, Freya n'avait jamais soigné un elfe, et fut étonnée du résultat lorsqu'elle retira précautionneusement les bandages.

« Eh bien ! Mère m'avait déjà dit que les Elfes étaient des créatures fantastiques, mais vos capacités de guérison sont issues d'une quelconque magie que je ne peux guère définir ! » s'exclama la jeune fille.

Sur ces mots, un humble sourire se dessina sur le visage de Legolas, et il s'avéra qu'il avait déjà rencontré Freya et Eothain, dix ans auparavant. Les deux seuls rescapés du village de Forochwait, durant la Guerre de l'Anneau, virent leur maison et leur vie entièrement détruites par les pillages et les massacres que perpétraient les Uruk-Hais de Saroumane et les Hommes Sauvages. Et le regard de l'Elfe se posa sur Elilwë. Toujours inconsciente, elle tenait dans sa main la poupée de la petite fille morte en voulant se défendre. Legolas réalisa que le village en ruines qu'ils avaient inspecté était celui de Forochwait.

« Dites-moi votre âge, demoiselle Freya. » murmura Legolas.

« J'ai quinze ans, mon Seigneur. Et mon frère en a vingt. Nous sommes fort jeunes, comparés à la vie éternelle d'un elfe. J'avais cinq ans lorsque notre ferme a été détruite. Eothain et moi avons ensuite quitté le village, grâce à notre mère. Nous sommes finalement arrivés à Edoras après quatre jours de chevauchée épuisante. »

Et une autre personne fit irruption dans l'herboristerie, Morwen, la mère de Freya. Elle-même était devenue guérisseuse après la mort de son mari, et apprenait l'art de préparer des décoctions à sa fille. Elle avait des cheveux d'une couleur fort étrange, située entre le blond et le roux. Cependant, et cela indiquait clairement son âge, proche de la cinquantaine, certaines mèches grises tombaient devant son visage fier. Morwen avait l'air d'être une femme de caractère, étant donné qu'elle avait élevé seule ses deux enfants en temps de guerre et de disette.

« Freya, cesse d'importuner le Prince Legolas, je te prie ! Je pense que tes conversation l'ennuient ! » s'exclama la mère de Freya.

« Bien au contraire. » déclara Legolas en se levant. « Votre fille est pleine de bon sens, et ses talents en médecine sont comparables à ceux d'un guérisseur elfe ! »

« Je vous remercie, mon Seigneur. Et la Demoiselle Elilwë, se porte-t-elle bien ? »

« Hélas, Mère, il n'y a aucun changement. Son cœur bat faiblement, mais régulièrement. J'ai pansé les rares blessures superficielles qu'elle avait, mais aucun de mes tisanes ne la ramène à la vie. »

« Je pense qu'il faudra compter sur les talents médicinaux du Seigneur Elrond. Lui pourra sans doute faire quelque chose pour cette pauvre Etoile…Eothain, tu iras quérir le Seigneur d'Ilmadris demain matin à la première heure. Quant à toi Freya, je compte sur toi pour surveiller nos deux malades ici présents. » ordonna Morwen.

Freya acquiesça, et alla s'asseoir sur un lit voisin à celui de Legolas. Eothain s'assit dans un coin de la salle, adossé contre une colonne en bois, et s'endormit rapidement, une lance Rohirrim à la main. Morwen alla rejoindre la Dame Lothiriel, l'épouse d'Eomer, car elle aussi était mal en point. Une épidémie de peste avait récemment ravagé le Rohan, et beaucoup de personnes en étaient sorties vivantes mais fort affaiblies.

« Freya, je vous remercie de vos soins. » marmonna Legolas alors qu'il sentait le sommeil s'emparer de lui.

La jeune fille était déjà endormie, et, le sourire aux lèvres, Legolas plongea dans un repos elfique emplis de rêves et de cauchemars. Cette nuit-là, il rêva de petites filles ensanglantées et d'étoiles.

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La nuit passa sans encombres, du moins, jusqu'à trois heures du matin, Edoras était calme, et comme disait Gimli, « c'est plus gai dans un cimetière ». Seul l'astre de Varda semblait se déplacer dans le ciel au fil des heures. Les étoiles semblaient frémir à chaque battement de cœur d'Elilwë. Certes, elle était inconsciente, mais son esprit se manifestait toujours en ses pensées. Parfois, les murmures de Morgoth arrivaient à la faire réagir mentalement.

« Oui, ils nous ont volé le préssssssssssieux… »

Le Prince des Ténèbres s'adressait directement à elle. Des paroles en langage noir lacéraient son cœur en mille lambeaux sanglants. Des souvenirs douloureux lui revinrent à l'esprit.

« Les Elfes sont méchants…ils ont les yeux brillants…oui, et des cordes qui nous brûlent ! »

Vingt ans auparavant, Elilwë fit la connaissance de la créature Gollum, qu'autrefois en Comté on appelait Sméagol. Alors la Rôdeuse voyageait en Mordor, dans l'Emyn Muil, elle aborda une chose grisâtre, aussi petite qu'un Hobbit, mais s'aspect bien plus répugnant. Jamais elle n'oublia cette rencontre d'un esprit torturé et schizophrène.

« Gollum, gollum…sss...il craint l'Etoile…l'Etoile… »

« De quelle Etoile parles-tu, Sméagol ? »

Sans cesse, il ne cessait de répéter « Etoile, Etoile », jusqu'à ce que sa voix déjà rauque ne puisse plus émettre le moindre son compréhensible.

« Est-ce Sauron qui craint l'Etoile ? »

« Non…ssss…nous n'avons pas le droit le prononcer son nom…Son nom est sacrilège…son nom est mauvais, mauvais pour nous, oui, gollum, gollum ! »

Sur le moment, Elilwë ne comprit guère ce qu'il disait. Gollum resta une pauvre créature grise qui avait besoin de se confier, même si ses paroles n'avaient guère de sens.

« Pourquoi dis-tu qu'IL craint l'Etoile ? Qui d'autre pourrait-ce être, à part Sauron ? »

« Le Prince des Ténèbres…Oui, oui…c'est ainsi que nous le nommons, le Prince des Ténèbres…mais ce n'est pas Ssssssauron, non, mon trésor, non ! »

« Qui est-ce alors ? »

« Sssss…il ne veut pas le Préssssssieux, lui, il n'aime pas les trésors faits d'or et d'argent, non, non…ssss… »

« Quels genres de trésors aime-t-il ? »

« La poussière d'Etoile…oui, oui, pour LUI, la poussière d'Etoile a plus de valeur que le présssssssieux…mais à nos yeux, le présssieux vaut tous les trésors de la Terre, oui, mon trésor ! »

« Sméagol, réponds-moi et tu auras la vie sauve…Qui est-IL ? »

Les énormes yeux de Gollum s'emplirent d'effroi et de haine.

« Nous le nommons…ssss…MORGOTH ! »

Et Elilwë s'éveilla soudainement, sa vue plongée dans les ténèbres et son ouïe restée dans le monde du silence.

« SMEAGOL ! » s'écria-t-elle.

Legolas, Freya et Eothain furent réveillés en sursaut par le cri déchirant qu'elle poussa. Gandalf ressentit la douleur de la Rôdeuse, et sortit de son sommeil emplis de rêves. Les yeux de l'Istari s'ouvrirent, et, complètement conscient de la situation au dortoir, s'y précipita sans plus attendre. Le Prince d'Eryn Lasgalen s'approcha et étreignit longuement Elilwë, dans l'espoir de la calmer, mais cela ne fit que la paniquer plus encore. Apparemment, elle n'était guère dans son état normal. Ses yeux flamboyèrent comme le rubis rouge comme sang, et elle se débattit comme une démente pour quitter les bras protecteurs du prince. Avec la rapidité elfique, elle courut prendre une des lames elfiques de Legolas posée sur une table rustique de chevet, non loin de là, et alla se réfugier derrière une colonne en bois. Complètement paniquée, elle le fut plus encore lorsqu'un sifflement strident causa en elle une grande douleur. Ce même sifflement fut suivi de murmures en langage noir, désagréables, lourds, et pourtant tellement enivrants, tel un parfum suave, doux, et dangereux à sentir. Legolas essayait de s'adresser à elle, mais la Rôdeuse possédait une arme, et pouvait en faire usage contre ses proches ou elle-même. C'est alors que Gandalf fit irruption dans la salle, et mit son bâton de magicien en avant.

« Gandalf ? Co…comment avez-vous su… ? » balbutia Legolas.

« Ce n'est guère le temps de poser des questions, Legolas. Morgoth essaye de s'emparer de l'esprit d'Elilwë. S'il n'y arrive pas, il se pourrait qu'elle se tue avec l'arme qu'elle a en main. » déclara l'Istari.

Ces paroles furent comprises par tous ceux qui étaient présents au dortoir. La force ne leur serait d'aucune aide, mais les artifices bénéfiques de Gandalf le Blanc pouvaient faire quelque chose, aussi minimes furent-ils, contre la puissance maléfique du Mordor. Mais cette fois, Mithrandir, comme certains l'appelaient encore, devait contrer la force d'un Vala, et non d'une personne à la puissance égale à la sienne.

« Elilwë, écoutez-moi ! Ecoutez-moi, mon enfant. Ignorez ce que le Seigneur des Ténèbres vous susurre à l'oreille. Ces paroles sont maudites, et pourraient courir à votre perte. » cria Gandalf d'une voix forte.

« Demoiselle Elilwë, je vous en prie, ne vous laissez pas tenter par ce qu'il a à vous dire ! » dit Legolas, sa deuxième lame elfique en main. « Vous-même dites que vous ne le craignez pas ! Alors montrez ce que votre sang d'Etoile peut contre Melkor. Il craint Varda, et il vous craint, Heavenly Star ! Il vous craint…oh Elbereth, protège-la ! »

Soudain, comme mû par un sort maléfique, le vent éteignit le feu qui crépitait dans la cheminée, et les flammes qui diffusaient une douce chaleur moururent, comme la glace fondait au soleil brûlant d'Ariel.

« Le Roi-Sorcier vient de jeter un sort, Legolas. Soyez sur vos gardes. Elilwë est capable de mettre fin à ses jours si elle reste trop longtemps sous l'emprise de Melkor. »

L'ombre d'Elilwë se déplaça derrière une autre colonne en bois. Etrangement, Legolas ne chercha pas à savoir où elle était. Sachant qu'elle était vivante, mais malade et affaiblie, il lui parlait sans cesse, soit en Quenya, soit en Langue Commune, pour l'apaiser tant bien que mal.

Gandalf, quant à lui, utilisait un moyen ressemblant à un sentier tortueux : la persuasion. Soudain, Legolas vit dans le noir une main blanche comme neige, complètement ensanglantée, crispée contre la surface d'une colonne. Seulement, si les blessures infectées sur les doigts de la Rôdeuse paraissaient normales, le sang rouge qui coulait le long de ses phalanges pour perler au sol n'était certainement pas d'origine naturelle.

« Mon…mon Seigneur…je crois que…que la Dame Elilwë est blessée… » balbutia Freya.

En effet, à la lueur d'une chandelle, la jeune fille put remarquer le sang qui coulait des mains d'Elilwë.

« Que voulez-vous dire, demoiselle Freya ? » demanda Legolas en se retournant.

« Vo…voyez par vous-même… » marmonna Eothain, sa sœur étant trop choquée pour dire quoi que ce soit.

Legolas porta son regard sur Elilwë, qui venait juste de se dévoiler au regard des personnes présentes dans la pièce. Elle avait la lame elfique de Legolas en main, mais celle-ci était couverte de sang. Puis, Gandalf regarda les poignets de la Rôdeuse avec une expression d'effroi et d'horreur sur son visage. Deux plaies, longues et profondes, pouvaient se voir sur les poignets d'Elilwë. Le sang coulait sur ses doigts, pour perler au sol d'un rythme soutenu. Toutes les cinq secondes environ, une goutte de sang tombait au sol, émettant un sol faible d'un liquide qui tombe sur une surface dure.

« Morgoth vient de la forcer à…Valar ! » s'écria Legolas.

Les plaies semblaient s'infecter très vite, et bien que les coupures légèrement indéfinies étaient noires, le sang qui en coulait était toujours d'un rouge écarlate. Pendant que les doigts d'une main se resserraient sur le poignard de Legolas, l'autre semblait au contraire prendre soin de la poupée ensanglantée. Les doigts fins et couverts d'hémoglobine maculaient la robe du jouet, sans toutefois le déshonorer. Le sang elfique était réputé pour être pur.

« Elilwë ! Ecoutez-moi ! Ne faites aucun geste brusque ! Je pourrai vous blesser plus que vous ne l'êtes déjà ! » s'écria Gandalf.

La Rôdeuse ne fit aucun geste qui pouvait l'amener à se tuer. Au contraire, elle lâcha la lame elfique, qui tomba au sol en un tintement distinct. Freya sursauta dans les bras de son frère, et observa une fois de plus les blessures d'Elilwë. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle vit ce que l'elfe avait en main.

« Cette poupée ! Prince Legolas ! Je connais cette poupée ! Une amie orpheline possédait exactement la même ! Où avez-vous trouvé ce jouet ! » demanda la jeune fille.

« Au village de Forochwait, demoiselle Freya… » répondit Legolas, à cet instant fort pensif.

Puis, l'elfe se reprit soudainement. La poupée était la cause de cette folie. Morgoth avait ordonné au Roi-Sorcier de jeter un sort sur cet objet appartenant autrefois à une âme innocente et pure.

« La poupée, la poupée est un objet maléfique… » murmura Gandalf.

Legolas écarquilla ses yeux, alors qu'il les doigts de la Rôdeuse se resserrer sur le corps mou de la poupée. Mais le sang rouge qui coulait des plaies de la Rôdeuse perlaient sur la lame de Legolas, tombée par terre dans ce qui était une flaque de sang. Puis, sans prévenir, Gandalf mit son bâton de magicien en avant, et prononça une formule en langage Istari, seulement compréhensible ceux qui la parlaient. Elilwë sursauta, et se mit à trembler en mouvements saccadés et convulsifs. Ses lèvres se mirent à trembler, elles aussi, et sa main lâche prise sur la poupée ensanglantée. Le jouet tomba lui aussi au sol, et le sang éclaboussa le bas de la robe blanche que la Rôdeuse portait. Comme par magie, les yeux rouges flamboyants d'Elilwë retrouvèrent leur couleur habituelle, et les rubis qui parsemaient ce regard écarlate devinrent ténèbres. Les étoiles dans ses iris revinrent. Freya et Eothain soupirèrent de soulagement, et l'elfe fondit en larmes en croisant le regard gris de Gandalf. Legolas accourut vers elle, et la souleva avec douceur, le creux du bras soutenant son dos, et l'autre bras glissé sous ses jambes. Eothain s'empressa de prendre la cape du prince elfe, et Gandalf déclara :

« Eh bien, la voilà tirée d'affaire ! Mais elle a perdu beaucoup de sang ! Dépêchez- nous d'arriver au palais avant qu'elle ne devienne complètement exsangue ! »

« Demoiselle Freya, ramassez la poupée. Elle ne représente guère plus de danger. » murmura Legolas en caressant le visage de la Rôdeuse. « Et n'oubliez pas ma deuxième lame. »

Eothain, prenant une lanterne, guida le groupe à travers les rues sombres d'Edoras. Mais Legolas n'en avait pas besoin. Seule la lueur des yeux de Heavenly Star comptaient. Gandalf, marchant rapidement derrière les trois jeunes gens, regardait rêveusement le sol sablonneux de la capitale du Rohan. Des gouttes de sang le guidèrent jusqu'à l'intérieur du Château d'Or. Comment du sang aussi pur avait-il été corrompu à ce point par la magie noire de Melkor ? La question n'allait sans aucun doute jamais trouver de réponse. Legolas s'empressa d'offrir ce corps si frêle et si léger aux bons soins d'Elrond. Tout le palais fut réveillé d'un sommeil reposant. Elilwë venait juste de sortir d'un coma fort profond, et Aragorn en fut le premier informé. Les Seigneurs Elfes accourent, puis le couple royal Rohirrim.

« Seigneur Elrond ! » s'écria Legolas. « Elilwë est vivante mais gravement blessée ! Dépêchez-vous, je vous en prie ! »

Elrond, visiblement au courant de la situation médicale de la Rôdeuse, et avec l'aide de Freya, voulut secourir Elilwë au plus vite. En quelques mots, Eothain expliqua les évènements antérieurs. Et ce vacarme réveilla les Hobbits, qui furent fort surpris de voir une telle agitation à trois et demie du matin. Elanor fut la première à venir au chevet d'Elilwë, et vit les blessures graves de l'elfe, ce qui la choqua grandement. Cependant, elle ne broncha pas, comme une enfant pouvait facilement cacher ses sentiments les plus profonds. Alors que Legolas allait déposer Elilwë sur un lit recouvert de fourrures douces, la Rôdeuse s'agrippa à son cou au dernier moment. Il se pencha, lui permettant de s'allonger, et fit mine de ne pas tenir compte du geste de l'elfe. Elle se contenta de le regarder d'un air insistant, malgré sa faiblesse, et continuait désespérément à le rapprocher de son visage.

« Elilwë…vous avez tenté de vous suicider… » murmura Legolas.

« Ce…n'était…pas…moi…chuchota-t-elle à son oreille. Il…m'a…forcée…à le faire… »

« Je sais tout cela, demoiselle. Vous devez recevoir des soins. Laissez le Seigneur Elrond vous guérir de ces blessures physiques… »

« Mon…cœur…est blessé…mon…âme est blessée…pas…mon…corps… » articula la Rôdeuse avec difficulté.

« Elilwë, je ne sais que dire… »

« Pardonnez-moi… » murmura-t-elle.

Ses mains parcoururent lentement les bras de Legolas, puis caressèrent longuement ses poignets. Enfin, les plaies de ses poignets se retrouvèrent en contact avec les bandages qui cachaient les blessures au torse du prince.

« Pardonnez-moi… » répéta-t-elle, avant de perdre connaissance.

Legolas la lâcha enfin, visiblement ébranlé par que ce la Rôdeuse venait de lui dire. Aragorn s'inquiéta pour sa santé, étant donné que les mains, le torse et les poignets du prince étaient couverts de sang. Son visage était étonnamment pâle, mais il se contenta de balbutier que tout allait bien. Elrond et Freya se hâtèrent de panser les blessures d'Elilwë, non sans les avoir désinfectés au préalable. Elanor, surprise par la présence d'une poupée sur la table de chevet. Une poupée de sang, posée là par l'herboriste. La petite Hobbite prit la poupée et la serra dans ses bras, comme si le jouet, avait, lui aussi, besoin de réconfort, comme l'Etoile de Varda allongée là, à la peau pâle et aux yeux noirs.

Une poupée ensanglantée. Une Etoile ensanglantée.