Chapitre 16
Un silence
Combien de temps je restai là, prostré, ivre de douleur, je l'ignore.
Je sais seulement combien je la haïssais, en cet instant.
Et ce sentiment dévorant était si proche d'un autre que je ressentais à son égard, si ressemblant que, sans plus de différence, les deux se fondirent en un seul, et je ne restai plus qu'avec un sentiment atroce de manque et de regret.
Le lendemain je fus assez fort pour me lever et descendis aux cuisines afin de me nourrir. J'espérais ne rencontrer personne. Mais évidemment…
Le bien nommé Survivant.
Je crois n'avoir jamais fixé quelqu'un dans les yeux aussi longtemps. Je descendais l'escalier, les yeux rivés aux siens qui me lançaient des éclairs, amusé par cette pitoyable tactique d'intimidation.
C'était à celui qui détournerait le regard en premier. Mais je savais déjà que ce ne serait pas moi. Stupide gamin.
Arrivé en bas de l'escalier, nous nous fîmes face et j'attendis qu'il dise quelque chose…
« - Vous promenez ici avec des airs de propriétaire méprisez tous les gens que vous croisez mais je vous préviens : vous êtes chez moi et je n'hésiterai pas à vous flanquer dehors si vous vous conduisez mal. »
Il était donc venu marquer son territoire…
« - Je n'oublie pas ni quelles sont mes fonctions ici, ni à qui je les dois. Et ce n'est pas vous qui allez me donner des leçons parce que je ne vous dois rien, et que comme moi, vous faites ce que vous dit Dumbledore. Alors ne prenez pas l'habitude de me parler sur ce ton. »
« - Je n'ai pas la moindre confiance en vous. Je ne sais pas ce que vous fichez ici, et je vous ai à l'œil. Et je ne suis pas le seul... Si vous vous amusez encore une fois à vous en prendre à Hermione… »
Une alarme venait de se déclencher dans ma tête.
« - …Je vous le ferai payer. Ici on se moque de la nature du sang et vous feriez mieux de vous en rappeler. Ne l'agressez plus et ne posez plus jamais les mains sur elle. Je ne suis pas dupe. Et si vous pouviez même éviter de ne serait-ce que de poser le yeux sur Hermione, je crois que ce serait un soulagement pour elle. »
Non, il ne se doutait de rien…
On avait frôlé la catastrophe… Catastrophe ? Mais Dumbledore lui-même était au courant, qu'avais-je à craindre ?
Au fond, ce vieil hypocrite était aussi corrompu que moi… Il n'avait pas hésité à la vendre, à me la vendre, en échange de ma collaboration…
Mais elle-même ne s'en doutait-elle pas ?
Apparemment il croyait juste que j'avais essayé de l'agresser à cause de sa nature. Logique.
Au prix d'un effort colossal, je parvins à afficher un visage calme. Un de ces jour, je n'y parviendrais plus, et advienne que pourra pour ceux qui se trouveraient sur mon passage…
« - Si cela peut la soulager, alors bien entendu que je ne poserai plus les yeux sur elle. Ca ne sera pas trop dur, je crois. »
« - Attention à ce que vous dites. »
Mes ongles étaient plantés dans ma chair et je me mordais les lèvres pour ne pas hurler de rage.
Il me jeta encore un regard noir et s'élança dans les escaliers.
Mon entrejambe ne me faisait presque plus souffrir, et je gagnai les cuisines d'un pas presque rapide.
Elle était là. Et Molly Weasley aussi. Assises à la grande table qui trônait dans la pièce. Quand j'arrivai, la femme me lança d'un air froid :
« - Vous avez décidé de vous lever…Il y a de quoi manger dans le four. Servez-vous. »
Hermione ne leva même pas les yeux. Mais ses mains se figèrent au-dessus du parchemin sur lequel elle était entrain d'écrire.
Inutile de dire que j'étais tombé en disgrâce. Et je l'avais chèrement payé.
J'attrapais de quoi manger et quittai la pièce, non sans lui lancer au passage un regard lourd de sous-entendus. Et cela porta ses fruits. A peine arrivé au bout du couloir qui menait au hall, j'entendis des pas qui me rattrapaient.
Je me retournai et lui fit face.
« - Je ne veux plus que tu me touches. Plus jamais. Quoi qu'il y ait eu c'est terminé. Maintenant tu le sais », dit-elle.
Elle fit mine de se retourner pour s'éloigner. Mais je n'en avais pas fini avec elle.
« - Tu sais qu'une telle décision se prend à deux… »
« - Comme tant d'autres choses… »
Je ne saisis pas l'allusion, sur le moment.
« - Si tu décides de m'ignorer…Tu sais que j'ai des moyens de pression sur toi pour changer cela. »
Ses yeux s'agrandirent d'horreur.
« - Tu ne ferais pas ça, tu ne vas pas trahir à nouveau… »
« - Qu'est-ce qui m'en empêche ? Et qu'est ce qui m'empêche au passage de révéler tout ce que tu souhaites cacher… »
« - Tu ne feras jamais ça… »
« - Tu crois encore que j'aurais des scrupules ? »
« - Je croyais que tu m'aimais. C'est tout. »
Il y eut un silence.
« - C'est le cas. Mais tu n'as jamais accepté ma façon d'être. »
« - Tu as raison. »
Quelque chose s'était brisé dans sa voix et je la regardai partir, s'éloigner, surpris. Malheureux.
Une semaine s'écoula sans qu'elle ne m'adresse la parole, et je songeai de plus en plus à mettre mes menaces à exécution. Les réunions se succédaient et seule la perspective de me battre à nouveau me faisait vivre.
Le froid qui régnait entre moi et les autres membres s'était peu à peu mué en politesse forcée, et la communication devenait moins conflictuelle. Mais ce n'était pas vraiment le paradis.
J'avais un passé, quoi qu'il arrive.
Et il me suivrait indéfiniment.
Un soir que je traînais sur le palier à l'écoute de ce qui se passait en bas, j'entendis Arthur Weasley crier sur sa fille. Apparemment la famille était de sortie et cette gourde était entrain de les mettre en retard.
Une idée me vint à l'esprit. Il me semblait me souvenir…Elle partageait sa chambre avec la fille Weasley. Il y avait donc des chances que ce soir elle soit seule…
Tant pis. J'allais essayer. J'étais trop mal depuis une semaine. Mon corps avait pris certaines habitudes et…Certains détails chez elle m'obsédaient. Son odeur. La texture de sa peau. Son sourire trop rare. Le goût de sa salive et la saveur de son sang. Et tant de choses…Comment admettre, qu'en fait elle me manquait, tout simplement ?
J'attendis que la maison soit calme et obscure et, à la manière d'un animal nocturne, je me faufilai dans les couloirs, descendis les escaliers, la crainte au ventre, la peur qu'elle me rejette comme elle le ferait sûrement…Complètement submergé par ces transes presque adolescentes…
Je suis arrivé devant sa porte.
Il n'y avait aucun son de voix et je m'enhardis à frapper, porté par cette pulsion et ce manque.
On m'ouvrit, et c'était elle. Pas un mot. Elle me contempla avec une expression fermée. Je n'avais rien prévu à dire.
Et je n'étais pas habitué à faire ce genre de démarche. Mon mariage avec Narcissa n'avait été qu'un long et ennuyeux protocole et lorsque par malheur il arrivait qu'un froid s'installe entre nous, nous le laissions s'évaporer peu à peu dans une indifférence totale des deux parties.
Mais que dire : Que je regrettais ? Ce n'étais pas le cas le moins du monde et si l'opportunité se présentait à nouveau je n'hésiterais pas un instant. Mais elle avait été blessée et en cela je n'avais pas d'excuse à ses yeux.
Après tout moi je ne lui en voulais pas de m'avoir presque rendu stérile, une semaine avant…Mais on m'avait toujours dit que j'avais une nature sanglante.
Ce qu'elle se refusait à accepter de ma part, je l'aurais accepté de la sienne avec plaisir. La même question me revenait sans cesse. Pourquoi était-elle si pure…
Mais peut-être est-ce ce qui m'a séduit chez elle ?
« - Tu as un moment à me consacrer ? »
« - J'ai du temps, mais pas pour supporter tes horreurs. »
« - On va essayer d'être concis. Tu ne risques rien, laisse-moi entrer. »
Cela n'avait jamais été aussi faux.
Elle s'effaça et me fit entrer.
« - Il faut que tu comprennes que…. », commençai-je.
Elle ne me laissa pas finir.
« - Tout ce que je sais c'est que tu es un boucher, Lucius, et que tu resteras ce que tu es. Alors je ne veux plus que tu me touches, ni rien de tout ça. Ce n'est pas moi qui viens te provoquer, tu vois, je veux juste que tu me laisses tranquille. »
La colère me submergea et toute la nervosité que j'avais contenue durant ces derniers jours, ma retenue face à elle, aux membres de l'Ordre, à ce crétin de Survivant, tout cela explosa dans une rage folle.
« - Ce que je suis n'avait pas l'art de te déplaire, il y a encore peu de temps. Même si j'étais un boucher, comme tu dis… »
Je m'avançai. Elle sortit sa baguette.
« - Qu'est-ce que tu vas faire ? Mais vas-y, un peu de cran voyons, va jusqu'au bout ! »
J'étais hors de moi. Mais pour une fois, sa colère semblait aussi forte que la mienne.
Je m'avançais toujours et elle continuait à me menacer, mais elle ne fit rien de plus pour m'empêcher d'avancer plus.
En un geste je saisis sa baguette et la retournai contre elle.
« - On peut savoir ce que tu t'apprêtais à faire ? », dis-je d'une voix que je m'efforçais de contrôler.
« - Qu'est-ce que tu voulais que je fasse ! Rien, bien sûr ! Mais je ne te reconnais plus ! Qu'est-ce que tu voulais que je fasse… », répéta-t-elle, visiblement bouleversée.
Des larmes commençaient à apparaître dans ses yeux.
« - Y'a rien à faire ! Y'a rien à faire dans cette histoire…Tout est trop grave, nous sommes pathétiques à imaginer je ne sais quoi…Tu ne vois pas qu'il n'y rien à faire, à espérer… »
J'avais tellement envie de la gifler pour oser ainsi étaler vérité… Des larmes coulaient à présent le long de ses joues, et sur mon visage aussi.
« - Cette situation me rend folle ! Tu es un monstre ! Je croyais, je croyais… »
Elle s'arrêta pour reprendre sa respiration, haletante.
« - Je croyais que tu m'aimais. Je ne sais pas comment j'ai pu me mettre une telle chose dans le crâne. Et tu es tellement tordu…Et tellement habile pour le cacher…Tu es un monstre. Et je suis une idiote. Sors d'ici. »
Il n'y avait rien d'autre à dire.
De son visage penché continuaient à couler des larmes qui allaient s'écraser sur le sol
Je lui ai rendu sa baguette, elle l'a saisie sans me regarder. Je me suis retourné et je suis sorti.
Il n'y avait rien d'autre à dire.
