Chapitre 4
De plus en plus fort
Inerte, elle se laissa porter, de marche en marche, à travers le couloir sans fin, à travers la nuit et l'horreur, jusqu'au lit indigne où je l'avais étreint à l'en étouffer quelques minutes plus tôt.Ses yeux mi-clos à présent m'inquiétaient, et sa respiration était si faible…
Allongée telle que je l'avais posée, elle semblait ne regarder nulle part.
Je m'éloignai du lit et entrepris de quitter le chiffon gluant de sang qu'était devenu ma chemise. Petite garce.
Je m'appliquai à nouveau un sortilège de guérison, et la douleur se calma aussitôt.
J'invoquai une chemise propre et commençai à la boutonner, lorsque je l'entendis me parler.
« - N'y ai-je pas droit, moi aussi ? »
Une voix presque inaudible.
Après un bref sursaut, je me retournai et la vis qui me contemplait, le visage tourné vers moi, grave, pâle.
Je n'eus pas la patience de déterminer la nature du ton qu'elle avait employé.
Railleur ? Suppliant ? Ironique ?
Je me dirigeai donc vers elle et brandit ma baguette.
Une brève lueur de peur traversa son regard, fantôme de ses émotions précédentes.
Je lançai un sortilège de guérison sur les suçons qu'elle arborait sur son cou, puis après une brève hésitation, sur ses lèvres abrasées.
Je vis sa chemise, déchirée par mes soins, et lançai un sortilège de réparation.
« - Reparo. »
« - Et pour mes autres blessures ? »
« - Lesquelles ? » Demandai-je d'un ton égal. »
« - Celles faites à ma fierté. A mon âme. A mon cœur. »
Sa voix était si basse, presque inaudible. Neutre.
« - N'abusez pas de ma bonté plus qu'il ne faut. Si vous vous montrez insupportable, je vais devoir vous ramener aux cachots. Laissez vos jérémiades de côté. »
« - Ca n'a plus d'importance. Vous ferez ce que vous voulez, de toute façon. »
« - Ne me provoquez pas. »
« - Quelle importance tout cela ? Je vais mourir, et vous ne ferez rien. J'ai rien à perdre. »
Elle contemplait le plafond, une expression indéfinissable sur le visage.
« - Voulez- vous prendre un bain ? »
La question parut mettre du temps à trouver un chemin jusqu'à son cerveau.
J'allais presque partir lorsqu'elle répondit.
« - Je dois bien présenter pour la visite de votre patron, demain ? »
« - Vous ne le rencontrerez pas. » Je me tus un instant. « Désolé. »
Elle scruta mon visage pendant un temps indéfini, semblant y chercher une réponse.
J'essayais moi-même de comprendre ce que je venais de dire.
Il devenait évident que nous fuirions.
Bien sûr.
Aujourd'hui, il me semble qu'il n'en avait jamais été autrement dans ma tête.
« - Venez. » Finis-je par dire.
Elle se redressa, faiblement, et s'approcha de moi. Je voulus la prendre par le bras pour la guider jusqu'à la salle de bain. Elle se dégagea si vite et avec un tel sursaut de recul que je compris à l'instant l'ampleur de son aversion à mon égard.
Cela fit naître un sentiment désagréable en moi, une sorte de froid dans mon ventre.
Sensation étrange.
A cette époque, je ne savais pas encore que j'avais un cœur.
« - Ne traînez pas. Si nous voulons fuir (je trouvai ce mot étrange dans ma bouche), nous devons avoir le plus d'avance possible. »
Je m'apprêtais à partir, lorsqu'elle me retint.
« - Vous ne restez pas. »
C'était plus une affirmation qu'une question.
« - Je suis dans la pièce à côté. J'ai des choses à préparer. Vous croyez que je ne pense qu'à profiter de la situation ? », répliquai-je séchement.
Elle se détourna pour cacher ses larmes.
Excédé, je quittai la pièce.
Mécréant. Misérable.
Je repense à cette scène et j'ai l'impression de penser à un étranger, tant mon comportement est désespérément glacé.
Une fois dans la chambre, je me servis un verre et entrepris de réfléchir à un plan d'action.
Mais soudain poussé par un instinct féroce et inattendu, je me ruai à nouveau dans la salle de bains, et étreignit avec une force terrible, je m'en rends compte aujourd'hui, la fille terrorisée qui s'apprêtait à prendre un bain si mérité.
Les saletés que je lui avais faites.
Dégoût pour moi-même.
Un Malefoy n'a pas besoin de forcer une femme.
Il ne doit pas en avoir besoin. Dût-il payer pour cela.
Elle pleurait toujours.
Je tentais désespérément d'ajouter de la tendresse dans mon étreinte, mais je n'arrivais qu'à la serrer plus fort.
De plus en plus fort.
Rien d'autre ne comptait à cet instant-là.
Ses larmes mouillaient ma chemise.
Elle s'était d'abord débattue, puis en désespoir de cause, en dépit de son aversion, malgré sa haine palpable à mon égard, elle avait passé ses deux bras autour de mon cou et me serrait convulsivement, au rythme de ses sanglots.
Ma main rampa jusqu'à sa nuque, et sa tête se blottit d'elle même plus fort contre mon cou.
Je passai mon bras autour de ses épaules.
Et, la serrant ainsi étroitement, je tentai l'impossible miracle de lui transmettre un peu de chaleur.
Triste ironie, un tel geste venant de moi. Où était passé le vrai Lucius ?
Triste personnage.
Triste histoire.
« - Ne pleure pas. Ne pleure plus… »
Ces mots sonnaient si faux dans ma bouche…
« - Tu ne risques plus rien… Nous allons partir… Ne pleure plus… Tu es belle… Arrête… Arrête… Je t'ai fait mal… Mais tu ne risques plus rien… Arrête… »
Les mots semblaient ne jamais vouloir s'arrêter de sortir de ma bouche, je lui répétais sans cesse les mêmes phrases, comme une chanson, comme une berceuse insensée…
Je sentis que ses sanglots se calmaient et que sa respiration était de plus en plus régulière.
Je m'arrachai d'elle et la contemplai un instant.
« - Tu es jolie. »
Elle avait les yeux baissés. Elle ne répondit pas.
Qu'y avait-il à répondre ?
J'étais brusque, et brutal, et animal, et vil.
Qu'y avait-il à répondre ?
J'étais un monstre. Peut-être à l'époque ne le savais-je pas, mais je le sais aujourd'hui.
Je t'ai fait du mal.
« - Prépare-toi un peu, détends-toi, je vais m'occuper du départ. » Je tentais de dissimuler l'émotion dans ma voix.
Je me détournais et sortit de la pièce sans un regard en arrière, sinon je crois que j'aurais pu ne jamais en sortir et sécher ses larmes pour l'éternité.
