Chapitre 14
Le Bien et le Mal
J'entrai dans une pièce sombre, joliment meublée. Ma chambre.
Je fis glisser ma cape et la jetai sur le lit.
La porte se referma derrière moi. J'étais seul.
Je tirai les rideaux et me perdis un moment dans la contemplation du ciel gris, velouté.
Ma première réunion de l'Ordre aurait lieu ce soir.
J'étais prêt, impatient de me jeter entièrement dans cette lutte sanglante, avide de sang, avide de toute cette violence et de tout ce mal déguisé en bien.
Après tout, seul le combat m'intéressait dans cette histoire.
La souffrance des autres, peu importe qui ils étaient.
Ce n'était pas la lutte qui me guidait, mais ses aspects.
Et malgré toute ces perspectives enivrantes, la seule question, la seule crainte, le seul doute qui m'étreignait à ce moment-là était de savoir si, à un quelconque moment de la journée, une personne, une certaine personne, trouverait un moyen de venir me voir. J'étais déjà en manque.
Et rien d'autre ne me préoccupait davantage à l'instant.
Il commençait à pleuvoir et, à la vue d'une telle journée, embrumée et ruisselante, je repensai au jour où j'avais choisi de libérer une jeune Sang-de-Bourbe, promise à un destin sinistre entre les mains du Seigneur des Ténèbres. Une fille que j'avais arrachée à une mort certaine en échange de son corps pour la nuit. Sinistre marché. Une fille que j'avais ramassée en pleurs sur le sol et que j'avais rendue aux siens. Et qui, juste avant de courir les retrouver, s'était retournée vers moi et m'avait regardé. Un regard que je ne devais jamais oublier. A la fois une accusation et un aveu.
Inoubliable. Oh oui…
Puis cette fille m'avait pris dans ses bras, choisissant d'ignorer, d'oublier –que sais-je - le criminel, le traître que j'étais.
Et elle m'avait laissé me rouler sur elle, en elle, comme pour laver mon corps d'assassin, mon âme hideuse.
Mon front reposait contre la vitre froide de la fenêtre.
J'avais à peine jeté un œil à ma chambre.
Il fallait que je me fasse à l'idée que le caractère confidentiel de notre relation serait un obstacle majeur à la satisfaction de mes appétits.
Elle. Son corps.
Etrange impression, mais quand elle me touchait, je me sentais lavé de toutes ces horreurs…
J'avais pris certaines habitudes et il allait devenir très difficile de les combattre.
Mais le secret…
Je savais déjà que ma présence au sein de l'Ordre serait un sujet à controverse, si ce n'était davantage.
Et s'ils apprenaient qu'en plus de cela j'avais détourné leur si pure et si sérieuse Hermione…
Si triste, et si pâle Hermione…
Oh oui, elle l'était… Rongée, malgré ce qu'elle voulait laisser paraître, par un mal insidieux dont j'avais douloureusement compris la nature.
Pas la guerre, non. Ou si peu.
Pas la peur. Pas la tristesse. Pas la mélancolie.
La culpabilité.
Sa conscience la taraudait, je le sentais, je l'avais senti dès la première seconde, quand elle était venue me faire évader du Ministère.
Je sentais cette aura comme une odeur subtile mais tenace, dès qu'elle entrait dans la même pièce que moi.
Craignait-elle une nouvelle traîtrise ?
Craignait-elle mes réactions ? A moins qu'elle ne craigne tout simplement les siennes…
Qu'est-ce qui pouvait lui causer autant de doutes…
J'essayai alors pitoyablement de distraire mes pensées de ce sujet agaçant. Je m'interrogeai sur ce que Dumbledore allait me demander de faire pour ma première mission.
Pourvu qu'il ne m'envoie pas trop loin, pas trop longtemps. Je l'en savais capable, l'animal.
Je ne voulais pas me mélanger aux autres. Mais la faim et la nervosité aidant, je me retrouvai bientôt comme un lion en cage et me décidai à sortir enfin de cette pièce. Trop silencieuse. Trop vide.
La maison semblait déserte.
Pas un bruit.
Je descendis les escaliers et une fois dans le hall d'entrée je me dirigeai vers une porte qui menait vraisemblablement aux cuisines. Erreur.
Je me retrouvai à la place dans une grande salle déserte, sans aucun doute la salle de réunion de l'Ordre du Phénix. Une longue table, des chandeliers, des chaises en bois sculpté tout autour.
Je m'apprêtais à faire demi tour quand une voix s'éleva derrière moi.
« - Etrange de te voir ici, Malefoy. »
Je me retournai. Lupin. Il semblait pensif.
Je choisis de ne pas répondre.
« - Je ne te cache pas que je suis intrigué par ton revirement. »
Je faillis laisser jaillir ma rage de le voir aussi calme et aussi méprisant. Lui trancher sa gorge de loup-garou et le regarder mourir à petit feu. Par miracle, je réussis à articuler presque sobrement :
« - Penses ce que tu veux. »
« - Je me demande surtout, continua-t-il, comment tu as fait pour que Dumbledore t'accorde sa confiance. »
« - Il l'a fait. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus. »
« - Bien sûr… »
Et avec une expression indéchiffrable, il se retourna et s'éloigna.
Je restai un moment figé au milieu de la pièce, attendant qu'il se soit éloigné.
Puis je me remis en quête des cuisines. Apparemment, il n'y avait pas d'elfes de maison dans cette demeure.
J'errai sans fin dans les couloirs, sans jamais rencontrer personne.
Une ombre se rapprocha de moi sans que je la voie ni ne l'entende.
Une main se referma sur mon poignet.
Douce, tiède. Un sourire sur mes lèvres. Toi.
« - Tu es là… »
« - J'avais faim. »
« - Je te cherchais. Mais si tu as faim… »
« - Ca peut attendre… »
Elle se laissa embrasser, lascive et tendre, pressée entre moi et les tapisseries du couloir. Sans plus penser à rien, je la soulevai et elle enroula ses jambes autour de moi.
J'aimais qu'elle se montre ainsi docile pendant nos ébats. Il n'était pas dans mon caractère de me laisser dominer, ou même d'essuyer un refus.
La situation s'éternisait délicieusement. Elle était légère, trop peut-être.
Qui sait ce qui aurait pu se passer ? On n'allait jamais le savoir : des pas se firent entendre et je la reposai au sol à la hâte.
Elle me prit alors la main et me guida en courant jusqu'aux cuisines.
Un moment après, nous remontâmes vers les étages.
Elle dût alors me laisser seul à nouveau : ces dégénérés de Weasley allaient arriver.
Je grimaçai à cette idée.
« - Je partage ma chambre avec Ginny… », ajouta-t-elle.
Je ne pus que soupirer.
Je l'embrassai avant qu'elle ne redescende, et m'appliquai du mieux que je pus à lui donner envie de ne partager sa chambre qu'avec moi.
Ma faim était rassasiée, mais pas mes autres appétits.
La mort dans l'âme, j'attendis le soir. Le reste de cette journée se déroula dans un brouillard diffus.
Puis enfin, la réunion.
Je crois que le plus dur fut de supporter ces regards braqués sur moi, mais pas pour la lueur inquisitrice dont ils brillaient tous.
Il était étrange et dérangeant de voir tous ces gens réunis, tous ces gens qui un jour, volontairement ou involontairement, avaient joué un rôle dans ma vie. Lupin, prisonnier en même temps qu'Elle, ce jour fatal de notre vraie première rencontre, Weasley, que j'avais toujours si bien méprisé, Severus, que j'avais autrefois présenté personnellement au Seigneur des Ténèbres et qui lui aussi avait trahi. Pour quelles raisons ? Mon instinct me disait qu'elles devaient ressembler aux miennes… MacGonagall, qui autrefois me retirait tant de points, Dumbledore, curieux personnage… Et d'autres, et d'autres…Cet auror dont j'avais pris l'apparence pour m'évader du ministère… Le vieux Maugrey, mon pire ennemi à une certaine époque…
J'avais l'impression de me retrouver face à ma conscience pour la première fois de ma vie.
Dumbledore prit la parole et tout le monde se tut.
« - Aujourd'hui l'Ordre du Phénix compte un nouveau membre. Je ne vous demande pas de faire table rase de son passé, mais de simplement accepter de travailler harmonieusement avec lui. »
J'affrontai alors tous leurs regards avec je crois, une insolence qui déplut à Weasley père.
Bien entendu, il n'avait pas oublié l'épisode du journal intime et de la Chambre des Secrets.
« - Il va habiter ici, n'est-ce pas, Dumbledore ? C'est ce que j'ai cru comprendre… »
« - Tout à fait, Arthur. »
Il me fusilla du regard.
« - Je vous interdit ne serait-ce que d'adresser la parole à mes enfants… Vous avez compris ? »
Je ne répondis pas et accentuai le petit sourire qui venait de naître au coin de mes lèvres. Vas-y, énerve-toi… Laisse toi aller à la colère.
Moi, mon calme est inébranlable.
Nous restâmes un moment à nous affronter du regard, puis Dumbledore reprit la parole et la réunion commença.
Enchaînement de comptes-rendus.
Je constatai une assez bonne organisation.
Le rôle de certains me surprit grandement, notamment celui de Severus.
Cela dura quasiment toute la nuit.
Au petit matin, je m'écroulai sur mon lit et dormis d'un sommeil sans rêves. Le soir même, j'allais entamer ma première mission.
Nous savions que le Seigneur des Ténèbres était actuellement absent de la propriété des Jedusor. Des mangemorts s'y trouvaient probablement, mais sans doutes aussi de précieuses informations.
Avec le temps, l'Ordre du Phénix avait su devenir une organisation plus offensive. Sans toutefois prendre des risques immodérés, des opérations délicates étaient de plus en plus fréquentes, et il faut dire aussi de plus en plus couronnées de succès.
L'affolement gagnait peu à peu les deux camps, et le monde sorcier en général.
La montée en puissance de cette violence semblait nous amener irrémédiablement à quelque conclusion douloureuse pour un des deux camps, peut-être même pour les deux…
Et j'entrais à ce moment là dans l'Ordre.
La mission était la suivante : neutraliser les mangemorts présents et récolter le plus d'informations, le plus de tout ce que nous pourrions trouver sur place.
Et j'étais un atout non négligeable dans l'exécution de cette mission.
J'avoue que leur confiance en moi était grande pour me laisser participer à une telle action. Apparemment Dumbledore ne craignait pas que je les trahisse à leur tour.
C'était compréhensible.
La seule chose qui puisse faire perdre la tête à un homme n'est-ce pas, après l'appel du lucre, celui du ventre ?
Cette dernière chose était la seule qui me restait…
Et il le savait.
Le moment de partir arriva.
Et elle était venue, à sa façon, du mieux qu'elle le pouvait, me dire au-revoir.
Je ne l'aperçus pas tout de suite, perchée comme elle l'était à l'un des balcons des étages qui surplombaient le hall.
J'entrevis son regard, ses yeux grands ouverts de frayeur à travers cette pièce pleine de monde, remplie de tous ceux qui étaient sur le point de partir pour la mission. Nous étions nombreux. Il régnait une certaine nervosité, et je rageais de ne pouvoir aller la serrer contre moi avant de partir, peut-être pour la dernière fois…
C'était comme si le silence s'était abattu sur la pièce. Tout semblait se mouvoir au ralenti. Nos yeux ne se lâchaient pas et je vis bientôt rouler sur son visage inquiet deux sillons brillants alors que son expression devenait presque désespérée.
Je la voyais, seule au balcon du deuxième étage, alors que tous les autres, la tribu des rouquins, étaient entassés avidement contre la balustrade du premier, affichant un air à la fois grave et curieux.
Seule avec ses craintes, la seule aussi à craindre qu'il ne m'arrive quelque chose.
Je savais bien que personne ne me pleurerait. Sauf elle.
Cela faisait toute la différence.
Nous sortîmes pour transplaner et je dus détourner mon regard.
Et l'excitation du combat qui approchait ne put masquer totalement quelque chose qui se déchira un instant en moi, avant de se taire devant ce qui arrivait.
L'opération fut menée à bien.
Mais elle fut assez sanglante. Aucun mort mais des blessés. Une bataille acharnée.
La propriété du Seigneur des Ténèbres dont nous avions réussi à surmonter le Fidelitas grâce aux informations précieuses récoltées précédemment, était infestée de mangemorts.
Autant dire que les affrontements ne laissèrent que peu de temps à l'investigation.
J'ai bien cru mourir à plusieurs reprises, et il faut dire également que ce soir-là, j'ai sans doute été reconnu par tous les mangemorts présents. Ma Marque allait me faire souffrir dans les jours à venir…
Plusieurs étaient blessés et même inconscients et nous dûmes les porter pour transplaner dans l'urgence, lorsque nous comprîmes que plus aucun renseignement ne serait trouvé ici et que la bataille continuerait jusqu'à ce que mort s'ensuive. J'étais moi-même blessé en au moins trois endroits différents, mais la généreuse quantité de sang que j'étais entrain de perdre n'altérait en rien l'ivresse et l'euphorie du combat et de la violence.
J'étais dans mon élément et j'aurais pu continuer à m'y complaire longtemps. A chaque Avada Kedavra que j'esquivais, je me sentais de plus en plus en vie.
C'était une ivresse incomparable.
Je transplanai à regrets.
Le square Grimmaurd était plongé dans la nuit et dans le silence. Une paisible nuit d'été.
Un calme presque insupportable. Les cris de douleur et le vacarme du combat résonnaient encore à mes oreilles. Et cet écho était à la fois une mélodie sublime et un abominable révélateur de la beauté d'une nuit pareille.
J'entrai au numéro 12.
Le hall ressemblait à un champ de bataille, ou plutôt à ce qui en restait.
Les blessés étaient allongés à même les tapis, et MacGonagall, la femme Weasley et… Elle…Prodiguaient à tour de bras des sortilèges de guérison et administraient des potions.
Severus, qui avait transplané un peu avant moi mélangeait avec hâte dans un chaudron ce qui semblait être les ingrédients pour une potion de régénération sanguine.
Je les observai un instant, toujours perdu dans mon ivresse guerrière, puis me décidai à intervenir. Baignant toujours dans cette euphorie, je crois que je n'avais pas vraiment pris conscience de la quantité de sang que j'avais perdu, et je m'écroulai alors sur le sol, inconscient.
Quand je rouvris les yeux, j'étais sous le coup de la perte de tout ce sang, et je me sentais comme le lendemain d'une soirée de saoûlerie.
Le poids de mes blessures me tombait tout à coup dessus, et se rattrapait généreusement de la veille.
Je vis par la fenêtre de ma chambre que le jour commençait timidement à se lever.
J'essayai de me relever et constatai que mes blessures saignaient toujours, malgré les bandages et les probables sorts de guérison. Je connaissais malheureusement la nature du sortilège qui avait causé cela. Magie noire, bien sûr. Un sort qui empêche les contre-sorts de guérison de faire leur effet.
Un de mes favoris, à une époque, il faut dire.
Mais une des conditions de mon acceptation au sein de l'Ordre était malheureusement l'abandon de l'utilisation de ce genre de sortilège. Dommage.
Je retombai mollement sur mes oreillers.
Inutile de s'en faire. Ce génie de Severus connaissait sans doutes un remède à ce sort. Il fut d'ailleurs une triste perte pour nous quand il trahit le Seigneur des Ténèbres. Ou bien je mourrais lentement en me vidant de mon sang. Perspective à étudier.
Je réalisai soudain avec horreur que la veille, j'avais vraiment failli mourir.
Qu'avais-je à l'esprit…La violence, seulement elle. Vieille amie.
Et j'étais là, encore en vie. J'éprouvai soudain la furieuse envie d'apporter une preuve à ce fait.
Une seule idée, une seule envie. Elle.
Peu importe ce qu'elle en penserait.
Je me levai, cette fois-ci, et constatai que mon état me permettait quand même de me déplacer debout.
Des gouttes de sang tombaient sur le sol avec un petit bruit mat.
J'avisai sur ma table de nuit une fiole entamée contenant manifestement de la potion de régénération sanguine, et la but d'un trait.
Je choisis de ne pas me regarder dans le miroir en passant devant l'armoire.
Je me sentais mieux.
J'allais sortir de la pièce quand la porte s'ouvrit.
Elle.
Elle me contempla avec une expression stupéfaite puis terriblement soucieuse.
« - Tu ne dois surtout pas te lever… »
Elle m'attrapa le bras et voulut me reconduire jusqu'au lit.
Je fermai la porte. A clef.
« - Je vais beaucoup mieux… »
« - Non, tu vas te vider entièrement de ton sang si tu ne prends pas la potion que le professeur Rogue est entrain de préparer. En attendant, tu dois… »
Elle n'acheva pas sa phrase car je m'étais déjà jeté sur elle.
Elle essaya de protester. Les autres étaient en bas, quelqu'un pouvait venir. Tu me fais mal. Tais-toi. Tu dois me laisser faire.
La mort me hante encore, laisse moi me laver de cela. Laisse-toi faire.
« - Ne bouge plus ! », criai-je, alors qu'elle essayait de se libérer.
Mon sang imbibait peu à peu ses vêtements et je me délectais de cela avec une sorte de sauvagerie. Son visage affolé était aussi tâché de sang, à mesure que mes mains le caressaient. Elle ressemblait ainsi à une princesse païenne.
Elle se débattait encore.
« - Ne bouge plus ! », répétai-je, avec cette fois une nuance d'avertissement.
Je resserrai ma prise autant que mes forces me le permettaient et recouvrit sa bouche d'une main.
Alors elle cessa de bouger.
Elle fut docile pendant tout le reste de l'opération.
Elle détourna simplement la tête, les yeux fermés, au moment où j'entrai en elle.
Je saisis son visage entre mes doigts sanglants. Regarde-moi.
Elle subit l'assaut sans rien dire, passive telle que je la voulais, mais absente. Si lointaine.
Ce ne fut qu'au moment de me libérer en elle que je me sentis à nouveau en vie, depuis le moment où j'étais revenu du combat.
Je restai enlacé à son corps, dans l'étreinte gluante du sang que je perdais toujours, bercé par cette chaleur, ravi par ce contact humide.
Mais lorsque enfin je m'écartai d'elle, je constatai qu'elle baignait littéralement dans mon sang.
