Chapitre 21
La fontaine de sang
Je me sentais apaisé, flottant, léger malgré ma blessure. Je poussai la porte d'entrée. Le hall de la maison était empli de tous ceux qui avaient transplané avant moi, les blessés, ceux qui parlaient fébrilement, racontaient, ceux qui soignaient aussi. Et au milieu de cette agitation, le sang tâchait les tapis…J'ignore pourquoi je retins ce détail.
Il fallait que je me fasse soigner, et vite, mais mes yeux cherchaient malgré moi un visage, un autre regard.
Où était-elle ?
Je m'assis sur un des divans installés à la hâte pour allonger les blessés.
Quelqu'un s'approcha de moi. La jeune Auror, Tonks.
« - Je vais devoir vous l'enlever si je veux vous soigner », fit-elle d'un ton neutre.
Je me débarrassai des lambeaux sanglants de ma chemise. Elle prononça le sort de guérison, examina mon bras un instant, et s'éloigna.
Je me levai et, après un dernier regard circulaire sur la pièce, je m'éclipsai vers les étages. Plus rien à faire ici, j'en avais assez pour ce soir. Et puisqu'elle me fuyait…Elle avait tort. J'avais eu mon content de sang et de douleur pour la soirée. De meurtre aussi.
Viendrait le temps des explications mais ce soir je dormirais relativement en paix. Du moins c'est ce que croyais.
Je me laissai lourdement tomber sur mon lit et me pris le front dans les mains.
Comme au matin d'une soirée orgiaque et décadente, je me sentis soudain atrocement lucide à propos des évènements de la soirée. Comme l'avait dit Severus, j'aurais bientôt des comptes à rendre…L'instabilité de mes émotions ce soir-là m'effraya quelque peu, et je décidai de couper court. Chaque chose en son temps. J'étais fatigué, et je supportais de moins en moins la souillure du sang qui tâchait ma peau et mes vêtements.
L'eau brûlante et la vapeur me détendirent, lavant provisoirement les derniers effluves, les derniers spasmes du meurtre.
Je m'endormis tout de suite d'un sommeil lourd, profondément absorbé par les rêves décousus et dérangeants qui s'ensuivirent.
Je rêvai de bataille. J'étais au cœur d'un tourment, d'une inquiétude de chaque instant. Le sang coulait tout autour de moi et étrangement, ce fait me déplaisait au plus haut point. Les images cauchemardesques se succédaient.
Puis je rêvai d'elle. Elle se tenait au cœur d'une forêt enneigée. Elle paraissait si jeune…Et son ventre était rond. Elle me fit signe. Approche…J'avançai mais sans succès, mes pieds foulant inutilement le sol, piétinant malgré les efforts que je déployais. Elle s'éloignait, même. Je me démenais de plus en plus, la panique commençait à m'envahir. Elle disparaissait parmi les arbres, et je n'étais pas fichu de me rapprocher d'elle. Je finis par crier, l'appelant, mais ma voix se perdit dans cet entrelacs d'arbres noirs et nus se détachant sur un ciel gris foncé et, plus je tentais d'avancer, plus je m'éloignais, glissant vers l'arrière. Elle disparut. Je poussai un dernier cri et me réveillai en sursaut.
Je me redressai d'un coup sur le lit, en sueur, hagard, affolé, encore plongé dans ma souffrance. J'inspirai profondément, j'étais comme pris dans un étau, serré entre deux bras, serré entre ses deux bras qui, je ne m'en aperçus pas tout de suite, se refermèrent autour de moi. Elle me tenait pressé tout contre elle.
Elle.
Je sentis ses lèvres sur mon cou en sueur. Elle caressait mon dos, comme on caresse un enfant qui vient de se faire mal. Comme un enfant.
Mes bras se refermèrent convulsivement sur elle, l'étreignant de toutes leurs forces, comme pour s'assurer de la réalité de sa présence.
Elle ne parla pas. Elle caressa mes cheveux, mon dos, embrassa ma peau, mais se tint muette.
Je crois que le soulagement que m'apporta sa présence n'avait pas de bornes.
Sa peau était fraîche, douce, délicieusement réelle. Et le renflement tendre et délicat de sa poitrine qui s'appuyait contre moi, à travers la mince chemise qu'elle portait, était à la fois une promesse et une tentation…
Je m'arrachai à cette étreinte, et me levai pour m'asperger le visage d'eau. Je sentais son regard me suivre. Elle ne parlait toujours pas.
« - Je ne t'ai pas vue, en arrivant tout à l'heure. »
Elle ne répondit pas tout de suite.
« - C'était volontaire. Tu dois bien comprendre pourquoi. »
« - C'était inutile de me fuir, je ne comptais pas te faire de mal, j'ai eu tout ce dont j'avais besoin, lors de la bataille », répondis-je, provoquant.
Elle observa un silence étrange.
« - C'est vrai ce qu'on raconte ? Tu…Tu as tué Bellatrix Lestrange cette nuit ? »
Elle commença à trembler avant même que je réponde.
« - Je l'ai fait. »
Je la regardais dans les yeux, comme pour la défier de rajouter quoi que ce soit.
« - Ce sont des choses qui arrivent. C'est la guerre. »
« - Il paraît que…Tu l'as fait alors que ça n'était plus nécessaire. C'est ce que disent certains. C'est faux, n'est-ce pas ? »
Des larmes commençaient à couler sur ses joues.
« - Non, c'est la vérité. J'avais envie de le faire et je l'ai fait », répliquai-je d'un ton calme.
Elle étouffa un sanglot.
« - Si tu pleures…Tu sais que tu vas me donner des envies, alors à toi de voir… »
Et c'était vrai. Ses larmes, bien plus que tous les subterfuges sorciers et imaginables, provoquaient immanquablement chez moi la naissance d'un désir incontrôlable. Cela datait, je crois, de notre toute première rencontre.
Elle se leva et se dirigea vers la porte.
Je fis un geste vers elle. Elle l'évita. Je lui barrai la route.
« - C'est trop tard, tu ne vas nulle part. Et ne me dis pas… »
Je me rapprochai d'elle.
« - …Que tu veux vraiment en rester là. »
Je la pris dans mes bras et la pressai délicatement contre moi, comme elle l'avait fait elle-même un peu avant. Sa tête vint se poser au creux de mon cou.
« - Non, c'est la vérité, mais j'ai peur des fois… »
Elle cherchait ses mots.
« - …Si je décide de rester promets-moi…Ne me fais pas de mal, c'est tout. »
« - Tu n'auras que du bien. Tu as ma parole de traître. »
Elle sourit à travers ses larmes à cette boutade. Elle était encore plus belle ainsi.
Elle était en passe de devenir, inutile de me leurrer à ce sujet, une jeune femme forte et décidée, sans compter sur son intelligence exceptionnelle…
Mais je l'avais rencontrée assez jeune pour pouvoir la modeler à ma façon, et en faire quelqu'un d'assez soumis à ma personne pour ne pas trop me résister.
Mais elle résistait cependant…Un peu. En certains points. Toujours tenace.
Elle se haussa sur la pointe de ses pieds et murmura à mon oreille :
« - Tu sais que tu me fais peur, des fois, n'est-ce pas ? Tu le sais ? Tu te conduis comme…Comme un… »
« - …Comme un soldat ? », terminai-je pour elle.
Elle resta un moment silencieuse. Puis elle répéta :
« - Comme un soldat. »
Il y eut un silence d'une tristesse presque insoutenable.
Je passai une main dans son dos et la dirigeai vers le lit sur lequel nous nous assîmes.
Elle sanglota à nouveau, et cette mélodie réussit à encrer une mélancolie profonde dans mon âme.
« - C'est que…J'ai peur… »
Les mots lui manquaient, la respiration aussi.
Son frêle corps se secouait dans mes bras comme un vaisseau porté par la tempête.
« - J'ai peur que cette guerre…Finisse de briser ce qui est déjà fragile… »
Elle ne put en dire plus. Elle s'effondra littéralement dans mes bras.
Je lui murmurai à l'oreille des paroles que je voulais apaisantes, mais les larmes semblaient ne jamais vouloir s'arrêter de rouler sur son visage…Puis sur le mien.
« - Tu es trop belle pour pleurer, arrête. Je suis là, tu vois bien, je suis là, de quoi as-tu peur…C'est fini…Je ne vais pas les laisser me tuer, tu as encore tant de choses à vivre, ne pleure pas, ne laisse pas la guerre te détruire… »
Les larmes finirent peu à peu de couler et cette crise, ce désespoir presque enfantin, laissa place progressivement à un silence muet, figé. Elle ne sanglotait plus, mais ne semblait pas plus vouloir parler.
Nous nous allongeâmes sur le lit, son corps contre le mien, enlacés, immobiles.
« - Tu te sens mieux ? »
Elle répondit d'un faible mouvement de tête.
« - Qu'est-ce que tu as… »
Mais elle gardait toujours le silence.
« - Parle-moi…Qu'est ce que tu as…Qu'est-ce que tu veux… »
Je ne trouvais plus de moyens pour l'apaiser. Comment la rassurer, comment la consoler…
« - Qu'est-ce que tu veux…Une maison ? Des terres…J'ai un notaire et homme de loi sur l'Allée des Embrumes. Il s'occupe de mes affaires. Si tu vas le voir pour moi il fera les papiers à ton nom sans faire de problèmes. Pour lui la loi n'est rien face à un peu d'or… »
Elle ne répondit rien.
« - Qu'est-ce que tu veux…Un enfant ? »
Elle me serra davantage contre elle.
« - C'est toi que je veux. Et je ne supporte pas l'idée que tu te fasses tuer. Je supporte déjà très mal que tu sois un assassin…Mais je ne peux rien y faire, bien sûr. » Elle se tut un instant. « Fais attention à toi, s'il te plait. »
« - Je ne peux rien te promettre, tu dois bien t'en douter. Enfin si…J'aurais voulu que tu m'épouses. Je ne peux pas me marier avec toi, et puis tu es si jeune…Mais je peux te faire une promesse. »
J'élevai ma baguette dans les airs et un mince filet argenté en sortit avant de s'enrouler sur lui-même. La bague resta un instant dans les airs et tomba au creux de ma paume. C'était un serpent dont les yeux étaient deux petites émeraudes. L'acte de magie génératrice que je venais d'accomplir me fatigua d'un seul coup mais je réussis à le dissimuler.
Je m'assis sur le lit et elle en fit autant.
« - Tu n'est pas obligé… », commença t-elle.
Mais je fermai sa bouche d'un baiser.
« - Je ne peux rien t'offrir, même pas ma vie, alors laisse moi au moins te faire une promesse. »
Je passai la bague à son annulaire gauche.
« - Quand la guerre sera finie et si je suis toujours là…Je te fais la promesse de tout ce que tu voudras. »
Elle observa un moment sa main gauche, puis prit la mienne et en embrassa l'intérieur, les yeux fermés.
« - Je te veux. Ca, tu peux me le donner tout de suite, je crois… »
Son sourire…
Mes mains allaient vers elle et elle recula soudain, me laissant insatisfait, se refusant, une expression rieuse sur son visage rougi par les larmes.
« - Mais tu dois d'abord m'attraper…Non ! »
Elle riait aux éclats alors je roulais sur elle, la tenant fermement pour ne plus qu'elle m'échappe.
« - Tu ne sais pas jouer ! »
Et elle riait, elle riait…
