Chapitre 11

La saveur du Sang

Je me suis réveillé.

Elle était levée et s'habillait, sans faire de bruit.

Elle me considéra un instant, avec, il me semble, de la tristesse.

Mais je pensais, « ne rêve pas, Lucius… ».

« - Il faut que tu t'habilles, il fait nuit. Nous devrions déjà être partis. »

« - A qui la faute ? »

Elle ne répondit pas.

« - Où va-t-on ? »

« - A Poudlard. On prend une cheminée jusqu'à Pré-au-lard. Et n'oublies pas de modifier ton apparence.»

Je songeai qu'elle avait bien changé depuis l'hiver précédent. Je me trouvais stupide de ne pas l'avoir remarqué plus tôt.

Elle irradiait quelque chose de tellement plus fort et adulte, et même physiquement, elle avait grandi.

Mais quelque chose de triste avait gagné son aura, une sorte de lassitude.

De la fatigue. Du malheur. De la souffrance.

Elle partit dans la salle de bains et j'en profitai pour me lever.

J'étais vêtu quand elle revint. Elle me considéra un instant, ses cheveux à présent relevés, son visage toujours si pâle, ses traits et son cou toujours entachés de quelques rougeurs.

Des marques. Mes marques.

C'était ainsi que j'aimais le plus la voir. Meurtrie.

C'est terrible de dire cela.

En quittant cette chambre, j'avais l'impression de laisser derrière moi une partie de ma vie.

Le voyage se déroula sans inconvénients majeurs, et bientôt nous arrivâmes au château, devant la lourde porte qui menait au grand hall.

Nous nous arrêtâmes un instant.

« - Quoi que Dumbledore te demande, accepte. » fit-t-elle soudain, le regard perdu dans le vide.

La nuit était profonde, les étoiles semblaient nous faire des clins d'œil. Il régnait un silence presque complet.

« - Je n'ai pas le choix, n'est-ce-pas… »

« - Le choix… On l'a toujours… Mais quoi que tu décides de faire, sois heureux.»

Elle détourna son visage de ma vue. Je lui répondis, d'un ton que voulais assuré.

« - J'accepterai ce qu'il me demandera. Tout. Mais pas parce que je suis d'accord avec lui. Tu sais pourquoi je vais accepter ce qu'il va me demander. Je me fiche pas mal de ce pourquoi il se bat. »

Je la fis se tourner vers moi, et comme je le craignais, elle pleurait doucement.

« - J'aurai beau me mettre à son service, mes convictions resteront les mêmes. J'attache toujours la plus grande importance au sang. Ce genre de choses ne change pas. Je ne peux pas te cacher cela.»

« - Alors tu me considèreras toujours comme quelqu'un d'impropre… C'est horrible ce que tu me dis-là. »

Je la pris dans mes bras, sa tête contre ma poitrine, position que j'aimais le plus.

« - Non, toi c'est différent. Toi, je t'aime. »

Elle soupira à fendre l'âme.

« - Tu me dis la plus belle chose du monde, mais c'est comme si tu me crachais dessus en même temps. »

« - Pardon. Tu n'as rien à voir avec aucun d'entre nous. Tu es bien au-dessus de nous tous. »

« - Il faudrait que nous soyons tous ensemble, simplement. »

« - Tout cela n'a pas d'importance. Tu es là avec moi, le reste ne compte pas. »

« - Je voudrais avoir ce détachement, mais je n'ai pas ton égoïsme, c'est impossible. J'ai tant de mal à concevoir ta position par rapport à mon sang…»

« - Il a bon goût. J'aime bien t'en prendre un peu au passage, quelquefois. »

« - Je sais, et tu me laisses de vilaines marques. »

Je l'appuyai contre la lourde porte et commençai à l'embrasser.

Le parc était désert, il faisait nuit noire et il régnait une agréable tiédeur, je pensais…

« - Arrête, s'il te plait. Arrête. Pas parce que je pourrais te laisser aller jusqu'au bout, mais parce que tu as quelque chose à faire, ce soir. Il faut y aller, il est temps. »

« - Je te revoies quand ? », soufflai-je à son oreille.

« - Tout de suite, je t'accompagne… »

« - Non, tu sais bien, je veux dire, dans des conditions plus…Intimes. »

Je lui donnai un léger coup de bassin suggestif.

« - Je ne sais pas… Tu n'auras qu'à venir, quand tu le voudras. Je suis au quartier général de l'Ordre pour tout l'été. Question de sécurité. »

« - Tu ne me laisses pas le choix quant à mes futurs engagements. »

« - Non, c'est vrai. » Elle sourit légèrement entre ses larmes. « Allons-y, maintenant.»

Je poussai la lourde porte et elle me précéda dans le hall.

Je la suivis.

Nous gravîmes les escaliers.

Mais je montai seul au bureau de Dumbledore.

Il m'accueillit avec, je crois, un sentiment de curiosité intense.

« - Où se situent vos intérêts, monsieur Malefoy, j'aimerais que vous m'éclairiez à ce sujet », fit-il au bout d'un moment, alors que nous évoquions ma fuite du manoir et l'abandon de mes engagements de mangemort, lors de l'hiver.

« - Je ne vous mentirai pas. Ils sont strictement personnels. »

Et malgré toute la bienséance que j'étais sensé manifester à ce vieux fou pour m'avoir fait évader, et qui me proposait une situation bien plus acceptable que celle de fugitif, j'ajoutai :

« - Vous suffit-il de savoir que je poursuis des desseins des plus primaires et bassement terrestres ? »

« - Cela me suffit. »

Je crus voir une horrible lueur de compréhension et de malice dans son regard.

Nous parlementâmes une bonne partie de la nuit et, enfin arrivés à un point d'accord et à une décision à propos de mon futur rôle dans l'Ordre, il me laissa partir.

Toutefois, en sortant, je l'entendis dire, alors que j'ouvrais la porte :

« - Ne vous avisez pas de la détruire. »

Un simple ton d'avertissement. Mais qui était paralysant et lourd de menaces.

Je me retournai promptement, et lui répondis aussitôt :

« - Si une telle chose arrive, vous en porterez une part de responsabilité. Car je sais reconnaître que certaines choses arrangent vos… Affaires, dans cette histoire. »

« - Soit. Certains paris sont dangereux, il est vrai. Mais si vous vous comportez de façon intelligente, vous ne lui ferez pas prendre de risques. »

Il se tut un instant. J'étais toujours sur le pas de la porte.

« - Elle est encore bien jeune, ne vous laissez pas aveugler par son intelligence. Ne détruisez pas le peu d'innocence qui subsiste encore en elle. »

« - J'y songerai », fis-je du ton le plus froid que je pus.

Et je sortis définitivement de la pièce.