Chapitre 2

Jamais une menace

Il faut croire que le destin avait choisi d'en faire ma prisonnière.

Lors de notre deuxième confrontation, nous nous trouvions au Manoir, protégé par Fidelitas et devenu quartier général des mangemorts . Un domaine privé, des conditions rêvées pour se cacher, se réunir, pour torturer…Ou pour tuer.

En toute tranquillité.

Echappé depuis l'été précédent d'Azkaban, j'y étais donc toujours chez moi. Ce qui faisait d'autant plus enrager le ministère.

C'est Avery qui l'a amenée.

Le Seigneur des Ténèbres voulait lui-même l'interroger, dès le lendemain matin.

Lui-même étant déjà…Occupé cette nuit-là.

Elle nous mènerait sans doute au Survivant.

Surtout connaissant sa faible résistance au Doloris. J'en jubilais d'avance.

Elle était au sous-sol, dans un des cachots. Enchaînée au mur. Comme la première fois.

« - Point trop de changements depuis la dernière fois. On dirait que cela vous amuse de vous mettre dans des situations pareilles. »

Elle me lança un regard noir, mais s'abstint de répondre.

Etait-ce la crainte du Doloris ? Que je ne recommence ?

« - Le Seigneur des Ténèbres vous interrogera lui-même demain matin. »

Je ne pus m'empêcher de sourire.

« - Préparez-vous à souffrir. Vous avez toute la nuit. »

Pas de réponse.

« - Auriez-vous perdu votre langue ? Ou bien vous trouvez-vous à cours de vocabulaire fleuri ? Vous me décevez… »

« - J'ai soif. »

« - Amusant. »

« - Oui, hilarant, même. »

« - Endoloris. »

Elle hurla.

Je me repus de son cri. Saveur inoubliable.

Puis je refermai la grille derrière moi et la détachai.

J'invoquai un verre d'eau, et le lui tendit.

Elle l'observa avec réticence puis la soif fut la plus forte et elle l'attrapa avec une avidité mal contenue.

Je l'observai. Boire. Et je lui arrachai la coupe d'argent ciselée avant qu'elle ne l'ait entièrement vidée.

Faire en sorte qu'elle passe la nuit. Mais pas qu'elle se sente chez elle, cependant.

« - Non ! »

C'était un cri de désespoir, presque enfantin.

« - Donnez-le moi, encore ! »

Je la rattachai au mur.

Elle parut se faire violence :

« - Encore », fit-elle d'un ton plus calme.

« - Encore ? Ai-je bien entendu ? Ne vous a-t-on jamais appris la politesse ? »

Elle me foudroya du regard. Puis, au prix d'un effort visiblement colossal, elle lâcha un « S'il vous plaît… » presque inaudible.

Je portai la coupe à ses lèvres.

Je la laissai se désaltérer doucement.

Moment exotique.

Avez-vous déjà senti votre âme vaciller ?

Cette sensation de tomber… Mentalement à la renverse.

Peut importe ce que le Seigneur des Ténèbres allait faire d'elle. Elle était de toute façon condamnée. Etait-ce la mort qui m'attirait, à travers elle ?

Et pourtant, à l'instant même, je n'arrivais pas à concevoir ces yeux éteints pour toujours, cette peau froide et sans vie. Jamais.

Jamais. Jamais. Jamais.

Que me prenait-il ?

Qu'est-ce qui était différent ? Rien.

Juste l'instinct que tout était différent.

Je ne supportai plus d'être aussi perplexe.

Je décidai de reprendre froidement mes idées, et je sortis du cachot.

Sans un mot, sans un regard en arrière, je m'éloignai rapidement.

Je l'entendis soupirer.

Je me réveillai en sursaut au milieu de la nuit. Sensation d'étouffer. Malaise profond.

Je réalisai que j'étais seul au manoir cette nuit-là. Tous partis, même Avery, tous en mission ou rentrés chez eux.

Notre Maître vivait dans sa propriété familiale. Et je préférai le savoir là qu'au manoir.

Je sentais la présence de la fille. Tels que nous étions, presque radicalement à l'opposé, chacun à une extrémité du manoir, j'avais l'impression d'entendre sa respiration, de sentir son regard qui me guettait, fiévreux, terrorisé, scrutant les ténèbres des cachots, à la recherche de n'importe qui, de n'importe quoi.

A une ou deux reprises, je cru même entendre une voix. Obscures chimères.

Je me levai, pris un verre de Whiskey Pur Feu.

Puis je décidai de me laisser guider par mes pas.

Les cachots. Bruits de sanglots.

« - Pas encore endormie ? Vous devriez profiter de votre dernière nuit pour…De votre dernière nuit. »

« - Sortez- moi d'ici ! » Et elle éclata en une nouvelle attaque de sanglots.

Mes idées tourbillonnaient. Je commençais à saisir ce qui m'amenait ici.

« - Sortez-moi d'ici, je vous en supplie… »

Pure détresse, larmes opalescentes.

Je l'observais toujours, sans mot dire, me délectant de ce spectacle envoûtant.

« - Tout ce que vous voulez…Tout ce que vous voudrez…Tout… »

Elle tenta de maîtriser sa voix.

« - Faites moi sortir d'ici, s'il vous plaît, vous pourrez me demander…Ce que vous voulez… »

Mes pensées s'agitaient de plus en plus vite, de plus en plus confusément…Ou bien je savais exactement ce que je faisais. Les transes de cette nuit-là restent assez mystérieuses pour moi. Nuit où le destin a bifurqué de façon inattendue…

« - Très bien. J'avais de toute façon une proposition à vous faire. »

Je rassemblai mes idées un instant, et pris une lente inspiration.

« - Dans ma chambre. D'ici une trentaine de minutes. Car vous allez d'abord vous laver. Je peux supporter le contact d'une Sang-de-Bourbe, mais pas celui de la saleté. »

Elle détourna la tête, les yeux fermés, inspira, semblant se concerter avec elle-même, puis me regarda dans les yeux, avec une expression presque calme.

« - Très bien. » Elle inspira de nouveau à fond.

Je la détachai.

« - Suivez-moi. »

La remontée depuis les cachots me sembla durer des heures. L'escalier n'en finissait pas, égrenant ses marches comme autant de gouttes d'eau dans une clepsydre. Nous émergeâmes enfin dans le grand hall d'entrée, qui était plongé dans la pénombre. J'appelai notre elfe de maison et lui dit d'amener la fille dans la salle de bains et d'ensuite la conduire dans mes appartements. Elle s'exécuta et suivit l'elfe, une expression de neutralité complète sur le visage. Elle avait pris grand soin, depuis notre départ des cachots, de ne pas croiser mon regard.

« - Entrez-donc. »

Elle hésitait, s'attardant sur le pas de la porte.

Ses cheveux étaient encore humides et je me demandai pourquoi elle n'avait pas utilisé un sortilège de séchage… Avant de me rappeler qu'elle n'avait plus sa baguette. Ses vêtements avaient été lavés magiquement, sans doute par notre elfe de maison. Je réalisai alors qu'elle portait son uniforme de Poudlard.

« - Je vous ferait remarquer qu'il est trop tard pour faire machine arrière, alors je vous en prie, cessez de tourner en rond et venez vous asseoir. Whiskey ? »

« - Non. Sans façons. »

Elle s'assit sur le sofa faisant face au fauteuil dans lequel j'étais installé.

« - Comme vous voudrez. »

J'avalai le mien cul-sec.

« - Qu'est-ce qui me prouve qu'après vous allez me laisser sortir ?

« - Absolument rien. Vous allez devoir me faire confiance.

Cette idée me fit sourire.

« - Je ne comprends pas vraiment ce qui vous pousse à trahir votre maître. Je sais que vous le craignez. Et j'ai du mal à croire que vous prendriez de tels risques pour me faire échapper, simplement pour un simple moment d'assouvissement. »

« - Pourtant…C'est le cas. Vous allez devoir me croire. C'est votre seule chance. »

« - Je vois. Vous poursuivez aussi vos propres intérêts. »

Je me levai et me resservit un whiskey.

« - Il me semble avoir entendu…Un simple moment ? Il me semblait qu'il était clair que ce moment durerait toute la nuit, bien sûr. Vous partirez d'ici demain matin à cinq heures piles. Pas une minute de plus, pas une de moins. C'est ainsi le contrat, » terminai-je, d'un ton sans appel.

« - Soit. »

La vérité étant que le lendemain à cinq heures, j'allais me trouver dans une situation encore pire que la sienne…Fuir ? Que faire ? Je ne pouvais, moi non plus, faire machine arrière.

Sinon, je pouvais toujours la refaire prisonnière aussitôt la nuit passée.

Etrangement, je n'avais pas encore pris de décision…

A quoi pensais-je ? Etais-je devenu fou ? Bien sûr que j'allais la refaire prisonnière. Mon jugement semblait s'être purement et simplement absenté, pendant quelques instants.

Ne tenais-je donc pas à ma vie, à mes intérêts ?

Quelle importance, si je lui mentais, elle n'était personne, elle n'avait aucune valeur…

Le Seigneur des Ténèbres aime à dire : « mens à tes ennemis, mais à toi, jamais… ».

Je pensais à cette phrase sans plus trop savoir ce qu'elle signifiait et pensai soudain que je ne l'avais jamais considérée comme une ennemie.

Un être inférieur, oui. Une Sang-de-Bourbe, oui. Une sorcière de seconde catégorie. Un rebut de la communauté sorcière, tout cela, oui.

Mais jamais comme une créature pouvant me nuire, une créature à abattre, un danger, une menace.

Non. Jamais.

Finalement.

Tu te rappelleras longtemps de cette nuit. Parole de Malefoy. Tu apprendras à me servir, et ma

marque restera en toi.

Laisse-moi juste te retirer ces oripeaux. Et tu goûteras aux joies de mon lit.

Je laissai soudain glisser ma cape me dirigeai d'un pas décidé vers elle.

Elle se leva et me fit face. Courageuse petite Gryffondor.