La bergère ensanglantée

Par Tsubaki Hime

Bonjour à tous ! Revoici l'infatigable Tsubaki Himé dans cette fabuleuse expérience qu'est Comte Cain ! J'adore ce manga (un peu comme ceux qui lisent ces lignes, non, si ?), l'ambiance est d'une noirceur… Bref, je m'égare dans mes rêves remplis de poisons et j'oublie une chose TRES importante : dire merci aux reviews qu'on m'a envoyés. Je passe deux messages, si cela est possible ( et ça l'est, non, puisque c'est mon espace pour dire tout ce que je veux !)

Nelja : Bienvenue dans le club des pointilleuses ! T'as raison, sur ce mot (tu sauras bien entendu lequel, ne ?) j'ai pas fait gaffe mais bon, si à part ça t'as rien trouvé de mauvais, ça va (préviens-moi si tu trouves un autre mot qui ne va pas avec le langage, j'écris un peu trop vite pour m'en apercevoir).

Tikky Takky : Et encore un autre poème ! Merci beaucoup ! J'aimerais bien que tu fasses une suite de ta fic « A gorge déployée », ce serait très intéressant à lire, je pense.

Bon, trêve de blabla inutiles ( ce que je n'arrête pas de faire depuis le début de ce chapitre, pardon) et je vous laisse lire la suite de cette fic tranquillement.

Blood Kiss, Tsubaki Himé.

Chapitre III

Solitude éternelle à toi qui peuple mes pensées…

La solitude est ma vie, je serai seule jusqu'à la fin. Bercée dans le fol espoir de retrouver mes proches, je demeurerais à jamais abandonnée…

- Ne bouge plus.

Le jeune homme aux cheveux bruns et aux yeux d'un splendide vert pailleté d'or refréna un rire. Comment pouvait-il bouger avec cette lame de poignard posée sur sa veine jugulaire? Sa main posée sur le pommeau de sa canne se crispa. Un geste imperceptible qui ne passa cependant pas inaperçu.

- Donne-moi ta canne.

Cain s'exécuta avec irritation. La canne élégante de bois d'ébène passa de sa paume à celle de son agresseur.

- Et maintenant, tourne-toi vers moi.

« Mais qu'est-ce que…? »

Lentement, essayant de pas faire toucher le tranchant du couteau à sa gorge, il fit volte-face, avec un calme presque imperturbable en surface. Il demeura bouche bée.

C'était la jeune fille battue, celle qu'il cherchait depuis tout à l'heure. Maintenant qu'elle était près de lui, le comte pouvait voir son visage. Les traits étaient parfaitement réguliers, très fins, un peu mélancoliques comme si son visage n'avait pas l'habitude de sourire. Ses yeux étaient vifs, brûlants comme du charbon. Une étincelle sauvage brillait au fond de son regard rebelle, une lueur inconnue de ce monde. Ses longs cheveux étaient d'un noir de jais intriguant, longs et désordonnés, telle la toison d'un fauve. Sa peau était si pâle qu'elle semblait sortir de son cercueil, une âme en peine décidée à ne pas rester sous terre.

Ses lèvres effilées, presque aussi pâles que sa chair, étirèrent l'ombre d'un sourire.

- Qu'est-ce que tu me veux, beau noble? Et qui t'as permis de me défendre tout à l'heure?

Sa voix était un peu rauque, comme le croassement moqueur d'un corbeau. Cain la fixa intensément.

- Je voulais savoir qui tu étais, répondit-il sur le même ton. Pourquoi cet homme t'avait accusé d'être la meurtrière de la jeune Bridget Garren.

- Ohoh, un inspecteur déguisé en noble de pacotille prêt à enquêter sur des terres bien trop rustiques pour lui?

La fille eut un rire bref, sans joie. Sa main tenant le couteau pointé sur la gorge de Cain ne tremblait pas un seul instant.

- Tout le monde dit que je suis la meurtrière, continua-t-elle avec dédain. Depuis que je suis née, depuis que je vis ici, je ne suis que la Fille du Diable, une sorcière qui fait tomber les arbres et assassine toutes créatures appartenant à ces stupides paysans. Et toi, noble aristocrate, tu n'hésites pas à risquer un coup pour moi? Qui es-tu donc… pour te soucier des maudits tels que moi?

Lentement, la pointe glacée du poignard remonta de la gorge de Cain pour glisser sur sa joue, effleura ses yeux, puis redescendit sur ses lèvres. Le comte frémit à ce contact métallique. Cela lui rappelait tellement de mauvaises choses.

Le claquement du cuir sur sa peau… La voix grave de celui qui partageait son sang…

Il releva la tête, considéra la jeune fille. Ses yeux mordorés eurent une étrange lueur dans la pénombre de la ruelle.

- Peut-être… parce que je suis moi aussi un maudit. Un diable ne peut-il donc pas protéger une sorcière?

Sa réponse, bien qu'étrange, sembla plaire à la jeune fille. Ses lèvres étirèrent un sourire un peu plus subtil que le précédent.

- Tu es différent des autres hommes, des autres humains que je connais. Ainsi, tu cherches à savoir qui est le meurtrier de la petite Bridget?

- Oui. Est-ce que tu saurais quelque chose?

- Pff… Que pourrais-je te dire, mon cher noble? Je ne suis qu'une sorcière qui maltraite les animaux, qui possèdent les belles jeunes paysannes pour en faire ses esclaves. Oui, une simple sorcière.

Elle eut une moue méprisante.

- Sorcière? Répéta Cain.

Ses yeux se plissèrent.

- Mais… qui es-tu donc en réalité?

Dans un geste sec, la jeune fille rangea son poignard dans son gilet, tout contre sa poitrine. Elle ne répondit pas. Du moins pas à cette question.

- Sorcière… répondit-elle dans un murmure, comme si ce n'était pas Cain qui avait posé la question mais une voix au loin, invisible. Ma mère était une femme qui avait le « don » des plantes. Elle savait écouter la souffrance des arbres, ces créatures végétales qui pleuraient à chaque fois que les bûcherons passaient dans la forêt. Mais elle n'a jamais été possédée par le Diable ou une quelconque entité maléfique. Juste par la maladie, rien que la maladie. Elle est morte il y a quelques années et moi, je reprends ses œuvres, à protéger la forêt. Je ne fais rien d'autres. Je ne fais de mal à personne. Je suis une louve solitaire. La solitude est ma vie… A tout jamais, je resterais seule pour l'éternité.

« Personne ne t'aimera et tu resteras seul pour l'éternité. Cain, premier assassin de l'histoire de l'humanité! »

Cain frissonna. Encore cette phrase… Pourquoi chaque parole de cette fille le replongeait dans son passé? Pourquoi…? Cette fille était étrange. Insaisissable, perdue à jamais, elle était seule contre tous mais continuait à se battre pour rester libre. Un parcours frénétique et fou, un chemin que le jeune homme maudit avait déjà pris il y avait bien longtemps.

La fille le regarda blêmir mais ne fut pas inquiétée. Elle avait cessé de s'inquiéter pour les autres car qui s'inquiétait pour elle?

- La fille pendue, recouverte du sang de moutons, fit-elle avec désinvolture, remettant une boucle de cheveux noirs derrière son oreille. Je ne la connaissais pas. Juste un détail… Chaque mois à la pleine lune, elle se rendait près de l'arbre où elle a été retrouvée morte. Je ne l'ai jamais suivie mais à ce moment, moi, je ramassais des herbes sauvages. Toujours à la pleine lune. Rouge, magnifique… La porte sacrée de l'absolu… Je l'ai entendue dire ça à une de ses camarades. Ma maison est près de l'arbre où elle se rendait en cachette et un jour, je l'ai entendu dire cette phrase à une amie. Elle semblait surexcitée, comme si cette pleine lune couleur de mort et de vengeance était la voie qui menait au ciel. « Chaque fois, chaque instant, je revois cet astre et je dis que ce combat est des plus justes », ne se lassait-elle pas de répéter.

- Comment se nomme son amie?

- Je l'ignore et je ne tiens pas à le savoir, répondit la fille sur un ton acide. Je ne tiens pas à me mêler à cette histoire, bien que cela soit intéressant.

« Elle se contredit à chaque fois », songea Cain en la toisant avec méfiance.

La fille s'aperçut de son regard suspicieux et rit de nouveau. Ce rire rauque et bref, le ricanement d'un corbeau.

- Tu ne me fais pas confiance, mon cher noble?

- Comment pourrais-je faire confiance à une fille qu'on traite de sorcière et qui me menace d'un couteau?

- Je reconnais que je ne suis pas très recommandable. Mais à qui le dois-je, d'après toi?

Et un sens de la répartie à toute épreuve. Cette fille était d'une bizarrerie extrême. Elle ne souciait de rien et de tout à la fois.

- Tu me plais, ajouta la fille dans un sourire railleur. Tu es un bien étrange noble. Tu ne laisses personne entraver ta route, et même si pour cela tu dois piétiner le cœur des gens, tu continueras ta marche vers la folie.

Elle se rapprochera de lui et dans un geste évasif et léger, caressa du bout de ses doigts blancs et froids la joue de Cain, plongeant son regard noir dans ses yeux de pierreries maudites.

- Tes yeux… Tes cheveux… Or et Ténèbres… Deux couleurs qui ont amené cette terre dans le sang et le massacre. Ton cœur est rempli de noirs. Tout est noir en toi. Même si des personnes t'aiment, et que tu les aimes en retour, je ne fais que ressentir un gouffre insondable dans ton âme.

Cain tressaillit. Tétanisé, il laissa la main étrange de la fille parcourir son visage.

- Tu es vraiment une sorcière…, souffla-t-il avec rage et peur.

- Une sorcière qui est captivée par ton regard, répondit-elle, amusée de ce petit effet que tous ceux qui passaient près d'elle ressentaient.. Tu cherches, en même que temps que la solution de ce meurtre, la clé qui te mènera à la liberté. J'ai refusé ma liberté pour la solitude. La solitude est ma vie mais toi… qu'est-ce pour toi le fait d'être seul? Dis-le moi, garçon maudit.

- Je n'aurais… jamais la réponse à cette question, répondit Cain d'une voix dure, un froid germant dans sa poitrine, là où battait un cœur cisaillé par son passé plus noir que les ténèbres. Et toi, pourras-tu me donner la réponse? Aide-moi à trouver celui qui a pendu cette fille.

- Qu'ai-je en échange? J'ai déjà assez donné et en retour, qu'ai-je obtenu? Alors, que me donnerais-tu si je t'aidais?

- Ma « réponse » à ta question. Même si je dois souffrir pour la connaître, je te la donnerais.

La fille eut un étrange sourire que Cain n'arriva pas à déchiffrer. Son esprit se brouilla lorsque deux lèvres froides se posèrent sur les siennes. Ce n'était pas un baiser. Mais c'était tellement particulier… Plus que cet échange de chair, ce fut… une promesse.

Le froid dans le cœur de Cain s'agrandit encore plus lorsque la fille se dégagea. Ses yeux de charbon eurent de nouveau cette lueur étrangère à ce monde.

- Voici notre pacte, murmura-t-elle gravement. Je saurais où te trouver, cher noble maudit. Prépare ta réponse, ne laisse aucun doute germer dans ton esprit. Et peut-être qu'à ce moment, ton cœur sera moins lourd de ténèbres.

Une brise glacée passa entre les murs sales. Les yeux de Cain s'écarquillèrent. Quelle était cette impression de terreur qui naissait en lui?

- Quel est ton nom?

La fille eut un dernier sourire, disparaissant avec l'ombre d'un nuage.

- Solitude… La solitude est ma vie… Mais mon nom est ma chair… Aussi pour demeurer vivante, je ne suis pas en mesure de te le donner…

Sur ces mots doux et terrifiants, elle s'enfuit. Cain n'aurait pu dire quelle direction elle avait prise. Ses pieds n'avaient fait aucun bruit sur le sol et son corps s'était comme glissé dans les airs pour s'échapper à cette ruelle sombre et malfaisante.

« Solitude… Moi aussi, étrange sorcière… Je sais que cela a été mon existence… », songea le comte avec mélancolie. « Mais… Cela ne sera plus pareil à partir d'aujourd'hui. Je ne serai plus seul, plus jamais. Même si je dois souffrir pour trouver la réponse à ta question, sache que je ne serais plus à l'abandon. »

- Cain! Mais bon Dieu, qu'est-ce que tu fiches ici!

Le comte sursauta violemment avant de se tapoter la poitrine par réflexe de survie. Bon sang… Cette voix l'avait fait trembler! Juste cette voix malicieuse et tonique.

- Richard? Mais qu'est-ce que…

- On se tait et on m'écoute! S'énerva le jeune homme, avec cet air qui faisait penser à Mary ce qu'elle houspillait son grand frère. Tu sais, un noble ça ne court pas les rues dans cette bourgade! Il m'a juste fallu parler à deux ou trois passants pour me dire qu'un certain « aristocrate tout de noir vêtu » s'était mis à courir dans cette direction.

Il jeta un regard circulaire dans la ruelle, fit même une petite grimace en remarquant un rat mort recroquevillé dans une flaque d'eau boueuse.

- Je ne savais pas que tu aimais ce genre d'endroits, fit-il observer d'un ton ironique. C'est vraiment ton genre de traîner dans ce coin?

- Tu ne me connais pas assez pour en dire davantage sur moi, rétorqua Cain d'une voix sèche.

Il s'aperçut d'un détail important. Sa main droite était libre, n'étant pas à son habitude posée sur un appui.

« Ma canne! Sale… »

Le sourire moqueur de la fille lui revint en mémoire. Il retint un juron bien trop vulgaire pour un comte de sa lignée.

« La sale gamine! »

- Cain, ça va?

- Hum… Je suis juste un peu contrarié…

- Ah et par quoi?

- Un « corbeau »… Un simple « corbeau »…

Ce rire rauque et sans joie résonna dans sa tête. Décidément, cette enquête n'allait pas être des plus facile…

Le baron de la lignée des Forrest se pencha vers le comte maudit, le fixant avec une étrange insistance.

- Quoi, qu'est-ce qui y a? demanda Cain sur un ton presque puéril. J'ai une tache sur la joue?

- Tes yeux… On dirait… que tu es au bord des larmes…

Vivement, Cain se recula, le visage bloqué dans une colère sourde. Ses yeux se plissèrent. Lorsqu'il se tourna pour sortir de la ruelle, sa voix résonna comme un écho douloureux et triste.

- J'ai pleuré tellement de fois, il y a des années, que mon corps n'est plus capable de produire des larmes. Et puis, je ne veux plus parler de ça. Plus… avec toi…

Il se retourna à demi et dans la lumière éblouissante du soleil ayant parvenu à traversé ce mystérieux nuage noir au-dessus de la ruelle, ses yeux flamboyèrent d'une étincelle de… combativité. Ce regard… Richard frémit imperceptiblement.

« Pourquoi… ressembles-tu à un ange perdu, Cain? »

- Montre-moi, souffla le comte. Montre-moi où le corps de la fille a été trouvé. Près de cet arbre…

« A cet endroit où « les âmes gémissent vers le ciel »… »


- C'est là… Là où Bridget a été retrouvée.

Le soleil déclinait déjà sa course. Au loin, le ciel avait cette couleur maudite du sang… Le sang de cette fille souillée par l'astre lunaire qu'elle avait chéri. Une brise s'était levée sur la plaine déserte. Dire qu'il y avait plus d'une semaine, des gens se retrouvaient en ce lieu, contemplant un corps froid se balancer interminablement.

- Donc… Elle est morte ici…, souffla Cain, très calme.

Le déclic d'un briquet se fit entendre dans son dos. Une courte flamme embrassa l'extrémité d'une cigarette, tenue par la main forte de Richard. Il aspira une bouffée.

- Les autorités ont déjà fouillé les parages, tu ne risques pas de trouver grand-chose ici.

- Peut-être mais… « quelqu'un » m'a dit que… qu'à cet endroit…

- Pardon? Fit Richard en ouvrant de grands yeux. Je n'ai pas entendu ce que tu as dit.

- Peu importe. Cela n'a pas d'importance.

L'herbe eut un comme un doux bruit de froufrous sous ses pieds. La brise était tellement agréable…

L'arbre était centenaire, vigoureux, et droit comme une personne noble et digne. En s'approchant de lui, Cain sentit comme une odeur piquante de sève. Les taches rougeâtres du soleil couchant apparaissaient sur ses paumes ouvertes, comme si… elles étaient… constellées de sang.

« Souvenirs Noirs… Disparaissez! Juste un instant, rien qu'à un instant… »

Il se pencha vers l'herbe qui protégeait les racines de l'arbre.

« Tiens? »

Son regard se posa sur une petite trace. Très légère mais pas assez pour ne pas échapper à son regard aigu. Une ligne encrée dans la terre, parcourue de divers symboles inconnus de ce monde. Et cette odeur… piquante…

« Ce n'est pas celle de la sève… Non, celle-là est plus poivrée, plus fumante… »

Resterait-il des fragments? Ses mains se posèrent entre les touffes d'herbe verte, se cramponnèrent à la terre brune. Il ne chercha pas longtemps. L'odeur suffocante et imperceptible se fit ressentir à cet endroit précis. Lorsqu'il enleva sa paume du sol, elle était enduite de poussière noire. Pas de la saleté naturelle, loin de là.

« Du soufre », pensa-t-il, songeur. « A en juger l'odeur, il n'a pas été déposé il y a longtemps. Mais pourquoi y en a-t-il tout autour de l'arbre? En aurait-on enduit les racines? Et ces inscriptions? »

Les mots de la fille aux yeux de charbons lui revinrent en mémoire.

« Elle parlait de cet astre rouge comme si… cette lune couleur de mort et de douleur était la voie qui menait au ciel… »

« Qu'est-ce que cela veut dire? Hein? »

Ses doigts entrèrent en contact avec quelque chose de froid et métallique. Pas enterré assez profondément dans la terre brune. Cain, se fichant complètement de l'état de ses ongles, gratta le sol jusqu'à aérer cet objet qui brillait par les éclats du soleil. Lorsqu'il le prit en main, il demeura une seconde surpris.

« Ce symbole… »

Un poignard, long d'une dizaine de centimètres. La lame était magnifique, brillante et éclatante, fine et capable de siffler dans l'air dans un son soutenu et gracieux. Elle aurait été encore plus belle toutefois si du sang noirâtre et coagulé ne souillait pas la garde et le métal en lui-même. Mais toutefois, ce symbole était resté comme « protégé » de ce sang, le liquide de vie d'une victime.

Une lune rouge entrecroisée de deux dagues noires. L'emblème mystérieux des Elus.

Cain recueillit le souffre dans son mouchoir et garda en mémoire les symboles sur le sol qu'il dissimula davantage. Bien les autorités furent déjà passées, il fallait être prudent. Ces indices lui étaient réservés. Le poignard passa de ses mains à son veston, caché par un bout de tissu. Quelque chose lui disait que cette arme allait le renseigner sur un détail important.

- Tu as trouvé quelque chose qui a pu t'intéresser?

La voix de Richard le ramena à cet endroit, lui perdu dans les méandres de son esprit et de sa logique. Cain se releva, effleurant une fugitive seconde le tronc de l'arbre. Cette créature végétale, comme l'appelait la sorcière, avait goûté au sang d'une jeune fille innocente mais… l'était-elle vraiment?

« Il n'y a pas pire coupable que celui qui est béni par la pureté… », avait un jour lancé le comte au sourire de démon, tout en faisant claquer cet objet monstrueux au visage de son fils. A cet instant, voulait-il dire que même son fils qui était pourtant la douceur même, à l'amour résigné et aveuglé, était le responsable de la folie de celle qui partageait son sang?

« Ne pas y penser, ne plus y penser… »

- Cain, nous devrions y aller, fit Richard. Maryweather doit s'impatienter.

- Hum, tu as raison.

Cain se mit en marche mais malencontreusement son pied buta contre une pierre. Il bascula en avant et faillit s'effondrer sur le sol mais deux bras protecteurs et forts l'enserrèrent.

- Cain, fais attention voyons!

« Richard… »

De nouveau, cette impression de gêne naquit entre les deux hommes, très près l'un de l'autre. Le regard de Richard changea subtilement, une étincelle étrange au fond de ses yeux. Un regard qui faisait penser à celui de Riff. Tellement ressemblant mais en même temps tellement différent.

- Cain… Pourquoi… es-tu devenu ce jeune homme que je ne comprends plus? Pourquoi… m'as-tu l'air si lointain?

- Richard…

Cain se dégagea des bras de son ami avec un peu de brusquerie. Quelle était cette chaleur qui empourprait son visage pâle et beau comme celui d'un ange? Il ne comprenait pas pourquoi il était aussi gêné. Et surtout, quel était ce sentiment de candeur, cette impression de douceur qui émanait des traits du visage de Richard? En cet instant, le comte avait presque la certitude de reconnaître la seule personne qui connaissait tout de lui, cet homme aux yeux plus limpides et plus sages que tout.

- Richard, murmura Cain. Je ne suis pas en mesure de répondre à tes questions.

Le baron eut un sourire de bon joueur. Il passa une main tranquille sur sa nuque.

- Alors j'attendrai, souffla-t-il, sa voix plus douce encore que la brise. J'attendrai que… tu me répondes.

Cain eut un léger frisson dans le crépuscule.

« Cette terre, peuplée de mes souvenirs d'enfance, cache encore bien des mystères que je dois éclaircir. Et même toi, Richard, tu en fais partie… »


- Grand Frère! S'exclama la jolie blonde en se précipitant vers le jeune homme suivi de son ami.

- Ah Mary…

- Où étais-tu passé encore cette fois? Je commence à en avoir plus qu'assez de te voir t'esquiver alors que nous venons d'arriver!

- Oui, oui, Mary, je ne recommencerai plus, promit vainement Cain dans l'espoir de ne pas fixer ce regard bleu de fureur.

Mais la fillette ne l'entendait pas de cette oreille. Elle s'accrocha fermement à la veste de son frère, prête à lui déballer tous ses défauts comme le ferait une mère à son fils négligent.

- Je n'ai pas fini, Grand Frère!

- Par pitié, aide-moi Richard, murmura très vite Cain à son ami qui riait sous cape, amenant une nouvelle cigarette à sa bouche.

- Pour laisser passer cette magnifique expression de terreur face à une petite fille de dix ans? Sûrement pas! C'est à mourir de rire.

« Tiens? »

Cain se pencha vers sa sœur et passa une main sur sa joue, fixant ses prunelles avec inquiétude.

- Ton œil droit est tout rouge, Mary. Que s'est-il passé?

- Hein? Ca? Fit la fillette décontenancée d'être stoppée en pleine tirade de morale. Oh…

Elle effleura son œil rougi, comme si elle avait pleuré. Elle eut une petite grimace de douleur et aussitôt, une larme douloureuse et amère coula sur sa joue.

- Je ne sais pas. C'est sûrement une allergie.

- Hum… peut-être, répondit son frère sur un ton pas très convaincu.

Mary avait vécu très longtemps dans les rues et sa nature était robuste. Elle était très rarement malade ou fiévreuse. Et cette allergie était étrange la connaissant. Richard se pencha pour l'examiner avec attention.

- Hum, une conjonctivite, dit-il après un moment de réflexion. Ici c'est bien normal, nous sommes en campagne et la conjonctivite est très courante dans ces terres. Il va falloir te faire un bandage.

- Oui, tu as raison, ça pique, renchérit Mary en essayant de ne pas se frotter l'œil.

- Je vais demander à Riff de te soigner, fit Cain. Je vais aller le voir.

- Il est dans sa chambre qu'il n'a pratiquement quitté de la journée, expliqua Richard. Quel étrange personnage qu'est ton majordome, Cain.

Cain, en montant les marches de l'escalier en marbre, eut un léger sourire.

- C'est justement pour ça qu'il est mon majordome.


- My Lord?

Riff, dans un geste de politesse, se releva de son bureau où il triait des dossiers que les enquêteurs de Scotland Yard lui avaient transmis par téléphone. La voix du majordome avait réveillé bien de mauvais souvenirs chez certains d'entre eux qui s'étaient empressés de lui fournir tout ce qu'ils avaient dans le seul but d'être débarrassés de lui. Au moins, cela avait un avantage d'être nommé « celui qui menait les inspecteurs à la folie ».

En cet instant, le majordome ressemblait plus à un homme d'affaire qu'à un homme de son statut et cette dignité, cette noblesse dans ses gestes plut à Cain une fugitive seconde. Se rendant comte qu'il ne quittait plus son majordome des yeux, avec cette irréfrénable faim qui l'avait pourchassé ce matin, il essaya de chasser ces pensées avant de s'avancer vers lui.

- Alors, as-tu trouvé du nouveau sur ce que je t'avais demandé?

- Oui et non, répondit Riff sur un ton évasif. Lord Hal Forrest, le père de Richard est mort il y a tout juste deux mois.

- Richard ne nous l'a pas dit.

- Du moins ouvertement, rétorqua calmement le majordome en montrant une photo jaunie du père de l'ami de son maître. Lord Forrest était en bons termes avec de nombreuses personnes influentes de la société, ainsi qu'un colonel vivant en Inde. Mais la personne la plus proche de lui était…

Il ne finit pas phrase, se contentant de lui faire lire la feuille. Cain demeura bouchée.

- A… Alexis Hargreaves!

Riff hocha la tête tout en prenant quelques feuilles posées sur le bureau.

- Il ne faut pas oublier que c'est grâce à l'influence de Richard que vous avez pu avoir de l'aide avec la succession. Richard qui était le fils d'Hal Forrest. De plus, ajouta Riff en lisant quelques lignes de son dossier, il se trouve que Hal Forrest a été impliqué dans la première affaire de meurtres il y a vingt ans. Une autre jeune fille aurait été retrouvée pendue au même endroit que Bridget. La même mort, le même empoisonnement par les pièces toxiques, recouverte de sang de moutons. Lord Forrest a bien été soupçonné car les autorités ont trouvé chez lui des éléments qui disaient que la jeune fille le menaçait de porter plainte pour ses insultes et son intolérance vis-à-vis de sa famille et des autres paysans.

Cain s'assit pesamment dans son divan rouge, enlevant dans un même mouvement sa cravate noire qui l'étouffait.

- Lord Forrest aurait abusé de son titre de baron pour martyriser son personnel?

- Oui, selon les dires bien entendu. Mais Lord Forrest a été écarté de tout soupçon grâce à l'intervention de votre père qui était très influent sur la police de Cornouailles. Et les paysans ont monté l'histoire de la « bergère ensanglantée » pour ne pas être mêlés à tout ça.

- Et vingt ans plus tard, le même meurtre se produit, sur le même lieu, avec les mêmes indices inexplicables. Et sur Richard?

Riff eut un léger froncement de sourcils, ce qui le rendit encore plus séduisant, au grand dam de Cain qui dut éviter son regard de peur de se retrouver gêné.

- Richard n'a pratiquement rien à se reprocher à part ses « fuites » vers les pays orientaux. Il n'était pas d'après ce que j'ai récolté en très bon accord avec Lord Forrest qui désirait que son fils reprenne ses richesses et son organisation. Mais Richard n'a jamais voulu et est parti très souvent en Indes dans le seul but de fuir le plus possible son père et son entreprise très complexe.

Cain leva les yeux au ciel, scruta un instant le plafond blanc. Ses yeux mordorés se plissèrent.

« Tu es devenu un homme… Plus dur que moi… »

C'était ce qu'avait dit Richard le premier soir. A présent, Cain savait ce que cela voulait dire. Richard se sentait faible comparé à son père qui le harcelait de reprendre le flambeau des Forrest. Mais Richard n'acceptait pas ce procédé et avait préféré fuir, fuir dans des pays exotiques, et contempler un monde qui n'était pas le sien mais qu'il rêvait d'obtenir. Un dédale de fou.

- Et Bridget? Fit Cain après un petit silence songeur.

Riff eut un léger haussement d'épaules.

- Je n'ai pratiquement rien trouvé sur elle. Elle était une jeune fille tout ce qu'il y a de plus normal. Gentille, douce, très travailleuse mais avec une terrible curiosité. Et d'après le témoignage d'une certaine… Amandine Coleridge, une de ses plus proches amies, a déclaré que tous les mois depuis maintenant le début de l'année, Bridget avait l'habitude de sortir la nuit de pleine lune. Personne ne savait où elle allait, pas même Amandine. Mais elle m'a avoué que Bridget lui confiait ce qu'elle voyait lors de ces nuits.

- Chaque fois, chaque instant, je revois cet astre et je dis que ce combat est des plus justes…, murmura Cain pour lui-même, se rappelant les propos de la jeune fille au rire de corbeau.

- My Lord, qui vous a dit ça?

- Une certaine personne que j'ai rencontré en ville. Elle m'avait parlé de cette « fascination » pour la lune rouge que la jeune fille contemplait lors de ces nuits. Or, elle allait à chaque fois au même endroit: près de l'arbre où elle et l'autre victime il y a vingt ans ont été tuées. J'ai d'ailleurs trouvé pal mal de choses intéressantes que je voudrais que tu examines.

Riff rangea ses dossiers avant de s'approcher de son maître. Cain, dans un soupir de fatigue, sortit de sa poche le mouchoir où étaient constellés des résidus de soufre, ainsi que le poignard couvert de sang.

- Je crois que le symbole inscrit sur cette arme y est pour quelque chose, ajouta le comte en désignant, rescapée des taches noirâtres, l'image gravée dans le métal de la lame. Je n'ai pas toujours trouvé sa signification, mais j'espère que tu pourras m'aider Riff.

- J'exécuterai tous vos ordres, approuva Riff dans un signe de tête.

A sa grande surprise, le comte baissa les yeux, comme parcouru d'un frisson inexplicable de mélancolie. Le majordome se pencha vers, le prenant doucement par les épaules, comme on le ferait avec une poupée susceptible de se briser au moindre mouvement brusque.

- My Lord, qu'avez-vous?

- Riff, j'ai une question à te poser.

- Allez-y, je vous écoute…

« Garçon maudit, j'espère que tu pourras trouver la réponse à cette question et que ton cœur sera moins lourd de ténèbres… »

Cain posa encore une fois sa tête contre la poitrine de Riff. Cette impression de terreur recommença à le submerger, le terrasser comme un poison violent et douloureux.

- Riff, qu'est-ce pour toi le fait d'être seul?

Le majordome sursauta. Il obligea son maître à le regarder dans les yeux. Son regard bleu de sagesse rencontra celui aux pierreries maudites du jeune homme de onze ans moins que lui.

- Pour moi…, fit Riff d'une voix sourde et profonde. Le fait d'être seul… C'est de n'avoir personne à qui donner ma vie. La seule pensée, la seule idée de ne pouvoir protéger quelqu'un est bien pour moi le synonyme de la solitude. Il est terrible de ne servir à rien, de ne pas être capable de savoir qu'une personne au monde a besoin de nous. C'est la seule réponse que je serais en mesure de vous donner, My Lord.

Cain étira un léger sourire. Lentement, avec cette timidité qui existait depuis toujours entre lui et la personne qui lisait en lui comme dans une livre ouvert, il ouvrit les bras et se serra contre Riff, sa bouche frôlant le cou de son majordome, ses mains parcourant son dos plus large que le sien, son cœur contre son cœur, son souffle dans sa nuque.

- Donc… Tu n'es pas seul, Riff, chuchota le jeune homme maudit. Tu ne seras pas seul car tu auras toujours quelqu'un à protéger. Plus jamais, tu ne connaîtras cette « solitude ».

- Ce quelqu'un, dit Riff avec un amusement à peine perceptible dans la voix. Ne serait-ce pas vous, My Lord?

Les bras protecteurs du majordome au lourd passé entourèrent le corps mince et léger de son maître, tous deux assis dans ce divan rouge comme le sang. Ils étaient là, serrés l'un contre l'autre, espérant tous deux intérieurement que ce moment soit éternel. Cain retint un rire presque gémissant, semblable à celui d'un petit enfant qui ne sait s'il doit rire ou pleurer.

- Idiot… Tu n'es qu'un idiot… qui a toujours raison…

Deux cœurs en morceaux qui malgré d'horribles blessures continuaient à chercher ce « baume », cette âme capable de les guérir. Deux esprits dans une même union…

Sans toutefois savoir que la personne qui serait celle d'un amour plein de passion était à leurs côtés…


« Ténèbres, montrez-moi cet astre rouge… »

Cain eut un soupir long et faible, le gémissement sourd du vent qui passait par sa fenêtre ouverte. Il demeurait calme, les yeux mi-clos par le sommeil qui se faisait proche, son torse nu enveloppé dans son rideau. Ses cicatrices au contact de la soie ne lui faisaient ressentir qu'une légère grimace. Assis au bord de la fenêtre, il contemplait les arbres qui dans la pénombre prenaient l'allure de fantômes plaintifs.

Il ferma une seconde les yeux, se rappelant du repas de ce soir. L'ambiance avait été plus que bonne. Maryweather, enchantée de son bandage à l'œil, se prenait pour une femme-pirate, ayant failli rendre son hôte aveugle en voulant prouver qu'elle maniait le couteau mieux que personne. Cain s'était senti à l'aise et avait parlé avec un rare entrain avec Richard, Riff et Mary. Il lui était même arrivé de rire (un petit rire bref que personne, à part son majordome toujours prêt à l'écouter, n'avait entendu). Peut-être parce que son entrevue avec Riff l'avait soulagée d'un poids.

« Riff… »

Que ferait le jeune comte sans lui? Il était son oxygène, sa vie. Lorsqu'il n'était pas près de lui, Cain sentait ses cauchemars revenir, encore et encore, comme si la présence de cet homme aux yeux plus sages que tout était indésirable.

Sa voix, ses rares mais sincères sourires, ses bras protecteurs, ses mains légères et habiles qui l'amenaient à une parfaite sérénité lors de l'habillage… Tout cela formait une drogue. Cain était dépendant de Riff, aussi bien physiquement que moralement et cet attachement, cette étrange faim qu'il éprouvait en fixant celui qui était son majordome, le plongeait dans un malaise évident. Ce n'était pas raisonnable de penser à quelqu'un de cette manière. Ce n'était pas… normal…

L'affection envers Riff était-elle devenue plus concrète, plus forte?

Cain secoua rapidement la tête, essayant de chasser cette vilaine pensée. Non, il devait s'occuper de cette affaire. Riff passerait plus tard dans son esprit. Beaucoup plus tard, de préférence.

Tic!

Un léger bruit fit frémir la face de verre contre laquelle Cain s'était appuyé. Il se redressa aussitôt.

Tic!

Un petit caillou rebondit de nouveau contre la fenêtre. Cela provenait de l'extérieur. Cain ouvrit plus largement la fenêtre. Une ombre, aussi silencieuse que la nuit, se pencha de nouveau pour ramasser une autre pierre mais, en voyant la silhouette de Cain se montrer, elle se figea. Puis, elle fit un geste de la main au jeune comte, lui demandant de sortir.

A cet instant, un nuage noir disparut dans le ciel, laissant place à l'astre lunaire qui fit découvrir de plein fouet le visage de l'ombre. Deux yeux charbons le fixaient avec insistance, sans peur; une peau blanche qui semblait illuminer de l'intérieur à la lueur de la lune; des longs cheveux d'un noir de jais qui ondulaient par le vent glacial.

« C'est la fille de la ruelle! » s'exclama intérieurement Cain.

Ni une ni deux, il se remit debout précipitamment avant d'enfiler une chemise et mettre ses chaussures; puis, il dévala sans bruits l'escalier de marbres.

« Sorcière… J'ai ta réponse… Attends-moi, toi qui sais faire parler mon âme… »

A suivre…