Chapitre Douze

TRISTES HISTOIRES

Minas Tirith fut en effervescence durant quelques les jours qui suivirent le retour d'Aragorn II, héritier de la jadis décadente Nùménor. La splendeur de la cité égalait celle des palais d'albâtre de cette île en forme d'étoile à cinq branches, engloutie par la fureur des valar voilà trois millénaires. Ar-Pharazon le Doré n'avait guère mesuré l'étendue de l'acte abject qu'il commit en voulant débarquer en Aman, car cela avait causé la destruction d'une civilisation brillante. Elilwë, se sentant comme Tari-Miriel violée par son cousin et mari, avait préféré se retirer dans un lieu cloîtré et isolé de tout village, une citadelle divine où les Eliel, filles des Etoiles et prêtresses de Varda, se recueillaient dans un monde de silence, perdues dans les ténèbres d'une maison silencieuse et où tout aspirait à la quiétude. Sale, défiée dans son honneur de femme et de rôdeuse, la jeune elfe, ne voulant voir personne à part Gandalf et Elrond, restée prostrée dans sa chambre, sans un mot, observant parfois les étoiles et admirant, toujours et encore, la beauté des dames elfes qui avaient fait vœu de chasteté afin de se consacrer à leur valier favorite.

« Je suis inquiet pour sa santé, Seigneur Elrond. Le sommeil, ainsi que la faim, la soif, ne sont que de futiles mots ne possédant aucun sens concret à ses yeux. » chuchota Gandalf, arpentant les couloirs calmes de cette demeure aux allures faussement apaisantes.

« Mais cela n'a pas de sens pour nous autres elfes, Mithrandir, si je puis encore me permettre de vous nommer ainsi. Sommeil est une parole qui n'aucune signification pour des immortels. Aucune. C'est ainsi. Elilwë se remet en question, mon ami, et cela depuis son adolescence. »

« Elle essaye de trouver une raison de survivre encore en ce monde. Une seule chance, une seule vie, un seul instant…Qu'en pensez-vous ? Est-ce réellement la solution pour cette âme peinée et brisée ? » questionna le vieux magicien avec avidité.

Elrond haussa les épaules, et son front sage se rida, montrant qu'il était en pleine réflexion. Si la jeune elfe était au centre de toutes les conversations, c'était parce qu'elle avait tant de fois défié la société traditionnelle dans laquelle elle se trouvait, bien malgré elle, prisonnière d'un monde qui ne semblait pas être le sien, entre la couture et les jupons des demoiselles. Adolescence placée sous le signe des armes, rien n'aurait braver la rébellion perpétuelle de la rôdeuse, sauvage et très certainement libertine.

« Après tout, je crois qu'elle a déjà trouvé une raison de vivre. Ou de survivre, car le terme serait plus approprié. » dit Elrond, un sourire aux lèvres, et Gandalf remarqua que Legolas marchait silencieusement dans les allées couvertes qui bordaient un jardin mort et enneigé.

Accompagné de Gimli le nain, son cher ami, il discutait de la tristesse dans laquelle Ancalimë, la plus puissante des Reines numénoréennes, vécut dans une maison pareille à celle qu'ils visitaient en ce moment, parmi les étendues vertes des collines et des troupeaux de moutons qu'elle se plaisait à taquiner. Gimli écoutait avec intérêt ses propos, ne voulant guère froisser l'elfe, qui, malgré toutes les apparences, ressentait une certaine appréhension quant à aller rendre visite à la rôdeuse, faible et alitée. Peut être allait-elle refuser sa compagnie, mais tous les cas, Legolas partirait la conscience tranquille de la maison des Eliel, sachant qu'il avait pu entrevoir le visage de celle qui hantait ses rêves depuis de très nombreuses années. Elrond aborda le jeune prince elfe, au visage plus pâle que jamais et aux lèvres, qui, accentuées par la couleur presque maladive de sa peau, semblaient étrangement rouges, comme s'il avait été exposé au froid glacial qui régnait au Gondor trop longtemps.

« Bienvenue à vous, fils de Thranduil ! Avez-vous reçu l'autorisation de pénétrer dans l'enceinte sacrée de Varda ? » demanda le Seigneur d'Ilmadris.

« Effectivement, j'ai supplié la dame régente des prêtresses de m'accorder un droit de visite. Voyez-vous, j'ai quitté les Maisons de Guérison voici quelques jours et mon bras, bien qu'encore douloureux, me permet à présent de voyager sans trop de désagréments. » murmura le prince elfe d'une voix douce, et il tendit une enveloppe cachetée de cire rouge à Elrond, prouvant ainsi qu'il avait tous les droits quant à vagabonder parmi les prêtresses dévouées et préservées du monde extérieur.

Bien que les Eliel voyaient peu d'intérêt à ce que les hommes viennent les rencontrer de temps à autre, elles étaient parfois très surprises de rencontrer un genre masculin. Ayant gardé toute la fraîcheur de la jeunesse et cette fâcheuse manie à rougir devant tous les elfes qui les abordaient, les prêtresses toléraient leur présence, à condition qu'ils ne tentent pas charnellement les jeunes novices, qui devaient vierges jusqu'au dernier voyage, celui qui devait les mener en Aman.

« Parfait. Et vous, maître nain, n'avez-vous guère apprécié le voyage auprès des rivages de la mer ? Je vois à votre mine renfrognée qu'Arod a été particulièrement fougueux. » dit Elrond d'un ton amusé.

Le nain émit quelques grognements de mécontentement en sa propre langue, et se contenta de dire qu'il venait simplement s'enquérir de la santé de la rôdeuse, bien que Gandalf en douta fortement, sous prétexte que Gimli, ayant entrevu la beauté de Galadriel, vint trouver d'autres joyaux qui, eux, semblait bien plus préservés et moins majestueux dans leur manière d'être. Legolas baissa la tête, un léger sourire aux lèvre en entendant les paroles de son ami. Leur amitié, certes tendre, était parfois orageuse, assombrie par des nuages noirs – les disputes concernant leurs pères respectifs qui se haïssait profondément.

« Comment va-t-elle ? » s'enquérra Legolas avec grande inquiétude, ses sourcils noirs et beaux se fronçant en voyant le visage préoccupé d'Elrond. « Je vois bien que vous n'êtes pas optimiste, mon Seigneur. » ajouta le jeune prince, ignorant les gloussements des novices Eliel qui passaient par là. « Où se repose-t-elle ? » demanda-t-il alors, et Gimli acquiesça d'un signe de tête approbateur.

« Au fond du couloir, il demeure un escalier en marbre qui vous mènera à une des plus hautes chambres de la demeure, celle qui donne sur les étoiles et la mer. Un célèbre astronome elfe y a fait ses études il y a bien longtemps, mais à présent, c'est Elilwë qui retient ses leçons. Vous entendrez sans doute ses paroles sages et aguerries de la bouche de la jeune fille en personne. » expliqua Elrond en indiquant le chemin.

Legolas s'inclina respectueusement, ainsi que Gimli, et, abordant Gandalf, il posa une main amicale sur son épaule avant de continuer son chemin, suivi par le nain qui clopinait en raison de la lourde armure qu'il portait, en dépit de l'état de paix – provisoire, depuis la menace de Morgoth – dans lequel se trouvait le royaume du Gondor. L'escalier s'enfonçait en colimaçon dans une tour richement décorée de bas-reliefs en marbre ; et le raffinement de l'art elfique présenté en ces lieux émerveilla Gimli, qui, comme tous les nains, aimait la sculpture de la roche. Gandalf et Elrond s'en allèrent, préférant rejoindre la capitale de Gondor et son animation grandissante, écoutant avec déception, encore et toujours, les ragots de la populace.

« Etes-vous sûr de vouloir m'accompagner, nîn mellon ? » demanda la voix calme de Legolas, qui, d'un pas léger, montait les marches veinées d'un riche violet, les résidus de l'extraction du marbre. « Elilwë verra peut être d'un mauvais œil cette intrusion. »

« Croyez-moi, Legolas, votre présence ne sera pas indispensable pour Elilwë. N'avez-vous donc toujours pas compris ? Elle ne vous aime guère, mon ami, et cela est une chose inévitable à laquelle vous ne pourrez échapper. Après tout, ne sait-on jamais, sans doute va-t-elle vous remerciez cordialement sans aucune autre forme d'affection. » déclara le nain de sa voix rocailleuse, et Legolas, attristé par les paroles de Gimli, pencha tristement la tête.

Ils gravirent les marches avec difficulté, transis par des blessures, qu'elles furent anciennes, dans le cas de Gimli, ou bien récentes, comme le bras de Legolas qui avait à peine eu le temps de régénérer complètement. Tous deux aboutirent enfin dans un petit couloir décoré de superbes peintures elfiques, aux couleurs étrangement effacées par le temps, ce qui semblait tout de même étonnant dans une maison où l'immortalité des elfes résidait à jamais. Une sorte de pont à arches, surmonté d'un toit, lui-même soutenu par des colonnes sculptées, passait au-dessus d'un précipice montagneux pour le moins inquiétant, et, enfin, ils arrivèrent devant une porte massive en bois exotique, gravée de signes elfiques. Elle n'était pas fermée à clé, seulement légèrement entrebâillée, s'offrant à la brise glaciale qui soufflait en rafale sur les plaines océaniques de l'Anfalas.

« Eh bien voilà. Legolas, à vous l'honneur ! » s'exclama Gimli, d'un air faussement réjoui, et voyant que l'elfe hésitait, il soupira d'agacement et poussa un peu brusquement la porte.

Cependant, la ou les personnes qui se trouvaient à l'intérieur ne se manifestaient guère. La chambre était elle aussi faite de cette pierre blanche caractéristique, que l'on trouvait près des falaises maritimes creusées par la salinité. Le nain et l'elfe s'engouffrèrent dans la pièce, petite mais néanmoins confortable et empreinte de sécurité et de douceur. Une sorte de cocon protecteur dans lequel Elilwë se recueillait en silence, sentait le doux souffle des embruns lui caresser le visage, admirait l'étendue de la voûte de Varda, écoutait avec piété les chants enivrants des voix elfiques éthérées qui exaltaient la beauté et les pouvoirs de la Dame des Etoiles, épouse du Maître des Vents.

« Mais où est-elle donc ? » s'étonna Gimli, observant les meubles et les tentures qui ornaient la belle chambre de la rôdeuse.

Les yeux d'un nain étaient peu performants, surtout en ce qui concernait la vision nocturne, mais généralement, ils étaient doués pour rester endurants aux conditions climatiques rudes de montagne et à la désagréable sensation d'humidité qui résidait dans les cavernes sombres des entrailles de la terre. Legolas restait ébahi devant le lit à baldaquin, large et confortable, qui, alourdi quelque peu par le couvre-lit d'un bleu marine et les tentures de la même couleur, semblait parfait pour une personne qui, faible, malade et mélancolique, passait toutes ses tristes journées à réfléchir à l'inutilité de la vie. Si à gauche, la couche de la rôdeuse prenait une place considérable, à droite se trouvait un bureau en bois sombre et solide. Sur celui-ci se trouvait quantité de parchemins couverts d'une encre noire et d'une écriture simple et petite en caractères numénoréens. Gimli prit de ces parchemins jaunis par le temps et en lit quelques lignes.

« Bah ! De la poésie ! Qui aurait cru que cette jeune fille frêle et rebelle passait ses nuits à composer de la poésie ? Je ne la savais guère poète, ni romantique… » murmura le nain d'une voix rauque, et son regard s'attarda alors sur la bibliothèque, ses étagères emplies de grimoires et livres anciens.

Parmi ces ouvrages se trouvait le Lai de Luthien, qui, contrairement aux autres livres, n'était ni poussiéreux et ne possédait cette allure neuve qui siérait à toutes les enluminures de livres elfiques à peine utilisés par leur propriétaire. Legolas supposa donc qu'il était très souvent lu et relu par la guerrière, qui, malgré les apparences, avait le cœur assez mélancolique pour lire la triste histoire de Beren et Luthien. Enfin, une bougie à la flamme défaillante brûlait faiblement, agitée et troublée par la brise maritime. Un long voile transparent, séparant la chambre d'un balcon qui donnait sur l'étendue superbe et majestueuse de la mer, claqua au vent, comme les bannières noires des Eliel qui se trouvaient au dehors. Et, derrière ce voile, une silhouette aussi fine qu'une adolescente farouche se tenait à la rambarde du balcon, observait le ciel blanc du matin et les hautes herbes des plaines se mouvait au vent. Depuis deux jours, la neige avait fondu, et le Gondor entrait sans défaillir dans la deuxième partie du mois de décembre, bien plus sèche et moins agréable à supporter que les autres périodes de l'année.

« Legolas, elle est là ! » s'exclama Gimli, bien peu discret. « Voyez comme elle se morfond, seule, dans cette triste demeure bien peu accueillante ! »

Une main bienveillante se posa sur l'épaule massive du nain alors que l'elfe marcha d'un pas lent et sans doute craintif en direction du balcon. Gimli se rendit compte alors de l'absurde fragilité de ces êtres mythiques et immortels, fins et musclés lorsqu'ils étaient du genre masculin, fragiles et belles lorsqu'ils étaient femelles. Legolas écarta lentement le voile, qui rendait les contours de la rôdeuse bien flous et peu distinguables, et il se dévoila au regard de l'elfe, qui, tournant lentement sa gracieuse nuque, remarqua enfin la présence du prince elfe. Aux yeux de Legolas, Elilwë était une perfection. Perfection humaine d'une part, à cause de ces traits qui la rendaient si réelle, si vraie et si mortelle aux yeux des éternels êtres, et imperfection elfique d'autre part, car la combinaison de son visage parfait, pur, et en même temps doté d'une blancheur maladive, d'un nez renfrogné, hautain, et pourtant joli, d'yeux si étranges, noirs comme la nuit, noirs comme deux puits sans fond, et pourvus de ces étincelles qui indiquaient sa force de vie. Sa silhouette, celle d'une guerrière, était fine, et en même vigoureuse, car elle ne passait pas tout son temps à regretter le temps qui passe, mais bien à manier Alquaesil d'une manière redoutable, parfois maladroite dans l'action d'un combat sanglant ou d'une escarmouche agressive. Ses cheveux étaient misérablement noués en un lâche chignon, et les mèches éparses couvraient quelque peu sa nuque et ce cou de cygne, comme ceux qui ornaient sa lame d'ithildrin. Vêtue d'une robe blanche, comme celle qu'Eowyn avait porté lors de sa convalescence aux Maisons de Guérison, après le dernier combat acharné contre le Roi-Sorcier, la rôdeuse observait sans soupirer l'étendue de ce ciel blanc, froid, comme la pureté étrange de son visage, impassible et indifférent. Un corset, lui aussi lâchement noué derrière son dos, soutenait le tissu vaporeux de cette robe précieuse et raffinée, comme quoi la plus rustre des femmes pouvait, parfois, se révéler d'une grande féminité, mais seulement dans les moments intimes.

« Hé, alors ? » dit-elle d'une voix rauque. « Venez-vous encore m'importuner comme Beren le faisait avec Luthien ? Ou alors me hanter ? » demanda-t-elle de cette même voix monotone. « Je ne doute pas une seconde de la sincérité dans laquelle vous venez me rencontrer aujourd'hui. Cependant, il serait préférable que vous ne restiez pas très longtemps, vous et Gimli. Je suis lasse. »

« Mon intention n'est pas de vous châtier, ni de venir troubler cet étrange sommeil éveillé que vous vivez en ce moment même. Mon inquiétude grandit jour après jour à propos de votre santé et… » il se fit interrompre par la rôdeuse, car elle leva sa main, fine, couverte de cicatrices, réminiscences d'anciens combats.

« Ne soyez pas inquiet pour les personnes qui ne le méritent pas. Dites promptement ce que vous avez à dire et partez. Je ne veux guère perdre mon temps en palabres inutiles. » déclara-t-elle.

« Croyez-moi, vos palabres sont plus inutiles que les miennes, et je peux le prouver en ce moment même. » rétorqua Legolas, qui, pour la première fois, s'adressait à la rôdeuse d'une manière arrogante, qui lui semblait pourtant sincère. « Veuillez écouter ce que j'ai à dire, et vous pourrez ensuite m'insulter à votre guise. »

« Très bien. » dit-elle simplement, et elle se retourna, fière et redoutable, belle et ingrate. « Je suis à votre disposition. »

Quelques mouettes criaient près du calme rivage d'Ekkaïa, et il semblait à Legolas que les éléments de Manwë s'accordaient parfois à l'humeur de la jeune elfe. La brise se fit plus forte alors que les albatros, dans leur passage, faisaient siffler l'air ambiant, le rendant aussi coupant que du verre. Ses cheveux noirs, ainsi que les mèches d'or du prince, se mêlèrent en un seul souffle, et ils demeurèrent ainsi, durant quelques secondes, silencieux. Legolas songea quelques instants à l'allusion qu'Elilwë avait faite à propos de leur relation, proche de celle de Beren émerveillé par la beauté de Luthien. Mais cette fois, la beauté d'Elilwë n'était pas remise en cause, mais c'était bien cette manière de défier les hommes qui étonnait le jeune prince elfe, quitte à devenir admiratif de cette qualité – ou de ce défaut – dont la rôdeuse était pourvue. Puis, une voix râpeuse se fit entendre, rauque, ferme, réprimandant le comportement sans honneur des deux elfes.

« Il suffit ! Legolas, Elilwë, vous devriez avoir honte de ce comportement puéril qui brise les liens du Gondor. Tous les deux êtes à présent pire que deux vautours se disputant on ne sait quoi ! Cessez de vous disputez ainsi, et laissez la haine où elle devrait se trouver : en votre cœur. » ordonna Gandalf, qui, placé dans l'encadrement de la porte, paraissait redoutable et certes dangereux des pouvoirs magiques dont il pouvait user sans mesure. « Réconciliez-vous, je vous en prie. Votre amitié serait précieuse pour la suite. »

« Pourquoi ? L'amitié n'est pas une chose faite d'or et d'argent, elle n'a quasiment aucune valeur lorsque ces liens me lient à un elfe ! Qui plus est, un homme ! Je ne soumettrai pas ! » s'exclama Elilwë. « Qui vous amène ici ? » questionna-t-elle d'une voix plus neutre.

« Le Roi, Dame Elilwë, Ancienne de la Fratrie des Rôdeurs. Elassar vous mande de reprendre vos services. Les frontières du royaume sont en danger, et déjà les ambassadeurs des différentes contrées sont priés de venir rejoindre la capitale du Gondor. » déclara Gandalf d'un ton alarmant, très certainement intentionné. « Et vous, Legolas, devriez être aux côtés d'Aragorn, et de votre père Thranduil. »

« Je n'irai point côtoyer mon père. Trop de malheureux souvenirs se retrouvent alors que je converse alors lui. » dit Legolas d'une voix amère, et il s'apprêta à quitter la pièce en compagnie de Gimli, mais Gandalf lui barra le chemin.

Elilwë écarquilla les yeux puis fronça les sourcils, surprise de ce peu d'amour et de respect que Legolas avait pour sa parentèle. A vrai dire, elle n'avait jamais démontré le moindre signe d'affection pour une mère qui ne voulait plus d'elle, prétextant que son sang était devenu impur après une aventure malheureuse avec un amant humain, et bien mortel. Ce conflit n'avait jamais été résolu, pas même par les sages conseils de Gandalf qui avait tant de fois tenté de mettre un terme aux fâcheux sentiments qui unissaient, malgré tout, mère et fille.

« Mais il est tout de même votre seigneur, et vous lui devez obéissance. » déclara le vieux magicien avec sévérité, et Gimli grogna, désapprouvant de rencontrer Thranduil, le roi elfe qui avait enfermé son propre père dans les oubliettes de la Forêt Noire.

« Pourquoi lui imposer ainsi cette fidélité ? A-t-il été fidèle, lui, lorsque Legolas a été enfermé et torturé, accusé de meurtre ? Non, Mithrandir, je ne puis cautionner cela. Thranduil, et je l'admets, a connu bon nombre de malheurs. Mais ce n'est pas une raison pour ainsi malmener un esprit brisé par la mort de…Vanyawen. Telle que nous la connaissions jadis. » murmura Elilwë, détachant son chignon afin que sa belle chevelure tombe sur ses épaules.

Cette nouvelle semblait choquer tous ceux qui étaient présents dans la pièce, y compris Gandalf, qui, malgré cette étrange capacité à sonder les pensées des esprits récalcitrants ou rebelles, comme l'étaient Elilwë ou Legolas. Beaucoup de secrets enfouis demeuraient encore en leur cœur, et les liens qui les unissaient, fâcheux en ce moment, ne demandaient qu'à s'améliorer, pour de l'issue de la guerre, imminente. Si tous croyaient le sort des combats à venir dépendaient d'Elilwë et de Legolas, les deux elfes concernés en doutaient grandement. Lorsque la rôdeuse défendit le jeune prince elfe, par ces simples mots qui réussirent tout de même à convaincre Gandalf, Gimli ressentait cette étrange atmosphère, lourde et désagréable, d'un long silence à s'observer furtivement, avec inquiétude et toujours cette même haine qui liait les deux êtres brisés par le sort du destin qui pesait sur leurs épaules et les murmures des dieux.

Une Eliel fit alors son apparition dans la pièce agitée par les embruns maritimes, et aida Elilwë dans sa tâche, car la jeune elfe, ayant des fonctions sociales importantes au sein de la cour d'Elassar, se devait d'assister à la réunion entre les conseillers du Roi et les représentants de chaque classe sociale, concernée par le sort de la capitale gondorienne. Gandalf s'inclina alors, marmonna quelques mots en sa langue natale, celle qu'utilisaient les Istari pour s'exprimer parmi eux. Il quitta promptement les lieux, et Legolas accorda un dernier regard à Elilwë, qui, elle faisait mine de l'ignorer. Gimli l'entraîna au-dehors, et les deux amis vinrent se réfugier à Minas Tirith, le cœur troublé par des étoiles en perdition dans un océan de ténèbres.

« C'est une sacrée histoire, Dame Elilwë ! Qu'en pensez-vous ? » demanda la jeune prêtresse novice, un accent paysan qui se faisait ressentir alors qu'elle parlait. « Je ne doute pas que le Roi va trouver une solution, mais nous sommes si proches du Mordor, et les flammes de la Montagne du Destin se font plus pressantes, plus dangereuses… »

« Ne craignez rien, fille des étoiles, je suis sûre que tout ira bien. Il demeure encore un peu d'espoir tant que l'Alquaeleni est parmi nous. » répliqua Elilwë en prenant une de ses plus belles robes, la pliant et la rangeant dans ses bagages sans plus attendre.

« Attendez, ma Dame ! Vous devriez garder cette robe pour ce soir. » s'exclama la prêtresse en l'arrêtant dans son geste.

« Pourquoi donc ? » questionna la rôdeuse, froissée par la vivacité d'esprit de cette jeune fille originaire d'un milieu fort défavorisé, celui de la campagne. « Je ne porterai plus de robes, cela m'est inconvenant et les genres masculins me toisent du regard, comme si je n'étais qu'une sous-fifre. »

« Une grande fête a lieu à Minas Tirith, au palais de Sa Majesté. Le solstice d'hiver va sans doute distraire la population, qui vit à présent sous la menace d'un grand danger. Et cela apaisera votre cœur de revoir les êtres qui vous étaient chers. » répondit la jeune fille, un sourire aux lèvres.

Sur ces mots, elle plia précautionneusement la robe, faite en une sorte de tissu étrange, à la fois blanc et argenté. Elilwë affectionnait particulièrement ces couleurs, bien qu'elle ne les portait qu'aux soirées auxquelles elle se devait de participer pour certaines raisons parfois bien dérisoires. Elle n'était certes pas Dame de la Cour, mais bien une guerrière respectée pour ses qualités au combat, rien de plus. Prenant alors son épée et la sortant de son fourreau, la rôdeuse remarqua qu'il brillait d'une lueur presque inconsidérée, en plein jour, indiquant que l'ennemi se rapprochait, jour après jour, des frontières du Gondor.

« Cette lame est particulièrement efficace ! On dit qu'elle a mutilé des milliers d'orques, et cela, bien avant votre naissance. Elle brille également à la lueur de la lune, dit-on, car c'est de l'ithildrin. » déclara la jeune Eliel.

« Oui, ce métal est apprécié des elfes pour ses qualités. C'est à la fois solide et léger. Pourtant, en ce moment même, elle me semble tellement lourde…Prise par le poids d'un passé inconnu… » murmura-t-elle en effectuant quelques mouvements rapides du poignet, fendant l'air de cette lame redoutable.

« On dit aussi que vous êtes experte en son maniement. » observa la jeune prêtresse en voyant des éclairs d'un bleu argenté se dessiner parmi les volutes invisibles des différentes brises qui se mêlaient en un seul souffle.

« Experte ? Certes, non, je connais des personnes qui savent faire des enchaînements à la fois mortels et dotés d'une grande beauté. Malheureusement, perdre la grâce elfique est un prix à payer pour demeurer auprès de mortels, et je perds petit à petit la vie qui réside en moi. » dit Elilwë, et la douleur de ses poignets fut trop grande pour qu'elle continue à danser en compagnie de son épée. « Alquaesil, ma fidèle amie…Le seras-tu encore, lors des combats qui nous attendent ? »

« Elle vous sera toujours fidèle. Comme nous autres, chastes joyaux de Varda, Alquaesil vous accompagnera dans les moments difficiles. Nul doute que le jeune prince elfe sera lui aussi impliqué dans les futurs évènements… » dit la prêtresse, et elle se retrouva absorbée dans sa tâche peu passionnante.

' Le prince elfe ? Legolas ? ' songea Elilwë. ' En voilà des sornettes ! Il ne peut devenir mon compagnon d'armes, car notre destin n'est, une fois pour toutes, pas lié ! Comment cela se peut-il ? Nous n'avons rien en commun. Rien. '

Elle glissa la paume de main sur la surface froide de sa lame, ressentant qu'elle avait été tâchée de sang maintes fois, et pas seulement le liquide maudit qui coulait en les veines des ennemis, mais également du sang pur, l'essence même de la vie des elfes. Aussi étrange que cela pouvait paraître, Elilwë Alquaeleni en était persuadée. Peut être que sa mère avait tué quelques elfes pour se défendre ? Ou ses ancêtres ? Ou bien était-ce une réminiscence du sang de Morgoth qui avait couvert cette noble lame, secrète et imprévisible, tout comme sa propriétaire.

« A quoi pensez-vous, ma Dame ? Vous voilà bien rêveuse ! Le prince Legolas n'est-il pas doté d'une grande beauté ? » déclara la prêtresse, un sourire mutin aux lèvres, qui signifiait bien des choses.

Car si les hommes qui pénétraient dans l'enceinte de la demeure blanche des Eliel ne devaient pas les tenter charnellement, il était certain que les prêtresses pouvaient parfois succomber au désir, et même trouver tel ou tel elfe à leur goût. L'évidence même de l'admiration qu'avait cette jeune fille pour tous les genres masculins qui venaient ici semblait déroutante, quoique compréhensible.

« C'est une injure. » dit la rôdeuse avec un semblant de rêverie. « N'êtes pas sensée rester vierge tout le long de votre longue et éternelle vie ? »

" Pardonnez-moi, ma Dame, je ne voulais guère vous offenser. Mais c'est un bel elfe, assurément. Il a des yeux bleus incroyables, et je vois dans le reflet de son regard la mer en tourmente. » s'excusa l'Eliel en s'inclinant.

« La mer en tourmente… » murmura Elilwë, surprise de sa réaction. « La mer… » continua-t-elle avec cette voix douce, mélancolique, et peu lucide. « Serait-ce un sort qui aurait jeté son dévolu sur votre cœur, fille des étoiles ? »

« Sans doute, hiril nîn, mais ce n'est pas à moi que cette tâche est confiée, mais bien à vous. La Dame Viressë en est persuadée, et je le suis aussi » dit la novice en s'inclinant de nouveau. « Puis-je quitter la chambre ? Ma tâche est terminée. » ajouta-t-elle avec sérieux.

« Oui. Mes services ne sont plus recommandés. Je pars dans l'heure qui suit. Prévenez votre Ancienne que je quitte la demeure blanche des Eliel. Il est temps pour moi de retourner à Minas Tirith afin de reprendre mes fonctions. » ordonna-t-elle d'une voix ferme.

L'Eliel fit un signe de tête approbateur, et, le pas léger et allègre, la jeune elfe quitta la chambre de la rôdeuse, la laissant seule dans cette pièce exposée à tous les éléments, y compris la pluie, qui, telle les larmes de Nienna, tombait tristement au sol, donnant au solstice d'hiver une vision bien mélancolique.

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Funestes étaient les nouvelles que le cavalier envoyé par les rôdeurs apportait, en la bonne ville de Minas Tirith. Déjà, la nuit était tombée, et, l'astre lunaire diffusait sa faible lueur sur les habitants qui fêtaient le solstice d'hiver. Des banderoles colorées avaient été accrochées aux murs des maisons, et les lampions à la lumière chaleureuse semblaient réjouir la population toute entière. Pourtant, les claquements inquiétants des sabots du destrier sur le pavement des rues n'arrivaient guère à attirer l'attention des gens qui fêtaient joyeusement l'apogée d'un hiver, qui s'annonçait particulièrement humide et désagréable. La musique et les rires, ainsi que la bière qui coulait à flots n'arrivaient guère à réjouir les cœurs des marchands, qui buvaient sombrement un vin auquel ils ne trouvaient rien de particulier. Ils virent le cavalier gravir les pentes des étroites ruelles de la ville, et en conclurent que les Rôdeurs avaient subi de nombreuses pertes à cause des orques qui sévissaient en Mordor et sur les routes commerciales du Gondor.

« Voilà : nous les avions prévenu du danger qui régnait en Gondor, à cause du danger qui règne. Bien entendu, il est trop tard, à présent. » déclara un prêtre en buvant sa boisson alcoolisée à petites gorgées.

Quelques instants, le cavalier s'arrêta, voyant que la porte du palais de Minas Tirith était fermée. Les gardes s'avancèrent, et ouvrirent la lourde structure en bois exotique en voyant le messager arriver. L'arbre blanc du Gondor, impassible, se trouvait là, au son du doux ruissellement de l'eau, d'une fontaine qui se trouvait à proximité. Les plates-bandes d'herbe qui ornaient la surface de ce plateau, sommet de la falaise qui séparait Minas Tirith en deux parties distinctes, le Sud et le Nord ; se mouvaient au gré de la légère brise maritime, qui parvenait jusqu'à quelques centaines de milles à l'intérieur des terres. Malheureusement, cela ne parvint pas à réjouir le cœur des hommes en armure qui gardaient l'entrée du palais de la cité blanche.

« Place, place au messager du Gondor ! » s'exclama l'un des gardes en voyant cet homme au cheveux bruns et aux yeux brillants chevaucher jusqu'à la porte du palais.

En toute hâte, le cavalier, portant un casque aux motifs équins qui cachait quelque peu sa véritable identité, descendit de sa monture et laissa les rênes à un infortuné soldat de Gondor qui devinait les raisons de sa venue. C'est alors qu'une femme, à l'apparence jeune mais néanmoins froide, se pressa de descendre les marches qui menaient à la salle du trône du palais, se précipitant à l'extérieur afin de saluer le guerrier rohirrim. Elle se nommait Eowyn, et était l'épouse du capitaine du Gondor, Faramir, fils de l'intendant Denethor, décédé dix ans auparavant. Quelques mots furent échangés, et l'accueil fut bref, concis ; car personne ne voulait user de palabres inutiles pour perdre des minutes précieuses en conversations longues et subtiles.

« Salutations, cavalier de l'Ithilien ! C'est une heure bien sombre pour le royaume ! Quelle nouvelle pourrait encore troubler le cœur du roi ? Si ce n'est d'affreuses missives venues de Pelargir ! » s'exclama Eowyn, les yeux empreints de désespoir.

« Hélas, ma Dame, les nouvelles sont bien mauvaises ! C'est le Seigneur Mablung qui m'envoie, car la bourgade principale du Lebennin a besoin d'aide. Beaucoup de malheurs nous ont accablé ces derniers jours. » répliqua le cavalier, retirant promptement son casque, et s'avançant vers la salle du trône.

Les soldats ouvrirent alors la lourde porte du palais, menant directement à la salle du trône. La pièce en elle-même, spacieuse, ornée de statues représentant d'anciens rois du Gondor, était superbe, et reflétait bien évidemment une infime partie de l'art Adunaic, comme faisant partie de l'île engloutie de Nùménor. Des colonnes en marbre noir contrastaient avec l'aspect grisâtre de la salle, éclairée par des bougies posées sur des chandeliers en métal, qui offraient juste à peine de luminosité pour distinguer des visages entourés d'une aura orange et chaleureuse. Par ailleurs, à une heure si tardive, il semblait au messager de l'Ithilien que le roi Aragorn II, Seigneur du Gondor, était entouré d'une immense cour, des gens du peuple, des guerriers, des nobles, des marchands, et des femmes aristocrates agitant leurs éventails inutiles d'une manière outrée. Et le roi Aragorn II, souverain des provinces du Gondor, était assis sur son trône, l'air soucieux, accoudé sur les rebords de ce dernier. Il semblait écouter les divers avis des gens qui se trouvaient auprès de lui, en particulier celui de son conseiller Arithil, rôdeur de l'Ithilien et compagnon d'armes du défunt Boromir. Le messager s'agenouilla au devant du seigneur Aragorn, qui n'avait guère remarqué sa présence jusqu'à maintenant.

« Un messager est ici, mon Seigneur. » déclara Eowyn, et tous se turent, alors que le roi levait la main droite, signifiant qu'il demandait le silence.

Aragorn accorda un regard à son épouse, assise à ses côtés, la divine Arwen Undomiel, enceinte de leur deuxième enfant, et se leva avec noblesse, observant le messager crasseux, couvert de poussière, qui était encore agenouillé à même le sol marbré. Eowyn avait la tête baissée, ne sachant pas quelle allait être la réaction du roi de Gondor. Un silence complet s'empara de la salle du trône toute entière, alors que tous dévisageaient le messager avec étonnement, dégoût, ou appréhension, car les nouvelles qu'il apportait en ces lieux n'étaient guère les bienvenues. Les marchands, les bras croisés en signe de supériorité ; semblaient observer le roi avec colère. En effet, depuis quelques temps, les routes de commerce du Gondor oriental étaient régulièrement attaquées par des orques qui n'hésitaient pas à piller les réserves de nourriture des marchands, qu'ils prenaient uniquement avec eux pour leur consommation personnelle et tuaient également les paysans qui tentaient de protéger leurs terres.

« Qui vous envoie en ces lieux, maître Rôdeur ? » demanda Aragorn, fort surpris de cette intrusion pour le moins inattendue, du moins pour certains.

« Le seigneur Mablung, mon Seigneur. Nous avons subi nombre d'attaques en défendant les routes de commerce de l'est, passant par les régions désertiques, le Harondor et le Khând. »

Presque tous s'attendaient à cette réponse, sauf quelques simplets qui pensaient à une recrudescence des épidémies de peste, et d'autres qui n'étaient guère intéressés par la situation commerciale du Gondor. A vrai dire, nul ne pouvait nier que les marchands étaient dépourvus d'une quelconque intelligence, car ils s'obstinaient, en dépit des risques, à voyager de nuit, ignorant les attaques des orques mais ne pouvant les éviter.

« N'aviez-vous pas en confiance en notre parole, fils d'Arathorn ? » s'exclama l'un des marchands les plus influents de Minas Tirith, Erland. « Les orques attaquent nos caravanes, pillant à tout gré ! »

Il se leva alors, et son visage exprimait toute la colère et l'amertume de ses compagnons de route et autres commerçants cherchant désespérément à protéger leur unique source de revenus. Erland, originaire de Lacville, une cité humaine en Forêt Noire, avait fait fortune en moins d'une décennie, et cela par des moyens fort peu louables, et parfois illégaux, mais personne ne savait le prouver. Il portait des vêtements amples, d'un riche violet cousu d'or, de plus, il semblait fort corpulent et bien peu scrupuleux du regard. De son visage gras et disgracieux, Erland observait le seigneur du Gondor avec dégoût, car il ne l'avait jamais considéré en tant que roi, mais en tant que rôdeur du Nord. Car errant il était, et errant il resterait, en dépit un sang des héritiers de Nùménor qui coulait en ses veines.

« Tenez votre langue, et soyez moins irrespectueux envers le roi ! » s'exclama Arithil, le conseiller personnel d'Aragorn et Ancien de la Fratrie des Rôdeurs. « En des heures si sombres, il ne faudrait pas oublier de s'en tenir à son rang. »

Le conseiller passa une main dans ses cheveux sombres comme la nuit, et son visage mal rasé, pourtant noble, semblait sage et réfléchi. Les Dames de la cour continuèrent à agiter leurs éventails avec nervosité, car l'atmosphère était tendue, et ces demoiselles, bien que n'ayant pas la parole en cet instant, assistaient passivement à cette réunion.

« Il faudrait envoyer des patrouilles, et protéger les caravanes ! » proposa Eowyn, osant intervenir. « Pourquoi les Rôdeurs de l'Ithilien n'arrivent-ils pas à capturer un de ces orques, pour savoir quels sont les sombres desseins de l'ennemi ? »

« Sauf votre respect, ma Dame, ces orques sont bien trop rusés, et ils usent de tactiques avancées, elles-mêmes reprises des rôdeurs. Et si nous arrivions, par miracle, à en prendre un, jamais il ne parlerait. Certes, ils sont sans foi ni loi, et outrepassent les règles du Gondor, mais ils préfèrent se donner la mort plutôt que de dénoncer leur chef. » répliqua le messager en se relevant.

« Leur chef ! C'est un sale rat, un mercenaire sans honneur et sans humanité ! » s'écria Erland, et les nobles installés sur des chaises en bois auprès des colonnes parurent consternés.

Arwen regarda le marchand d'un air sévère, et bien qu'elle ne s'exprimait pas sans nécessité, elle fut tentée d'expulser ce commerçant véreux et grossier sur-le-champ. Le roi, avide d'en savoir plus, ignora donc Erland, et questionna le messager à propos de l'orque Azog, car tel était son nom, redoutable.

« Comment nomme-t-on le chef de ces orques ? » demanda Aragorn, posant son bras sur le rebord de son trône, ses doigts se crispant sur l'accoudoir.

« Azog, mon seigneur, c'est un envoyé de l'ennemi. Il est proche de celui qui gouverne à présent le Mordor. » répliqua le messager, et il paraissait las, fatigué des escarmouches qui avaient lieu dans ces régions troublées et désertiques.

Des personnes âgées, assises en demi-cercle autour du trône du Roi, se trouvaient parmi les bougies qui brûlaient encore, écoutant avec inquiétude les propos du messager, et ils croyaient revivre les évènements datant d'il y a décennie, comme un cauchemar éveillé. A leurs côtés demeurait Elilwë, le seul être possédant cette relative jeunesse physique et la lassitude spirituelle que comportait les aléas de l'immortalité. Le deuxième rang de ce demi-cercle était constitué des nouveaux venus, les seigneurs elfes, et les quelques ambassadeurs elfiques d'autres contrées, comme le prince Luingil, élu par le peuple des Moriquendi, le roi Thranduil de la Forêt Noire aux côtés de Gimli et Gloin, car les nains étaient, eux aussi, concernés par cette situation. Enfin, le troisième rang était composé de nobles et des représentants du peuple du Gondor, des nobles, des prêtres, des paysans et des artisans.

« Azog, dites-vous ? » questionna Gloin, interpellant l'humble soldat. « Cette bête a repris le nom d'un orque qui a jadis tué mes ancêtres. Je doute fort qu'il ne s'agisse de la même personne, cependant, pourquoi cet être infect vous est si redoutable ? »

« Non seulement il pille les routes de commerce, mais ce qui est encore plus fâcheux, ce sont les paysans, affreusement torturés par les orques, car Azog est un meurtrier, et selon certains dires, il sévissait, lors de la guerre de l'Anneau, en Rohan sous les ordres de Sharcoux, autrement dit Saroumane. » dit le messager, ses cheveux bruns cachant quelque peu ses yeux bleus emplis de deuil. « Les récits des quelques personnes survivantes sont insoutenables, et encore, je doute fort qu'elles puissent survivre bien longtemps suite aux blessures reçues. Croyez-moi, mon seigneur, l'heure est grave. Le Mordor s'est réveillé, et la puissance innommable qui a ainsi provoqué ces actes terrifiants est une chose. Une chose tellement horrible que nous autres rôdeurs craignons même de le prononcer. »

« On le nomme Morgoth. » dit Faramir, le Capitaine de Gondor, se levant soudainement. « Morgoth, le prince des ténèbres, celui-là même qui avait été déchu de son apparence corporelle par les Valar. »

Les elfes restèrent fort impassibles à cette nouvelle, mais les Dames de la Cour cessèrent d'agiter leurs éventails inutiles avec nervosité, écarquillant les yeux et se contentant d'émettre quelques soupirs paniqués et autres paroles destinées à les rassurer du tristes destin qui attendait le Gondor. Les nobles parurent choqués, ainsi que les représentants de la population gondorienne, et les rares nains qui se trouvèrent en ces lieux baissèrent la tête et fermèrent les yeux, comme endeuillés par la mort des leurs lors des anciennes guerres qui les opposèrent à l'ennemi. Elilwë resta fort silencieuse, ne voulant guère intervenir en ce moment grave, laissant son esprit vagabonder afin d'oublier ces conversations pourtant indispensables. Il fallait agir, et vite.

« Est-ce ainsi que vous détournez notre attention en nous faisait croire que Morgoth est revenu ? » demanda Erland d'un ton indigné. « Nos routes de commerce vous importent peu, Aragorn, fils d'Arathorn. » ajouta-t-il avec dédain.

Ce fut alors qu'une voix douce d'elfe se fit entendre, celle d'Arwen. Elle dit une parole méprisante en elfique, pestant contre ce marchand arrogant et présomptueux, et se leva, son ventre rond rendant tout déplacement difficile et pourtant possible. Eowyn se précipita à ses côtés, lui offrant son aide, mais la reine du Gondor refusa, se tenant, fière, parmi les chandelles frémissantes de la salle du trône.

« Croyez-vous réellement que les elfes auraient déserté les Terres Immortelles pour la sauvegarde des routes commerciales du Gondor ? » demanda-t-elle. « Vous êtes une disgrâce, Erland, une disgrâce à notre royaume. Vous ne vous préoccupez que de vous-même, alors la population toute entière est en danger. Ma parentèle ici présente pourra en témoigner avec grande sincérité. Voilà tout ce que j'ai à dire ce soir. Rien de plus, Erland. » déclara l'Etoile du Soir, indifférente devant l'air ébahi du marchand véreux.

Elrond hocha la tête avec approbation, ainsi que les autres elfes, et Elilwë admirait cette force de caractère qu'elle avait acquis en vivant aux côtés des humains. La rôdeuse fut tout de même surprise de voir que les hobbits étaient absents, et cela l'inquiéta grandement. Qu'y avait-il de si grave pour les periannath ne puissent se rendre au conseil du roi ? Elle se pencha du côté de Gandalf, qui était assis à ses côtés, et demanda en murmurant :

« Où sont Merry et Pippin ? Et Frodon ? Je pensais tout de même qu'ils allaient participer à la réunion. »

Un triste sourire anima le visage de Gandalf, qui semblait malgré tout paisible. Cette quiétude troublante qui apaisait les traits de son visage fut étonnante, presque impossible en une telle situation.

« Le sort de la Terre du Milieu n'est plus en leurs mains, Elilwë. Voyez-vous, ils sont las de toute cette souffrance. De ces blessés et de ces morts. Suivant l'issue de ce conseil, ils demeureront dans la Cité Blanche ou retourneront Comté. » répondit le vieux magicien alors qu'un noble s'adressait d'une voix inquiète aux seigneurs elfes.

« Frodon serait-il souffrant, nîn mellon ? Ne me cachez rien, mon cher. Je lis dans vos yeux que l'ancien porteur de l'Anneau est encore malade. » dit Elilwë en fronçant les sourcils.

« Souffrant, certes non ! Mais il est possible qu'une mélancolie inconsolable se soit emparée de son esprit. Cet objet maléfique l'a marqué, jeune fille. Qu'auriez-vous fait, à la place de ce jeune hobbit, en ayant la charge de l'Anneau ? » questionna l'Istari, son visage sage et réfléchi s'attendant à une réponse précise.

« A vrai dire, je ne le sais pas. Croyez-moi, je n'aurais guère supporté de porter cet Anneau. Je suis, de par mon sang divin, dotée de bon nombre de défauts, dont la corruptibilité des humains. Je ne suis pas aussi parfaite que les elfes, et ma décision aurait été de garder l'Anneau, très certainement. Lorsque Boromir est parti, et que j'ai compris que son cœur désirait cet objet plus que tout, mon esprit s'est remis en question, et j'ai su que l'essence de Sauron ne devait être en aucun cas utilisée. »

Gandalf se contenta de laisser un mystérieux sourire vagabonder sur ses lèvres, et Aragorn se leva, décrétant que le conseil était terminé, arrachant quelques protestations de la part d'Erland et des soupirs agacés des nobles qui voulaient la perte du plus riche et du plus opulent des marchands de Minas Tirith. Beaucoup de gens vinrent alors à quitter le palais, inquiets et le cœur sombre, voulant retrouver quelque peu de la joie parmi la population qui fêtait le solstice d'hiver. Les domestiques et les matrones qui leur donnaient quantité d'ordres à profusion couraient dans les couloirs sombres du palais, allumant les candélabres, préparant un grande nombre de repas et des plats luxueux, valant bien le festival qui se tenait dans la cité en ce moment même. Les elfes, les nains, les anciens du conseil, et quelques nobles décidèrent de rester dans l'enceinte du palais. Déjà, les musiciens se mettaient en place, jouant de douces mélodies en attendant que les invités arrivassent, leurs pensées assombries par les flammes du Mordor qui dansaient à l'horizon, embrasant les nuages noirs des Monts Cendrés.

« C'est une soirée qui promet d'être mémorable dans les esprits des gens. » déclara Arithil, le conseiller du roi, en prenant une coupe emplie d'un vin sucré. « Malheureusement, l'épée qui reste en suspend au-dessus de leurs têtes est difficile à supporter. Le seigneur Mablung ne peut plus contenir les hordes déchaînées des orques. »

Elilwë l'aborda, l'étreignant longuement à la manière d'un compagnon d'armes fidèle, et se détacha de lui, prenant à son tour un verre. Elle soupira quelques instants en observant les elfes qui conversaient entre eux, comme regrettant de ne pas être parmi sa race. Le plus troublant était Legolas, qui préférait la compagnie d'Aragorn à celle des seigneurs elfes, parmi eux, Thranduil, elfe arrogant et brisé par la mort de sa femme.

« Si les orques sont comme des bêtes à mes yeux, alors, je les dresserai. Et s'ils ne veulent pas se soumettre à mon autorité, je les briserai comme de vulgaires vases de cristal sale. » déclara la rôdeuse d'un ton colérique, entre deux gorgées de vin.

« As-tu déjà rencontré le seigneur Thranduil ? C'est, selon certains dires, un homme remarquable et intelligent, et pourtant très suspicieux. Il n'a pas un très bon œil sur ta relative liberté. » dit Arithil, ne détachant guère son regard du roi d'Eryn Lasgalen.

« Remarquable ? Dis-moi, mon ami, qu'y a-t-il de remarquable à torturer son propre fils, sa propre chair dans les oubliettes de son palais, afin de lui faire avouer un meurtre qu'il n'a pas commis ? Thranduil, est, à mes yeux, une personne indigne de confiance, et de ce fait, je ne lui adresserai point la parole. »

« Pourtant, tu as l'air de ne pas apprécier son fils Legolas. C'est un archer exceptionnel, et un combattant hors-pair, bien que l'espoir se soit éteint de son cœur. Regrettable, par ailleurs, vraiment regrettable. »

« A vrai dire, je ne sais que penser de lui. Il possède des réflexes extrêmement rapides , et c'est grâce à lui que j'ai la vie sauve. Mais il est…tellement troublant. Son regard enflammé me semble inquiétant. »

« Il a sans doute vu l'étendue de ta beauté le jour où le Roi-Sorcier a jeté son noir dévolu sur toi. » répliqua Arithil sur un ton léger. « De plus, je crois que ta jalousie t'a aveuglée. Ne te laisse pas influencer par ta haine, cela n'est pas un trait de ton caractère, du moins, c'est ce que croyais, quand Aragorn m'a appris que tu t'étais offerte au Roi-Sorcier pour sauver celle du prince Legolas. N'est ce pas une chose fort étrange, que de haïr et d'aimer une personne à la folie ? »

« Haïr et aimer ? Allons bon ! Que vas-tu penser là ? » demanda Elilwë, un sourire hypocrite aux lèvres. « Jamais un elfe ne pourra ravir mon cœur. Seul un homme, tel qu'il soit, le pourra, et cela, je peux en être certaine. »

« Un homme. Tu veux dire un genre masculin, sans doute. Par ailleurs, tu es très chanceuse aujourd'hui. Vois plutôt. Celui dont on parle vient t'aborder. Bonne chance. » dit Arithil, et il s'éloigna de la jeune elfe, la laissant seule, elle et son verre de vin.

Bien qu'élégant, Legolas ne possédait pas de vêtements réellement nobles, seulement adéquats pour d'importantes fêtes qui marquaient d'un sceau invisible les passages aux différentes saisons, des solstices, des équinoxes et autres évènements qui semblaient importants à son cœur. Elilwë se rendit compte qu'il pouvait être élégant en toutes circonstances, même vêtu de vêtements noirs cousus de courbes dorées, quelque chose d'assez sobre. Il avait délaissé sa cape rapiécée, sa tunique de guerrier, son arc et ses flèches pour arborer une sorte de diadème, une couronne princière d'or qui indiquait son rang dans la société elfique.

« Bonsoir, ma Dame… » murmura-t-il d'une voix fort douce, et fit perdre tous les moyens à la rôdeuse, qui regrettait parfois d'être aussi odieuse avec cet homme, qui, malgré les apparences, n'était pas coureur de jupons. « Vous voilà fort en beauté. » dit-il, faisant allusion à la tenue vestimentaire de la jeune elfe.

En effet, même un ingrat n'aurait pu dénier que sa robe noire faite en un tissu léger, ressemblant à de la soie, mettait en valeur son fragile visage et ses yeux noirs fort étonnants. Son cou et ses bras étaient découverts, montrant ainsi sa frêle corpulence et cette gracilité à la manière d'une adolescente malade. Elle ne portait pas de collier, ni de diadème, seule une bague montrant son appartenance au Gondor scintillait à son doigt. Aux yeux du prince elfe, elle semblait aussi divine que Varda en personne.

« Je vous remercie. » répliqua-t-elle d'un ton plutôt froid et non moins indifférent. « Vous me semblez différent, ce soir. » ajouta-t-elle d'un ton mal assuré, presque timide. « Moins bohême et moins sauvage, sans aucun doute. »

« Nous ne sommes pas si dissemblables, après tout, ma Dame. » déclara Legolas, et il porta également sa propre coupe emplie de vin à ses lèvres, observant avec admiration les colonnes sculptées de la salle du trône.

Beaucoup de gens discutaient, conversaient soit avec insouciance, soit avec inquiétude des évènements à venir. Enfin, un domestique annonça la venue de l'Alquaeleni, Melanna, épouse de Fëagaer des Havres Gris, porteuse de l'anneau de l'Etoile-Cygne, plus froide et plus distante encore que sa jeune fille Elilwë. Certains nobles, à sa venue, s'inclinèrent, car elle était connue pour être un bon parti marital, et pourtant aussi glaciale qu'une veuve. Car veuve elle était, depuis la partance de ces rivages de son ingrat époux, qui, disait-on, l'aimait éperdument, elle ainsi que la fille qu'elle lui avait donné. Elrond et Galadriel vinrent la saluer, et Melanna se contenta de poser la main sur son cœur, brièvement, signe qu'elle les respectait mais qu'elle ne pouvait guère leur adresser la parole. Question de fierté, sans aucun doute.

« Voici votre mère. Certains disent qu'elle est aussi belle que Luthien Tinuviel en personne…qu'elle ferait chavirer le cœur des valar les plus impétueux et les plus enclins à rester célibataires. Pourtant, je suis insensible à ce visage si…cruel…si froid et peu accueillant. » avoua Legolas.

« Taisez-vous donc, mon prince. Elle vient ici, me dire de quelle manière elle me déteste. » murmura Elilwë d'un ton dégoûté, et voyant l'air ébahi de Legolas, elle continua. « Pas publiquement, naturellement. Ce n'est pas dans les mœurs, même si j'outrage quelque peu la bienséance de ce royaume. »

Melanna vint alors au devant de sa fille, à quelques mètres d'elle, tout de même, évitant presque son regard noir. Certains marchands retinrent leur souffle en voyant ces deux êtres en apparence chastes et purs, mais teintés de sang souillé par la haine et les relations scandaleuses et des escarmouches sanglantes, les blessures honteuses et les larmes bleues de mer.

« Salutations, Elilwë Alquaeleni, chair de ma chair. En cet instant, je ne puis vous accorder beaucoup de mon temps, puisque vous avez été si souvent absente. Mais je vous souhaite la bienvenue en ce royaume, en espérant que vous accorderez plus d'importance à votre parentèle. » énonça-t-elle d'une voix fière et hautaine.

Sur ces mots, la rôdeuse s'inclina avec dédain, ses beaux cheveux noirs tombant sur ses épaules alors qu'elle baissait la partie supérieure de son corps sans plus attendre, la main posée sur sa belle poitrine, indiquant qu'elle la saluait à son tour. Bien évidemment, Legolas remarquait que la relation mère-fille semblait inexistante, quoique froide et non dénuée de sentiments, bien qu'ils étaient haineux et jaloux. Melanna s'en alla avec ses demoiselles de compagnie, tout aussi dévouées, ardentes dans les passions ombrageuses et passionnées par les étoiles, comme leur maîtresse, puissante femme au regard foudroyant. Il semblait à Elilwë que tout arriver à cause de choses qu'elle ne pouvait comprendre. Enfin, les cloches de dix heures sonnèrent, et les étoiles scintillantes frémirent quelques instants au doux tintement des clochettes elfiques de Minas Tirith. Tous virent s'installer dans une autre salle, aussi vaste que celle du trône, et les nobles côtoyaient les plus humbles invités le long d'une grande table rectangulaire où se trouvaient les elfes, les hauts placés, les paysans un peu rustres mais néanmoins sympathiques, et pour terminer les hobbits, assis aux côtés d'Elilwë, Legolas, Arithil, Gandalf et le facétieux Radagast, qui se devait d'avoir comme compagnon dans ses conversations le secret roi Thranduil.

« J'apprécie peu ce seigneur. Et son fils Legolas, un de mes chers amis ! C'est presque impensable, ils sont si différents de caractère et de visage ! » dit Aragorn en s'adressant à sa femme, et il prit garde à ce que l'elfe ne l'entende pas.

Mais ce dernier, plongé dans ses pensées, avait la mine sombre, et ses cheveux châtains, semblables à ceux de tous les elfes, tombaient sur son front plissé, montrant qu'il était dans une intense réflexion. Si Legolas était vêtu d'une manière sobre et princière, tout ce qui entourait ce roi l'était bien plus encore. Son fils était certes discret et bien rêveur, mais Thranduil semblait mystérieux, cachant dans sa mémoire de tristes souvenirs enfouis, qui le ramenaient parfois à la réalité lorsqu'il s'agissait de parler de choses sérieuses. Tout en lui n'était, justement, que sérieux, tristesse, chagrin, pluie d'argent un après-midi de novembre, fin d'automne doux et sec, début d'un printemps à peine remis d'un hiver humide, forêt sombrant dans la décadence, esprit déchu.

« Allons, ne sois pas si subjectif, mon époux. Je suis sûre qu'il a beaucoup souffert dans sa vie, et cela a dû changer son caractère. Ne crains rien, Elilwë saura contrer ces foudres dévastatrices et cette haine qui le lamine. » répliqua Arwen.

« Pourquoi dis-tu cela, mon aimée ? » demanda Aragorn en posant sa main sur celle de la reine, lui adressant un sourire mutin.

« Notre protectrice vient de se rendre compte que Legolas est à l'opposé de ce père ingrat. De cet homme cruel et pourtant doté d'une intelligence presque effroyable. Je ne dis pas que Legolas ne possède pas d'esprit, seulement, il est plus optimiste et plus enclin à des activités…juvéniles…Le combat, l'archerie…l'amitié. Tout ceci le rend joyeux, innocent, tel un enfant…Thranduil est, quant à lui, seul. Désespérément seul. Je le sens en son cœur. Il est sombre. » marmonna Arwen d'une voix faible, et, quelques instants, elle se sentit défaillir.

« Qu'y a-t-il ? » questionna le roi, inquiet. « Ne te sens-tu pas bien ? Faut-il que j'aille quérir un guérisseur ? »

« Laisse donc, Aragorn. J'arrive au terme de ma grossesse, il est normal que je souffre un peu, n'est ce pas ? »

« L'enfant peut survenir à tout instant, et je veux être auprès de toi après ces deux mois d'absence. J'aurais dû demeurer à tes côtés durant tous ces jours où tu as tant souffert. »

« La souffrance est un prix à payer, pour t'offrir un héritier. » déclara Arwen d'une voix emplie de tendresse.

« Je ne veux pas d'héritiers. Je veux des enfants. Tes enfants, nîn meleth. Seulement tes enfants, et rien de plus. »

« Eh bien, il te faudra beaucoup de patience, mon cher époux, car les elfes ne sont pas prompts à obtenir plusieurs enfants. Vois l'exemple de ma parentèle. Luthien n'a eu qu'un fils, mon père en a eu trois, mais c'est exceptionnel. Et quant à Elilwë…à vrai dire, je ne suis pas sûre qu'elle puisse trouver un elfe…à moins que… »

Son regard troublant se posa sur Elilwë et Legolas, qui s'observaient furtivement, avec une politesse presque pompeuse et cette manière à s'éviter parfois, ne voulant guère se parler pour des raisons incompréhensibles. Lorsque Arwen posa enfin ses yeux bleus sur les mains de la rôdeuse, la reine fut emplie de compassion en voyant ses doigts fins et fragiles qui se crispaient en petits mouvements nerveux, et cela était dû à la douleur lancinante qui transissait ainsi ses poignets. Un domestique annonça les différents plats qui allaient être servis, et les conversations continuèrent de plus belle, autant du côté de Merry et Pippin qui plaisantaient en compagnie des représentants paysans du conseil que des seigneurs elfes. Elilwë mangea frugalement, laissant sa nourriture de côté, et les enfants, en particulier la petite princesse Elbereth, en profita pour finir l'assiette de la rôdeuse. L'ennui s'empara aussi de Radagast, qui devait supporter la présence – silencieuse – du roi Thranduil.

« Et Othon m'accusa donc de lui avoir volé des carottes dans son potager ! Quelle infamie ! Et moi, je lui réponds, non monsieur, c'est mon ami Pippin, ici présent, qui est à l'origine de ce vol indigne. Bien entendu, cet idiot de Touque se défendit, mais ce n'est guère un bon dramaturge, et il ne réussit pas à convaincre Othon par ses arguments. Il faut dire que les Touque sont de rustres châtelains qui aiment le vin et la venaison ! » expliquait Merry d'un ton enjoué, et beaucoup de personne se mirent à rire en entendant la chute de cette histoire contée avec non moins d'espièglerie.

« Eh bien donc, Othon aurait dû appeler le Shiriff de Lézeau, mais il manque tellement d'esprit qu'il n'aurait pas même songé à alerter les autorités. A vrai dire, nous ne pouvons pas appeler cela du vol. En Comté, on emprunte toujours, on ne vole jamais ! » commenta Bilbon de sa vieille voix râpeuse et abîmée.

« Comme cela doit être apaisant d'être un hobbit. En plus d'être mortel, vous êtes joyeux, insouciants, indifférents aux problèmes du monde extérieur. Même si cela doit parfois être un peu monotone, et pardonnez-moi si cela vous offense… » déclara Elilwë, et elle posa son verre de vin sur la table.

« Nous pourrions vérifier, Dame Elilwë. » dit Legolas.

« Vérifier ? Que voulez-vous dire par là ? » demanda-t-elle, curieuse de savoir la suite de ses paroles. « Vous voilà bien mystérieux, tout d'un coup. »

« Le doute est permis, il se peut que vous soyez une hobbite. » énonça Legolas, et les deux compères Merry et Pippin entonnèrent une chanson en leur langue natale à ce moment, bien peu respectueux de l'inquiétude de certains.

« Par tous les valar, Morgoth compris, je suis pas une hobbite. Je suis Elilwë Alquaeleni, création des dieux, semi-fille elfe ! » s'exclama la rôdeuse d'un ton indigné.

Pour démontrer la véracité de ses paroles, elle souleva un pan de sa robe, montrant ainsi ses pieds lestes et gracieux, qui supportaient le faible poids de son corps frêle. Legolas soupira de contentement, bouche bée, en voyant que sa peau était parfaitement blanche, presque laiteuse, parsemée de taches de rousseurs très légères, ce qui montrait cette imperfection parfaite, même si cela n'avait aucun sens, de la rôdeuse. Ses défauts lui semblaient parfaits, c'était sans doute ce qu'il voulait dire. Elilwë rougit violemment et couvrit de nouveau sa jambe en voyant l'air ébahi du jeune prince, aussi frustré qu'un eunuque ou qu'un adolescent gamin refoulant ses désirs les plus charnels.

« Vous avez dit cela sciemment, sachant que j'allais vous montrer mon corps ! N'avez-vous donc aucun scrupule, et devez-vous ainsi utiliser des moyens détournés pour satisfaire vos plaisirs les plus secrets ? » s'indigna Elilwë.

Une douce mélodie emplit la pièce toute entière, et des couples s'élancèrent sur l'espace réservé à la danse. Eowyn et Faramir, les premiers, effectuèrent des pas maladroits, et cela amusa les hobbits, qui lançaient des railleries à tout va. Galadriel et Celeborn virent à la suite, puis Glorfindel et Aiwëluin, la sœur d'Elilwë, qui s'était attachée, petit à petit, à cet elfe chasseur de balrôgs, et avait délaissé la rôdeuse durant la semaine où elle resta alitée. Ainsi, elle se retrouvait de nouveau seule et abandonnée, même par les siens.

« M'accorderez-vous cette danse, afin que je puisse me faire pardonner de mon acte éhonté ? Croyez-moi, ce n'était guère intentionné, je ne voulais pas vous froisser. Ouvrez-vous aux autres et oubliez les mœurs. N'aviez-vous pas dit que vous outragiez souvent la bienséance ? » demanda Legolas en se levant et s'inclinant.

« Bien. Mais je vous préviens, je suis une piètre danseuse. » déclara la rôdeuse, consentante à être aimable et conciliante.

« Nous voilà deux, à présent. Je suis sans doute fort adroit à l'archerie, mais mes pas de danse sont disgracieux et maladroits. » répliqua le jeune prince elfe, et il la mena au centre de la pièce.

Legolas indiqua à la rôdeuse comment se tenir, et la situation aurait pu bien se dérouler si la princesse Elbereth, aux cheveux de jais et aux yeux bleus de son père, n'avait tenté de soumettre les deux elfes à ses ordres. En effet, dans la société gondorienne, il était de coutume que le parrain et la marraine d'un enfant soient mari et femme, et la coïncidence était que Legolas et Elilwë n'étaient pas amoureux l'un de l'autre, encore moins fiancés ou mariés. Cela déplaisait fortement à Elbereth, qui, assise sur un autel de pierre en compagnie de ses compagnons de jeux et d'Elanor, se moquait d'Elilwë et Legolas, car il était vrai qu'ils étaient fort maladroits. Pourtant, ils ne semblaient pas plus adroits que la plupart des humains qui se trouvaient dans l'immense salle.

« Suivez la mélodie, Elilwë, et oubliez quelque peu les regards des autres. Regardez votre partenaire…droit dans les yeux, avec franchise et sans honte. » murmura Legolas en penchant ses lèvres à quelques centimètres de l'oreille pointue de la rôdeuse.

Ce simple geste eut pour effet de la faire frissonner, car les oreilles, chez les elfes, étaient les parties du corps les plus sensibles et les alertes…sans mentionner les plus érogènes. Legolas referma ses doigts puissants et fins d'archer sur ses hanches, comme enivré par la présence même de la rôdeuse, ses yeux noirs et sauvages, cet air rebelle qu'elle prenait lorsqu'elle lui adressait la parole, et les douces senteurs épicées qui émanaient d'elle, renforçant plus encore l'impression que cette elfe dégageait à chacun de ses gestes, de ses paroles, de ses regards furtifs et parfois timides. Elilwë entoura progressivement ses mains autour de son cou, ses doigts reposant jadis sur les épaules musclées et fines du prince. La paume de sa main entra en contact avec la nuque de Legolas, et les doigts guerriers de la rôdeuse entortillèrent quelque peu ses cheveux blonds. Il soupira de plaisir, mais cela fut à peine audible, et ferma les yeux pour quelques instants seulement, profitant de ce moment rare et précieux, car la rôdeuse n'était pas aussi encline à séduire un genre masculin.

' Cessez ces doux tourments, belle elfe…Arrêtez ces tortures délicieuses…Je vais exploser si elle continue de la sorte ! ' songea Legolas, et sa respiration s'accéléra.

« Vous outragez les mœurs, Elilwë Alquaeleni. Prenez garde à vous… » murmura le prince d'une voix rauque, et lorsqu'il rouvrit les yeux, la rôdeuse se rendit compte qu'ils avaient changé de couleur, semblant bien plus sombres, emplis de désir. « Ne soyez pas si libertine…Je ne puis… » balbutia-t-il.

Avec un grognement de protestation, Legolas sentit – à regret – les doigts magiques de la rôdeuse glisser le long de ses épaules, reposant à présent sur son torse, adoptant des pas de danse bien plus lents, lourds, presque sensuels.

« Avais-je su qu'être à vos côtés serait si agréable ? J'ai l'impression de m'être méprise à votre sujet, Legolas. » marmonna-t-elle d'une voix absente.

La mélodie changea complètement, et les doux effluves qui semblaient caresser l'ouïe des deux elfes n'était plus qu'un souvenir. Un air de violon magistral vint remplacer la flûte innocente et enfantine qui produisait jadis des sons faibles, et les couples s'élancèrent, encore plus nombreux, sur le marbre gris de l'immense salle.

Le jeu consistait à changer de partenaire à chaque refrain, laissant place à d'autres danseurs, pour la plupart humains, qui aimaient danser avec Elilwë, mais cela ne dépassait jamais l'admiration, la jalousie ou la révérende amitié. Legolas se sépara de la rôdeuse, qui alla retourner à sa place en compagnie de Gandalf et de Radagast. Sachant qu'il n'allait guère trouver d'autre partenaire, Legolas vint lui se rasseoir à la table où se trouvait encore beaucoup de monde, la plupart des rôdeurs expérimentés et quelques anciens, qui discutaient de la guerre, des tueries à venir et des escarmouches sanglantes qui allaient avoir lieu dans les prochains jours. Elilwë soupira rien qu'en entendant certains mots, signifiant qu'elle allait partir au front dans la semaine qui allait suivre les derniers jours de décembre. D'un geste gracieux et hautain, elle prit une bouteille de vin qui se trouvait entre une corbeille vidée de son pain et d'un plat fini par les mains expertes des hobbits, et en versa lentement dans sa coupe. Puis, elle porta la boisson à ses lèvres, appréciant et savourant quelque peu le goût fruité de cet alcool doux et subtil.

« Ce vin est particulièrement délicieux ! » s'exclama Frodon, qui, oubliant sa douleur, était bien plus enthousiaste depuis qu'Elilwë avait décidé de ne plus rester alitée.

Depuis les blessures causées par Morgoth, Frodon et Elilwë étaient liés, malgré tous les dénégations des gens, ne croyant pas un seul mot de ces sornettes. Gandalf, lui, en était convaincu, mais Radagast le Brun était plus sceptique. La rôdeuse vit que le magicien brun n'était pas enchanté de se trouver aux côtés de Thranduil, silencieux, et ce depuis le conseil qui avait eu lieu quelques heures auparavant.

« Il vient des côtes de Lacville, je crois. » expliqua Legolas en observant la bouteille d'un vert sombre. « Nous autres elfes des bois sommes très friands de cette boisson, nous en abusons souvent. » ajouta-t-il avec un léger sourire.

« Vous devriez moins en boire, cela nuit à la santé ! » dit Gandalf, lui aussi d'humeur excellente, et il accorda un regard à Merry et Pippin qui distrayaient les enfants, dont la princesse Elbereth et Elanor.

« Allons, Mithrandir ! La vie est courte, du moins pour certains, et il faudrait en profiter. Chaque moment de ma vie se déroule avec grande intensité. Je vis chaque jour comme si c'était le dernier, car il ne faut guère être optimiste en ces temps de guerre. » déclara Elilwë.

« Pourquoi êtes-vous si fataliste ? Vous êtes la fille de l'Alquaeleni, n'est ce pas ? L'espoir subsiste tant que l'Etoile-Cygne survit en ce monde, et qu'Iluvatar bénisse les Valar, c'est grâce à vous que le Gondor est encore puissant. Vous redonnez espoir aux soldats et aux rôdeurs. Vous représentez l'espoir. » dit le vieux magicien blanc. « Votre cœur est troublé par on ne sait quoi de futile. »

« Futile ? Peut être. Le prince Luingil des Moriquendi va encore me courtiser, comme à son habitude, me demander en mariage. Il est très amoureux de moi, peut être est-ce dû à mon rang…ou me trouve-t-il à son goût, je ne le sais point. » répliqua la rôdeuse.

Soudain, Thranduil parut sortir de sa rêverie. Il releva la tête maladivement, comme pris par la peste ou la dysenterie, faible, et par des gestes très précautionneux, il leva sa coupe à la santé du roi avant d'en boire quelques gorgées. Son acte fut suivi par de nombreux nobles, levant eux aussi leur verre en l'honneur du Gondor. Legolas, bien malgré lui, fut sommé de faire la même chose, et, avec dépit, quitta la salle du trône, évitant le regard troublé et dangereux de son père. Le roi d'Eryn Lasgalen observa longuement Elilwë, comme intrigué par cette fougueuse fille des dieux. Il suivait de ses yeux verts le moindre mouvement, le moindre geste, la moindre parole, le moindre regard. La rôdeuse fut gênée par cet elfe qui semblait malheureux et bien seul.

« Vos poignets… » murmura-t-il enfin d'une voix rauque. « Vos poignets sont graciles et dextres…Seriez-vous une guerrière farouche ? » demanda Thranduil vaguement, à peine sorti de ses pensées.

Lorsqu'elle observait le visage de l'homme qui avait accusé son propre fils, à tort, de meurtre, la protectrice du Gondor songeait immédiatement à Denethor, effondré par la mort de son épouse Finduilas, emportée par une maladie effroyable qui fit rage au Gondor des décennies de cela. La peste tua la moitié des habitants du royaume, et Elilwë fut naturellement rescapée de l'épidémie, car elle était une elfe, et les maladies ne pouvaient l'atteindre. Cependant, cela n'épargna pas la femme de l'Intendant, et Finduilas la Belle, si différente de son époux, avait laissé deux jeunes garçons en bas âge et un mari éploré. Vanyawen avait également délaissé son époux et son unique fils, et le père rejeta toute sa colère sur le fils, comme Denethor l'avait fait avec Faramir par le passé.

« Guerrière, certes. Mais farouche, c'est à vous de voir, mon seigneur. » rétorqua Elilwë d'un ton froid et presque insolent, mais Thranduil n'y prit pas garde.

« Quel est votre nom ? » questionna le roi avec précaution, car il savait que la rôdeuse était facilement offensée par les paroles des autres.

« Les enfants des jardins et des bas-quartiers me nomment Etoile. Les rôdeurs me nomment Elen et la population me connaît sous le nom d'Elilwë Alquaeleni, la Rejetée, car aucun royaume elfe, à part celui de Fondcombe, n'a voulu m'accueillir en son sein. Et aux yeux des elfes, je ne suis personne. Une ombre furtive qui se glisse dans les ténèbres de la nuit, rien de plus, rien de moins… » répondit Elilwë d'un ton mélancolique et lent.

« Une ombre… Vous avez tout l'air d'être une Dame elfe particulièrement rebelle. J'apprécie cela. Les femmes ne sont en aucun cas faites pour rester cloîtrées toute la journée dans une prison dorée. Elles doivent être libres. Quel dommage que ma femme ne soit pas venue avec moi pour le solstice d'hiver ! Elle aurait été ravie de vous rencontrer. Sur ce, je vous dis bonne nuit, jeune guerrière. Que la nuit soit propice aux rêves et aux doux songes… » dit-il en s'inclinant, et il quitta à son tour l'immense salle, se retirant de la foule qui le submergeait.

« C'est étrange, il me semble…qu'il a perdu l'esprit ! Son épouse n'est-elle pas décédée ? » demanda Elilwë en voyant la silhouette du roi se fondre parmi les gens.

« Thranduil a effectivement perdu l'esprit, jeune fille. Depuis la mort de sa douce et parfaite Vanyawen, il n'est plus lui-même. C'était un accident, pourtant, mais lorsque Legolas est revenu, emportant avec lui le cadavre de sa femme, cela lui a été fatal, du moins pour sa mémoire et son esprit. Legolas a été jeté dans les oubliettes comme un vulgaire esclave, il a été torturé, affreusement torturé…Certains cicatrices ne s'effaceront jamais, qu'elles soient physiques ou mentales. Ayant appris l'emprisonnement du jeune prince qui possédait encore l'esprit d'un enfant, Radagast et moi-même avions décidé d'intervenir, et Legolas fut exilé de nombreuses années, vagabond sur les routes. Heureusement, la famille d'Elrond l'a accueilli…Mais Legolas est ressorti de cette épreuve bien plus mature, sévère, triste et mélancolique. Pouvez-vous comprendre la souffrance qu'il a enduré ? Réfléchissez-y, Elilwë, réfléchissez ! »

« J'ai connu moi-même beaucoup de choses affreuses, et cette histoire m'est fort triste. » intervint Bilbon, crispant ses doigts ridés et endoloris par les rhumatismes sur sa canne.

« Mais toutes les histoires en Terre du Milieu sont tristes, Maître Bilbon. Elle sont toutes tristes… » murmura Elilwë, et un murmure vint des profondeurs du ciel noir alors que deux yeux noirs foudroyants observaient la scène, un sourire machiavélique aux lèvres.

« Tu ne crois pas si bien dire, fille des dieux. Si j'en ai l'occasion, ton histoire sera triste, elle aussi, et tu regretteras d'avoir fait la connaissance du prince Legolas. Car, dit-on, si on ne peut te toucher sans souffrir, je peux le faire souffrir, lui, affreusement souffrir… » murmura une voix perçante, et un sourire satisfait se dessina sur le beau visage de cet être redoutable.

Le palantir noir, animé par des volutes grises, tournait sur lui-même, sans discontinuer, d'un son lourd et grinçant.

« Souffre, ma belle et pure Elilwë, toi qui me rappelle Luthien chantant pour moi… »