Chapitre 28
Mues
J'avais vu le dégoût sur son visage. Une haine profonde, comme seuls les êtres proches savent vous porter, mais avant tout un dégoût immense. C'était cela qui m'avait fait basculer dans une rage folle.
Il n'était pas sensé m'exprimer une telle désapprobation. Pour qui se prenait-il ?
Et il était évident qu'il y aurait un châtiment en conséquence.
Le sort s'abattit sur lui avant même qu'il n'ait réalisé ce que j'allais lui faire. Dans mes bras, mon ange se raidit, enfonçant ses ongles dans ma chair alors que mon fils s'écroulait à terre. Mais je sentis à peine cela. Je bouillais d'une rage cuisante que je m'efforçais de contenir, et j'avais fait passer l'essentiel de cette haine, cette énergie soudaine dans mon sort, qui s'était avéré d'une force prodigieuse.
Elle se débattit, et chercha à se dégager de mon étreinte, une expression paniquée sur le visage.
« - Ne bouge pas. De quoi as-tu peur ? »
Mais elle luttait de toutes ses forces…
« - Lâche-moi ! Qu'est-ce que tu lui as fait ! Mais regarde ! »
« - Il l'a mérité. Et je suis seul juge de son éducation, je te rappelle ! »
Je tentai de retrouver un semblant de calme. Mais elle se débattait toujours avec une force inattendue, jetant des coups d'oeils paniqués à la masse sombre de mon fils qui convulsait toujours sur le sol. Je finis par la lâcher, et elle se précipita aussitôt près de Drago, le retournant, prenant sa tête entre ses mains, et c'en était insupportable, insupportable car elle parvint par ce simple fait à me faire sentir comme coupable.
Mon fils reprenait peu à peu sa respiration et, je ne pouvais que les regarder, immobile au dessus de leurs silhouettes courbées sur le sol. Figé.
Impassible.
« - Tu lui as fait mal ! », cria-t-elle, le visage relevé vers moi, la haine le disputant à la panique dans son regard perdu.
« - C'est le propre d'un Doloris, mon cœur, je pensais que tu l'avais compris. »
Je me détournai, paisible en apparence. C'aurait pu être une belle journée. Le soleil filtrait chaleureusement à travers les rideaux jaunes, et il régnait une douce chaleur dans la pièce…Mais les halètements désordonnés de mon fils prostré au sol, la respiration de mon amante agenouillée à ses côtés qui se muait peu à peu en sanglots, me faisaient regretter qu'une telle journée ait débuté. Il n'aurait pas dû venir. Tout serait atrocement compliqué, désormais.
Je finis par me retourner à nouveau vers eux.
Il haletait toujours, mais son état s'était amélioré, bien qu'il soit toujours sous le choc. Le sort avait été bien plus puissant que je ne l'avais prévu. C'était une évidence.
Elle avait pris sa tête sur ses genoux, et repoussait les mèches blondes qui adhéraient à son front en sueur. Il semblait ne pas être conscient de sa présence, alors qu'elle le tenait de façon presque…Tendre. C'en était trop.
« - Cesse donc de t'inquiéter, tu n'es pas sa mère. »
La colère montait à nouveau, lentement mais sûrement.
« - Et si tu ne l'avais pas remarqué, je te rappelle qu'il te considère comme quelqu'un d'impropre à le toucher, alors ne t'inquiètes pas trop pour lui. »
« - Père… », fit-il entre temps.
« - Mais tu lui as fait mal ! », répéta-t-elle.
« - Lâche-moi, sale Sang-de-Bourbe… », articula t-il distinctement.
« - Il l'a cherché. Ca n'est rien, il n'a rien, cesse de te rendre ridicule, tu as toi-même fait les frais de quelques uns de mes Doloris et tu es toujours là ! Et de ton plein gré, je te rappelle… »
« - Ce n'est pas le moment », fit-elle, comme blessée.
Drago s'était dégagé de son étreinte avec un sursaut de dégoût et s'était relevé. A présent il me faisait face, tremblant de rage.
« - Vous êtes répugnants ! Père, qu'est-ce que tu trafiques avec cette fille, elle t'a ensorcelé ou quoi ! C'est une sale sang-de-bourbe ! Et toi, toi…Immonde garce…Tu es bien comme ceux de ta race, à peine plus que des animaux ! », cracha t-il.
Elle était à présent debout à mes côtés, et la proximité de mon autorité fut je pense, la seule raison qui le retint de se jeter sur elle pour l'étrangler.
« - C'est à cause… », chercha t-il à continuer.
« - Drago! Ferme-la maintenant. »
Il en avait dit assez.
« - C'est à cause d'elle que tu te retrouves dans cette situation, papa, pourquoi l'as-tu laissée faire ! »
« - Ne te mêle pas de ces choses-là ! »
« - Cette fille est une pute ! » Il en haletait d'indignation. Mais son esprit, loin d'être sot, avait saisi une vérité latente… « Elle est la garantie que tu reste sous leur contrôle… »
Je m'étais déjà jeté sur lui. Il avait dépassé toutes les limites envisageables. L'insulte avait été de trop, même s'il était vrai que j'étais à leur merci à cause d'elle. J'espérais avec une force démente qu'elle-même ne me considérait pas comme une obligation, bien que je sache que dans son infinie mansuétude, Dumbledore lui avait laissé son libre arbitre dans ce choix-là.
Nous nous battîmes comme des sauvages, usant plus que jamais de nos poings à la place de nos baguettes, en une preuve supplémentaire que la noblesse du sang ne préserve pas d'une violence brute somme toute humaine. Les coups pleuvaient, sans que rien ne les retienne. Le visage, le corps, tout. Une vitesse stupéfiante. Une violence inouïe.
Son agilité égalait presque la mienne, et je me demandais où il avait fait l'apprentissage d'une telle adresse. Peut-être nulle part, c'était juste une haine pure, totale, qui dépassait la raison et qui le guidait entièrement. Je m'apprêtais à saisir ma baguette pour lui lancer à nouveau un sort qui l'aurait calmé.
Je n'entendis pas le sortilège, et ne compris qu'elle nous avait lancé un sort d'immobilité que lorsque je sentis mon corps devenir rigide, et le celui de mon fils au-dessus du mien en faire autant.
Les yeux grands ouverts mais sans pouvoir bouger d'un pouce, je sentais le sang ruisseler sur mon visage, en petites rivière tièdes, et celui de mon enfant goutter abondement sur ma peau, tandis que mon regard était plongé dans la fixité flamboyante et glacée du sien.
« - Cessez de vous battre…Lucius, comment peux-tu frapper ton fils…Regardez vous, vous êtes pleins de sang ! » Sa voix se brisa. « Jusqu'où comptiez-vous aller ? Jusqu'à vous entretuer ! Vous êtes des sauvages, et quand je vois la fierté que vous tirez de votre sang…Ca me donne envie de vomir… »
Elle éclata en sanglots, puis releva sa baguette vers nous.
« - Enervatum. »
Et tandis que les effets du sort se dissipaient, elle sortit de la chambre, la poitrine agitée de sanglots, une main sur son visage rougi de larmes.
La porte claqua.
Mos fils roula de côté, et pendant que nous reprenions respectivement notre respiration, il murmura :
« - Papa…Je te demande pardon. »
« - N'en fais rien, fils, tu n'es pas en position de demander quoi que ce soit. Tu as fait une erreur en venant aujourd'hui. »
« - Moi, je pense que c'est toi qui n'est pas en position d'exiger quoi que ce soit. »
Il avait dit cela à voix basse, mais de façon distincte.
J'eus presque envie d'en rire tellement j'imaginais mal mon fils me trahir. C'était bien mal le connaître, pensai-je soudain. Il avait tant changé, en un an…
« - Dois-je en déduire que mon propre fils oserait se retourner contre moi ? »
Une brève expression de colère passa dans son regard, avant qu'il ne réponde sur un ton qu'il s'efforçait de maîtriser :
« - Cela se pourrait bien. »
« - Alors vas-y, je te regarde. »
Cette lubie lui passerait vite.
Encore assis à terre non loin de moi, il détourna son regard un long moment, avant de revenir le poser sur moi.
« - Pourquoi cette fille…Qu'est-ce qui s'est passé ? »
Il fallait que je lui donne de quoi ruminer, si je voulais gagner du temps, faire en sorte qu'il ne sorte pas épouvanté de cette pièce pour aller directement me livrer. Je n'étais plus si sûr de lui, désormais. Ou de moi, peut-être. Au fond c'était la même chose.
Je lisais dans ses yeux un dégoût que j'avais moi-même cultivé, et dans lequel je ne me reconnaissais plus. Mais qui étais-je devenu ?
Serait-il dans la capacité de comprendre ? J'étais perplexe.
En toute occasion rester sûr de soi, c'était un des préceptes que m'avait inculqués mon père. Gabriel Malefoy, mon modèle bien entendu, et peut-être le pire sorcier que la terre ait jamais porté. Après Voldemort.
« - Elle n'est en rien impliquée dans ma décision de quitter le Seigneur des Ténèbres, c'est un fait. » C'était un mensonge. « Et les raisons pour lesquelles elle est devenue ma maîtresse ne te regardent en rien », poursuivis-je.
C'était peu, mais cela me semblait déjà suffisant.
« -J'ai bien vu comment tu l'a défendue. Et si tu me dis que tu n'es pas à sa merci, je ne te croirai pas. Elle te fait faire ce qu'elle veut… »
« - Il suffit ! »
« - Non ! Pas cette fois, père. Et si tu me dis qu'elle ne te sert qu'à assouvir tes besoins, puisqu'on en vient au cœur de la question, je ne te croirai pas davantage, même si c'est une réponse dont je pourrais me satisfaire. »
« - Tu dépasses les bornes. »
Je pointai ma baguette sur lui.
Il inspira profondément.
« - Ne fais pas ça. S'il te plait. Je…Je ne veux pas qu'on en arrive là. Pourquoi ne peut-on… » Il inspira à nouveau et affronta alors mon regard avec une franchise et un courage que je ne lui connaissais pas. « Pourquoi ne peut-on pas parler simplement sans en arriver aux mains, papa ? »
Aurais-je été capable d'affronter ainsi mon propre père?
Il y eut un silence troublant.
Pouvais lui faire confiance ? N'était-il pas entrain de gagner ma confiance pour mieux la trahir ensuite ? Peut-être ne l'avait-il pas encore décidé. Peut-être était-ce encore jouable…
Je rangeai ma baguette.
« - Alors si tu insistes, tu sauras tout. »
Il parut soudain décontenancé par ce qu'il entendait.
J'en profitai pour me lever. Ce sol détestable n'était pas digne de rester plus longtemps mon seul appui. Je lui tendis la main, et une fois de plus il la saisit.
J'invoquai un fauteuil et je l'invitai à s'y asseoir, en face de celui, miteux, dans lequel j'avais l'habitude de m'installer.
« - Tu me répétais sans cesse que les Sang-de-Bourbe, n'étaient même pas dignes de respirer le même air que nous… »
« - Voilà l'exception qui confirme la règle. »
Il était perdu, et le voir ainsi contrarié dans son raisonnement était presque jubilatoire. Je choisis cependant de ne pas trop jouer avec lui. Il avait tout de même eut l'intelligence de la soupçonner. « Alors c'est bien elle », avait-il dit en arrivant.
« - Elle t'a séduit en échange de sa fuite », rétorqua-t-il posément.
« - Je t'ai déjà dit que j'étais seul responsable de cela ! » Je m'efforçai à nouveau de contrôler le ton de ma voix. « Je l'ai fait échapper, mais cette liaison n'a pas débuté à ce moment-là. »
Je mentais, je mentais…Notre amour avait débuté bien avant ce jour-là. Bien avant qu'il ne pourrait jamais l'imaginer, bien avant que ce que la décence permettait de révéler…D'autant plus qu'entre temps, j'avais bien failli la tuer de sang froid.
Je répugnais à rendre ainsi des comptes à un adolescent encore si immature, dont l'éducation resterait à jamais inachevée.
« - Mais que peut-elle t'apporter ? Son ascendance est méprisable, son esprit l'est tout autant. Comment peux-tu supporter cela ! » Il avait dit cela sur un ton un peu trop emporté, et marqua ensuite un silence, comme pour reprendre son contrôle. « Mais que peut-elle donc t'apporter ? », répéta-t-il à voix basse, comme pour lui-même.
Je ne pus m'empêcher de sourire, sans répondre immédiatement.
« - Ne peux-tu pas le deviner ? » Je n'étais pas déterminé à le provoquer, mais il faisait preuve d'une bêtise révoltante, parfois.
Il fut gêné, je le sentis, mais continua à soutenir mon regard. Je rompis ce lien en me levant, marchant lentement vers l'unique fenêtre de la chambre.
« - Rien de plus qu'une sorcière au sang pur, j'en suis certain », finit-il par répondre.
« - La question ne se situe plus là. Certaines personnes sont destinées à…Partager notre avenir. On ne les choisit pas toujours. »
« - J'ai bien peur de ne pas te suivre. »
« - Bien sûr que si, tu sais à quels sentiments je fais allusion. Mais n'insistons pas sur le sujet, veux-tu ? » Il ne répondit pas. « La chair pousse parfois aux extrêmes les plus dangereux, mais cela n'a rien à voir avec ce dont je parle : parfois on ne décide pas, c'est tout. Je te souhaite de comprendre un jour cela. »
« - Je ne vois pas l'intérêt de ne pas décider de ce qui m'arrive, papa. »
« - Tu n'es pas sensé comprendre immédiatement, tu es trop jeune. Et surveille le ton que tu emploies. »
Il baissa la tête.
« - Bien sûr…Excuse-moi. Mais…Elle, elle a le même âge que moi. Penses-tu qu'elle le comprenne davantage ? »
Je me précipitai vers lui.
La gifle partit sans que je cherche à la retenir. Après tout il l'avait bien cherchée. Que lui prenait-il ?
« - J'en ai assez ! » Il s'était levé en criant, une main crispée sur sa mâchoire endolorie.
Je le repoussai dans son siège.
« - Ferme-la ! », hurlai-je plus fort encore. « Je t'interdis de t'en mêler ! Ne t'approche pas d'elle ! N'en parle même pas ! Et ne t'avises pas de… »
« - De quoi ! »
« - Je te tuerais », fis-je simplement. Calme. Nos regards s'affrontèrent un court instant.
« - Mais vas-y, ne perds pas de temps ! », s'écria-t-il soudain.
Je m'attendais à tout sauf cela. Il s'était jeté à mes pieds et, à genoux, pointait sa propre baguette sur son front. La fureur déformait ses traits, et des larmes énormes coulaient abondamment sur ses joues.
« - Tue-moi, espèce de salaud, t'en as toujours eu envie, j'ai jamais été à la hauteur de tout façon ! Mais vas-y ! Un simple sort ! Tu sais bien le faire, non ! Un de plus, ça ne sera pas grand-chose ! »
Je demeurai immobile, parfaitement calme.
Il haletait. Je crois qu'il n'aurait pas pu être plus en colère, plus perdu à ce moment-là, même si j'avais du mal à déterminer les raisons de cette brusque colère, cet accès d'auto-destruction. J'aurais dû le laisser pourrir à terre, l'abandonner à mon dédain. Mon fils n'était pas cette chose. Comment pouvait-il ainsi perdre toute fierté, toute élégance ?
J'aurais dû faire ce qu'il me demandait.
Mais je me suis penché –qui commandait à mon esprit, en cet instant précis - et je l'ai pris dans mes bras.
Il pleurait presque paisiblement maintenant.
Dans ma main, ses cheveux doux étaient mouillés de larmes, et son odeur était comme celle d'une chambre aimée pendant un après midi d'été. Son poids contre le mien me rappelait des souvenirs que je croyais ne plus avoir. Un en particulier vint se presser à ma mémoire avant d'éclater, triomphant de mes résistances.
Une fois, une des rares de ma vie, où je l'avais consolé d'une peine inconnue : il devait avoir dans les quatre ans. Je ne supportais pas ses pleurs et en temps normal je les fuyais après les avoir réprimandés, mais cette fois là je l'avais consolé, avant d'oublier à la hâte ce souvenir dérangeant. Il avait passé ses bras autour de moi et ses pleurs s'étaient atténués avant de totalement disparaître.
Ma place n'était pas à le dorloter ainsi. C'était la place de sa mère, et elle le couvait déjà assez comme ça…Que dirait-on si on me voyait ? Ainsi avais-je moi-même été éduqué.
Le souvenir de ce jour-là ressurgit, ainsi que tous ceux que je possédais de situations similaires.
J'avais assumé à la perfection mon rôle de père, la droiture, la rigueur incontournable, avant cette indispensable fracture de ma vie qui m'avait séparé de lui, mais ces moments de tendresse réprimée remontaient un à un comme des bulles de gaz à la surface d'un lac, sans que je puisse rien y faire.
Chaque fois que je m'étais retenu de le prendre dans mes bras, chaque fois que j'avais esquissé un geste aimant avant de me reprendre…Et je découvrais que ces gestes avortés avaient été aussi nombreux que sa vie comptait de jours. Chaque fois que j'avais eu envie de lui dire que j'étais fier de lui, chaque fois que j'avais retenu un coup, aussi.
L'idiotie d'un tel comportement me frappa de plein fouet, et je compris soudain que tout ce gâchis c'était moi, et moi seul qui l'avais initié. A coté de combien de merveilles m'avait fait passer cette éducation que j'avais contribué à transmettre ? Et dont j'étais moi-même l'esclave…
J'étais entrain de perdre pied : en quelques secondes, encore une fois, mon destin retournait sa veste.
Je perdais ma peau, mon ancienne peau, encore une fois. Comme un serpent opère sa mue.
Comment expliquer ce basculement soudain des certitudes, vers quelque chose de bien plus dangereux et aléatoire ?
C'est le plus grand mystère de ma vie.
La joie de serrer ainsi son fils contre soi ne devrait pas être ainsi réprimée. Pourquoi…
Comment lui dire, après tant d'années…
Mais je devais me ressaisir.
Je délirais.
Et pourtant. Ce poids sanglotant dans mes bras, cette vie, j'en étais responsable. S'il pleurait, ses larmes étaient les miennes, bien qu'un instant je m'en voulus d'avoir eu une vision des choses aussi ridicule. Déplaisante, serait un terme plus juste. Déplaisante.
J'étais responsable.
Mon fils, dans mes bras, encore et encore. Rien d'autre au monde, à part le temps qui réclamait d'être rattrapé.
