Chapitre 10

L'oubli au plus profond de l'oubli

« - Pourquoi es-tu venue ? »

Pas de réponse.

Entre deux baisers que je répandais sur sa nuque humide, je n'avais pu m'empêcher de le lui demander.

Je la tenais contre moi, son corps imbriqué dans le mien, dans la chaleur bouillante et enivrante de cet après-midi d'été. Nos corps mouillés de sueur se mouvaient langoureusement l'un contre l'autre.

« - Pourquoi es-tu venue ? »

« - Ne m'oblige pas à inventer de mensonges car tu sais bien que je te hais. »

« - J'ai du mal à le croire… Ce n'est pas ce que tu disais tout à l'heure… »

« - On va dire que tu as réussi à avoir un certain pouvoir sur moi, même si j'ignore comment j'ai pu te laisser y parvenir. Parce que… Tu sais ce que tu as essayé de me faire… Je devrais avoir en vie de te tuer, tu le sais. Mais aujourd'hui j'en suis là. Et parfois je me fais horreur. Je pensais me libérer de cela en venant. Tant pis.»

Elle avait dit cela d'un ton égal, presque froid.

« - Mais tu as aimé ce qui est arrivé tout à l'heure… »

« - Recommence. »

« - Tu me hais, alors je pourrais te faire du mal, pour être à la hauteur de tes espérances. »

« - Cela n'a plus d'importance, de toute façon. »

Son ton était las et résigné.

Son aveu brutal m'avait plongé dans un abîme de souffrance.

Mais qu'espérai-je ? J'avais tenté de la violer autrefois. Ce spectre monstrueux nous hanterait à jamais.

Une émotion hideuse contracta mon ventre et je l'étreignis convulsivement.

« - Tu ne peux pas … »

J'étais pathétique.

J'étais fou de douleur…

J'avais espéré, l'espace d'un moment…

Qu'elle m'ait pardonné.

« - Recommence. », répéta-t-elle, en murmurant d'une voix rauque.

« - Tu l'auras voulu. Je vais te faire mal. »

« - Oh… Mais tu fais ça si bien, si bien… »

Je la plaquai brutalement et m'avachis sur elle, et aussitôt je ressentis renaître en moi les convulsions de la lubricité.

Je dégageai les draps qui me gênaient et m'empêchaient de m'approprier entièrement son corps.

Ses yeux reflétaient une expression vacante, comme si elle se trouvait sous l'emprise d'une drogue, et je ressentis soudain le même trouble que le jour où elle avait accepté mon lit en échange de sa liberté.

J'en fus horrifié.

C'était comme si elle attendait que tout se passe.

Loin de me freiner, cette expression me mit dans une fureur noire et je m'employai alors à chasser cette expression vide et terrifiante à coup de morsures et de baisers, à coup de reins dont la violence ne cessait de croître, à coup de paroles de supplication que j'ai trop honte d'évoquer à nouveau.

Elle mordait ses lèvres pour ne pas crier et c'était une lutte d'une violence extrême, où elle résistait et où je devais me montrer de plus en plus violent pour l'enlever à cette torpeur.

Soudain, elle partit en un long cri qui se finit en un sanglot, et je partis à cet instant dans le tourbillon de la jouissance.

Je me blottis -il n'y a pas d'autre mot- contre elle et m'endormis au rythme de ses sanglots.

Je me réveillai toujours enlacé à elle, et cette fois c'était elle qui dormait, profondément, paisiblement, les blessures et rougeurs dont j'étais la cause semblant s'unir en un vivant reproche, et je ressentis les premiers tourments du regret.

Peu importe si elle me méprisait, peu importe si elle ne ressentait que du dégoût pour moi.

Il était de mon devoir de lui faire oublier cela.

Ses paupières, d'abord, parsemer tout son visage, son cou, ses seins, son ventre de baisers légers et presque fantômes.

Ce fut la première chose que je fis.

Ce cycle de souffrance et d'expiation semblait ne pas devoir nous quitter.

Puis je m'appliquai à effleurer ses lèvres et à les embrasser le plus tendrement possible, et puis, la suite…

Mes larmes d'expiation, mon cœur offert sur un plateau, mon destin à ses pieds, mes promesses, mes promesses de tout ce qu'elle voudrait, de toujours être là pour le lui donner, tout ce que tu veux, tout, pardon …

J'oubliais un moment ma propre existence, je la conduisis doucement à l'orgasme, à l'écoute de la moindre fibre de son corps, mes mains sur elle, en elle, puis moi, tendrement, doucement, mes lèvres sur mon front, mes larmes sur son visage, je n'existais plus.

Elle, Elle.

Son regard apaisé se posa sur moi et je la pris dans mes bras où elle s'endormit comme une enfant, au gré de mes bercements.