Chapitre 15
Errances
J'ai toujours su que cette histoire était trop.
Tout était trop.
Elle était trop jeune, trop pure.
J'étais trop corrompu.
Le monde autour de nous était trop effervescent.
La guerre était trop imprégnée dans nos chairs, comme une odeur, comme un poison. Trop réelle.
J'avais fait trop de mal. A trop de gens. J'avais trop soif de sang, malgré l'image que je m'efforçais de donner.
Tout, dans cette histoire était trop.
Je l'aimais trop.
Dangereusement et avec démesure, magnifiquement, excessivement. A lui en faire mal.
Tout était trop.
Trop violent, trop fort. Et elle était là, sanglante et pétrifiée, le corps encore empreint de mon étreinte.
Fasciné par la force d'un tel spectacle, je la regardais, encore et encore, à demi nue et luisante de tout ce sang. Le mien.
Je perdis alors connaissance.
La deuxième fois en vingt-quatre heures.
J'émergeai à nouveau, vraisemblablement peu après mon malaise, car j'entendis autour de moi plusieurs personnes qui s'affairaient, avec une nuance inquiétante dans la voix.
« - Il est si faible… Et tout ce sang… Oh Merlin j'ai l'impression qu'il nous échappe… », fit une voix qui semblait être celle de la femme Weasley. « Et toi, Hermione, tout ce sang que tu as sur toi… Pourquoi n'es-tu pas descendue plus tôt nous prévenir… »
Ne te préoccupe pas de cela, infâme pondeuse…
« - J'avais à peine ouvert la porte qu'il m'est tombé dessus. Il a sans doute voulu se lever malgré ses blessures, et… J'ai mis un temps fou à le porter jusqu'au lit, j'ai cherché à le ranimer, mais… »
« - Tant pis, de toute façon son remède est prêt. Mais encore faut-il qu'il arrive à le prendre… »
Je sentis qu'on relevait ma tête, et un liquide chaud ruissela dans ma bouche. J'eus l'impression d'avaler un filtre d'extase à l'état pur. Une incroyable chaleur se répandit instantanément dans tout mon corps.
C'était si bon qu'un moment je crus être mort, libéré de toutes les contraintes physiques de la vie.
Cet état de grâce dura longtemps, j'errai sans fin dans une dimension extatique, absent, inconscient de toute sensation autre que la béatitude la plus intense.
De temps en temps j'entrevoyais un visage, toujours le même, mais j'étais incapable d'y associer un nom. Et à chaque fois que j'essayais, l'image inexplicable d'une inquiétante plaie ouverte s'imposait à mon esprit. Cela me tourmentait et j'essayais de me souvenir, mais alors ma tête me faisait mal et je lâchais prise.
Je m'éveillai en sursaut, après un temps indéfini passé dans cet état et réalisai que j'avais été plongé dans une inconscience plus profonde que je ne le pensais.
Je vis Severus qui était sur le point de sortir de la pièce. Il tourna un regard incrédule vers moi et se précipita au-dehors pour appeler quelqu'un.
Molly Weasley. Ce n'était pas elle que je voulais voir.
Tout mon corps me faisait souffrir, engourdi et courbatu.
Toi aussi, déguerpis, Severus, sale traître. Sortez tous. Cependant j'étais encore trop faible pour formuler tout cela oralement…
Incapable de réagir davantage, je fus contraint d'avaler une fois encore leurs suspectes mixtures.
Ils finirent par sortir et le sommeil me gagna à nouveau.
Quand je me réveillai, je me sentais presque bien.
J'ouvris les yeux et vit, penché au-dessus de moi, un visage grave et doux. Un visage qui, même à travers les limbes du délire, n'avait pas cessé de m'accompagner.
Elle parla, et je ne compris pas vraiment le sens de sa question.
« - Te sens-tu en vie? »
Je parvins à articuler.
« - Oui, tout-à-fait. »
Une expression triste et étrangement blessée passa sur son visage, chassée aussitôt par une lueur de soulagement.
« - Tu nous as fait peur. »
« - Viens par ici. »
« - Non. Attends. Tu ne dois pas bouger pour l'instant. »
J'avais saisi sa main.
« - Faut-il que je vienne te chercher ? »
J'avais demandé cela d'un ton calme et neutre qui eut le don, je crois, de la terroriser.
« - Tu ne peux pas me traiter de cette façon, qu'est-ce qui te prend ! »
Mais qu'avait-elle, bon sang…
Un refus de sa part était bien la seule chose qui pouvait m'achever, en cet instant.
« - Depuis que tu es revenu de cette mission tu es comme un animal ! Mais dis moi ce qui s'y est passé à la fin… »
Des larmes commençaient à ruisseler sur son visage, et je pensais que ce spectacle m'avait énormément manqué, depuis la dernière fois où il s'était manifesté.
Elle se leva du lit avant que j'aie pu la retenir.
« - Rien que je ne connaisse déjà. Toi tu ne connais pas la violence de la guerre. Cela changerait n'importe qui. Le meilleur des hommes se transforme en bête sauvage lors d'une bataille. Alors un homme un peu moins bon…Tu peux imaginer. Mais tu n'es pas obligée de me comprendre. »
« - Alors je dois accepter tout ce que tu me fais, tout ce que tu dis, sous prétexte que tu reviens de te battre ? »
« - Honnêtement, tu n'es pas tombée loin. Tu vois, je suis franc. »
« - Tu es malade. Ton attitude n'est pas normale…Je ne veux plus que tu me touches ! »
« - Tu as raison, mon attitude n'est pas normale. Mais c'est comme ça. Et tu dis que tu ne me laisseras plus te toucher… Permets moi d'en douter. »
« - Ca suffit. Je crois que j'ai enfin compris ce qui t'intéressait… »
« - En grande partie, oui, je le crois. »
« - Tu te fiches complètement de me faire du mal… »
« - C'est faux. »
« - J'ai peine à le croire. »
Elle se dirigea vers la porte.
« - Ne sors pas d'ici ! »
« - Sinon quoi ? Tu vas me jeter un sort ? »
« - N'as-tu pas compris que je pouvais te faire bien pire ? »
« - Me noyer dans ton sang, par exemple ! »
« - Cela n'a rien de sale. Tu devrais savoir que mon sang est d'une pureté irréprochable, tu ne toucheras jamais quelque chose d'aussi propre… »
« - Cette conversation me fait horreur, je m'en vais. »
« - Reste ! »
Cette demande tenait plus de la supplication que de l'autorité et je m'en voulus de si peu pouvoir me tenir.
Contre toute attente, elle se figea sur le pas de la porte.
J'eus soudain la certitude que nous étions perdus. Et la certitude aussi de l'avoir toujours su.
Je nous savais perdus, en une intuition inexplicable. Et comme j'espérais me tromper…
Je ne m'aperçus que plus tard à quel point cet épisode sanglant l'avait choquée, blessée.
Moi, il m'avait juste ému et m'avait permis de me sentir à nouveau en vie.
La main sur la poignée, me tournant la tête, je l'entendis murmurer…
« - Tu m'as utilisée. Pourquoi es-tu si…Malsain, Lucius ?»
Il n'y avait rien à répondre à cela. Pourquoi elle, était-elle si saine ?
« - Tu n'es qu'un monstre. »
« - Soit. Si tu le penses. »
« - Espèce de salaud ! »
Et avec une violence inouïe, avec l'élan et la détente sublime d'un félin, elle bondit sur le lit et attrapa le col de ma chemise, serrant à m'en étouffer.
« - Je voudrais te tuer ! », fit-elle d'une voix enrouée, la haine le partageant visiblement au désespoir.
« - Très bien », parvins-je à articuler malgré le manque d'air. « Mais tu dois savoir que les condamnés ont droit à une dernière volonté. »
Mes forces étaient finalement revenues, ou bien était-ce son contact qui m'avait réveillé, et je saisis ses poignets à les briser. L'air reflua dans mes poumons et je parvins peu à peu à renverser la situation.
Ce fut une lutte acharnée et je me demandais ce qui arriverait si ce tas de crétins bien pensant qu'était le soi-disant Ordre du Phénix venaient à assister à cette scène. Le bruit risquait de les attirer… Et nous ne faisions aucun effort pour éviter de nous égosiller. Pendant que j'essayais de la maintenir immobile, elle hurla des paroles impubliables. Elle cria qu'elle me haïssait. Que je ne pensais qu'à abuser d'elle, qu'elle me tuerait un jour, si je ne la tuais pas avant. Que je n'étais qu'un traître et qu'elle me méprisait du plus profond de son être. Que j'avais manœuvré depuis le début pour arriver à mes fins…Elle me gratifia au passage de plusieurs gifles et d'un coup de poing que je n'esquivai que partiellement.
Pathétiques manières de moldus…
Elle omit de rajouter que c'était elle qui était venue me chercher au Ministère ce jour-là, et elle aussi qui était venue me chercher sur le Chemin de Traverse, que c'était elle qui m'avait fait délibérément comprendre que je n'avais qu'à la toucher pour qu'elle me tombe dans les bras… Dans mes bras comme maintenant.
Elle eut tout compris avant moi. A travers son visage empourpré et mouillé de larmes, entièrement bloquée sous mon corps à présent…
« - Tu vas encore le faire… »
Je me penchai sur son cou.
« - Je vais me gêner… »
Et alors que, déjà grisé par la simple idée de ce que je m'apprêtais à faire, une douleur fulgurante, brûlante, dévorante, se propagea depuis mon entrejambe jusque dans tout mon corps, annihilant le reste de mes pensées. Tout autour de moi de couvrit d'un voile rouge alors que, j'imagine, car il m'est impossible de me souvenir quels ont été mes mouvements exacts à ce moment-là, je me roulais en boule sous le coup de la douleur. Je l'entendis, à travers les limbes de la souffrance, sortir de la chambre et claquer la porte en un bruit qui résonna tel un sourd écho à mes oreilles.
