La bergère ensanglantée
Par Tsubaki Hime
Hello tout le monde ! Une semaine… Il m'aura fallu une semaine pour écrire « ça ». Y'a vraiment pas une once d'action, c'est incompréhensible, c'est… c'est… Houlà ! Faut que je me calme. Je dois avouer que ce chapitre ne brille pas vraiment, autant dans le style que dans l'histoire elle-même mais je voulais aborder un petit point important avec Cain, du point de vue médical ( ça se dit comme ça- fille pas douée du tout-)
Enfin bref, comme d'habitude, je tiens à remercier tous ceux qui m'ont envoyé des reviews, ça me fait, très, très, très plaisir (je suis sur mon petit nuage à chaque fois). Un petit mot pour Nelja : J'ai complètement foiré le coup avec le soufre (je savais pas que c'était jaune, oups !)Mais je dois avouer que ma moyenne en chimie est au même niveau que la température en hiver au Pôle Nord (non, non, j'exagère à peine). Aussi, j'essaie deme rattraper.
µarc : Merci pour ta review, je suis très contente que tu lises ma fic. Ton petit détail sur le fait que je me relâche sur certains passages est (malheureusement) vrai mais je tenterai de me rattraper. Promis !
Merci à vous tous, merci, merci ! Espérons que ce chapitre, qui fait vraiment tâche, je le reconnais, puisse quand même vous satisfaire.
Blood Kiss, Tsubaki Himé.
Chapitre IV
Crise enflammée
- Ravie de te revoir, mon cher noble…
Une créature de la nuit, oubliée du monde… Elle n'appartenait qu'à la nature, à l'univers sauvage. Sorcière aux pouvoirs étranges, elle n'était que le reflet d'une solitude éternelle.
Cain, en la regardant se mouvoir sous la lune rouge, sentit de nouveau cette terreur, cette peur inexplicable monter en lui, un poison vicieux et dangereux. La fille le fixa avec un amusement éteint, comme si toutes les choses les plus drôles du monde ne parviendraient jamais à la faire rire aux éclats, avec sincérité. Tout n'était en elle qu'artificiels et faux. Ses sourires et ses ricanements, ainsi que cette étincelle sombre au fond de ses prunelles vides en étaient la preuve. Ses cheveux noirs eurent un gracieux mouvement dans la brise glaciale de la nuit.
« Maléfique… Tellement maléfique… Telle Perséphone… », pensa Cain, ne pouvant plus bouger un muscle.
La fille s'avança d'un pas, les mains dans les dos. Ses lèvres étirèrent un mince sourire sans joie, comme toujours.
- N'es-tu pas content de me voir? Décidément, chacun de mes passages n'est pas des plus appréciés.
- Comment as-tu fait pour venir jusqu'ici? Demanda Cain d'un ton abrupte. Il y a pourtant le personnel qui…
Un ricanement rauque l'interrompit.
- Je vis depuis ma naissance ici, rétorqua la fille. Il m'arrive de leur chiper quelques ustensiles et jamais je n'ai été repérée. De plus, j'ai un motif pour m'être aventurée dans ce domaine.
Elle dévoila ce qu'elle cachait dans son dos. Cain tiqua. Dans les paumes de la sauvageonne brillait à l'éclat lunaire le bois précieux d'ébène au pommeau d'or gravé d'insignes prestigieux de la famille Hargreaves.
- Ainsi, tu me l'avais prise, murmura Cain, ne sachant s'il devait être furieux de la retrouver ainsi ou soulagé de savoir qu'elle lui avait rendu. Et pourquoi?
- Haha, tu te le demandes, mon cher noble… Je n'ai pas pu m'en empêcher. Tu portais tellement de merveilles sur toi que t'en alléger d'une ou deux n'allait pas te tuer. Et puis, tu dissimules mille et un trésors dans n'importe lequel de tes accessoires, à ce que j'ai vu.
D'un geste sec, elle lui lança la canne qu'il rattrapa au vol. Dans un réflexe, il ouvrit le pommeau encore tiède de la paume de la fille. Il avait raison: dans l'espace prévu à cet effet, le flacon de poison n'était pas présent. Un poison rare que Cain avait dû payer au prix le plus élevé. Furieux, il redressa la tête pour apercevoir la fille tenir son dû entre ses doigts, faisant tournoyer le liquide mauve dans le domaine de verre.
- C'est ça que tu cherches? Demanda-t-elle innocemment.
- Rends-le moi. Ce n'est pas à toi.
- Tu aimes jouer avec la mort et cela est bien suffisant pour que je te le prenne. Moi, on m'a toujours accusé de faire mourir alors que je ne faisais que guérir. C'est une grave insulte de se promener avec ça sur soi.
Cain la considéra avec surprise. Cette fille… était en colère qu'il ait ça sur lui, comme si s'était une chose des plus insultantes à son égard. Elle se mit à gronder comme un chat sauvage, ne le quittant pas des yeux.
- Je sais maintenant qui tu es, mon cher noble. Le dénommé « prince qui appelle la mort », le « comte des poisons », « celui qui touche les effluves du trépas », tant de noms qui te décrivent, toi le garçon maudit. Au fond, peut-être es-tu comme les autres, comme tous ces humains qui ne font qu'exécuter les pires bassesses pour parvenir à leurs fins…
- Arrête, souffla Cain, la colère le serrant dans un étau invisible.
- Un humain sans cœur, sans âme… Rien que du noir, juste du noir…
- Arrête!
Le cri claqua dans le silence de la nuit.
La fille se tut, le regard vide de toute expression. On aurait pu la croire morte debout, une simple poupée sans vie et sans âme. Mais après tout, n'était-ce pas la vérité? Ses épaules se mirent à trembler dans le froid nocturne. Lentement, avec une gêne étrange, Cain s'approcha d'elle et d'un geste très léger, posa ses mains sur ses joues, comme pour en aspirer tous ces sentiments que personne, pas même lui, ne pouvait comprendre. Sa peau était glacée, blanche, une chair de linceul.
- Tu sais, au fond, je suis peut-être comme tu me décrits, fit Cain dans un murmure. Un humain qui utilise les pires moyens pour récolter ce qu'il veut. Et là, ce que je désire, c'est découvrir ce meurtrier, celui qui a peut-être tué deux jeunes filles. Tu dois savoir quelque chose dessus, tu ne peux pas le nier, alors aide-moi, et je ferai ce que tu voudras en échange. Pour te prouver qui je suis différent des autres. Malgré… Malgré ce cœur… ce cœur lourd et si noir…
La fille eut un étrange bruit, comme si elle pleurait et riait en même temps. Sans prévenir, elle se dégagea des mains de Cain, ses yeux dévoilant une parcelle de ses faux sentiments. Mais quels sentiments? Elle leva le regard vers l'astre rouge qui continuait son chant muet dans les rideaux de la nuit.
- Bientôt, la lune sera pleine, chuchota-t-elle. Bientôt, la Lune Sacrée resplendira entièrement, de couleur de mort, elle sera celle qui par un combat de vérités lavera le péché des âmes perdues. A ce moment, tu comprendras. Tu comprendras l'engouement de cette petite idiote, un mouton naïf qui n'avait pas eu assez bonne vision du destin, tu sauras pourquoi cette âme stupide est morte. Je ne peux rien dire de plus, rien, rien du tout…
Elle jeta un coup d'œil au flacon dans sa main puis dissimula un sourire. Avant même que Cain puisse dire un mot, elle se rapprocha de lui, posa la face de verre contre les lèvres du jeune homme avant d'effleurer de ses propres lèvres l'autre côté froid du flacon. Un baiser sans sentiments coupé par un poison de mort. Puis, sans en rajouter, elle se recula à nouveau, laissant Cain reprendre le flacon entre ses doigts. Ses pieds ne faisaient aucun bruit sur l'herbe verte, son ombre se fondant avec les ténèbres.
- Clarisse…
Cain sursauta, ramené à une réalité douloureuse.
- Pardon? Qu'est-ce…
- Clarisse… Je… m'appelle Clarisse… Je te donne ma chair, mon nom, ce que je garde au plus profond de moi. Si jamais, tu venais à le souiller, je n'aurais plus qu'à te tuer.
Une âme solitaire, abandonnée à jamais… Elle donnait ce qui restait de son identité… à un garçon maudit comme elle.
- Cla… risse?
La fille retint un nouveau sourire.
- Nous sommes des maudits, mon cher noble. Je connais ton nom, tu connais le mien, nous ne pouvons plus reculer.
Sur ces mots, elle s'enfuit, sans bruits, sans murmures. Une ombre qui disparaît parmi ses semblables. Cain, les lèvres glacées, serra le flacon entre ses doigts pâles, là où une bouche sauvage et inaccessible s'était posée.
« La Lune Sacrée… C'est exactement comme sur la carte! »
Il se tourna vers l'astre rouge, ses yeux de pierreries maudites étincelant de mille feux. Cette impression de terreur le submergea davantage.
-Maudit, je ne le suis que trop. Mais si je dois laver mon péché dans cet astre, je le ferai!
« Nous sommes des maudits, mon cher noble… »
- …. Cain!
« Que voulais-tu dire, Clarisse, celle qui sera à jamais solitaire? »
- Grand Frère Cain!
PAF!
Il existe plusieurs façons de ramener quelqu'un à la réalité: certains passent une main devant les yeux, d'autres haussent le ton mais ce matin-là, au petit-déjeuner comme la veille près de la serre, une petite fille blonde eut la curieuse idée d'enfoncer méchamment le manche de sa cuillère dans le dos de la main de son frère, qui, le regard vague, ne lui avait pas répondu une seule fois depuis qu'elle lui avait demandé de lui passer le sucre.
- Aïe! Mais Mary, pourquoi t'as fait ça?
Un œil bleu furibond fut la seule réponse du comte, soufflant avec douleur sur sa peau rougie par le contact du métal. Richard, dans un geste très noble, se nettoya le coin de la bouche avec sa serviette mais Cain, tout comme Riff, encore une fois obligé de manger avec eux, furent persuadés qu'il riait sous cape, se délectant de cette scène.
- Tu es encore une fois dans la lune, mon pauvre Cain, ronchonna le descendant des Forrest tout en passant le sucre à la petite sœur de son invité. Tu n'as pas l'air de dormir beaucoup, et ce depuis ton arrivée ici. Quelque chose te tracasse?
- Non, pas vraiment. Je suis… un peu sur les nerfs à cause de cette enquête, répondit-il d'un ton évasif.
Sur ses paroles, le comte se tourna vers son majordome qui lui fit un discret signe de tête. Il avait dû finir l'examen des objets pendant la nuit, c'était une bonne chose.
- Grand Frère, tu crois que je pourrai enlever mon bandage ce soir? Fit Mary, désignant le tissu blanc qui masquait son œil bleu.
- Non, Maryweather. Ta conjonctivite est très récente, il ne faut pas que tu découvres ton œil trop tôt. Tu n'aimes pas ton bandage?
- Hein? Mais bien sûr que si!
Un sourire rayonnant s'afficha sur le visage le plus angélique et innocent que Cain aimait.
- Au contraire, je trouve que ça tellement beau que je voudrai le porter pour toujours! Car je suis Mary au regard de Mort, la femme-pirate la plus belle et dangereuse des Mers du Sud!
« Ha… Pas besoin d'être une femme-pirate, tu portes déjà bien ce surnom «au regard de Mort », pensa Cain avec un mince sourire, évitant au passage la lame du couteau de sa sœur qui remettait ça avec son maniement d'épées.
- My Lord, fit Riff. J'ai prévu un rendez-vous avec l'amie de Bridget, dans moins d'une heure. Il faudrait peut-être que nous nous préparions.
- Bien, Riff. Richard, je vais m'absenter pour le reste de la matinée.
- Hein? S'exclama Mary. Mais tu t'en vas encore! Oh reste encore un peu, s'il te plaît.
Cain se releva dans un sourire. Il passa sa main (celle que Mary avait brutalisé avec sa cuillère) dans les cheveux blonds et soyeux de sa petite sœur.
- Je reviendrais peut-être après midi. En attendant, amuse-toi bien.
- Grand Frère…
Si jolie… Cette petite fille était tellement ravissante. Tout ça pour lui, rien que pour lui, son frère à l'âme et l'esprit tourmenté. Un magnifique sourire se dessina sur les lèvres rosées de la jolie blonde.
- Je t'attendrai alors, Grand Frère Cain.
« Tu m'as tuée, Grand Frère Cain… »
Sang et pleurs, larmes rouges coulant sur ses joues blanches et glacées par la Mort. Il l'avait tuée, l'avait pendue. Après tout, n'était-il pas le fils de son père, celui qui avait le sourire du démon?
Une tache colorée vrilla les yeux de Cain qui sentit un défaillance l'emporter. Il vacilla et partit en arrière, se tenant le visage d'une main crispée. Tout son corps était parcouru de sueurs froides.
« Tu m'as tuée, je te déteste, Grand Frère Cain… »
« Pas ça! Images noires, disparaissez de mon esprit! »
- My Lord!
- Grand Frère!
- Cain!
« Ah… Qu'est-ce qui se passe? Je vois trouble… »
Le noir l'enveloppait peu à peu, l'étouffait dans un étau invisible. Il se sentait comateux, nauséeux. Tout était flou devant lui, comme s'il venait de boire une bouteille entière de vin de mauvaise qualité. Ses membres se mirent à trembler sans qu'il puisse s'en empêcher?
« Méchant loup! Méchante bête! »
« Grand Frère, je t'aimais… Alors Pourquoi, Grand Frère? Pourquoi? »
- Pitié! Mère! Mary!
La jolie blonde se crispa lorsque son frère, devenu plus pâle qu'un mort, cria son nom d'une voix désespéré. Le jeune comte vacillait, tremblait sans aucune raison. Ses yeux vagues de toute raison mais emplis de détresse véritable, ne cessaient de la fixer, puis Riff et enfin Richard qui le corps rigide, ne savait plus quoi faire. Riff, les yeux écarquillés par l'inquiétude, se précipita vers son maître qui le repoussa d'un coup de coude bien placé avant de se vaciller en arrière.
« Que se passe-t-il? Je ne contrôle plus mes bras… Mon corps… J'ai mal… Tellement mal.. »
Des ombres floues, sans âme ni esprit… Des mains s'avançaient vers lui mais non, elles voulaient lui faire du mal, ces mains qui tenaient « ça », l'objet de ses souffrances. Non, plus ça. Plus jamais. Le sang qui coulait sur son dos, lui brûlait. Cette odeur de lis suffocant lui tournait la tête, lui donnait tellement mal au cœur qu'il n'espérait plus qu'une chose: mourir et ne plus à avoir se rappeler de ça. Tous ces souvenirs, toutes ces impressions avaient eu raison de lui.
- My Lord!
« Le noir… Ri…ff… Pour… quoi? »
La Mort qui l'accueillait à bras ouverts. Cain ferma les yeux, sentant son corps ne plus lui obéir. Juste cette impression de disparaître, partir… Il ne sentit plus rien, pas même la douleur de son dos lorsqu'il s'écroula sur le sol, les paupières closes, la respiration irrégulière.
« Riff… »
Il ne voyait plus rien. Le noir. Rien que le noir. Tout comme son cœur cisaillé par la douleur. Pleurer, si seulement il le pouvait. Si seulement son corps sec de ces perles salées pouvait le laisser libérer cette souffrance qui n'avait jamais disparu. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait plus. Comment… Pourquoi? Le noir. Rien que le Noir avec un N majuscule qui représentait cet homme qui partageait son sang.
Un brouillard qui se levait. Et l'astre rouge. Rouge, rouge comme ce liquide qui anime les horribles créatures que sont les humains. Une magnifique sphère, éclairant les ténèbres comme en plein jour, une nuit de blancheur maudite. L'herbe devenue noire, les arbres qui au loin prenaient l'allure de pantins décharnés et plaintifs. Le vent…était glacial.
Pourquoi? Pourquoi tout cela?
Une ombre s'avançait vers l'endroit où les âmes gémissent vers le ciel. Puis une autre et encore une autre. Des Elus, des Elus condamnés au combat le plus juste. Tous priaient pour la Lune Sacrée.
Le courroux de Dieu était tout-puissant…
Il ne comprenait toujours pas. Cet endroit… Pourquoi avait-il l'impression de le connaître? Cette nostalgie le tenaillait. Mais son corps n'obéissait pas. Il devait alors se contenter d'observer ce spectacle fantasmagorique, et faire partie des songes. Aussi ses yeux de pierreries maudites se posèrent sur cet autel végétal, là où toutes les ombres s'étaient approchées. L'astre rougeâtre les éclairait, comme pour les protéger de cet acte maléfique qui se préparait.
Un bruit de grattement… La terre qu'on éventre… Puis… Cette enveloppe dorée et brûlante… Flammes éternelles qui purifient les âmes pécheresses, brillances du soleil qui s'était retiré, la chaleur dorée recouvra l'arbre noir dans des sifflements et des murmures, lui fit perdre ses feuilles vertes, le transforma en ce fantôme calciné. Tous ceux qui assistaient à ce spectacle… étaient les Elus. Une odeur de brûlé qui remontait des entrailles de la terre martyrisée. C'était si beau, et si tragique.
Il manquait quelque chose. Quelque chose de précieux pour ramener cette âme à la vie. L'astre le montrait dans sa couleur maudite. Rouge, rouge… Du sang, il fallait du sang et celui d'un corps innocent. La splendeur de la pureté. Un corps pur, sans tâches.
Sommeiller dans le noir et ne plus se soucier de ces images chaotiques. Il savait que ces fragments douloureux étaient la clé de ce secret. Mais comment…? Pourquoi…?
Le noir, rien que le roi… l'enveloppa à nouveau…
- My Lord! Mon Dieu, réveillez-vous! Par pitié!
Douleurs… Noir… Pourquoi..?
- Grand Frère! Debout! Idiot de Grand Frère, je t'en supplie!
- Cain! Cain!
Des voix l'appelaient. Le tiraient de son sommeil destructeur. Cette odeur de brûlé ne le quittait pas. Ses membres à cette simple pensée se remirent à trembler comme pris de froid. Il ne voulait pas ouvrir les yeux. Il avait trop mal. Une chaleur maléfique s'insinuait dans ses veines comme un feu, distillait tout songe heureux ou bienveillant. Si seulement il pouvait mourir, tout serait plus simple. Disparaître et laisser ce « démon » prendre le contrôle de tout. Même la personne qu'il adorait, celle qui connaissait tout de lui, n'aurait pas été en mesure de comprendre ce sentiment qui le faisait tant souffrir. Il était tellement douloureux d'être en vie, d'être né à cause de l'acte d'une personne. Et se dire que malgré cela, tout était de sa faute. Mais le jeune homme ne voulait plus.
« Mourir… »
Mais déjà la conscience reprenait son statut. Il allait revenir encore un fois parmi les siens, et ce malgré son opposition. Cette impression de solitude lui manquait. Ne plus revenir. Ses yeux lui faisaient mal. Sa tête lui semblait lourde. Ses membres étaient de plombs. Mais le contact des draps contre ses mains lui donna une très légère contenance.
- My Lord…
Cette voix… Une voix que le jeune homme maudit adorait, idolâtrait. Grave et douce, elle l'avait bercé pendant son enfance, l'avait sorti de ce dédale. C'était tellement dur. Lentement, avec douleur, il entrouvrit les yeux pour les refermer aussitôt, avant de les ouvrire de nouveau. La lumière du soleil lui brûlait les prunelles. Que lui était-il arrivé? Comment avait-il pu… se mettre dans un tel état en très peu de temps? Sa voix était prisonnière de sa gorge aussi se tortura-t-il davantage pour la faire sortir.
- Ri…ff…
Un faible murmure traversa ses lèvres pâles, aussi plaintif que le gémissement d'un chaton. Mais ce simple mot rassura le majordome qui, assis près de son maître, sentit son cœur bondir de joie.
- My Lord!
- Grand Frère! Gémit une petite voix enrouée de sanglots. Oh mon Dieu…
Le comte n'essaya pas de se relever, son corps n'était pas encore assez solide. Mais il tourna imperceptiblement la tête vers ceux qui le toisaient avec inquiétude. Le plafond blanc de sa chambre le captiva un très court instant avant de replonger dans la contemplation de son majordome et de sa petite sœur, tous deux encore plus pâles que lui. A croire que c'étaient eux qui allaient mal.
- Que… s'est-il…
Richard s'avança vers Cain, fixa ses pupilles dilatées et son corps couvert de sueurs froides. Il eut un bref soupir de soulagement avant de déclarer d'une voix pesamment grave et sérieuse.
- Cain… Tu viens de nous faire une crise de spasmophilie aiguë. J'ai bien remarqué que tu étais sujet à de violents crises d'angoisse, il y a cinq ans. Les symptômes sont les mêmes: tremblements, sueurs froides, perte de connaissance et douleurs.
Cain, malgré sa très grande fatigue, eut l'énergie de lancer un regard noir à son hôte.
- Comment sais-tu ça?
- Disons que mon père m'a forcé à prendre quelques notions de médecine il y a longtemps. J'ai moi-même eu quelques crises quand j'étais tout petit aussi je sais ce que tu dois ressentir.
- Non… Non tu ne peux pas comprendre…
Cain se tut, tandis que sa petite sœur, le regard baigné de larmes lui prit la main pour la frotter contre sa joue mouillée de perles salées. Tout son corps tremblait de peur et de soulagement mêlés.
- Mon Frère… Ne refais plus ça. J'ai eu si peur… Si peur…
- Mary…
Si Cain en avait été capable, il se serait jeté sur sa sœur pour la serrer dans ses bras jusqu'à l'en étouffer. Mais il était encore bien affaibli par sa crise. Quelle stupidité. Comment oublier ces crises qui étaient plus que fréquentes lorsqu'il était enfermé dans sa tour, à recevoir pour seules visites ses professeurs particuliers, les rares servantes qui le voyaient et enfin son père qui étirait un sourire satisfait quand son fils s'évanouissait lors de ses angoisses déchaînées. Tout son corps lors de ces instants devenait incontrôlable et il était capable, dans les pires des cas, de hurler toute sa souffrance qu'il n'était d'habitude pas en mesure de montrer. Il s'était calmé à l'arrivée de Riff et depuis ses crises s'étaient espacées pour s'effacer complètement. Le souvenir en était devenu lui-même très vague de cette période de sa vie où il passait son temps à trembler et à souffrir. Mais depuis qu'il était arrivé ici, il se sentait de nouveau oppressé. Des séquelles qui n'étaient pas prêtes de s'évanouir.
« Pourquoi? »
Riff lui lança un étrange regard.
- My Lord, il serait préférable que nous repoussions l'entretien avec Mlle Coleridge à plus tard. La crise d'aujourd'hui a été très violente.
- Riff, je sais que tout va mieux, rétorqua son maître d'un voix sèche bien que faible. Donne-moi juste des vêtements propres et nous irons comme prévu chez l'amie de la victime.
- Bien, souffla Riff.
- Mais pourrais-tu m'aider à les enfiler?
- A vos ordres.
Richard fit un petit sourire à Cain avant de passer une fugitive seconde sa main sur son front encore mouillé de sueurs. Lorsqu'il se redressa, il murmurait à l'oreille de son invité à voix très basse:
- Attrapé…
- Comment?
Mais Richard ne se permit d'expliquer ce mot étrange. Aussitôt, il prit Mary par la main, l'intimant de laisser son grand frère et son majordome seuls le temps de l'habillage.
- Je vais préparer la voiture, fit le baron Forrest avant de refermer la porte en chêne.
Le silence emplit de nouveau la chambre. Cain, dans un soupir, essaya de se mettre debout mais sans succès. Son majordome dut l'aider à cette tâche, avant d'aller chercher une cuvette emplie d'eau et d'une serviette pour éponger toute la sueur qui avait coulé sur le corps de son maître. Ses mains, de nouveau, fraîches et habiles, rassurèrent un tant soit peu le jeune homme de dix ans de moins que lui qui ferma les yeux, happé par une fugitive sérénité. Le seul médicament qu'on pouvait lui prescrire contre ses bouffées d'angoisse était bien sûr une personne: Riff.
Cain grimaça soudain. Les doigts pâles de son majordome avaient touché un endroit sensible, dans son dos. Les cicatrices lui procurèrent un picotement très léger mais bien suffisant pour le faire redescendre dans ce monde qu'il détestait.
- My Lord?
La voix de son majordome le força à ouvrir les yeux et contempler le plafond blanc, seule couleur qui ne lui brûlait pas les prunelles.
- Comme nous allons partir voir Mlle Coleridge, j'ai pensé que…
- C'est à propos de ce que je t'ai donné?
Riff retint un sourire, ne quittant pas du regard le pantalon sombre qu'il enfilait à son maître. La réflexion efficace, le sens aigu de l'observation. Un signe bienheureux que la crise n'allait pas rester très longtemps dans l'esprit du jeune comte.
- J'ai découvert que la substance noire n'était pas du soufre, comme vous le sembliez le croire. Il y a en effet quelques grammes de soufre, cela mélangé à une sorte de poudre. Les autres composants sont de la suie, un résidu de poudre à canon et bien d'autres choses que je ne pourrai faire malheureusement tenir sur une simple feuille de papier. Mais, j'ai noté quelque chose de très intéressant: cette poudre est extrêmement inflammable mais en contre-partie ne laisse aucune trace sur l'objet que l'on veut brûler.
- A condition d'en avoir laisser traîner par mégarde, n'est-ce pas?
- Exactement.
Cain plissa les yeux, sentant la concentration et la réflexion, amies fidèles revenant enfin, le plonger dans une hypothèse. Il avait trouvé de cette poudre dans la terre près du chêne. Ce résidu noir, capable de brûler n'importe quoi, avait été encré près des racines de l'arbre où la jeune fille avait été tuée.
- Cette poudre est utilisée que chez de rares agriculteurs. En effet, elle peut brûler tout un arbre sans endommager la terre qui devient cultivable. J'au aussi appris par de nombreux témoignages que des hommes ont retrouvé, après un nuit de pleine lune, des arbres calcinés. Ils n'avaient rien vu, rien entendu, selon les dires et il ne restait aucune trace du combustible dans les débris végétaux. Toujours est-il que les arbres ne sont même pas placés dans des endroits géographiques très particuliers. On dirait plutôt que la personne ou les personnes, on ne peut savoir, faisait tout ça au hasard.
- Quand ont commencé ces étranges feux?
- Depuis le début de l'année.
- Donc, à la même période où Bridget s'aventurait hors de chez elle pour aller faire je ne sais quoi, voir cette lune rouge.
- Exactement, répéta Riff d'une voix égale, se remettant debout pour boutonner correctement la chemise blanche de son maître.
Cain eut un soupir contrarié.
- J'ai l'impression d'avoir oublié un détail important mais j'ignore lequel. Et pour le poison retrouvé sur les pièces?
- Une toxine inconnue du monde scientifique. Elle se propage par le contact du sang et va paralyser les organes vitaux majeurs comme le cœur et les poumons. Certains médecins de ma connaissance, lorsque je leur ai parlé de cela, ont surnommé ce poison « le tétanos des bergères ».
- Quel humour, railla Cain, sans afficher un seul sourire moqueur.
- Je dois avouer qu'ils n'ont pas ce petit côté… comment devrais-je dire… « hilarant » de la profession, répliqua Riff en réfrénant un rire. C'est donc un poison dont les propriétés ne sont pas encore expliquées mais il semble qu'il provienne d'un élément très rare. Le seul problème est que l'on ignore lequel.
- On ne connaît pratiquement rien à cette affaire, souffla Cain. Les quelques indices trouvés ne sont vraiment pas concluants. Enfin bref.
Riff lui noua adroitement sa cravate d'un noir pourpre avant de lui passer sa veste de même couleur. Jamais le comte ne s'habillait de couleurs vives. Il était le personnage d'un monde gris et sans saveurs, ou peut-être celle du poison, cette substance qu'il aimait collectionner.
- Riff… Je commence vraiment à regrette d'être ici, murmura Cain d'une petite voix. Ces satanés crises… La dernière est apparue si vite, je n'ai pas eu le temps de comprendre quoi que ce soit.
- Vous aviez dû emmagasiner trop de stress et d'angoisse. Et le point critique a été dépassé au mauvais moment.
- Arrêtes de parler comme si j'étais un résultat d'expérience, fit Cain sans être réellement méchant. Docteur Raffit, vous devriez revoir vos analyses.
Riff sourit à cette petite pique bien faible, mais cela était normal vu la fatigue de son maître. D'un petit geste de la main, il rectifia le chemin d'une mèche rebelle qui passait sur la joue de Cain.
- Quoi qu'il en soit, ne vous laissez plus prendre… à cette solution de fuite, chuchota Riff. Il ne faut plus vous engluer dans cette douleur, bien que vivement montrée.
« Riff… »
Ne plus céder à cette fuite, à ces crises qui n'étaient que le reflet d'une lâcheté sans précédent. Ne plus fuir… Mais c'était tellement dur…
« J'essaierai, Riff… Mais… toi qui peuples mes pensées, pourras-tu m'aider à sortir de ce dédale? »
- Bridget? Bien sûr que je la connaissais. J'étais même la seule qui connaissait pratiquement tout d'elle. Enfin, c'est que je croyais.
Cain, silencieux, but une gorgée de son thé de qualité moyenne, un peu trop fort à son goût. Assise devant lui, tordant dans ses mains un mouchoir trempé par des pleurs, une jeune fille continuait de débiter tout ce qu'elle savait, d'une voix enrouée et monocorde. Elle était ni belle ni jolie, un visage sans grâce particulière, aux yeux et aux joues gonflés par les sanglots. Ses cheveux blond foncé attachés en un chignon serré la rendaient plus adulte. Riff, resté debout, fixait son maître puis la jeune fille qui renifla bruyamment.
- Même après une semaine, ça fait vraiment mal de savoir… de penser que Bridget est…
Elle éclata de nouveau en sanglots. Cain, un tant soit peu agacé par ce comportement, avait l'impression de voir une femme pleurant son mari plutôt que son amie. Mais cette gêne passée, il se pencha de nouveau vers Amandine qui essuya ses larmes avant son mouchoir avant de le retordre entre ses doigts tremblants.
- Vous avez dit dans le témoignage que vous avez donné à Scotland Yard que Bridget vous parlait de certaines nuits où elle s'échappait.
- Tout à fait, répondit Amandine d'une petite voix triste. Chaque mois, le lendemain de la pleine lune, elle me demandait de l'accompagner au pré, tout près de l'arbre où elle… enfin… Et là-bas, elle me racontait ce qu'elle avait vu. Elle était de nature très démonstrative mais lorsqu'elle me parlait de ça, elle devenait très secrète, presque peureuse à l'idée d'être entendue par quelqu'un d'autre que moi. Elle disait de venir avec moi, de venir voir ce qu'elle allait voir toutes les nuits.
- Et que voyait-elle? Demanda Cain en repoussant sa tasse vide.
Amandine tourna la tête vers la fenêtre, comme attirée par un éclat fugitif. Elle eut un bref soupir.
- Elle disait… Elle disait que des gens se retrouvaient. Des gens « dangereux » et « importants », se réunissant dans les prés. Elle m'a parlé de flammes, de brasiers dans la forêt. Mais elle était très évasive sur ces points, elle n'en parlait qu'à demi-mots ou par des expressions mal tournées.
- Cela aurait-il un rapport avec les feux qui se propagent depuis le début de l'année?
Les yeux vides d'Amandine s'écarquillèrent de surprise.
- Vous êtes au courant?
- On m'a informé de tout cela, répondit Cain d'un ton évasif après avoir lancé un coup d'œil très discret à son majordome.
- Euh… Oui, peut-être, fit Amandine, songeuse. Une bonne dizaine d'arbres ont été incendiés dans la forêt. Mais nous ignorons qui est le fautif.
Elle se tut un instant, puis reprit d'un ton grave qui ne lui allait pas.
- Seriez-vous en train d'insinuer que le meurtre de Bridget et ces feux sont liés?
- Il y a beaucoup de choses qui sont liées à cette affaire, Mlle Coleridge. Mais il faut savoir pourquoi et comment.
- Hum, je crois comprendre.
Amandine se leva dans un raclement bruyant de chaise. Elle tendit la théière vide.
- Voulez-vous un peu de thé?
- Non, merci.
- Je vais quand même en refaire pour moi.
La jeune fille s'avança vers la gazinière, tenant d'une main la théière et de l'autre une bouilloire. Tout en effectuant les gestes habituels, elle se remit à parler. Mais là, sa voix avait un accent de peur très soutenu, métallique. Riff, surpris, la dévisagea. Une odeur flottait dans l'air. Une odeur qui ne lui était pas inconnu.
- Bridget a vu quelque chose qu'elle n'aurait jamais dû voir, fit Amandine en versant de l'eau dans la bouilloire. Et moi, en l'écoutant, j'ai dû me souiller, tout comme elle. Une âme idiote de péchés. Il y a ici des choses à ne pas découvrir. Et… la bergère… la bergère ensanglantée… a découvert ce… ce méfait…
Sa main s'approcha de la source de chaleur..
Cain, sentant une angoisse le tourmenter, se redressa brusquement, ne quittant pas des yeux les gestes de la jeune fille. L'odeur qui était sur elle, poivrée et suffocante. Il l'avait déjà senti. Non, ça ne pouvait pas être… Il ne fallait pas… Non!
- Amandine! Ne faites pas cela!
Une flamme éclaircit la cuisine plongée dans la pénombre. Un sifflement… L'avertissement des Enfers…
ZBRAAAAAAAAAAMMM!
- YAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHH!
Avant même que Cain eut le temps de l'en empêcher, la flamme de l'allumette jaillit et tel un serpent monstrueux, se rua sur la jeune fille avant de l'envelopper complètement, une chaleur dorée suffocante. Un cri suraigu transperça l'air chargé d'une odeur de chair brûlée. La jeune fille, dont les membres ne devenaient plus que de débris noirs, se mit à se débattre de plus en plus, mais cela ne faisait que la faire brûler encore plus vite. Dans un râle insoutenable, elle se jeta sur la table en sanglots déchirants, emprisonnée dans les flammes qui devenaient de plus en plus ombres, gorgées de sang. Les démons de l'Enfer s'acharnaient sur elle, la transformaient en une boule de feu de douleur et de terreur.
- Amandine! Hurla Cain. Riff, de l'eau!
Le majordome restait tétanisé, fixant les flammes meurtrières dévorer le corps de la jeune fille qui se recroquevilla sur la table en débris. Une expression d'intense terreur s'affichait sur son visage, ses prunelles vides de raison, enflammés par les lueurs démoniaques.
« Le feu… Non… Plus ça… »
- Merde! Souffla Cain.
Sans réfléchir, il se rua vers Amandine, frappant son corps brûlant et noir de sa veste. L'odeur de chair calcinée lui monta à la tête et toute la fumée sombre lui brouilla la vue. Il continua cependant à essayer d'étouffer le feu, malgré les derniers cris faibles et terrifiés d'Amandine.
- Amandine! Non! Pas ça! Riff!
Mais peu à peu, les flammes, repues de ce corps, se firent plus faibles, de plus en plus noires. La fumée aveugla Cain qui, suffocant, dut s'écarter, jetant sa veste fichue sur le sol. Lorsque les effluves de mort disparurent, le comte eut un haut-le-corps.
De la jeune fille, il ne restait plus que des fragments de chair noire, si dure qu'elle devenait de la cendre au moindre toucher. Les flammes l'avaient dévorée comme des monstres brûlants. Elle n'avait pas eu le temps de dire la moindre chose, d'articuler un seul mot. Abasourdi, Cain contempla l'œuvre avec horreur. Tout était passé si vite. Une chose pareille…
Le feu purificateur demandait un nouveau sacrifice, pour cette lune rouge insatiable. Un corps pur, innocent, sans tâches qui devait être l'âme gémissante du ciel.
« Lune Sacrée… »
A suivre…
Pardon, encore pardon… Mais j'ai essayé d'être un peu plus méchante avec cette pauvre fille pour donner un peu de piment à l'histoire qui n'en finit plus de se traîner. Je sens que je vais devoir passer à la vitesse supérieure. Pour ce chapitre, je demande vraiment votre avis (allez-y, dites sincèrement, je suis parée). A bientôt (Mes Shinigami d'amour… Va vraiment falloir attendre un peu avant que je reprenne Yami no Matsuei…)
