Je ne croyais pas aux vampires avant de faire sa connaissance. J'avais certes entendu parler d'eux et des légendes qu'ils inspiraient, mais la seule idée d'un défunt revenant du Monde des Morts pour s'abreuver du sang d'une quelconque victime me rendait furieuse: fallait-il être si stupide pour croire en ces balivernes. Dans mon esprit, le surnaturel n'était qu'une des multiples façons d'effrayer les enfants, les vampires, morts-vivants, zombies et quelques autres créatures maléfiques ne servant qu'à alimenter les croyances populaires. Aussi, vivais-je en Transylvanie, reconnue pour être la mère patrie des vampires, et n'avais-je jamais été témoin d'une de leur manifestation, ou du moins, avant de le rencontrer. Voici le récit des événements qui entourèrent cette rencontre.
Je naquis en Transylvanie en l'an 1867 sous le nom d'Elizabetha Bathorya. Fille d'un membre de la noblesse transylvanienne et d'une princesse russe, j'appartenais à l'une des familles les plus riches et prospères du pays et celle-ci était très proche du comte Vladislaus Dracula, principal prétendant de la couronne transylvanienne. Ce dernier était supposément très difficilement apercevable et quelques rares nobles, dont mon père, avaient eu la chance d'être en sa présence lors de banquets. L'on disait de lui qu'il était un vampyr et que son immense château était le lieu d'atroces massacres lui servant à se rassasier de sang humain, mais aussi l'endroit où régnait la luxure, le vice et la débauche.
Plusieurs rumeurs prétendaient que ses trois femmes, la polygamie étant permise à cette époque et dans cette région du monde, dont la beauté était supposément démoniaque, étaient en fait les "putains de l'enfer" et participaient au boucheries dont il était le soi-disant coordonnateur. Aussi paraissait-il qu'il était toujours vêtu de noir et ne sortait que la nuit.
Cette image monstrueuse du comte ternit le nom de notre famille. Nous furent considérés comme étant sorciers, assassins, complices et même, vampyrs. Inquiète de la situation, je demandai à mon père si ces rumeurs sur Dracula étaient fondées. Il me rassura en me disant que ce n'étaient que des fourberies inventées par le peuple et par d'autres nobles pour salir la réputation du comte. Je n'insistai pas.
Je fus éduquée de la façon la plus chrétienne qui soit par des prêtes employés par mon père. Ils furent tous déçus car je ne possédais pas la foi chrétienne que mon père espérait trouver en moi. Je croyais au mythe du Christ, mais je trouvais ridicule le fait que Dieu ait créé le monde en sept jours et aussi l'homme et la femme, quand l'idée de l'évolution du primate à l'homme commençait à germer dans l'esprit des scientifiques de l'époque et dans la mienne. Cependant, je me passionnais pour les autres mythologies, principalement antiques, qu'elles soient grecques, romaines, perses ou égyptiennes et l'idée du Diable m'avait toujours fascinée, au grand désespoir de mes parents. Aussi, sans le pratiquer, l'occultisme me plaisait également, et ce que j'en lisais était fort intéressant et empreint du bizarre et du surnaturel. Je ne lisais point sur les thèmes tels les morts-vivants, vampires, zombies, loups-garous et autres créatures fantastiques qui hantaient le folklore populaire car je trouvais ces légendes trop puériles et dénuées de sens. J'adorais l'art et la musique, auxquels je m'abandonnais parfois totalement, pratiquant le piano, instrument que j'affectionnais particulièrement car les sons qu'il produisait pouvaient aussi bien éveiller en nous la joie la plus explosive, l'érotisme et la passion, que l'éternelle tristesse.
À mes vingt ans, mon père décida qu'il était temps pour moi de prendre époux et d'enfanter. Il espérait ainsi se créer une descendance qui assurerait le nom de notre famille pour encore cinquante ans. Cette idée me terrorisa : être sous le joug d'un homme que je n'aimerais pas, lui donner une progéniture, oublier les plaisirs de la vie et vivre une existence monotone ne correspondaient pas à la vie que j'entendais mener. Sans demeurer vieille fille, je voulais d'abord et avant tout garder mon indépendance et n'être soumise à aucun homme. Je m'imaginais libertine et ayant plusieurs amants. Mon père m'avait fait part de ses intentions, me sermonnant longuement sur le fait que d'être une épouse fertile et totalement dévouée à son mari était un l'un des plus grands honneurs réservés aux femmes. Ce qui me choqua le plus dans cette histoire fut qu'il ne me demanda point mon avis : il n'avait vraisemblablement cure des mes opinions. Sa fierté et son honneur me répugnaient.
Afin de me présenter au plus grand nombre de prétendants possibles, il m'emmena au bal masqué de la veille du Jour de l'An donné, comme à chaque année, en la demeure du comte Dracula.
