Chapitre 18
Suprématies
Elle quitta la chambre avec le matin qui arrivait, et après un temps raisonnable, j'en fis de même.
Je la retrouvai à la table où nous prenions les repas, parmi les autres, et elle ne leva pas les yeux quand j'arrivai. C'était bien sûr une obligation aux raisons compréhensibles. Personne ne devait soupçonner quoi que ce soit. Mais étrangement, cette froideur m'était insupportable. J'avais tant donné de moi cette nuit-là, tant fait abstraction de mes principes… Mon corps était encore chaud du sien et mes mains, encore pleines de la soie compacte de sa peau.
La Marque me picota à cet instant. Je retins un frisson. Et alors que cette tribu de pourceaux qu'est la famille Weasley avait le nez plongé dans la nourriture, elle fut la seule à s'en apercevoir. Elle m'interrogea du regard et je hochai la tête négativement afin de la rassurer. Son expression était inquiète, mais la Marque ne m'avait pas vraiment fait mal. Elle m'avait simplement…Rappelé sa présence.
Soudain, Arthur Weasley fit irruption dans la pièce et annonça, tremblant et d'une voix pleine de panique qu'une attaque de mangemorts avait eu lieu la nuit dernière à Pré-au-Lard, contre Severus et Lupin. Severus s'en était sorti mais le loup-garou était gravement blessé. Ils auraient dû achever le travail, cette fois-ci. Mais les mangemorts n'avaient jamais été qu'un troupeau d'incapables.
Ils se précipitèrent tous instantanément dans les étages et une fois prêts, ils se rendirent à Ste Mangouste, presque en se marchant dessus. Dans la précipitation, elle put me glisser trois mots, d'un air inquiet.
« - Dès mon retour, attends-moi dans ta chambre, je veux parler avec toi. »
Puis ils se précipitèrent sur la porte d'entrée et sortirent en trombe du hall.
Ils faisaient bien.
Un instant plus tard, la Marque se réveilla pour de bon, et je roulai sur le tapis en hurlant. Le Seigneur des Ténèbres était furieux. Je me tenais le bras en essayant de cerner cette douleur, mais elle était comme d'habitude la plus forte. Je crus devenir fou, à rester ainsi, sans pouvoir rien ressentir d'autre que ce mal.
Littéralement enroulé autour de mon bras, je me demandais quand cela cesserait enfin…De son côté aussi, Severus devait regretter de n'être pas mort cette nuit... La douleur commençait à s'atténuer et je restai un moment là, en sueur, avachi sur le sol en me tenant le bras.
Pathétique.
Tard dans la soirée, j'entendis du bruit venant d'en bas et en déduisit qu'ils étaient rentrés.
Comme promis, quelques minutes plus tard, elle vint me retrouver dans ma chambre. Trois coups discrets et rapides. J'allai ouvrir. Elle entra. Ses traits étaient tirés, son expression tourmentée. Belle telle que je l'aimais.
Je refermai la porte et elle vint aussitôt m'embrasser dans le cou en se haussant sur ses pieds. Doucement.
Je ne bougeai pas. Pas question de me jeter à son cou comme un chien en manque. Je tenais à préserver le peu de fierté qui me restait encore.
Elle se recula et resta interdite.
Puis elle se décida à parler.
« - Lupin est blessé mais il vivra. D'ailleurs je crois qu'il ne doit sa survie qu'à sa nature de loup-garou. Il est bien plus résistant que nous tous réunis. Et toi, comment vas-tu ? Ta Marque ? Elle ne t'a pas fait souffrir… »
« - Non », mentis-je.
« - Bien. »
Son front était plissé, toujours soucieux.
« - Cesse de t'en faire. Il ne va pas mourir, alors pourquoi tu t'inquiètes ? », demandai-je.
« - Ce n'est pas si simple. Cette fois, il n'y a pas eu de mort, mais la prochaine fois…Et toutes les autres… »
« - Ca ne sert à rien d'y penser. Ceux qui risquent leur vie le font en toute connaissance de cause. Et ils savent bien que le Seigneur des Ténèbres a pour habitude d'essayer diminuer les effectifs …Il veut juste éliminer le plus d'opposants possible. »
« - Tu es peut-être habitué à la violence et à la mort…Mais pas moi. »
« - Tu t'y feras. Peut-être même aimeras-tu cela… »
« - Jamais ! »
« - Comment peux-tu l'affirmer? As-tu déjà tué ? »
« - Tu es devenu fou… »
« - Alors tu ne connais pas cette ivresse. »
Elle me regardait, une expression d'horreur figée sur le visage.
Je braquai soudain ma baguette sur son front. Elle sursauta. Des larmes commencèrent peu à peu à rouler sur son visage tendu mais elle ne dit rien.
« - Ce que c'est de sentir qu'on a le pouvoir de transformer une personne bien vivante en un simple tas de chair en proie à la pesanteur… » Je ne pus m'empêcher de sourire.
J'accentuai la pression de ma baguette sur son front. Elle ne bougea pas, mais une expression de défi presque haineuse s'installa dans son regard.
Si j'avais pu un jour soupçonner qu'en cette frêle petite sorcière, d'origine moldue de surcroît, sommeillait une ennemie enfin à ma taille…
Si j'avais su…
La haine était facile à réveiller chez elle. Elle aurait pu facilement devenir une des nôtres.
Rien que d'y penser…
« - Tu es en colère, n'est-ce pas…Très bien, maintenant… »
Je baissai la baguette que je tenais braquée contre elle et la lui mis dans la main. Puis je la dirigeai en plein sur mon front.
« - Ne te sens-tu pas merveilleusement puissante ? Ce pouvoir…Tu le ressens, n'est-ce pas ? Tu flottes au-dessus de tout, et pourtant tu as le contrôle de la situation. C'est une ivresse incomparable... »
Elle ressemblait à une statue, pâle et figée, seuls ses yeux luisaient comme deux feux glacés.
Je tenais toujours le poignet de sa main qui tenait la baguette. J'aurais cru qu'elle tremblerait un peu. Mais pas le moins du monde. Je lâchai son bras.
Elle resta dans même la position, toujours sans bouger.
« - Allez, montre moi que tu veux le faire. »
« - Tu voudrais bien. »
« - Crois-le si tu veux…Tu as le contrôle, sers t'en ! »
« - Tu parlais d'une ivresse incomparable, je crois.J'ai trouvé quelque chose de mieux. »
« - J'attends. »
« - Ce qui t'a fait trahir ton maître. »
Elle insista cruellement sur le mot « maître ». Humiliation.
« - Moi. Tes sentiments. »
J'eus un rire méprisant.
« - Tu t'égares. »
« - Oh non…Impero ! »
J'eus soudain l'envie de me coucher, de fermer les yeux, de la laisser faire tout ce dont elle avait envie. Volonté artificielle, je le savais. Son Imperium était puissant. J'aurais peut-être pu le combattre, après tout elle était encore relativement inexpérimentée.Mais je voulais lui montrer. Lui montrer ce qu'était le pouvoir, et qu'une partie d'elle le réclamait, en dépit de tout ce qu'elle prétendait.
Et qu'elle appréciait cela.
Mais elle leva soudain le sortilège et je ressentis l'effet de l'Imperium qui se dissipait. Comme un réveil difficile, la sensation de retomber dans mon corps.
« - Le pouvoir ne passe pas forcément par la force », fit-elle d'une voix calme. « Ce que j'aurais pu t'obliger à faire sous Imperium, tu vas le faire de toi-même. Et pas parce que tu as peur. Parce que…Tu me veux, tout simplement. »
« - Peut-être que non. »
« - C'est ce qu'on va voir… »
