Chapitre 20
Tourments de la Guerre
Nous étions toujours dans les bras l'un de l'autre mais aucun de nous ne dormait. La plénitude m'avait envahi et semblait aussi avoir envahi la pièce. Tout irradiait…
Son visage aux yeux mi-clos exprimait une paix sans nom. Ou peut-être était-ce moi qui voulais m'en convaincre ? Mais je crois qu'elle était satisfaite.
L'était-elle ? Je ne voulais pas me rabaisser chaque fois…Non.
Sa main vint trouver la mienne.
« - Je dois redescendre. Je ne veux pas qu'ils commencent à me soupçonner de quelque chose…Ginnie doit se demander ce je trafique, il est très tard… »
« - Reste encore un peu… »
« - Demain, promis. »
« - Non, reste maintenant. »
« - Je ne peux pas…Je ne suis pas qu'un moyen de passer le temps pour toi, j'ai aussi des choses à faire. »
« - C'est ce que tu penses ? »
« - Non, c'était méchant, je le reconnais. »
Je tentai de sourire.
« - Tu sais que tu vas avoir beaucoup de mal à te faire pardonner… »
« - Oui, et je sais que tu t'es bien amusé à me faire languir tout-à-l'heure. Je me vengerai, tu verras. »
Son rire avait quelque chose de triste.
« - Je n'attend que ça… », répliquai-je.
Et c'était la vérité. Mais outre ses faveurs, j'aurais voulu tant de choses…La liste était prodigieusement longue. Imbécile que j'étais. J'avais déjà tout. Plus que ce que je ne méritais.
Le mérite : notion que je méprisais du plus profond de mon âme. Je voulais une chose ? Je m'en emparais. Rien n'était plus simple.
Mais maintenant…La frustration était grande, en dépit de tout. J'aurais voulu tant de choses. J'aurais voulu…
J'aurais voulu avoir à nouveau l'argent que j'avais toujours eu. Faire pleuvoir de l'or sur sa tête et voir tourbillonner à sa taille les plus brillantes étoffes, scintiller sur sa peau les plus somptueuses pierres. Elle se fichait de tout cela.
Mais moi j'aurais voulu qu'elle soit reconnaissante.
Et j'aurais voulu affronter le regard de tous, au lieu de le craindre et de m'en méfier. Les défier du haut de ma vérité et les écraser d'une main s'ils se mettaient en travers de mon chemin.
J'aurais voulu en faire ma femme pour qu'elle ne s'échappe jamais.
J'aurais voulu lui faire un enfant pour qu'elle m'aime toujours.
J'aurais voulu tout cela. Quelque chose me dit que j'aurais même pu la tuer, pour qu'elle ne soit jamais qu'à moi.
J'avais tout. J'avais un trésor. Avec la sensation de ne rien posséder. Et j'avais raison. On ne possède que ce qu'on a vaincu, et elle luttait, encore et toujours, d'une force démesurée.
Elle se rhabilla avec de lents mouvements, gracieux et caressants, ballet imaginaire, involontairement sensuelle.
Je résolus cette nuit-là d'écrire à mon fils. Inutile d'espérer me rendre sur le Chemin de Traverse, je n'étais pas stupide.
Peu après qu'elle eut quitté la chambre, je pris ma plume.
Je savais qu'il aurait cette année…Des décisions à prendre, et je voulais en être averti.
C'était un simple début. La reprise d'un contact.
Je repense à cette lettre et je me souviens qu'elle était du même ton froid et autoritaire, même au fond de la situation désespérément pathétique dans laquelle je me trouvais, qu'à l'époque où j'étais encore…Respectable, dominant et directif. Son père. Peut-être l'étais-je encore ? Peut-être pouvais-je encore donner l'apparence de celui qui ordonne ? J'envoyai la lettre.
Elle disait à peu près ceci.
« Mon fils,
J'ignore ta situation du moment mais je m'en inquiète. Si ce que je soupçonne se révèle vrai, tu auras cette année des décisions à prendre. Je pense que tu le sais. Je voudrais que tu m'en tiennes informé, quelles qu'elles soient. Prends soin de ta mère pour moi.
Ton père. »J'ai longtemps regardé le hibou qui portait la lettre, jusqu'à ce qu'il disparaisse, englouti par le ciel éclairci de l'aube qui venait. Pendant un temps indéfini. Mes pensée se retournaient dans ma tête, « faites qu'il m'obéisse… ». J'ignorais que j'étais loin, si loin de la vérité…
Le soir même, une nouvelle mission nous attendait.
Et je savais, depuis le fourmillement dans mes doigts jusqu'au cognement du sang dans ma tête, que ce soir, cette nuit au plus tard, le sang serait versé. Par ma main. Du moins l'espérais-je.
Il le fallait, je l'exigeais, presque involontairement. J'avais besoin de cela.
Et le soir venu, ivre encore une fois de ce que je m'apprêtais à faire, je lui fis signe à travers la pièce pleine de monde. Comme le première fois, elle pleurait. Elle était venue me dire au-revoir.
Mais le sourire que je lui fis devait déjà lui sembler effrayant.
Je compris à cet instant-là à qui elle venait réellement dire au-revoir.
Elle venait dire adieu à celui qui, oubliant sa fierté, tendait les mains vers elle et demandait. A celui qui, abandonnant froideur et détachement la berçait comme une enfant et apaisait ses larmes après une trop rude étreinte. Et à celui qui, se moquant du monde entier et de lui-même, lui avait dit un jour qu'il l'aimait.
Dans son esprit, quel monstre assoiffé de sang lui reviendrait de la bataille?
Quel monstre assoiffé de sang était déjà en route pour se battre, était une question tristement plus judicieuse…
Elle s'inquiétait de voir réapparaître la créature hideuse cachée en moi et qui ne connaissait d'autre loi que celle que son instinct, son ventre, ses reins, lui dictaient. Elle n'avait pas tort.
En un sens, à cet instant même, j'avais déjà basculé.
Nous sommes sortis et nous avons transplané.
Un cercle de pierres, cette fois.
La réunion habituelle mais…Agrémentée d'un rituel destiné de toute évidence à renforcer la puissance du « Maître ».
Trois d'entre nous lancèrent immédiatement des maléfices anti-transplanage sur la zone, mais le Seigneur des Ténèbres, comme il fallait s'y attendre, réussit à les détourner et à s'enfuir. Pris au piège, les mangemorts, eux, courraient en tout sens.
Le but était d'en réduire le nombre. Sans les tuer. Je trouvais l'idée stupide et dangereuse.
De plus, ce vieux fou de Dumbledore, si avide de préserver la vie, ne semblait pas vraiment se préoccuper de détruire le Mage Noir. A cette époque-là cependant, très peu de personnes connaissaient l'étendue de la Prophétie, et surtout le rôle qu'aurait à jouer ce satané Survivant. Donc nous obéissions. Tout simplement.
Les sorts commencèrent à fuser, les premiers duels commencèrent.
Je me baissai à temps pour éviter un éclair violet, et ainsi commença mon duel contre un mangemort encagoulé dont je reconnus la voix après qu'il m'ait lancé le classique:
« - Tu vas mourir, Lucius. »
Cette harpie de Bellatrix Lestrange.
« - Mais avant, tu souffriras pour ta trahison, crois-moi… », fit-elle de cette voix à la fois geignarde et rocailleuse.
« - Bella ! J'avais reconnu ta voix…et comme toujours, elle me donne mal à la tête. », fis-je en un souffle avant d'esquiver le maléfice de Videntrailles qu'elle me lançait.
Les sorts et contre-sorts fusèrent sans répit, sans compter ceux des combats alentours. Elle évita de justesse un sort mortel que je lui avais envoyé. Et elle me blessa au bras gauche avec un sortilège de découpe un peu particulier.
Nous jouions à une macabre partie de cache-cache entre les pierres levées du cercle.
Elle envoya un sortilège mortel qui fit exploser la pierre presque au niveau de ma tête et, affaibli par la quantité de sang que je perdais de mon bras, boitant et douloureux, j'eus tout juste le temps de me jeter derrière la pierre voisine. Une tâche sombre s'étendait progressivement sur ma chemise.
J'étais au sol, appuyé contre la surface froide et râpeuse de la pierre levée, et j'entendais ses pas qui se rapprochaient inexorablement, je commençais à me préparer à vraiment souffrir.
« - Tu te caches, Lucius ? On dirait que tu as perdu de ta superbe. Un bel homme comme toi…Mais ne t'inquiète pas, je ne vais pas te tuer tout de suite, je vais te faire un peu souffrir avant. Ah ! Non, tu ne devrais pas résister…Expelliarmus !
La baguette que j'avais tenté d'utiliser de mon bras valide s'envola dans la nuit, en même temps que mon dernier espoir d'en sortir vivant.
Ce fut alors que, venant de l'obscurité une voix s'écria :
« - Stupéfix ! »
Et Bellatrix s'effondra à demi sur moi.
Severus sortit de l'ombre et claudiqua en ma direction, le visage tailladé en divers endroits, la cape déchirée, d'une pâleur extrême.
La rage, la colère, l'avidité bouillonnante de me venger me remirent debout en un sursaut, malgré la blessure qui me clouait à terre un instant avant.
« - Cette garce ! »
Je me jetai sur lui et sans attendre, en un seul élan, saisis sa baguette et me retournai vers le corps de Bella sur le sol.
« - Qu'est-ce que tu vas faire ! », hurla Severus.
Mais le sort était déjà parti.
L'Avada fondit sur elle un instant avant que Severus ne se jette à son tour sur moi pour me plaquer au sol et m'arracher la baguette.
« - Qu'as-tu fait, espèce d'imbécile ! »
Il semblait épuisé et furieux, mais la colère l'emportait sur la fatigue. Du sang coulait abondamment de son visage.
« - Quelque chose qui simplifiera bien des choses, mon vieil ami. »
La réalité commençait à onduler autour de moi, mais je revins aussitôt à moi lorsqu'il me frappa lourdement au visage.
« - Espèce d'imbécile… », répéta t-il, « tu ne changeras donc pas…Tu n'es plus un mangemort je te rappelle, et tu continues à te conduire en tant que tel. Sa mort n'aidera pas la justice, lors du procès. »
Il m'avait saisi au col et me regardait d'un air dégoûté.
« - Tu es mal placé pour me donner des leçons de morale, Severus. Rappelle-toi…Tu n'étais pas le dernier à pratiquer les Impardonnables, autrefois. Ecoute, c'est fini, cette garce est morte…Et bon débarras… »
Mon regard se posa sur son cadavre et je ricanai.
« - Tu vas devoir rendre des comptes, Lucius. Ne me dis pas que tu ne t'en doutais pas. », fit-il d'un ton trop las, mais qui se voulait menaçant.
Il ôta son poids de sur moi et s'agenouilla à mes côtés, à l'abri de la pierre levée.
« - Tu vas commencer par transplaner, tu ne sais même plus comment tu t'appelles…Lève-toi ! »
Ce brave Severus me traîna du mieux qu'il put à travers les décombres fumantes du champ de bataille et des reste enflammés du rituel interrompu. Autour de nous fusaient encore quelques sorts, mais la bataille touchait à sa fin.
Après un temps indéterminé nous arrivâmes à l'orée d'un bois et je pus enfin transplaner.
