Chapitre Onze
NIENNA
L'absolution et la magnificence avait depuis le début des temps une emprise complète sur le palais d'Oiolossë, situé au-dessus du pic de Taniquetil, en Valinor. Gigantesque, cet imposant temple se dressait parmi les nuages, et, du haut de son trône, Manwë voyait au-delà des profondeurs marines et des brumes nuageuses. Accompagné de sa femme, sa vision portait jusqu'aux confins de l'Univers ; là où la lumière des Joyaux de Varda ne resplendissait plus. Mais le maître des lieux n'était pas là. Il avait quitté la salle du trône pour quelques heures, afin de reposer son esprit fort préoccupé par des évènements récents s'étant déroulés en Terre du Milieu. Et une silhouette grise, vêtue d'une robe blanche et traînant d'un geste négligent sa cape noire au sol, parcourait d'un air mélancolique la grande salle aux murs ornés de milliers de peintures représentant bien souvent le passé des Nouveaux-Nés et des autres races des Territoires Libres. Nienna, la Valie des Pleurs de la Tristesse, observait avec attention les œuvres d'art qui animaient ce palais froid et inhospitalier. La salle du Trône du Seigneur des Valar était en réalité une grande pièce octogonale, et huit colonnes, une à chaque recoin, soutenait une sorte de voûte en pierre, auquel était accroché trois coquilles métalliques renfermant un cristal dont la lumière était éternelle. Le savoir des Lueurs Elfiques venaient des Valar, car les Eldar étaient certes intelligents, mais pas au point de créer des choses magiques ou dotés de pouvoirs surnaturels de leur propre volonté. Il demeura cependant un exemple terrifiant de la capacité de fabrication de la beauté des Elfes : les Silmarils. Fëanor, le plus doué des Elfes, les forgea lui-même, et acquérait avec cela une cupidité et une avarice sans précédent. Plusieurs Ainur, des Esprits Chanteurs, sous forme masculine ou féminine – car le genre de chacun d'entre eux dépendait de leur caractère et de leurs habilités à toutes sortes de choses – s'étaient réunis au-dehors, aux côtés de Melian et d'Ariel, les deux seules Maia restées auprès des Valar.
Leurs chants résonnaient depuis l'extérieur, comme un enchantement infini, mais leurs voix pures n'arrivèrent pourtant pas à attirer l'attention de Nienna.
« Entends-tu ces chants, nyényëminë ? » demanda une autre personne, qui marcha avec lenteur auprès de la Valie.
Il avait des cheveux blonds, longs, qui tombaient avec la grâce elfique sur ses épaules. Ses yeux gris scrutaient avec anxiété le moindre trouble apparaissant sur le divin visage de Nienna. Ce Vala se nommait Lorien, mais les Esprits l'appelaient Irmo, et il était le maître des Rêves. Parmi tous les Valar, il semblait le plus proche de la beauté des Elfes qu'un autre Esprit-Dieu. Le plus enclin à se plonger dans ses réflexions personnelles et rester dans un état de méditation profonde des jours durant sans s'inquiéter des désagréments que pouvaient connaître ses protégés. Il avait une conscience fort rêveuse, parfois même maladroite et absente, mais jamais il ne s'opposait au vouloir de Manwë. Il participa à la création de la première Etoile-Cygne, s'attribua un des Silmarils, mais au fond de lui-même, il savait que tuer une essence divine était pur sacrilège. Sa sœur, Nienna, ne voulut point apporter son aide à cette entreprise, car elle pensait que cela n'allait apporter que des larmes et de la tristesse sur le monde des Vivants.
« Oui, Esprit-Frère. Je le entends. Et, jour après jour, ils me semblent bien plus désespérés et empreints de douleur. » répondit Nienna sans détacher son regard d'une peinture murale qui montrait la création des Sept Silmarils.
« Pour quel Esprit chantent-ils ? » questionna Lorien avec une certaine anticipation.
Nienna ne répondit point à cette question, trop occupée à distraire la tristesse qui s'était emparée d'elle. Aucune larme, étrangement, ne coulait sur son visage. Habituellement, elle était presque envahie par les pleurs. Lorien ferma les yeux quelques instants, et un triste sourire se dessina sur ses lèvres.
« L'Alquaeleni. » murmura la Valie en fermant les yeux à son tour.
Ses yeux gris comme la mer d'Ulmo un jour de pluie s'emplirent de larmes, et des gouttes argentées tombèrent au sol, créant petit à petit une flaque d'un liquide qui reflétait l'éternelle mélancolie de Nienna.
« Esprit-Sœur, ne laisse donc pas ton état d'esprit effondrer le peu de courage qui reste en ton cœur. » dit Lorien en essayant de la réconforter.
« Y a-t-il vraiment un cœur qui bat sous cette armure spirituelle ? » demanda-t-elle en ramenant sa cape sur ses épaules.
Lorien soupira longuement, mais ne répondit rien. Sa sœur avait toujours été ainsi, et dés le début des temps, avant que Melkor ne sème la discorde parmi les Vivants, elle pleurait déjà afin de panser les plaies de la Terre causées par le vil Vala, qui pourtant était le frère du plus noble d'entre eux, Manwë. Et son humeur semblait fort mélancolique, mais cela faisait d'elle un Esprit réputé pour sa sagesse et son intelligence. Elle venait rarement en ces lieux, bien trop emplis de bonheur et de rires. Elle préférait vagabonder les Cavernes de Mandos avec ce dernier, son frère aîné. Elle écoutait les cris des Morts qui l'appelaient afin de recevoir une leçon de sagesse pour distraire le désespoir qui était le leur. Exceptionnellement, Nienna avait décidé de rendre visite aux Ainur, ces Esprits-Chanteurs muets s'il s'agissait de parler, car elle aimait ces créatures comme ses propres enfants, et leur innocence fort triste ravissait parfois la joie qui, très rarement, venait en elle.
« Tous les Etres ont un cœur, Nienna. » rétorqua son frère, visiblement agacé et en même temps surpris de la voir si malheureuse.
Car La Pleureuse, comme les Eldar se plaisaient à la nommer, n'était jamais malheureuse, car il existe tout de même une nuance entre tristesse et ce sentiment si caractéristique des Vivants. La Valie, piégée par l'incompréhension et le rejet de ses proches, préféra s'éloigner avec une certaine lenteur de son Esprit-Frère, et Lorien, affligé par ce comportement, la quitta en la saluant respectueusement. Nienna sortit d'un pas vif du palais de Manwë, ouvrit l'immense porte en bois gravée de signes elfiques, et se retrouva hors de l'air confiné et glacial de la demeure de Sulimo. A quelques dizaines de mètres de là, les Ainur chantaient en compagnie de Melian, la Maia de l'Amour, et d'Ariel, la Maia des flammes non déchues et du Soleil, sur la scène d'un hémicycle en pierre. La voix de ces êtres s'estompa alors, et les Ainur observèrent fixement la Valie des Pleurs qui se retrouvait enfin, telle qu'elle était toujours. Elle baissa la tête, certaines mèches de sa chevelure grise tombèrent devant ses yeux, et des gouttes argentées tombèrent au sol. Les chants recommencèrent, mais ils furent bien plus tristes et bien plus languissants, comme les cris d'un cygne qui aurait perdu son âme-sœur.
Nienna quitta alors le pic de Taniquetil, et les Etoiles étincelèrent, dans le ciel d'une nuit sans lune.
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La troupe avait voyagé durant trois jours et trois nuits, et ces derniers furent fort éprouvants, aussi bien physiquement – car ils avaient assurément manqué de sommeil – et moralement. La tempête de neige qui frappait le Rohan et le Gondor depuis plusieurs semaines, ponctuée d'accalmies de quelques heures, accablait avec une ardeur redoublée les rares voyageurs qui s'aventuraient dans les grandes plaines arides et stériles de l'Anorien, qui bordaient les montagnes du sud. Tous ne voyaient plus d'espoir quant à arriver un jour à la nouvelle capitale du Gondor depuis le couronnement d'Aragorn, Minas Tirith. La ville blanche était située dans une région au climat continental, bien que les hivers étaient fort rudes et les étés secs et chauds. La différence de température était telle que même les Elfes ne supportaient pas ces conditions.
Ainsi, le vent de la mer, violent et glacial, faisait claquer les bannières marquées de l'arbre argenté sur fond bleu marine des tours de garde de la ville. Les visions d'Elilwë se portaient toujours sur la même chose : cette cité grandiose et fastueuse, qui avait été son paysage quotidien depuis plus de deux mille cinq cents ans. Mais au moment présent, ses yeux noirs dépourvus de pupilles observaient avec intérêt et inquiétude l'horizon, empli de flammes et de noirceur. Car le Mordor n'était pas loin, la lave que crachait la Montagne du Destin illuminait de temps à autre la ligne rocheuse qui séparait tous les maux de la Terre des Royaumes Libres. Cette anxiété, fort justifiée, ne l'empêchait point de ressentir une indifférence à propos des menaces bien réelles de l'Ennemi. Chevauchant avec nervosité un destrier noir des écuries d'Edoras ; aux côtés d'Aragorn et de Legolas, elle évitait le regard des autres, et restait désespérément seule, à morfondre sa mélancolie dans le plus affligeant des silences. Depuis son départ de la capitale Rohirrim, elle souffrait, car chaque flexion de l'articulation de son poignet provoquait l'irrémédiable douleur qui signifiait que ces blessures n'étaient toujours pas cicatrisées.
Tenant fermement les rênes de sa jument noire, qu'elle avait ironiquement nommée Ninquë, un mot elfique dont la traduction littérale en langue commune surprenait les âmes ayant peu d'humour : Blanche. Cependant, elle n'aimait guère monter sur ce genre de montures, comme dit précédemment, mais cela ne l'empêchait point d'éprouver une certaine affection pour cet animal intelligent qui l'appréciait également. Aragorn lui murmurait avec discrétion des conseils afin qu'elle se tienne correctement sur le cheval, mais elle semblait les ignorer, pensant sans doute qu'elle pourrait s'en sortir seule, mais ce n'était pas assurément le cas. Avec maladresse, parfois même innocence et ignorance des arts équins, elle ordonnait à Ninquë d'avancer normalement, ou de ralentir son rythme de marche, qui était pourtant au trot.
« Prends donc les rênes à deux mains, et ne les serre pas. » marmonnait Aragorn en la regardant avec inquiétude.
« Estel, le cheval m'obéit, et cela est bien suffisant. De plus, je pourrai sans doute le guider convenablement d'ici à notre arrivée à Minas Tirith ! » déclara Elilwë sans pour autant prouver ce qu'elle avançait.
« Allons, Elassar, laissez-la donc ! » s'exclama Glorfindel. « Demoiselle Alquaeleni a plusieurs talents cachés, je n'en doute pas, ils ne sont certainement pas cavaliers ! »
« Qu'avez-vous donc, maître Elfe, comme talents cachés ? » demanda Aiwëluin, prenant la défense de sa demi-sœur décidément bien silencieuse.
Un sourire assez modeste se dessina sur les lèvres du chef des gardes actuels du contingent de la Lorien. Tout le monde le savait, il avait tué un Balrög dans une vie antérieure, et les Valar le ressuscitèrent après sa mort contre un combat rude contre le chef démon du Mordor.
« Disons que je n'apprécie pas beaucoup les forces de mal, et que les supprimer était, il y a bien longtemps, une de mes spécialités… » répondit-il en observant la Maréchale du Rohan avec franchise. « Et vous, demoiselle Elfe du Rohan ? »
« Eh bien ! Je suis comme tous ces soldats qui viennent des villages des alentours d'Edoras…j'ai peu d'esprit, mais beaucoup de courage. » dit-elle, un rictus ironique animant son visage halé par le soleil brûlant du désert où elle passa de longues années.
Tous les soldats Rohirrim, situés à l'avant-garde, partirent d'un grand éclat de rire, et seuls les guerriers elfes n'eurent aucune réaction, décidément bien impassibles face à des situations pourtant fort amusantes. Legolas eut du mal à ne pas rire en leur compagnie, et Elilwë se mordit violemment la lèvre inférieure, trouvant la réflexion non dénuée d'un certain humour.
« Parlons de nos talents, puisque ce cher Glorfindel a lancé une conversation fort intéressante. » dit Arithil en souriant. « Messieurs les Hobbits ont-ils donc des talents à nous dévoiler ? »
« Eh, eh ! Je vois déjà une réponse venir. » déclara Frodon.
« L'herbe à pipe, est, je crois un art de vivre chez les Periannath. » dit Cirdàn. « N'est-ce pas, maître Bilbon ? »
Le Hobbit, plongé dans une réflexion afin de savoir quoi écrire pour la suite du Livre Rouge, se fit soudainement sortir de sa rêverie bien passive et silencieuse. Il sortit sa pipe de sa bouche, et mâchonna quelques bouts de phrases entre ses dents.
« Oui, oui, effectivement…C'est certain. »
« Vous ne savez même de quoi on parle, M'sieur Bilbon ! Je crois que les Belles Gens vous ont connu bien plus attentif aux conversations ! » reprocha Elanor, suivant, comme à son habitude, les paroles et dires de tous ceux de la troupe. « Nous disions donc…l'herbe à pipe. »
« Oh…excusez-moi, maître Cirdàn. Je suis absorbé par l'écriture de mon livre…je ne sais plus…oh non, c'est sans importance… » balbutia le doyen de la Comté.
« N'avez-vous donc plus d'inspiration ? Les détails foisonnent à ce sujet ! Vous devriez écrire sur cette guerre qui semble si imminente. » marmonna Elilwë en regardant l'horizon.
Bilbon soupira, et les Hobbits restèrent alors fort silencieux, alors que tous s'attendaient à des commentaires fort intelligents de la part de Merry et de Pippin.
« Si jamais nous survivons. » grommela Gimli de sa voix rauque.
« Allons, je vous ai connu plus optimiste, maître nain ! » s'exclama Elrond. « Serait-ce les flammes du Mordor menaçantes qui vous intimideraient ? »
« Certainement pas ! » rétorqua le nain d'un air fort certain. « Et vous, Seigneur d'Ilmadris, je vous ai connu moins prompt à défier ainsi les ardeurs maléfiques du Mal. »
« Les 'ardeurs maléfiques' , comme vous le dites si justement, ne pourront jamais être domptées par la seule volonté d'un seul homme. » déclara Galadriel, participant à cette conversation pour le moins étrange.
Sa voix grave provoqua des frissons fort désagréables le long de l'échine des humains qui voyageaient parmi ces mystérieux elfes, et tous furent quelque peu glacés par cette réflexion pessimiste et pourvue d'un sens caché.
« Parlez donc, Dame de Lorien ! Vos dires sont étranges, et leur signification, je dois l'avouer, m'échappent complètement. » demanda Elrohir avec une grande anticipation.
« Un seul homme ne pourra pas éteindre les langues enflammées et fourchues de Morgoth. Seule une Etoile d'essence divine le pourra. » continua l'épouse de Celeborn.
Gandalf, jusque là totalement absent, retira vivement sa pipe de sa bouche, et marmonna quelques mots en langage Istari à Shadowfax. Apparemment, la monture semblait agitée par une chose quelconque fort dérangeante pour un animal de cette sensibilité.
« Que se passe-t-il ? » demanda Frodon.
Le Hobbit se trouva alors plongé dans une grande douleur, sans aucun cette présence vaporeuse qui avait troublé la paix dans laquelle Shadowfax se trouvait habituellement. Il massa discrètement son épaule portant la marque d'une blessure grave causée par les Nazgûl, et personne ne se soucia de lui, car il manifesta sa souffrance sans pour autant l'exagérer. Elilwë ferma les yeux quelques instants, ses plaies du poignets transies de douleur et de sang, qui, elle le sentait, commençaient à maculer les bandages qu'elle portait, cachés par des gants en velours noir. Elle aussi fut fort discrète, et Legolas l'observa longuement, avec suspicion, sachant que sa souffrance augmentait en même temps que celle de l'ancien porteur de l'Anneau.
« Qu'y a-t-il, demoiselle ? » demanda-t-il avec une fausse ignorance.
« Rien du tout. Je me porte à merveille. » répliqua-t-elle sur un ton qui ne convainquit guère le Prince d'Eryn Lasgalen.
Elle porta de nouveau son attention sur une conversation qui avait pour but de redonner de l'inspiration à ce pauvre Bilbon, qui cherchait depuis plusieurs jours une suite pour le Livre Rouge. Il avait en effet relaté des évènements importants de la Guerre de l'Anneau dans cet ouvrage, encore largement inachevé, mais beaucoup de détails manquaient, malgré cette absence d'inspiration, surprenante. Les propositions foisonnaient, mais aucune n'arrivait à intéresser le vieux Hobbit, qui cherchait des détails ou une histoire particulière à raconter. Cependant, les pensées de la Rôdeuse s'axèrent sur la présence décidément bien envahissante des Nazgûls, qui, même à deux cent milles de distance, arrivaient à troubler son cœur et à réveiller la blessure de Frodon.
"Il faudrait que nous nous arrêtions une fois arrivés à la forêt de Druàdàn pour nous reposer de ces trois jours fort éprouvants. » dit Arithil en marchant aux côtés de Bregon, chevauché par Aragorn.
Les montagnes défilaient, et les collines lointaines, tristement blanches, n'accueillaient aucune forme de vie, même végétale. A la lueur du jour décroissant, la Rôdeuse voyait Legolas, Glorfindel et les autres Elfes sous un autre angle. Selon ses pensées et des préjugés, les êtres immortels étaient fourbes, mystérieux, et bien trop enclins à la perfection. Mais dès la tombée de la nuit, l'enchantement laissait place à la haine et au regrets. Leurs yeux, parfois bleus, marrons ou verts, devenaient gris, à la lueur des cristaux elfiques enfermés dans leur coquille d'argent, et Elilwë ne put s'empêcher de soupirer en voyant à quel point les Elfes semblaient empreints de beauté.
« Vos yeux ont quelque chose de particulier, demoiselle. » déclara Legolas « Ils semblent étinceler à la manière du ciel d'Elbereth. »
« Beaucoup d'Elfes disent que je suis une œuvre de sorcellerie. Je ne possède pas de pupilles, alors cela n'est guère naturel au vu des règles de beauté elfiques. » répliqua la Rôdeuse sans même lui accorder un regard.
« Ce serait odieux de dire que vous n'êtes pas dotée de la beauté des Valar. » murmura le prince pour lui-même.
Malheureusement, elle n'entendit point ces paroles, ne voulant guère montrer une once de sympathie pour Legolas. Et pourtant…il semblait plus jeune et plus innocent que tous les autres elfes qui l'accompagnaient. Il était aussi moins grand que la moyenne elfique, et frêle comparée à la musculature de Glorfindel ou même d'Elrohir. Soupirant, elle regarda au lointain. Si les Elfes n'arrivaient guère à la troubler, les flammes et les nuages du Mordor, eux, l'inquiétaient grandement, et ses craintes étaient justifiées.
Ce fut alors que, dans la pénombre, Arithil distingua un paysage forestier lointain.
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L'arrivée du royaume de Varda n'empêcha point la neige de tomber en un flot presque interrompu de plumes froides et blanches qui couvrirent encore plus les plaines de l'Anorien. Puis, traversant les collines enneigées bordant les villages de fermiers Gondoriens, la troupe aboutit enfin à la forêt de Druàdàn, composée en majeure partie de conifères de toutes sortes, ainsi que de quelques chênes tristement dépourvus de leur feuilles en vue du gel d'hiver, qui tuait toutes les matières végétales vivantes. Ceci fut au détriment de la bonne humeur de Legolas, qui, comme tous les Elfes sylvains, aimait les arbres éternellement verts ou argentés, pareils aux mallornes de la Lorien. Les chevaux, sagement postés auprès de leurs propriétaires – les soldats et guerriers elfes , se laissaient choyer par leur cavalier. En effet, les Rohirrim et les Elfes aimaient par-dessus tout les chevaux, et bien s'occuper d'eux était la moindre des choses à faire.
Installés dans une clairière, les Seigneurs Elfes conversaient entre eux, et, bien entendu, seuls Bilbon et Frodon, parmi les Hobbits, furent capables de comprendre globalement le sens de leurs paroles. Merry et Pippin fumaient rêveusement de l'herbe à pipe, et ne se souciaient guère de ce que les Elfes disaient. Eux, simples Semi-Hommes, gardaient le plaisir des choses simples, comme par exemple ne rien faire. Allongés sur des couvertures, posées à même le sol de la forêt, ils semblaient savourer le fait d'avoir une pipe coincée entre les dents – si, effectivement, fumer pouvait se savourer comme on savoure un mets délicieux. Leur regard se portait souvent vers le ciel, regrettant quelque part cette absence d'étoile qui rendait la nuit de Varda terriblement ennuyeuse et inintéressante. La lueur de la lune était bien présente, mais en grande partie cachée par ces épais nuages. Ils étaient protégés des flocons de neige par les branches touffues des haut sapins de cette partie épargnée naturellement des désagréments hivernaux. Cette forêt, emplie de mystères, ne semblait pas toucher le cœur des Elfes. Bien trop jeunes et immatures, les paroles des arbres n'étaient guère plus que des murmures anodins et inutiles, contrairement aux dires sages des Ents de Fangorn.
« Ah, Merry, ne trouves-tu pas que cette forêt est enchanteresse ? » demanda Pippin d'une voix rêveuse.
Son acolyte marmonna une chose incompréhensible en dialecte Hobbit, et au vu de l'air interrogateur de son ami, il se rendit compte que sa pipe l'empêchait une élocution relativement correcte.
« Je disais qu'il te manquait une chose primordiale : ta demoiselle ! » s'exclama Merry d'une voix fort enthousiaste.
« Ah, bien entendu…penses-tu, je n'allais pas l'oublier. » déclara l'intéressé.
« Epouser la belle Diamond de Long Cleeve…ce n'est pas donné à tout le monde. Tu as des talents de séducteur, Pippin, oh, c'est fou ! » dit Merry, feignant la soumission admirative.
Elanor et Rose, regardant la scène, éclatèrent de rire, mais pensèrent sincèrement que Perëgrin déplorait l'absence de son épouse. Malgré toutes les apparences, le Hobbit avait été un très bon amant pour Diamond, et conquis par la gentillesse et la beauté de sa dulcinée, la demanda en mariage deux ans auparavant. Merry et Pippin, indifférents, donc, à la conversation des Elfes – car, depuis la Guerre de l'Anneau, leur courage n'avait été que renforcé par toutes les épreuves , se contentèrent avec nonchalance de fumer l'herbe à pipe, en regardant chacun des membres de la troupe qui conversait avec le plus grand sérieux. Pareils aux Hobbits, Gandalf et Radagast fumaient la pipe et ne se sentaient guère concernés par les mises en places des tactiques militaires. Etrangement, Legolas, pourtant bon combattant, n'avait le cœur à les rejoindre et n'était certainement pas d'humeur à parler guerres et tueries. Il était assis en tailleur auprès des deux magiciens, leur lançant un regard amical de temps à autre.
« J'ai le sentiment que nos amis elfes et humains sont fort inquiets de la situation actuelle…ce qui fort justifiable. » déclara Gandalf en laissant échapper une bouffée de fumée d'herbe à pipe.
« Vous avez raison, mais je doute qu'ils savent réellement quelle est la clé pour la victoire. » marmonna Radagast discrétion.
Malheureusement – ou heureusement, si on voyait sous un angle différent, aucune parole, même discrète, ne pouvait échapper à l'ouïe fine d'un être elfique. Legolas ne se retourna point, mais se contenta simplement de demander :
« Savez-vous quelle est cette clé ? »
Radagast sortit la pipe qu'il avait dans la bouche, et d'un air surpris, le dévisagea mystérieusement. Legolas, dérouté par le regard sage du magicien, ne put s'empêcher de le fixer avec un mélange d'étonnement et d'appréhension.
« Que croyez-vous, maître Legolas ? Je ne suis pas Saroumane, lui qui a été aveuglé par la cupidité et cette soif de pouvoir. Il n'a rien vu venir, dommage pour cette âme depuis longtemps dépravée. Mais la clé, elle, malgré ses caractéristiques mi-humaines, mi-elfes, a vu depuis le tout début que le Maia au service d'Aulë n'était qu'un mauvais esprit, prêt à trahir son maître au moment opportun. » dit Radagast.
« La clé est d'une immense beauté, même cachée…Je suppose que vous avez assez d'esprit pour deviner quelle est la personne redoutable qui pourra nous sortir de cette impasse pour le moins fâcheuse. » ajouta Gandalf.
Legolas fronça les sourcils, visiblement intrigué par les paroles des deux Maia, mais au fond de lui-même ; il ne pouvait que se l'avouer, la clé était belle et redoutable à la fois, tout comme l'était la Dame des Etoiles, absente, ce soir-là. Un vent froid glaça les os du prince elfe, qui ramena alors sa cape sur ses épaules. Néanmoins, son esprit n'était guère plus reposé. L'elfe vit à ce moment-là l'agacement de son ami nain, qui ne parlait ni ne comprenait l'elfique, langage musical et parfaitement bien rythmé à la manière d'une poésie lyrique. Gimli réprima quelques jurons en sa langue maternelle, et sa voix rocailleuse mettait bien en relief l'aspect général du dialecte nain : dure et peu agréable à entendre.
« Que se passe-t-il, maître Gimli ? » demanda Gandalf, un sourire aux lèvres.
« Sans vouloir offenser le peuple elfe, je n'apprécie guère la façon dont certains me traitent. Seigneur Elrond et Dame Galadriel sont éloquents à mon égard, mais qu'en est-il du reste ? Ce…Glorfindel, me dévisage comme si je n'étais qu'un orque à ses yeux. Et le Seigneur Celeborn…il me semble si arrogant ! » s'exclama Gimli.
Ce fut alors qu'Elanor, s'approchant du nain avec une corbeille emplie de lembas, lui en donna un avec joie. Apparemment, la Dame Galadriel lui avait demandé d'en distribuer à chacun des membres de la troupe. Gimli grogna une onomatopée de remerciement renfrogné, et mangea avec dépit le gâteau elfique qui était bien suffisant pour un estomac d'elfe. La petite leva les yeux au ciel, secoua la tête et en offrit un à Legolas, qui lui adressa un léger sourire. Gandalf et Radagast refusèrent d'en prendre, laissant une double ration pour Merry et Pippin, qui avaient sans aucun doute besoin d'un apport conséquent en calories après une dure journée de route.
« Enfin ! Nous avons enfin le droit de manger ! Je croyais que ces Seigneurs Elfes avaient oublié que nous étions des Hobbits ! » s'exclama Merry.
« Une chance que nous possédons des pieds velus pour leur rappeler que nous ne sommes pas de la race elfique. » ajouta Pippin.
Ce dernier se contenta de sortir sa pipe de sa bouche, laissa échapper une bouffée de fumée, et émit un 'Ba-rum ' rauque, imitant les onomatopées de Sylvebarbe. Elanor éclata de rire en voyant l'air canaille des deux acolytes qui s'efforçaient de faire oublier la tristesse et le danger qu'allait représenter le Mordor. Mais la mélancolie reprit vite le dessus, en majeure partie due au regard peu approbateur des Elfes.
« On ne s'en rend pas toujours compte, même les pires de nos ennemis avaient des raisons justifiées de prendre parti. Sous l'armure grossière ou le physique disgracieux se cache une enveloppe de chair qui pense et ressent des émotions, tout comme nous. » déclara Pippin après un long silence.
Un paisible sourire vint alors animer le visage de Gandalf. Malgré le fait que Merry n'était qu'un Semi-Homme – et que la race des Hobbits n'était pas réputée pour une quelconque intelligence, celui-ci semblait avoir des éclairs de lucidité fort soudaines. Ce qui n'avait rien d'étonnant, car depuis la Guerre de l'Anneau, ce dernier avait considérablement mûri.
« Maître Meriadoc a parfaitement raison. Nous avons tous fait un choix, celui entre le Bien et le Mal. Ceux qui sont indécis courent bien souvent à leur perte, comme l'exemple malheureux de Gollum, que certains appelaient Sméagol. C'est nos choix qui régissent notre manière de penser, nos idées, ou encore notre destin futur. Ces choix nous distinguent, et celui de la demoiselle Elilwë restera ferme. Elle a fait le choix de rester insensible et froide, et elle en assume les conséquences, expliqua Gandalf. C'est pour cela, Perëgrin, que nous possédons tous une conscience qui nous est propre. »
Pippin écouta attentivement la morale du magicien, même si celui-ci ne semblait pas particulièrement enthousiasmé par le sujet de la discussion. Bien évidemment, si la conversation avait porté sur la culture de l'herbe à pipe hobbit ou la consistance des lembas, il aurait été enchanté de pouvoir montrer son immense culture sur ces deux sujets pour le moins fort intéressants.
« Ces choix, comme vous dites, Mithrandir, sont-ils délibérés ? Les Nazgûl n'ont pas de conscience, ils n'ont été guidés que par la cruauté des paroles de Sauron. » déclara Gimli avec dégoût.
« Les Esprits Servants de l'Anneau étaient à l'origine des Rois Humains, parmi les plus grands. Facilement corruptibles, ils sont alors tombés dans la servitude, par le biais des Anneaux de Pouvoir qu'ils avaient reçus de Sauron. Leur choix a été d'accepter ces Anneaux. » répondit Gandalf.
Radagast doutait fort que ces Rois avaient entièrement mesuré les conséquences de cet acte : en effet, ils perdirent peu à peu toute raison de vivre ; et les uns après les autres, sombrèrent dans les ténèbres, plus jamais ils n'en sortirent. Le magicien soupira, et leva les yeux au ciel. Une soirée fort triste s'annonçait, et ce n'était guère l'humeur maussade de certains qui allait améliorer cela. Cette absence complète de lumière dans la nuit noire de Varda le rendait fort mélancolique. Si la Dame des Etoiles ne se montrait guère aux yeux des Vivants, Nienna, elle, semblait bien présente.
« Eh bien, mon ami ! Ne soyez point attristé par la morne noirceur de ce ciel décidément dépourvu d'étoiles. » marmonna Gandalf. « Aujourd'hui, les royaumes libres de la Terre du Milieu sont libres, mais pour combien de temps encore ? Profitez de la paix, nîn mellon, et reposez-vous. Nous avons une longue route à faire. »
« Je ne ressens point de fatigue, Gandalf. Mon cœur n'est guère en paix ce soir. Le solstice d'hiver approche, d'ici une semaine, Minas Tirith sera en fête, et les habitants, insouciants, ne savent encore rien des horreurs qui les attendent. La capitale du Gondor pourra compter sur la Fratrie des Rôdeurs et les défenses solides des remparts de la cité. » répliqua Radagast.
Jadis, le Pèlerin Gris, Mithrandir, aurait été alarmé de la situation. Mais le Mage Blanc, Saroumane tel qu'il aurait dû être, lui, était optimiste, et l'espoir l'animait tout entier. Même les sombres tambours des Gobelins de la Moria n'auraient guère troublé ce cœur solide et empli de volonté et de courage.
« Entendez alors les cors Dùnedains accueillir les Seigneurs Elfes et leur Roi dans l'enceinte d'une ville bien défendue et prospère. Voyez les bannières blanches, ornées d'un arbre argenté flotter au vent. Sentez le vent glacial fouetter votre visage et les flocons de neige tomber sur un paysage sublime que sont les Montagnes Blanches. N'oubliez jamais, Radagast le Brun, toutes ces visions sont la seule raison de vivre d'une Elfe qui n'a jamais demandé de devenir ce qu'elle est à présent . » murmura Gandalf d'une voix étonnamment douce.
Le Mage Brun ferma les yeux, car le paysage d'une construction humaine pouvait le répugner, comme elle pouvait l'enchanter. Mais jamais la beauté de Minas Tirith n'avait été répulsive au point de le révolter. Certes, l'activité des Humains chassait les animaux des alentours, mais depuis la Guerre de l'Anneau, cette situation avait l'air de s'améliorer. Les chevaux sauvages parcouraient librement les plaines du Rohan et celles du Pelennor, et beaucoup avaient ensuite peuplé d'autres régions de la Terre du Milieu. Le nom que les Gondoriens lui avaient donné, Radagast, signifiant « Aimé-des-Bêtes », était fort bien choisi, car cela faisait bien trois siècles que l'Istari n'avait fréquenté que les Animaux, caché dans une grotte sombre à l'extrême Nord de la Terre du Milieu.
« La mélancolie ne devrait pas vous ronger, car l'espoir doit encore subsister. Ne perdez pas courage ! Car un événement inattendu va engendrer par la suite une aide fort peu commune. Ayez grande patience, bientôt, les Joyaux réapparaîtront dans le ciel de Varda, et l'élément de son époux se déchaînera contre les Orques du Mordor avec une violence inouïe ! Attendons donc l'aube, et vous verrez ! » déclara Gandalf d'un ton réconfortant.
Mithrandir se leva sans plus attendre, et rejoignit alors les Elfes qui parlaient encore tactiques guerrières. Un sourire se dessina sur les lèvres de Radagast le Brun, car l'espoir n'était jamais vain, même en période de guerre. Après tout, pourquoi désespérer ? La clé allait sans aucun doute prendre une grande part aux évènements qui allaient suivre. Les Joyaux des Valar devaient être retrouvés, mais le talent d'une guerrière pouvait bien peu face à l'armée des Ténèbres. Cependant…Galadriel n'avait pas tort…Même la plus petite des personnes peut changer le destin, comme Frodon avait jadis vaincu Sauron, vassal de Melkor.
« Bien, je ne veux guère froisser ces maîtres Elfes, un Hobbit a certes besoin de calories mais aussi de repos. » dit Pippin en baillant.
Sur ces mots, le Hobbit s'enroula confortablement dans sa cape, et après quelques minutes, plongea dans un sommeil profond et réparateur. Elanor, déjà endormie depuis trois quarts d'heure, avait dans sa main un pain lemba à peine entamé, et gardait jalousement le grimoire du Livre Rouge que Bilbon lui avait confié pour la soirée. Sa mère fut attendrie par cette scène, embrassa sa fille sur le front, et vit alors le panier encore empli de lembas qu'Elanor n'avait point distribué, trop épuisée pour le faire. Merry remarqua cela, et sous prétexte que son estomac avait encore besoin de nourriture, en réclama à Rose qui refusa catégoriquement de lui donner son troisième et potentiel dernier lemba de la soirée. Le Hobbit décréta alors que l'ennui allait s'emparer de lui s'il ne pouvait guère se distraire en mangeant, et il imita son ami : dormir occupait aussi la majeure partie du temps des Semi-Hommes, la sieste étant primordiale.
Si Les Hobbits aimaient se reposer, ce n'était pas le cas des Elfes, toujours éveillés – et ils comptaient l'être jusqu'à l'aurore. Elilwë souffrait toujours, bien que sa douleur avait fortement diminué depuis que le Seigneur d'Ilmadris avait pansé ses blessures, et le sang ne maculait plus les bandages blancs qui étouffaient ses poignets. A présent, elle était capable de tenir Alquaesil sans la faire tomber – ce consistait déjà un exploit, étant donné sa faiblesse physique et mentale. Elrond resta à ses côtés, lui parlant à la manière d'un père qu'elle n'avait jamais eu. Le père d'Arwen comprenait parfaitement la situation de la Rôdeuse, et le simple fait qu'elle avait été bannie des Royaumes Elfes avait complètement changé son caractère, sa manière de penser, d'agir, et de parler. Elevée dans une culture humaine, Elilwë avait très vite mûri. Habituellement, les enfants Elfes sont cachés du monde extérieur jusqu'à l'âge adolescent, vers environ deux siècles d'existence. En réalité, passé leur premier millénaire, ils commençaient à peine à réagir comme des adultes. Très rapidement confrontée à la difficulté d'assumer l'âge adulte, Elilwë n'avait guère conscience qu'elle n'avait pas sa place auprès des Elfes – c'était son destin, et qu'elle le veuille ou non, elle allait s'y résoudre. Elrond l'avait accepté car il avait eu grand pitié de sa solitude. Ainsi, elle avait lié amitié avec Arwen, Elrohir et Elladan, aidant même les deux frères jumeaux à retrouver leur mère, Celebrian, capturée et torturée par les Orques.
« Etes-vous impatiente de revenir à Minas Tirith ? » demanda Elrond en donnant un lemba à la jeune elfe.
Des yeux noirs observèrent avec curiosité le Seigneur d'Ilmadris, son beau visage sage animé par une grande inquiétude. Tous les Elfes paraissaient éphémères et tels des êtres divins une fois la nuit tombée, à la lueur des cristaux elfiques qui leur donnait un éclat sans égale. Elilwë prit le lemba de sa main fine et encore fragile, et mangea le gâteau elfique avec appétit, car cela faisait bien trois jours qu'elle n'avait rien avalé.
« Bien entendu, mon seigneur. La cité blanche est un paysage que j'ai connu toute ma vie, car contrairement aux Intendants, je n'habitais pas à Osgiliath. »
« Pourtant, vous avez ensuite emménagé là-bas, à la naissance du cadet de Denethor, Faramir. Certaines mauvaises langues disaient à l'époque que vous aimiez ce dernier comme s'il était votre amant. »
« Les mauvaises langues n'avaient pas tort, mais par amour pour Boromir, il n'a jamais partagé mon lit, bien que notre attirance physique était parfois difficile à contrer. »
Un sourire discret anima le visage habituellement impassible d'Elrond, et celui-ci sortit alors un flacon en cristal contenant un liquide médicinal. Cela semblait être de l'eau, mais une eau qui réfléchissait intensément la lumière des cristaux enfermés dans leurs coquilles maillées d'argent. Elilwë en conclut que le liquide en question était du miruvor, utilisé pour réchauffer le cœur des êtres purs qui en avaient besoin. Elle refusa de porter le liquide à ses lèvres, restant impassible face à la douleur lancinante. Elrond n'insista point, sachant que la Rôdeuse était déterminée à agir comme bon lui semblait.
« Croyez-vous que le Mal disparaîtra un jour ? » demanda Elilwë en un murmure à peine audible.
Elrond semblait occupé à soigner les autres blessures superficielles de la jeune elfe, surtout au niveau du dos et des épaules. Legolas, lui aussi, souffrait de ces plaies pénibles qui suintaient de sang à chaque mouvement. Depuis leur chute, la douleur était leur amie, la souffrance une habitude. La Rôdeuse, vêtue d'une sorte de tunique aux manches évasées au niveau des coudes, comme certaines guerrières elfes portaient parfois, et qui laissait le dos nu. Le Seigneur d'Ilmadris prit un morceau de tissu, y versa un peu d'huile de feuille de mallorne, connue pour ses propriétés désinfectantes, et appliqua cette compresse sur chaque plaie qui saignait encore. A chaque mouvement un peu trop brusque, Elilwë sursautait, mais ne montrait point la douleur qui transissait son corps tout entier.
« Le Mal disparaîtra, Etoile Céleste. Mais il entraînera l'espoir dans sa chute, ainsi que les Joyaux de Fëanor. » répliqua-t-il enfin, sa tâche étant bientôt terminée.
« Hélas, personne n'a le courage de trouver les Quatre Silmarils restants. Si aucun être ne le peut, je veux bien tenter ma chance, et prouver ma vraie valeur. » déclara-t-elle.
« Ne prouvez pas votre valeur à des êtres qui ont été ingrats à votre égard. Restez simplement vous-même, Protectrice du Gondor, Dame de la Cour de Minas Tirith, et Ancienne de la Fratrie des Rôdeurs. Tous ces titres vous désignent, fille de Melanna. Aux yeux des Mortels, vous avez déjà prouvé votre juste valeur. Rien de plus n'est nécessaire pour gagner mon estime, et celle du peuple d'Ilmadris. »
Elilwë se contenta de baisser les yeux, en signe de respect, mais rien de plus. Le maître de Fondcombe effleura la joue de la Rôdeuse, marque d'affection paternelle, et il se leva, rejoignant les autres Elfes, qui, observant des cartes, parlaient de la situation de la Terre du Milieu. Legolas croisa le regard froid de la jeune elfe, et il posa une main sur son cœur, lui souhaitant une bonne nuit. Son regard, empli de tristesse, devint encore plus mélancolique lorsque Elilwë pinça avec sévérité ses lèvres gercées ; montrant qu'elle n'allait certainement pas lui souhaiter bonne nuit, du moins, pas en public. Le Prince d'Eryn Lasgalen sortit ses lames en soupirant, et glissant son index sur le métal glacé et dur, plongea dans ses rêves elfiques.
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Si parfaite. Si belle. Telle était l'image de la Cité Blanche, capitale du Gondor, la magnifique Minas Tirith, emplie de musique et de joie. Jadis, Osgiliath, la plus grande ville de l'Intendance Gondorienne, aux portes du Mordor, surpassait plus encore l'éclat et la puissance de l'actuelle capitale du Royaume d'Aragorn II, Roi de l'Anorien, du Lebennin, de l'Ithilien, du Belfalas, du Lamedon et de l'Anfalas, les six provinces gouvernées par des Princes sous le commandement d'Elassar. Les bannières blanches, décorées d'un arbre argenté entouré de sept étoiles, flottaient au vent du matin, alors que la troupe avait voyagé un jour et une nuit durant, pour enfin aboutir devant une falaise immense.
Sur la paroi de cette dernière reposait Minas Tirith, ville essentiellement constituée de plateaux rocheux, accessibles par des escaliers gravés à même dans la roche calcaire de la falaise. Parfois, d'étroites ruelles, en pente douce, menaient au cœur de la cité : le palais. En l'absence du Roi, Arwen Undomiel gouvernait le peuple de Gondor, et personne ne contestait l'autorité partagée du royaume. Comme dans l'ancien temps, à Nùménor, les femmes avaient le droit de gouverner librement sur des territoires, héritières légitimes du Roi. Gondor avait repris les lois ancestrales de ceux qui avaient formé un royaume splendide durant le Second Age. Elros, frère d'Elrond, avait, contrairement au Seigneur de Fondcombe, choisi la mortalité, car les Valar durent imposer un choix aux Semi-Elfes, nés d'ancêtres elfes et humains. Et l'une de ses descendantes, qui se nommait Tar-Ancalimë, régna deux cent cinq ans sur le Royaume de Nùménor, gardant le sceptre jusqu'à sa mort, et régnant plus longtemps que n'importe quel homme sur la Terre. Un exemple qu'Elilwë aimait beaucoup, car cette reine répugnait à vouloir prendre un époux comme c'était la coutume.
« Voici Minas Tirith ! » s'exclama Arithil, placé en éclaireur. « La perle de Gondor nous attend ! »
Des mèches de chevaux noirs de jais voletaient à la brise glaciale, obstruant par moments la vue d'Elilwë, qui, un sourire aux lèvres, observait l'étendue blanche des Champs du Pelennor devant la capitale de Gondor. La ville avait beaucoup changé depuis la fin de la Guerre de l'Anneau, s'étendant à présent hors des remparts, et elle semblait fort prospère. Malgré le temps pour le moins mauvais, des flocons de neige tombant sans interruption, les charrettes de commerce empruntaient la route de commerce, pavée de pierres blanches et solides. Au loin, la rivière gelée, traversée par un pont, étincelait à la lueur diffuse de l'astre d'Ariel. Enfin, la route de commerce se séparait en trois au Sud de Minas Tirith, contournant les remparts de la capitale, pour mener vers deux bourgades plus au loin, Alcarin au Nord et Miriel au Sud. Afin de voir la ville dans toute sa splendeur, la troupe longea les Montagnes Grises du Mordor pour ensuite revenir sur leur chemin initial, placé tout de même bien plus au Sud. Les clairons argentés de la ville sonnèrent, attirant l'attention de tous les habitants, y compris de la Dame Arwen, qui se précipita au-dehors. Tous les gens du palais se hâtèrent afin de saluer leur Roi qui revenait, après deux mois d'absence.
« Nous voilà rentrés, Elilwë. » déclara Aragorn, et il ferma les yeux, apaisé et le cœur en liesse.
