La bergère ensanglantée

Par Tsubaki Hime

Coucou tout le monde !! Voici (enfin) le tout premier chapitre de la fic. Je dois dire qu'il n'y a pas beaucoup d'actions mais qu'au moins on va connaître un personnage très important. Je galère un peu pour la suite mais je fais un document de travail (indices, personnages à voir etc…) et je tiens à ce que tout soit bien (qui a crié : Perfectionniste !!) Désolée si ça prend du temps mais comme pour Yami no Matsuei à ses débuts, je plonge dans l'univers avec lenteur et sûreté (il serait horrible d'abandonner maintenant, non ? si ?) Merci encore pour les reviews, cela m'a touchée énormément. Franchement, si des gens aiment déjà rien que le prologue, que demander de plus ?

Sur ce, place à ce chapitre (sans action, je l'avoue). Je n'ai pas pu m'empêcher de refaire les descriptions physiques de Maryweather, Riff et Cain (il me faut ça pour commencer). Un petit tic chez moi.

Blood Kiss à tous, Tsubaki Himé.

Chapitre I

Que tombent les gouttes rouges sur cet ange…

- Si je suis la bergère, toi tu es le loup venu me dévorer… Démon!!

Ce visage blanc et froid… Fragile comme du verre, sa personnalité avait en elle l'onde de la folie proche, un poison se distillant lentement dans de l'eau brumeuse. Son regard était vague, comme les gestes évasifs qu'elle faisait pour se séparer de lui. Elle semblait flotter dans l'atmosphère. La Dame Blanche de la souffrance et l'horreur… Sa vie avait été d'une noirceur incroyable, le contraste même de sa peau ou ses cheveux sentant les fleurs fanées.

- Méchant loup! Méchant loup qui a pendu la bergère!

Un, deux, trois… que tombent les gouttes rouges…

Un, deux, trois… que s'essoufflent tes plaintes et tes supplications…

Le claquement sonore du cuir contre sa peau, l'odeur brûlante du lis pur… Que tous ces fragments étaient difficiles à supporter…

- Mère… Non… que voulez-vous dire?

Une étincelle de folie dans les ténèbres. Déesse du mal dans le corps de la Sainte Vierge.

- DEMON!! TU ES LE RESPONSABLE DE CETTE MORT!!! LE FLEAU EST EN TOI!! EN TOI!! HAHAHAHAHAHAHA!!!

« Non, je ne peux pas être le responsable!! Impossible! »

La peur serrait comme un foulard autour de sa gorge. Pourquoi encore une fois était-il assailli par ce souvenir plein de colère et d'amertume?

Un, deux, trois…

Trois gouttes de sang tombèrent dans sa paume ouverte. Les yeux écarquillés par la stupeur, il se releva la tête. Son souffle se tut au fond de lui.

- Non… Non…

Un corps se balançait au-dessus de sa tête, le visage perdu dans le brouillard. Une petite fille, si jolie mais pleurant des larmes rouges, rouges à en mourir. Des cheveux blonds comme des épis de blé murs, une peau blanche et douce, ravagée par la froideur de la Mort. Sa jolie robe de dentelle se mouvait par la brise terrifiante du vent. Les arbres morts les encerclaient tous deux, lui fixant le corps pendu à la branche noire, elle, bougeant d'une esquisse de pas de danse dans les airs, rattachée à la corde de son trépas.

- Démon! Loup aux yeux de démons!! C'est toi qui l'as tuée!! Elle est morte par ta faute!

Cette voix, implacable, sifflante et hystérique. La Dame Blanche qui partageait son sang maudit se tenait près de lui, sa robe de soie fine lui donnant l'air d'être un ange. Un ange maudit. Son si beau visage blanc comme la neige était maintenant tordu de rage et de répulsion. Sa main était tendue vers lui.

- C'est ta faute! Tu l'as tuée! Maudit loup, m'entends-tu? MAUDIT LOUP!!

Ses propos résonnèrent, résonnèrent… On n'entendait plus que l'écho de cette haine… Peu à peu, le jeune homme se sentit défaillir. Le corps parcouru de tremblements incontrôlables, il se laissa submerger par son propre dégoût et tomba à terre, contre le sol poussiéreux où des millénaires plus tôt le sang avait coulé.

- Grand Frère, pourquoi m'as-tu tuée?

Il tressaillit. Le corps de la petite fille, lentement, comme un fantôme vengeur, se détacha de la corde qui le retenait à la branche morte avant d'atterrir sur le sol avec agilité et grâce morbide. Son visage enfoui dans la pénombre, seuls ses cheveux d'or attiraient la lumière venant de nulle part et partout à la fois.

- C'est de ta faute, Grand Frère… Alors que je t'aimais… tu m'as tuée… Pourquoi, Grand Frère? Pourquoi?

Sa voix était aussi basse que le murmure glacial du vent. Elle grondait, était acide d'accusations. Mais lui ne voulait pas l'écouter. Il ne pouvait pas.

- Non, je ne t'ai pas tuée… Comment le pourrais-je? répliqua-t-il avec terreur. Je t'aime tellement… Jamais je ne pourrai te tuer…

- Menteur! Menteur! Vociféra la Dame Blanche près de lui. Tu n'es qu'un loup du Démon! Un simple envoyé du Malin déguisé en animal pour tuer tous ceux qui t'entourent!

- Menteur, renchérit doucement la petite fille. Grand Frère, sale menteur…

Elle releva la tête.

« Cauchemars sans fin… Pourquoi venez-vous vous en prendre à moi? »

Un visage magnifique, doux et délicat, de la pâleur de la Mort. Deux yeux bleus le regardaient, d'une froideur incroyable alors que lui ne connaissait que ce regard pétillant de vie et d'affection. Des larmes de sang coulaient sur ses joues figées de cadavre tandis que, sournoise, la marque rouge de la corde parcourut sa poitrine, puis tout son corps.

- Tu m'as tuée, je te déteste, Grand Frère…

« Plus jamais ça… »

Le claquement du cuir sur sa peau, l'odeur brûlante du lis pur… Que tous ces fragments de souvenirs le faisaient souffrir…

« Mon Dieu… pourquoi suis-je le premier assassin de l'humanité? »

- Grand Frère! Ouhou, Grand Frère!!

Il sursauta violemment, ouvrant d'un même élan ses yeux paniqués. Le cahotement de la calèche, le tissu de la banquette contre lui, l'éclat fugitif de son bouton de nacre à sa manchette… Tous ses petits détails lui permirent malgré toutes ses peurs de se rendre compte qu'il n'avait fait qu'un maudit rêve parmi tant d'autres.

« Encore et toujours… »

- Grand Frère, est-ce que ça va? Tu avais l'air de souffrir tout à l'heure…

Ses yeux rencontrèrent un magnifique regard bleu glacier d'une douceur et d'une innocence infinie. Un visage d'ange, il ne pouvait dire que ça. Un splendide visage d'ange le fixait avec inquiétude et compassion, ses lèvres effilées d'un joli rose étirant cette petite moue particulière qui le faisait craquer. Des cheveux d'or, fins et doux comme de la soie, glissèrent négligemment sur ce front où il avait pris l'habitude de déposer un baiser chaque soir.

Et dire que ce visage, dans cet horrible songe, était figé par la Mort, son regard pétillant aveuglé par des larmes de sang… Comment cela pouvait-être possible?

Il eut un petit sourire rassurant.

- Ne t'en fais pas, Maryweather… Je ne supporte pas les trop longs trajets… Une fatigue passagère tout à fait normale.

La fillette de dix ans n'eut pas l'air totalement convaincue. Tout en lissant un pan de sa robe bleue allait parfaitement avec ses yeux, elle se tourna vers le deuxième homme présent dans la calèche.

- Riff, quand est-ce que nous arrivons? Je ne tiens pas à ce que Grand Frère Cain ne tombe malade.

- Voyons, Mary, s'indigna le dénommé. Dis tout de suite que je suis de nature fragile!

La fillette lui tira la langue en guise de réponse. L'autre homme eut un petit rire.

Le jeune homme le contempla.

« Riff… »

C'était un homme d'environ vingt-huit ans, soit onze ans de plus que lui. Mais cela lui importait peu. Tout ce qui comptait pour lui, c'était bien ce visage qui le rassurait et calmait toutes ses crises d'angoisse parfais très régulières. Il était d'un charme particulier, une grande douceur dans ses traits réguliers; ses yeux bleus comme ceux de Maryweather, étaient quand même plus clairs, d'une limpidité rarement aperçue et qui réconfortait le jeune homme. Ses cheveux étaient d'un blond très clair, si clair qu'ils en devenaient argentés, coiffés soigneusement. Sa voix elle-même représentait toute sa personnalité: grave, profonde et douce. Une voix qui avait bercé le jeune homme dans son sommeil.

Et dire qu'il était son majordome… Un homme connaissant très bien les sciences de la médecine, une chance quand son employeur manipulait des poisons mortels, capables de tuer lentement et de faire cesser de battre n'importe quel cœur sans que la victime ne s'en rende compte, endormie au creux de la mort.

- My Lord, vous sentez-vous bien? Demanda Riff d'un ton soutenu. Voulez-vous faire une halte avant que nous arrivions au village?

Le comte de dix-sept ans eut une petite grimace.

- Ne dis pas de bêtises, Riff, répondit-il sèchement. Je me sens très bien et je tiendrais même un aller-retour.

Maryweather eut de nouveau cette moue adorable.

- Mais Grand Frère, que sommes-nous venus faire ici? A Cornouailles? Tu sais bien que je préfère de loin Londres, avec toutes les enquêtes, les meurtres…

Elle eut un petit regard rêveur, comme si énumérer tout cela était une chose merveilleuse. Cain réfréna un rire: sa sœur était vraiment celle qui partageait son sang. Bien que jolie et délicate, elle avait par moment ce côté garçon manqué, de fille des rues très évocateur de son passé.

Le comte soupira faiblement.

- Puisque tu aimes bien les « meurtres » à Londres, j'ai été demandé par un vieil ami pour résoudre une petite enquête et en fait…

- Enquête? Répéta sa sœur avec entrain. Tu veux dire avec beaucoup de sang et des indices mystérieux? C'est ça?

- Heu…, répondit son frère avec hésitation, ne pouvant pas faire fléchir ce regard bleu plein d'enthousiasme. A peu près.

« Toi, tu es bien ma sœur… »

- Votre vieil ami? Fit Riff, les sourcils légèrement froncés. Ne serait-ce pas Richard Forrest, de la lignée des barons Forrest?

- Exact. Il se trouve qu'après un événement « particulier », Richard qui avait alors dix-sept ans, m'a aidé lorsque j'ai dû devenir comte. Il a fait beaucoup de choses au sein des terres et du personnel pour me faciliter la tâche alors que je vivais encore à Cornouailles. Cela fait maintenant cinq ans que nous nous sommes pas vu et dans une de ces dernières lettres, il m'a demandé de venir le voir afin de l'aider à résoudre une enquête.

Cain laissa un petit silence, non par fatigue, mais pour s'amuser de l'expression plus qu'intéressée qu'arborait sa sœur, suspendue à ses lèvres.

- Mais tu me sembles bien trop petite Mary, pour que je puisse tout te raconter.

- Allez, s'il te plaît, supplia la jolie blonde. Et puis tu sais… J'ai vu assez de choses « adultes » pour comprendre, non?

Que répondre lorsqu'elle avait raison? May avait vu tellement de choses horribles, perdu tant d'amis à cause de… Cain ne laissa pas le fil de sa pensée finir sa course et il reprit, d'un ton ferme.

- Il y a maintenant une semaine, on a retrouvé sur les terres de Richard le corps d'une jeune fille, pendu à un arbre. Bien entendu, on ne pouvait pas concevoir un suicide, vu les blessures et les marques de luttes retrouvées sur la peau. La jeune fille était beaucoup aimée au village comme à la demeure de Richard et sa perte a attristé tout le personnel.

- Oh…, murmura Mary

Ses yeux bleus s'assombrirent quelque peu. Même si elle avait déjà vu des choses « adultes », ou particulièrement difficiles, le fait même de mourir aussi jeune la laissait mélancolique et triste.

- Les paysans, d'après mon ami, continua Cain, ont appelé la victime la « bergère ensanglantée ».

- La bergère ensanglantée? Répéta Mary. Mais… C'est une comptine régionale! J'ai lu un livre sur les comptines d'Angleterre tout à l'heure et j'ai découvert que cette comptine date de seulement vingt ans. Elle est très triste, je me rappelle bien.

- C'est à cause de la légende, fit Riff qui avait sorti un dossier. Il y a vingt ans, on aurait retrouvé le corps d'une autre jeune fille, pendue, elle aussi. Personne n'a pu être en mesure de savoir qui était le coupable alors on a monté l'histoire de la « bergère ensanglantée », la femme des mauvais lutins.

Les yeux de Mary pétillèrent.

- Ben alors, j'ai hâte d'arriver alors!! Vivement qu'on arrive chez ton ami Richard!!

- Mary, tu es sûre d'être une gentille fille de dix ans? Demanda Cain, médusé d'un tel comportement. Je crois que j'en ai assez dit sur cette affaire alors ne viens plus me casser les oreilles sur ce sujet.

- Mais, c'est pas juste, marmonna la fillette. Et puis d'abord, je serais la première sur les lieux du crime, na!

« Mon Dieu… Mais qu'est-ce que donc que ce bâton de dynamite? », songea Cain avec amusement et colère mêlés.

Le majordome leur fit un signe de la main, geste pour leur conseiller de s'assoire correctement dans la calèche.

- Nous arriverons chez Mr Forrest dans une heure et demie. Miss Mary, que diriez-vous de vous reposer avant notre arrivée?

Cain n'écoutait déjà plus, doucement bercé par le cahotement de la calèche. Dehors, la nuit apportait son rideau d'étoiles, les seules lumières qui restaient dans ce ciel de ténèbres. Au loin, le soleil couchant, sphère rougeâtre et maudite, éclaira une brève seconde le visage du comte. Dieu qu'il ne supportait pas ce visage. Bien loin l'idée stupide qu'il était laid ou autre chose encore. Sa peau était d'une blancheur incomparable, comme la couleur d'une statue antique, douce et froide. Ses lèvres effilées, dessinant cette élégante courbe capable de charmer n'importe quelle femme. Ses cheveux étaient d'un brun foncé presque noir, trop longs pour un aristocrate mais qui lui donnait un petit effet de marginal tout à fait séduisant. Si seulement ce n'était que ça.

« Si seulement… »

Son regard… Comme il le haïssait… Deux yeux magnifiques, d'un vert émeraude scintillant d'intelligence, pailletés d'éclats dorés fins et précieux. Un regard que tout joaillier rêverait de posséder, pour la seule envie de retrouver une même pierre digne de cette couleur. Mais qui pouvait imaginer une seule seconde que ses yeux n'étaient que le reflet d'un passé plus noir que la nuit, plus profond qu'un gouffre sans fin? Son enfance n'avait été que malheur dans cette région, malheur et désespoir.

Les arbres, dans les ténèbres nocturnes, ressemblaient à des fantômes gémissant, leurs feuilles prenant les formes d'ailes. Cette colline au loin avait la carrure d'un géant des anciennes histoires. Toute cette contrée n'apportait à Cain que du dégoût et de l'envie mêlés. Car aussi loin que remontaient ses souvenirs, jamais il n'avait pu se promener dans ces forêts débordant d'odeurs sucrées, de fleurs sauvages et autres choses qui appartenaient à la nature. Non, pendant pratiquement toute son enfance, il avait été confiné dans sa tour, à l'écart des autres, sans amis avec pour seuls compagnons ses professeurs qui le regardaient à peine, les servantes attitrées qui n'osaient pas lui parler ou bien son petit oisillon mort dans d'étranges circonstances. Et la faute revenait… à celui qui partageait son sang.

« Père… Ce sang qui souille ces terres… Est le résultat de votre folie… Pourquoi êtes-vous le démon… Et pourquoi suis-je un envoyé du Malin? »

Le même visage, le même regard mais plus froid et cruel, Alexis Hargreaves s'était « suicidé » en se jetant de la falaise. Mais un démon était immortel. Et il était réapparu, plus maléfique que jamais, entouré de ses sujets de son organisation secrète Delilah. Cain avait déjà eu affaire avec eux, notamment avec Jezabel Disraeli , l'Arcane Majeur de la Mort. Son frère adoptif, à l'âme brisée par la folie et le désespoir. Tout comme cette figure noire qui était son emblème, son passage avait coûté la vie à des personnes chères au comte. Mais d'autres Arcanes, se mêlant aux ombres, étaient présents partout.

Retourner en ce lieu de cauchemar ne plaisait pas à Cain, loin de là, malheureusement. C'était encore à se demander pourquoi il avait accepté d'aider cet ami Richard qu'il n'avait pas vu depuis sa nomination de noblesse. Il devait tenir bon, et surtout… s'éloigner du plus possible de ce visage qui le tourmentait.

« Tu m'as tuée, Grand Frère Cain… »

« Mary… Riff… Que ce songe douloureux ne devienne jamais une réalité… »


- Ravi de te revoir, mon cher Cain. Cinq ans… Que le temps passe vite!

Cain, tout en tenant presque avec peur la main blanche de Mary dans la sienne, ne quitta pas des yeux son interlocuteur. La fatigue lui brouillait les idées et la demeure, un grand château blanc au toit rouge, avec des larges terres de verdure, ne faisait que lui faire rappeler son ancienne demeure, dans cette même région. Riff, avec un sourire poli, se mit à l'écart, comme le voulait le protocole.

Richard Forrest était un homme de vingt-deux ans mais qui en faisait moins. Malgré le fait de vivre en campagne, il avait ce côté chic et séduisant des jeunes hommes de Londres. Ses cheveux, d'un brun très clair aux reflets roux, étaient élégamment ramenés dans une coiffure un peu marginale, comme pour lui donner un genre désordonné (qui d'après les tendances des jeunes gens de Londres était un style à avoir dans les nouvelles réceptions). Ses yeux étaient noisette, avec une petite étincelle mutine et joviale au fond des prunelles. Il semblait être heureux de tout et de rien, avec un petit sourire provoquant et malicieux qui désarmait quelque peu le jeune comte, ayant presque l'impression de se voir lui-même sourire à de belles demoiselles dans les pubs.

« Je dois avouer qu'il n'a pas vraiment changé en cinq ans », remarqua intérieurement Cain. « Je dois même dire… que cela fait un peu peur… »

La main forte de Richard serra la sienne avec énergie. Trop d'énergie peut-être car ce geste presque trop brutal faillit arracher le poignet de Cain (sa morphologie très mince, androgyne presque, bien qu'elle plaisait aux dames, n'était pas très pratique concernant les bagarres ou autres disputes masculines).

- Tu as tellement grandi, Cain! S'enchanta le baron avec entrain. Tu es devenu un magnifique jeune homme à ce que je vois! Toutes les femmes doivent être à tes pieds, je parie!

- Nous n'avons que cinq ans d'écart, Richard, rétorqua d'une voix acide le jeune homme de dix-sept ans. Je ne suis plus un enfant.

- Mais non, mais non, fit Richard bien qu'il devait penser le contraire.

Ses yeux rencontrèrent le regard bleu de Mary, un peu intimidée. Il eut un large sourire rassurant.

- Ne serais-tu pas la charmante Maryweather dont m'a parlé Cain dans sa lettre?

Il s'agenouilla devant elle et délicatement, lui fit un baise-main. Mary fit un petit clin d'œil aguicheur à Cain, l'air de dire: « Décidément, même à mon âge, j'en fais tomber autant que toi, Grand Frère! »

- Ravie de vous rencontrer, Mr Forrest, répondit-elle en s'inclinant gracieusement.

- Mr Forrest, c'est mon père, rétorqua aimablement le dénommé. Appelle-moi tout simplement Richard, ma jolie Mary. Oh…

Cette fois, il reporta son attention sur Riff.

- Qui est-ce donc? Ton majordome, Cain?

- Oui, je te présente Riff. Il nous a accompagné pour s'occuper de Maryweather le temps de l'enquête.

- Ah oui…

Richard se rembrunit quelque peu.

- Comment pourrais-je oublier une chose pareille?

Il jeta un coup d'œil à sa montre.

- Mais il se fait tard, je pense que vous devriez aller vous reposer.

Tout en disant cela, ses yeux fixèrent une demi-seconde Maryweather qui jaugeait l'immense entrée du regard.

- Riff, conduis Mary à sa chambre, fit Cain d'une voix sèche.

- Mais, c'est pas juste! S'indigna la fillette.

- Je viendrais t'embrasser avant que tu ne t'endormes, promit son frère avec douceur. Allez, vas-y.

Tout en grommelant et ronchonnant, la jolie blonde suivit le majordome qui par les instructions du propriétaire monta les marches du grand escalier en marbre pour arriver aux chambres. Lorsqu'il n'y eut plus un bruit. Richard soupira.

- Excuse-moi, Cain. Je ne pouvais pas parler de tout cela à ta petite sœur. Elle est trop jeune pour… supporter tout cela…

- Je vois. Mais ne t'inquiètes pas. Mary est très intelligente, elle est capable d'assimiler beaucoup de choses.

- Hum, tu as peut-être raison.

VLAM!!

Richard frappa amicalement Cain dans le dos, un très grand, voire le plus gigantesque sourire que le jeune comte eût à contempler.

- En attendant, je te propose de boire un petit verre dans mon salon privé! Pour parler du temps perdu!

« Au secours… Je ne sais pas pourquoi mais il me fait penser à quelqu'un… », songea Cain, sachant tout à fait que cette nuit il ne dormirait pas sur le dos.

Se laissant entraîner par son ami hilare, Cain considéra la demeure avec attention. Elle était plutôt ancienne, aux murs hauts et larges, recouverts de tableaux précieux, de portraits de famille belliqueux. Le sol était recouvert d'un tapis rouge dans les couloirs et les faibles lueurs des chandelles donnaient un petit côté sombre et hypnotisant, transformant les ombres des deux hommes en monstres fantasmagoriques.

Ils accédèrent enfin au salon de Richard. C'était une salle bien meublée, où un feu d'enfer grondait dans une cheminée. La lune, par la haute fenêtre, éclairait le peu de pénombre qui restait; dans un coin de la pièce, on pouvait voir une très grande bibliothèque ainsi que des bibelots en tout genre, comme des trophées orientales, sûrement ramenés de l'Empire colonial. Cain s'assit dans un fauteuil confortable et reposa tranquillement la tête en arrière, prenant d'un geste vague le verre que Richard lui tendit.

Le baron Forrest s'assit à son tour, le regard perdu dans les lumières brûlantes du feu.

- Il fallait que tu viennes ici, Cain, fit-il après avoir bu une gorgée de son verre en cristal. Malgré… les souvenirs qu'il te reste.

Inconsciemment, la main libre de Cain s'accrocha à l'accoudoir. Pour reprendre une très légère contenance, il avala à son tour une gorgée. Un très bon cognac, nota-t-il à l'occasion.

- Dans ta lettre, dit-il, tu n'as pas exactement mis assez de détails pour que je puisse y régler quoi que ce soit. La victime donc, se nommait Bridget Garren et avait…

- Seize ans. Sa famille était au service de ma famille depuis trois générations déjà. On l'aimait beaucoup dans le personnel. Mes parents étaient déjà très contents de la famille Garren et beaucoup de Bridget.

- Avait-elle eu une quelconque mésaventure?

- Pas à ce que je sache. Elle était de nature curieuse, je l'ai entendu dire par certaines servantes mais elle n'a pas eu de problèmes. La raison pour laquelle elle a été assassinée reste mystérieuse… La bergère ensanglantée… Pff…

Il porta le cognac à ses lèvres pour en voir une gorgée. Ses yeux avaient une étrange étincelle par l'éclat doré des flammes.

- Cette comptine… Je la connais bien. Quand j'étais petit, je ne savais pas qu'elle avait été basée sur le meurtre d'une jeune fille, pendue comme Bridget. Et je la chantonnais, sans m'apercevoir que je ne faisais que souiller la mémoire de la victime.

Jolie bergère… Démon malsain, monstre incertain…

- Qu'a-t-on retrouvé sur la victime? Demanda Cain, prêt à mettre court aux idées nostalgiques de son ami.

- Six pence… Les autorités du village m'ont fait le dossier de Bridget. La pendaison n'était qu'une mise en scène. Ainsi que tout le sang sur le corps. Les scientifiques ont fait des recherches: ce n'est pas du sang humain mais bien du sang de mouton.

- La bergère recouverte du sang de ses moutons, murmura Cain pour lui-même, faisant tourner l'alcool dans son verre.

- Elle aurait été empoissonnée, ajouta Richard après avoir fini son verre et de s'en verser un autre. Il se trouve qu'on avait enfoncé dans sa main six pence, six pièces recouvertes d'un poison encore inconnu. On n'a pas pu trouver l'origine de cette toxine. On lui avait ouvert la paume et injecté le poison par le contact des pièces. Puis, on l'a pendue après l'avoir aspergée de sang d'animal.

- La mort aurait eu lieu quand?

-… Les policiers m'ont dit entre deux et trois heures de l'après-midi. Tu sais, ici, le soleil atteint très vite son zénith et la plupart des bergers et autres agriculteurs vont se mettre à l'ombre le temps d'une petite heure. Il se pourrait qu'on l'ait tuée à cet instant. Les parents de Bridget ne voyant pas leur fille ramener le troupeau sont allés dans la plaine et ils ont découvert le corps. Un corps froid et si jeune… si… pur…

« Pur? », répéta intérieurement Cain. « Que veut-il dire par là? »

Richard se ressaisit. Il tendit la bouteille en cristal au comte.

- Un peu de cognac?

- Non, j'en ai assez bu. Je crois que je ne vais pas pouvoir dormi cette nuit et Dieu sait si j'en ai besoin.

- Le voyage a dû être long de Londres à ici, je dois l'avouer. Enfin, je suis quand même très content de te revoir, tu es vraiment devenu un homme. Même… plus dur que moi…

De nouveau, il laissa sa phrase en suspens, ses yeux noisette se perdant dans une étrange mélancolie. Mais comme un éclair de chaleur, il retrouva très vite le sourire.

- Bon, je vais te raccompagner jusqu'à ta chambre.

- Oui, je veux bien, je me sens fourbu.

Cain se leva avec lenteur, s'étant presque engourdi par la chaleur agréable du feu et du cognac. Ses yeux tombèrent sur une petite statue d'Orient. C'était une danseuse magnifique, faite de bronze. Ses yeux étaient clos avec docilité et ses membres étaient si bien taillés qu'on avait l'impression qu'elle dansait réellement à la lueur des flammes. Richard vit l'intérêt de Cain.

- Je suis allé en Inde il y a quelques temps déjà. J'y ai vu des choses magnifiques. Si tu savais, Cain… Une contrée magnifique de richesses naturelles, de personnes si belles… J'ai ramené quelques souvenirs de là-bas. Je te les montrerai, si tu le veux bien.

- Pourquoi pas?

Les deux hommes quittèrent le salon avec lenteur, la vision un peu floue par l'alcool. Les couloirs semblaient pratiquement interminables, leurs ombres devenant comme des ennemies. Ils arrivèrent enfin devant la porte en chêne permettant d'accéder à la chambre du comte.

- Bien, je te laisse ici, fit Richard avec un sourire très doux. J'espère que nous aurons l'occasion de parler un peu plus longuement demain.

Il tendit la main. Cain la serra à son tour avec un peu moins d'énergie que son ami.

Le regard de Richard eut un changement subtil.

- Cain, tu as tellement changé…

La paume de Richard se sépara de la main de Cain pour remonter jusqu'à son visage afin de rectifier le chemin d'une de ses mèches brunes sur son regard mordoré. Le jeune homme fut parcouru d'un frisson à ce contact bien que fugitif. Comme si les angoisses de Cain avaient été canalisées en Richard, ce dernier se recula vivement, fixant sa main comme s'il s'agissait d'une tarentule.

- Ex… Excuse-moi… J'ai dû boire un peu trop… Pour ne pas changer…

Il lui tourna le dos.

- A demain, Cain.

- Ah… A demain…

Lorsque la silhouette du jeune homme disparut, Cain eut un soupir, passant un doigt presque tremblant sur sa joue.

« Richard… »


La porte grinça très légèrement sur ses gonds. Cain, d'un pas léger, accéda à la chambre de sa petite sœur. A en entendre sa voix respiration profonde et régulière et ses paupières parfaitement closes, la fillette dormait. Ses cheveux d'or s'étalaient sur son oreiller comme une toison magnifique, sa peau blanche et douce en parfaite harmonie avec le tissu clair.

Cain, avec douceur, s'assit sur le lit, prenant garde à ne pas la réveiller. La lune, par un espace libéré du lourd rideau sombre, éclaira le sublime visage de Maryweather. Un ange si tranquille… si pur…

« Mary… »

Cain s'allongea tout près d'elle, ses cheveux bruns touchant une de ses mèches d'or. Sa peau sentait la rose et l'innocence, un parfum très proche de celui de Riff.

« Mary… Si jamais, ne serait-ce qu'une seule fois de ma vie, je venais à penser à te faire du mal… »

Les deux jeunes gens, l'un tout près de l'autre, respiraient le même air. Tous deux partageaient un sang maudit, souillé par la faute d'un démon cruel. Mais jamais, jamais Cain ne devait délaisser sa sœur. Jamais.

« Tues-moi… Tues-moi… Pour ne plus jamais que mes pensées obscures viennent te salir… »

Un, deux, trois… Jolie bergère…

Démon malsain, monstre incertain…

Un, deux, trois,… tes moutons te regardent te balancer…

Toi qui es devenue la femme du roi des mauvais lutins…

Six pence sont dans ta poche, un morceau de pain dans ta sacoche…

Un mouchoir dans ta robe de lin, dans tes cheveux brille une broche d'étain…

Un, deux, trois… que tombent les gouttes rouges…

Un, deux, trois, …que s'essoufflent tes plaintes et des tes supplications…

« Cela est ma punition… »

A suivre…

Pas terrible, je le reconnais. Et moi qui promets que ce sera mieux (Note pour moi-même : ne pas oublier de me couper la langue avant de dire des bêtises). Mais enfin bon, je plante le décor, là (fille qui cherche à se trouver une excuse minable). Espérons que la suite sera on ne peut plus honorable à l'univers de Comte Cain.

« Le poison est mon allié, la Mort ma mère…

Dans ce songe éveillé, je descendrais en Enfer…

Porte magnifique et dorée, du sang coule sur les pierres…

Minuit est passé, l'or a croisé le fer… »

Petit délire. Je trouve que ça va bien à Cain (non ? si ?)