Chapitre 5

Le chant des Sirènes

Mes souvenirs se brouillent.

Etre ainsi enfermé dans cette pièce, sans autre alternative que de regarder au-dehors les passants libres se presser pour finir leurs courses dans le jour qui s'éteint est une vraie torture.

Le jour qui meurt…

Et cette attente. Mes nerfs fatigués.

Je ne me souviens plus très bien. Cela devait être vers la mi-février, je crois, car l'air nous piqua au visage lorsque nous sortîmes du manoir.

Je me souviens de son visage.

Je crois que je m'en souviendrai toujours.

Pâle, les traits tirés, ses cheveux tirés en arrière, il me semblait voir son visage pour la première fois ce mâtin-là.

Elle avait également renoncé à sa cravate du collège.

Apparence stricte et austère, presque mon égale.

Tout serait bientôt terminé, pour elle.

Qu'allait-il advenir de moi ? Je crois que je n'y pensais pas une seconde en cet instant.

Et de la voir, si calme, si grave, perdue dans le brouillard de février, dans la cour sinistre qui s'étendait derrière le manoir, perdue, perdue dans l'horreur de la guerre, si pâle et sans attraits évidents, nue de toute séduction, nue de tout mensonge, je sentais palpiter à nouveau en moi la fibre inquiétante, hideuse, convulsive du désir.

« - On ne peut transplaner, ni pour entrer, ni pour sortir du domaine, mais de toute façon, je suppose que vous ne savez pas encore… »

« - C'est exact. »

« - J'appelle les sombrals. »

Je fis sortir le sifflement de ma baguette, et ils arrivèrent aussitôt.

« - Nous allons les monter ? Parce que je ne les vois pas, vous savez… »

Je réprimai un sentiment de dégoût.

Monter ces créatures hideuses… Quelle idée ! Moi qui répugnait même à utiliser un balai, en-dehors de leur utilité pour le Quidditch…

« - Non, nous ne les monterons pas. »

J'étais vraiment dérangé par cette idée.

« - Il y a un fiacre dans la remise. Accio. »

Elle eut un léger sursaut d'appréhension lorsque je sortis ma baguette.

Je déplorais amèrement ce réflexe.

Le fiacre s'arrêta devant nous, et j'attelai magiquement les sombrals.

Que dire du voyage ? Un mince îlot de paix dans ma vie tourmentée, un sursis.

Une brusque envolée, l'air froid qui envahit le compartiment, les nuages qui viennent nous caresser le visage, puis… Une sensation de vide, de calme, de liberté, de plénitude.

Le silence, le bruit de l'air.

Je la contemplais qui dormait, inconfortablement installée sur la baquette qui me faisait face… Enfin, je savais qu'elle ne dormait pas. Elle se méfiait, bien sûr.

Ses paupières pâles et translucides se levaient parfois sur son regard, puis replongeaient sur ses yeux ensommeillés.

Nous naviguions sous un ciel gris, assaillis par les volutes humides des nuages que nous côtoyions, les cheveux éparpillés par le vent qui s'engouffraient dans notre rudimentaire embarcation.

Je la regardais, je la regardais encore, me délectant de tout ce qu'elle m'offrait à voir, depuis sa crinière de sauvageonne qui s'échappait irrémédiablement de sa tresse, jusqu'à la pâleur cadavérique de sa peau, ses mains, si fines et délicates, prêtes à se rompre, qui maintenaient sa cape serrée autour d'elle, ses lèvres tendres, ses cils de poupée sa respiration maladive, son corps pelotonnée, tout, tout.

Et moi, avide, convulsé, tétanisé, sans réponses à mes questions, en proie à cet étrange sentiment, ce désir, cet objectif inconnu vers lequel tout en moi semblait aller, incertain, terrorisé, fou, ébloui…

En proie à la folie, et sans aucun moyen de m'en guérir. Sans autre solution que de la contempler dormir ainsi, encore et encore, elle, si pure, si neuve, encore relativement épargnée.

Regardez-la.

Et regardez-moi…

Le voyage me sembla durer des heures.

Non pas que je me lassais de sa présence, mais parce que la perspective de me séparer d'elle bientôt disséminait déjà sa peine dans mes veines.

Elle ne m'adressa pas la parole de tout le voyage. Je respectai son silence.

Je crois que je tentais maladivement de respecter tout ce qu'il était possible chez elle, afin d'effacer ma conduite violente du passé.

Je songeais avec amertume que rien n'effacerait jamais ce que j'avais osé lui faire, ce que j'avais essayé de lui faire.

Nous nous posâmes devant les grilles de Poudlard.

Sans plus de cérémonie, elle ouvrit la porte du fiacre et descendit.

Elle se retourna vers moi un instant, le regard vide de tout ce qu'il n'y avait plus à dire.

Puis elle se détourna et s'enfuit en courant dans la bruine glacée.

Elle disparut, happée par le brouillard impitoyable de Février.