La bergère ensanglantée

Par Tsubaki Hime

Salut à tous ! Ici Tsubaki Himé pour le deuxième chapitre de cette fic. Un chapitre par semaine, ça va, c'est régulier… Mais j'ai tellement de boulots en dehors de cette histoire que c'est un miracle que je puisse en écrire ne serait-ce que quatre pages (et ce après moult modifications, je suis une véritable perfectionniste, désolée). Le document de travail que je ne cesse de modifier est presque terminé, je sais comment ça se termine, qui est le meurtrier, pourquoi et blabla et blabla… Je trouve que Cain est un peu déprimé dans cette histoire mais faut comprendre, revenir dans ce lieu (je suis vraiment trop méchante avec lui, n'est-ce pas Alexis ?)

Au passage, un énorme merci pour toutes les reviews qu'on m'a envoyées. Je suis aux anges. Petit merci spécial pour Tikky Takky, pour son joli poème sur la fleur de camélia. Je suis très, très contente ! Dès que j'ai pas le moral ou pas d'inspiration, hop ! Un petit coup d'œil et ça va mieux ! Merci à tout le monde, sincèrement.

Sur ce, place à la suite (lamentable, je ne peux dire que ça).

Blood Kiss, Tsubaki Himé

Chapitre II

Sublima Amethysta

Chaud… Il avait chaud… Ses épaules lui brûlaient, exactement comme après chaque nuit, ces fameuses soirées où le cuir lui arrachait un cri de douleur, dévorait sa chair pâle avant de tracer ce serpent rouge et dégoulinant sur sa peau. Le claquement sec résonna une nouvelle fois en lui sans qu'il puisse s'en empêcher. Pourquoi tout lui revenait aussi douloureusement? C'était comme si ses souvenirs avaient pris la forme d'éclats de verre brisé et le lacéraient inlassablement.

Sa main toucha le tissu léger. Il grogna. La lumière, à travers ses paupières closes, lui faisait mal. Il avait dû oublier de tirer les rideaux avant de se mettre au lit.

Le soleil, par la fenêtre, lui chauffait son dos, dénudé à la va-vite. L'astre avait déjà bien entamé sa course. Au dehors, le bruit de cloches, mêlé au gazouillement d'oiseaux, le réveilla peu à peu.

« Encore ce rêve… Ca n'en finit plus », pensa-t-il sinistrement.

Vivement que l'affaire que lui avait confié son ami se termine vite, il lui tardait de rentrer à Londres.

- My Lord?

Une voix se fit entendre derrière la porte en chêne. Le jeune homme se mit lentement sur son séant, se frotta ses yeux de couleur mordorée, belle mais maudite.

- Oui, entre, Riff…, marmonna-t-il. Je suis réveillé.

La porte s'ouvrit dans un léger grincement pour laisser voir la personne la plus intime de Cain, celle qui connaissait tout du garçon.

- My Lord, il est plus de dix heures. Miss Mary et Lord Richard vous attendent pour le petit-déjeuner.

- Hum… Je n'ai pas très faim le matin, tu le sais. Mais bon, il faut bien que je me change. Tu as des habits propres?

- Oui, my Lord.

Sans ajouter un mot, Cain se leva, déboutonnant de lui-même sa chemise trempée de sueurs. Son cauchemar… l'affaiblissait de plus en plus. Riff, d'un geste protecteur et doux, dénuda son maître peu à peu. Ses mains sentaient bon et par de caresses superficielles, amenaient toujours le jeune comte à la sérénité, même si ce sentiment ne durait que pendant l'habillage. Cain lui lança un petit regard, avant que Riff lui passe une nouvelle chemise blanche propre. Il devait lui dire. Après tout, qui le comprenait mieux que Riff?

- Riff…

- Oui, my Lord?

Sans se distraire de sa tâche, le majordome ne leva pas le nez vers son maître, trop occupé à lui mettre correctement son pantalon d'un noir corbeau.

- J'ai fait… un terrible rêve.

Les gestes légers de Riff cessèrent. Il eut comme un petit soupir. Quand Lord Cain avait cette voix, ce n'était pas bon signe. Mais au fond, quel était le nombre de rêves du jeune comte heureux et doux? Très faible, malheureusement.

- Avez-vous rêvé de Lord Alexis?

- Non, non pas de lui. C'était pire que cela. Au fond, un diable rêvant d'un autre diable, ça devient une habitude.

De l'amertume dans sa voix. Un autre mauvais signe. Riff se leva et regarda son maître, lui, encore enfant malgré sa maturité, fixant le sol comme si sa vie en dépendait.

- De qui s'agissait-il, my Lord? Je vous écoute, vous pouvez tout me dire.

« Il n'a pas besoin de me le faire remarquer », songea Cain, mi-amusé, mi-moqueur.

Riff l'avait toujours écouté, toujours. Et ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait refuser de le faire.

- J'ai vu Maryweather dans mon rêve, ainsi que Tante Augusta. Ma tante… me traitait d'assassin. J'avais tué Mary de mes propres mains. Et elle me le répétait, encore et encore, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Mary… était pendue… comme elle, comme Bridget. Je ne comprends pas, Riff. Pourquoi chercherais-je à tuer Mary? Pourquoi?

Plus pour le cri que pour la question, Riff prit le comte par les épaules avant de répondre.

- Je l'ignore, my Lord. Mais ce n'est qu'un rêve. Aussi sombre soit-il, aussi douloureux qu'il puisse être, vous ne devez pas vous enfermer dans ces mensonges chimériques. Jamais.

- C'est si dur, Riff…

- My Lord?

- Revenir ici, c'est si dur… Trop dur… Je ne suis pas un trouillard, tu le sais. Mais cet endroit, ces terres, ces souvenirs… Tout cela est trop dur à regarder, à contempler maintenant. Pourquoi ai-je accepté de revenir?

Cain, dans un murmure presque plaintif, posa sa tête contre la poitrine de son majordome, là où battait un cœur généreux et tendre. Ce cœur qui avait permis au jeune comte de sortir d'un dédale obscur.

- Riff… Promets-moi un chose…

- Tout ce que vous voulez, my Lord.

- Si jamais, de toute ma vie, je venais à toucher Mary ou toi, pour faire du mal… Je veux que tu me tues.

Riff tiqua. Abasourdi, il se recula vivement de Cain. Qu'est-ce que son maître venait-il de dire?

- My Lord, c'est insensé!

- Pas du tout! Répliqua le jeune comte, le visage affichant un grave sérieux. Je veux que tu me le promettes, Riff. Tues-moi, même si c'est la dernière chose que tu dois faire de ta vie. Je ne veux pas… que ce songe souille ma petit sœur, ou toi. J'aurais… trop mal… Et je préférais mourir de tes propres mains, que de vivre avec cet acte sur la conscience.

Il y eut un silence lourd, pesant. Cain, patiemment, attendit une réponse qui se fit sans trop longue attente. Riff, son Riff, se rapprocha de nouveau vers lui et reboutonna la chemise correctement. En se penchant pour tirer sur le col, il murmura, d'une voix profonde et sincère.

- Si vous deviez mourir, alors je mourrais avec vous. Car toute promesse faite sera tenue.

Parfum de protection intense… Cain, encore une fois, se blottit contre Riff dans un soupir. Ce n'était pas grand-chose mais, aussi futile soit-elle, cette conversation venait d'alléger un tant soit peu son cœur brisé par tant de malheurs.


- Grand Frère Cain!

- Ah, bonjour Mary…, lança Cain, essayant de ne pas trembler devant le regard bleu où pointaient des éclairs menaçants.

- Qu'est-ce que ça veut dire! Continua Maryweather d'une voix perçante, utilisant bien cet accent qu'ont parfois les femmes lorsqu'elles critiquent leurs maris. Ca fait maintenant une heure, que nous t'attendons, Richard et moi. De plus, il n'a pas voulu servir le petit-déjeuner sans ta venue. A cause de toi, j'ai tellement faim que je serais capable de te dévorer!

« Pour ce qu'il y a à manger, elle ne serait pas rassasiée par la suite », songea Riff avec un rire intérieur, contemplant le corps mince et léger de son maître.

- Désolé, Mary chérie, ça n'arrivera plus, promit Cain tout en sachant que la promesse serait de nouveau rompue la prochaine fois qu'il boirait du cognac avant de se coucher. En attendant, peux-tu me dire où se trouve Richard?

- Près de la serre. Il a dressé une table pour nous. Viens, je vais te montrer.

La fillette blonde avait eu le temps de découvrir la demeure pendant que son frère dormait. Ils traversèrent une antichambre, descendirent les marches de l'escalier de marbre et dehors, allèrent vers l'arrière de la bâtisse.

Cain, en voyant ce qui se déroulait sous ses yeux, mit plusieurs secondes avant de se ressaisir.

C'était une large praire, bien tenue, où le vent, légère brise tiède, traçait d'arabesques invisibles. Le ciel bleu était sans nuages, un horizon calme et paisible. Et devant eux, une maison de verre translucide se tenait, regorgeant d'arbustes, de fleurs exotiques, de senteurs délicieuses et sucrées. Et, non loin, protégée du soleil par un arbre centenaire droit et vigoureux, une table était dressée, ronde et blanche, accueillante, recouverte de pancakes, de fruits, de gâteaux ainsi que de thé et de café. Assis tranquillement, Richard leur fit un signe de la main.

- Tu n'es vraiment pas matinal, mon cher Cain! Lança-t-il avec entrain.

Malgré lui, Cain repensa à ce qui s'était passé - ou plutôt ce qui n'avait pas eu le temps de se passer- et nerveusement, passa un index sur sa joue. Maryweather, dans un rire, foula l'herbe verte et rejoignit son hôte à l'abri du soleil.

- Ouah, que c'est beau! S'extasia-t-elle. Ouah, y a même de la charlotte!

Richard eut un rire, ses yeux noisette pétillant de bonne humeur.

- Vu l'heure avancée, j'ai décidé de mettre un peu de tout. Servez-vous. Vous aussi, Riff, ajouta-t-il au majordome qui s'apprêtait à regagner la demeure. J'aurai l'air d'être un personnage odieux si je ne vous invitais pas à mon petit-déjeuner qui risque de devenir un déjeuner tout court.

- Voyons, Lord Richard, ce n'est pas ma place.

Le soleil passant à travers les feuilles des arbres faisait des taches d'or sur le visage de Riff, le rendait encore plus calme et angélique. Cain se surprit à le contempler avec une étrange faim, bien plus que celle qu'on pouvait éprouver face à un banquet pareil et il détourna le regard, faisant mine d'être particulièrement intéressé par un motif sur la nappe.

- Allons, rétorqua Richard. Je serais très peiné de ne pas vous voir à cette table. Et puis, ne faites pas autant de manières avec moi. Appelle-moi Richard. Lord, c'est mon père.

Riff eut un très léger sourire qui ne se vit pas à l'ombre. Quel énergumène ce Richard. Jovial, pétillant, toujours prêt à être aimable. Le peu que le majordome avait aperçu il y a cinq ans lui avait suffi à lui faire confiance et le laisser approcher Lord Cain.

- Si vous insistez, je vais finir par vous l'ordonner, conclut Richard avec malice.

- Je n'ai guère le choix donc, fit Riff, jouant parfaitement le jeu. Et bien soit.

Il prit place calmement mais avec cependant une nervosité refoulée, juste devant son maître qui était occupée à couper de la charlotte à sa sœur. La jolie blonde se régalait d'un thé à la menthe.

- C'est succulent, Richard! Mais qu'est-ce qu'il est sucré!

- Ah ça, c'est un autre produit que j'ai ramené d'Inde, répondit ce dernier en servant du café à Riff encore un peu nerveux car ce dernier était plus habitué à servir que d'être servi. Le thé là-bas est toujours servi sucré. C'est le cas aussi pour l'Arabie ou les autres pays orientaux.

- J'aimerais tant y aller en Inde, fit Mary avec un air rêveur. Cela doit être superbe.

- Oh oui, il y a tant de choses à voir là-bas. Tu sais, on peut trouver des singes en liberté qu'on vénèrera, malgré les dégâts qu'ils peuvent faire en ville.

- C'est vrai!

- Exact. Des animaux sublimes, rares et sauvages dans la jungle. Des fleurs magnifiques et autres plantes très recherchées. J'en ai ramené quelques spécimens. Je vous les montrerais tout à l'heure.

Riff s'amusait du visage émerveillé de sa sœur qui ne cessait plus entre deux gorgées de son thé oriental de poser une question à Richard. Et ce dernier lui répondait avec justesse et sourire. Tous deux avaient l'air de partager beaucoup de choses en commun et cela était bien. Au moins, Mary ne s'ennuierait pas le temps que l'affaire se termine.

Il reporta son attention sur Cain qui écoutait aussi Richard mais d'une oreille plus distraite. Il avait à peine touché à son thé (peut-être trop sucré pour lui) et sa part de tarte trônait intacte dans son assiette.

Riff, par un geste imperceptible de la main, fit signe à son maître. Ses yeux demandèrent s'il allait bien. Le comte, dans un sourire rassurant, lui certifia une réponse positive. Puis, avec un petit clin d'œil provocant, il fit tomber sa cuillère sur le sol dans un bruit sourd et métallique. Lorsqu'il se pencha pour la récupérer, le majordome sentit avec stupeur un main malicieuse lui toucher le genou avant de remonter jusqu'à sa cuisse. Il fut si consterné qu'il faillit recracher la gorgée de café qu'il avait à la bouche. Bien entendu, Mary et Richard, absorbés dans leur discussion ne remarquèrent pas le moins du monde le visage blême d'abasourdissement du majordome tandis que le comte riait sous cape.

- C'est plutôt moi qui devrais poser cette question, Riff, répondit Cain du bout des lèvres. Tu fais une de ces têtes…

Ses épaules tressautèrent dans un fou rire silencieux et il dut mettre plusieurs minutes avant de reprendre son souffle. Puis, reprenant un calme total, il se tourna vers Richard.

- J'aimerais faire un tour au village cet après-midi. Pourras-tu m'y emmener?

- Oui, bien sûr. Mais avant cela, je vais être obligé d'amener Maryweather à la serre. Ta sœur rêve d'y voir les beaux spécimens de fleurs que j'ai amené d'Inde.

-Oh oui, Grand Frère Cain, j'ai tant hâte! Tu viendras avec nous?

- Comment pourrais-je refuser? Répondit le comte, ne pouvant résister au regard suppliant de sa sœur, aussi bleu que le ciel.

Une magnifique journée s'annonçait. Personne en regardant ce tableau touchant, trois hommes bavardant gaiement, partageant un thé sucré avec une jolie fillette, n'aurait pu imaginé…

La suite plus noire que la nuit… de cette histoire qui ne faisait que commencer.


-Oooooooooooh!

Le cri d'émerveillement de Maryweather résonna à travers les vitres baignant de lumière. Il sonna comme un écho enchanteur avant de se disperser au loin.

Plus qu'une serre, c'était la réplique miniature d'une jungle. Des arbustes vigoureux, où l'odeur d'une sève piquante se faisait sentir, trônaient ça et là, sans vraiment être mis en rangées régulières. Des buissons de fleurs superbes, de couleurs si vives qu'elles en paraissaient presque incroyables, jaillissaient de la terre, laissant émaner un parfum suave et sucré. Tout n'était que dans cette maison de verre un paradis multicolore, où la réalité avait été emportée par l'odeur entêtante de l'Orient et ses rêves fugitifs.

Même Cain demeura quelques instants impressionné avant de reprendre un visage impassible. Il avait l'air d'être un corbeau au milieu d'un monde de couleurs et cela jurait avec la gaieté et la douceur de cet endroit. Sa sœur gambadait dans les allées désordonnées. Ses cheveux brillaient comme de l'or soyeux, et sa robe, rose pâle décorée de jolies rubans, semblait être un produit des fleurs de cet univers. Elle était en cet instant, la princesse de l'Orient artificiel que Richard avait ramené de ce pays magique et mystérieux.

- Quelques spécimens, trois fois rien, fit Richard, ne pouvant s'empêcher d'avoir une pointe de fierté dans la voix. Certaines plantes étaient si belles, que je n'ai pas eu le cœur de les laisser là-bas. Ici, le temps est presque parfait. Juste ce qu'il faut pour les plantes puissent se développer à leur propre rythme. Les ranger de manière militaire n'était pas conseillé, je les laisse pousser comme elles veulent. Ce sont des fleurs sauvages, laissons-les sauvages jusqu'au bout.

- C'est superbe, avoua Riff, sincère. Vous avez pris bien soin des fleurs malgré le climat tempéré de l'Angleterre.

Il se tut, contemplant son maître du regard. Le jeune homme semblait mal à l'aise dans cet antre pleine de couleurs et de vies, ce qui malheureusement était un peu son contraire. Mary, dans ses exclamations joyeuses, se précipita vers son frère.

- Viens vite, Grand Frère! J'ai trouvé le plus beau spécimen! Elle est magnifique, viens, je te dis!

- D'accord, d'accord…, soupira ce dernier, sachant pertinemment que Maryweather serait capable de l'emmener n'importe où, même dans une crèche si cela était possible.

Richard, dans un splendide sourire, les emmenèrent jusqu'au lieu désiré. Là, il s'agenouilla avec précautions, suivi de près de Mary qui se pencha vers la plante exotique. C'était une magnifique fleur, une unique chose fragile et délicate dépassant de feuilles grasses et bien vertes. Ses pétales étaient d'un splendide mauve brillant, qui par un éclat du soleil, devenaient de véritables morceaux d'améthystes. Le bord des pétales et certaines parties étaient mouchetés de rouge, comme si du sang avait giclé et souillé cette nature minuscule. Mary se pencha si près que son visage entra en fugitif contact avec un des pétales.

- Hum… Elle sent bon…

- Ah, ne t'approche pas trop, Mary, fit Richard d'un ton un peu brusque. Cette fleur n'a qu'une unique racine qui est plus fragile qu'un fil. Le seul vacillement risquerait de la casser en deux.

- Oh, pardon, s'excusa la fillette en se reculant aussi vite, ne désirant pas abîmer une si belle chose.

- C'est la perle de ma serre, fit le descendant des barons Forrest avec douceur. Les Indous ne lui avaient pas donné de noms car cela représentait un sacrilège. Ils disaient que cette fleur était la réincarnation de Shiva et que lui donner un autre nom que celui de cette divinité était comme mourir. Mais, laisser une chose aussi belle sans nom n'était pas permise pour moi. Je l'ai nommé Sublima Amethysta car ses pétales sont plus éclatants que la pierre dont elle porte le nom.

« Tiens… » songea Cain.

Il se pencha vers la fleur, mimant un geste pour la prendre mais n'en fit rien.

« On dirait qu'il manque un pétale… Serait-ce normal? »

Mary, qui s'était désintéressée de la conversation, s'était rendue vers d'autres fleurs, plus grandes que la « perle » de Richard.

- Eh, Richard! Le héla-t-elle. Tu peux me dire quel est le nom de celles-là! Elles sont magnifiques!

- Oui, oui, j'arrive! Cain, je te laisses visiter un peu. Mais dès que tu veux partir, dis-le moi et j'attellerai une voiture pour que nous puissions descendre au village.

- D'accord, occupe bien Mary le temps que je fasse le tour.

Richard, dans un clin d'œil, se releva brusquement avant d'aller rejoindre la jolie blonde, captivée par les fleurs rouges et bleuâtres. Cain se remit debout, observant encore un peu la fleur, songeur.

« Une fleur aussi précieuse est dénuée d'un pétale… Cela a beau être insignifiant, je trouve ça bizarre… »

Son regard mordoré tomba sur la terre. Un petit quelque chose retint son attention.

« Mais… »

C'était une petite carte rectangulaire et blanche. Elle avait dû tomber de la veste de Richard alors qu'il allait voir Mary. Cain la prit et la retourna. Sur le papier blanc, un croissant de lune rouge était dessinée entrecroisée par deux dagues noires. Quel étrange symbole… Mais les lignes écrites en italique en dessous captivèrent le jeune comte.

Rouge… Rouge Sacrée…

La lune pure est toute-puissante, nous les pécheurs destinés la vénéreront à jamais…

Noire… Noire destinée…

Les armes de l'Enfer Éternel sont nos alliées, nous les élus destinés à nous battre au nom de la vérité…

Le sang coulera à l'endroit où les âmes gémissent vers le ciel, les larmes étancheront la plainte des maudits enfermés dans la terre froide…

Le courroux de Dieu est tout-puissant…

Les mains de Cain se pressèrent sur la carte blanche. Il tremblait. Ses membres étaient devenus de la glace. Tétanisé, il fixait l'emblème avec horreur. Ces phrases… Elles étaient encore là…

« Le courroux de Dieu est tout-puissant… »

Le claquement du cuir sur sa peau… De nouveau l'impression de sentir du sang couler de son dos se fit ressentir et une nausée le submergea.

- My Lord, qu'avez-vous?

Cain fut ramené brutalement à la réalité. Deux yeux limpides le fixaient avec inquiétude et compassion. Il serra la carte dans sa main.

- Riff… Demande à faire atteler la voiture. Je pars sans Richard au village.

- Mais My Lord, vous aviez dit…

- Je tiens quelque chose et je ne lâcherai pas.

Il tendit la carte à son majordome qui la parcourut rapidement des yeux.

- Trouve-moi des renseignements sur cet emblème, ordonna le comte à voix basse, ne souhaitant pas être entendu par Richard et Maryweather. Profites-en pour fouiller un peu le dossier de Richard. Je ne sais pas pourquoi mais il me cache quelque chose.

- Bien. Je vais devoir harceler Scotland Yard une nouvelle fois, n'est-ce pas, My Lord?

« Ah ça… Les pauvres doivent connaître Riff par cœur », songea Cain avec un maigre sourire intérieur.

Riff n'avait pas cessé de poser des questions aux inspecteurs, au point que l'un d'entre eux avait démissionné pour dépression nerveuse. Le simple fait d'entendre la voix du majordome entêté lui suffisait à entrer dans des crises de larmes incroyables et de gémissements à en faire trembler plus d'un.

Trop occupés à leurs interprétation des fleurs, ni Mary et ni Richard ne virent les deux hommes sortir discrètement de la serre.


WithestBridge…

Cain, en descendant de la voiture attelée à la demande de Riff, fut un instant un peu surpris.

C'était une petite bourgade plus qu'un village. Les maisons et les petits artisanats présents dans la rue principale étaient bien entretenus, consacrés à l'essentiel. L'église, bien que petite, avait une certaine importance sur le place de dalles grises. Les demeures étaient modestes et peu nombreuses, prouvant que les autres habitaient près des champs et de la forêt située à la sortie.

Il y avait foule ce jour-là. Le soleil était rapidement monté dans le ciel et la chaleur était presque insoutenable. Cain enleva sa veste noire et son chapeau qu'il laissa au cocher avant de partir faire un tour dans les environs. Les gens autour de lui le fixaient avec de grands yeux, ne s'attendant pas à voir un noble qu'ils ne connaissaient pas se promener dans ce village sans prétention.

Mais le jeune comte avait voulu y aller. Toute son enfance, il n'avait vu que les murs de sa chambres et les buissons du jardin lors de ses escapades nocturnes qui se finissaient la plupart du temps par de nouveaux coups de fouets que son père lui administrait en plus de la punition habituelle. Cette odeur de pain, ces rires autour de lui… ces visages plissés par du travail dur mais où s'échappait un sourire très généreux… On lui avait enlevé cela pendant longtemps… avant l'apparition de Riff qui au même instar de Maryweather avait illuminé sa vie. Si jamais Riff venait à disparaître…

Il frissonna à cette simple pensée. Ne pas y songer maintenant. Remettre ça à beaucoup plus tard…

- Sale sorcière!

Le cri railleur et méchant dit redescendre le comte sur Terre. Surpris, il tourna le regard pour voir un homme d'environ cinquante ans tenir violemment une jeune fille par le bras.

- Tu m'as lancé un sort, c'est ça, hein? Cracha le paysan en découvrant ses dents noires dans un rictus sans joie. Avoue que c'est toi qui m'a rendu malade! J'ai toujours eu une santé de fer et toi, tu me jettes un maléfice, comme ça! Sale fille du Diable, je vais te massacrer!

Une main calleuse et massive s'abattit sur la joue de la jeune fille qui sans une protestation s'écroula sur les pierres, la bouche en sang. Ses longs cheveux noirs ne permettaient pas de voir l'expression de son visage mais Cain la détailla d'un rapide coup d'œil. Il s'aperçut qu'elle portait des étranges chaussures de cuir cousues grossièrement, contrairement aux autres qui portaient de véritables chaussures munies de lacets et de semelles. Ses habits étaient une robe élimée sur le bas, salie par la terre et la pluie et le gilet trop grand pour elle était troué aux coudes, laissant apparaître de la chair maigre et pâle.

Cette image, Cain ne put la supporter plus longtemps.

- Tu vas le payer, je te le garanties! Brailla le paysan.

Il leva de nouveau la main. Cette main qui dans l'esprit de Cain se transforma en fouet couvert de sang. Non, il ne pouvait laisser faire ça…

- Arrêtez!

Furieux, il s'interposa entre le corps recroquevillé de la jeune fille et le paysan, arrêtant par la même occasion la paume brandie.

- Arrêtez, vous ne pouvez pas faire ça! Cette fille ne vous a rien fait!

- Qui vous êtes, vous? Un noble parmi tant d'autres, sans doute! Vous pouvez pas comprendre! Cette diablesse… C'est elle qui fait mourir tous les moutons, qui fait tomber les arbres! Elle empoisonne tout le monde avec ses sortilèges maléfiques! Et surtout…

Il s'arrêta, fou de rage, cherchant ses mots.

- C'est elle qui a tué la petite Garren il y a une semaine! Elle l'a maudite, la fait posséder par des démons!

La jeune fille tressaillit .Cain se figea à cette phrase, sans qu'il puisse s'en empêcher.

- Alors, vous avez perdu votre langue? Lança l'homme avec un rictus. C'est elle, pas besoin d'être un inspecteur talentueux pour le comprendre!

La jeune fille, profitant de la tirade de son agresseur, se releva et s'enfuit aussi vite qu'elle le put. Elle disparut dans la foule, sans bruit ni cris.

- Merde!

Le sang de Cain ne fit qu'un tour. Ne s'occupant plus de l'homme qui vociférait des menaces absurdes, il se mit à la poursuite de la fugueuse. Il courut, courut… Il bouscula une demi-douzaine de personnes dans la rue principale, tourna deux fois. Les endroits se ressemblaient tous dans ce village minuscule.

« Merde, où est-elle passée? Même si ce n'étaient que des paroles en l'air… Il faut que je sache qui elle est! »

L'esprit brouillé par ses pensées, il ne s'arrêta de courir qu'au moment où il se rendit comte qu'il ne savait plus du tout où il allait. C'était une ruelle sombre, au sol boueux. Des bruits lointains comme le brisement d'un verre ou les murmures rauques des mégères à leurs fenêtres closes lui parvenaient difficilement. La pénombre était présente partout, les hauts murs de pierres sals dissimulant le soleil éblouissant.

Cain, la respiration haletante, détailla la ruelle du regard. Il n'y avait apparemment personne. Apparemment…

« Cette fille… »

Ses chaussures claquèrent dans les flaques d'eau croupie. Sa main était serrée contre sa canne qu'il avait tenu pendant sa course. Au cas où… Il pouvait toujours l'utiliser. Un poison parfait pour ce genre de conditions.

- Ne bouge plus.

Un poison… dont il ne pourrait pas se servir car à cet instant précis, le comte maudit de la lignée des Hargreaves sentit un contact froid et métallique se poser sur sa gorge, là où battait la veine jugulaire. Le silence engloutit l'atmosphère suffocante. Attaqué aussi vulgairement, lui capable de te tuer par des moyens beaucoup plus subtils…

« Quelle ironie… »

Les armes de l'Enfer Éternel sont nos alliées…

A suivre…

Et voilà ! J'aime bien couper dans ces moments (et hop, une nouvelle couche de méchanceté !) Espérons que la suite sera mieux, je suis vraiment en pleine galère. Allez, courage…

A bientôt !