Chapitre 30
La mort de la femme
Quand il la vit, son expression devint immédiatement féroce entre ses larmes, et je crus bien qu'il allait à nouveau déverser tout son fiel sur elle.
Mais il sembla se contenir, malgré sa souffrance, et se contenta de dire :
« - Elle n'a rien à faire ici, surtout à un moment pareil. Tout ce qui arrive est de sa faute. Dis-lui de sortir, papa. »
« - Non, elle reste. Ca ne changera rien de toute façon. »
« - Je ne veux pas la voir ! »
« - Calme-toi. »
Il me lança un regard haineux.
C'est votre faute, pensait-il. A tous les deux.
J'avais moi-même bien du mal à garder mon calme. La haine. Une haine dévorante pour ce parasite, cette immondice, ce monstre qu'était Voldemort –aujourd'hui encore, j'écris son nom avec effroi- me serrait la gorge et les poings.
Une question, une seule, revenait en boucle dans ma tête : Comment avait-il osé ?
Depuis quand tuait-il les sorciers –les sorcières - au sang pur ?
Mais depuis toujours, bien sûr. Il tuait quiconque se mettait en travers de son chemin…Ignorais-je cela ? Bien sûr que non.
Mais pourquoi elle ? J'avais de plus en plus de mal à garder mon sang froid, et voir mon fils dans un tel état ne m'aidait pas.
Je n'étais pas habitué à éprouver de la peine, de la pitié presque, mais là je ne pouvais ignorer que ma femme s'était sacrifiée pour nous. Qu'avait donc été le plan de ce salaud ? Pensait-il que grâce à elle, il remonterait jusqu'à moi ? C'était m'accorder une importance démesurée. Mais c'était oublier la volonté du Maître de faire un exemple dès qu'il le pouvait. Et avait-elle eu le choix, au fond ? Elle n'avait pas pu se cacher comme je l'avais fait. Elle avait dû s'occuper de Drago. Narcissa…
La culpabilité, sentiment insupportable, me sauta à la gorge comme un vampire affamé. Comment pouvais-je ressentir de telles choses, moi? Qu'avais-je à me reprocher ?
Tant de choses…
Mais non.
Si.
Je détournai mon regard de mon fils et vit que mon ange nous contemplait, immobile comme une statue.
Je revins un instant sur Drago.
Son visage penché et ses larmes qui chutaient sur le sol. Son corps agité de soubresauts. Ses cheveux sur ses yeux.
Pauvre petit gentilhomme obscur…
Qu'allait-il advenir de lui ?
J'aurais voulu qu'elle ne voie pas ça, mais tant pis.
Une fois de plus, j'allai vers lui et le pris dans mes bras.
Tant pis.
J'étais faible. Faible. Cela resterait entre nous. Entre nous trois.
Une fois de plus, il se raccrocha à moi comme s'il avait encore quatre ou cinq ans.
Il n'y avait rien à dire.
Quelques temps auparavant je l'aurais giflé pour oser se montrer aussi faible. Mais sa mère était morte. C'était une chose trop douloureuse.
Et puis il avait su toucher en moi quelque chose, je ne sais pas quoi. Ma mission était d'être plus que son père en ce moment.
Il était seul à présent.
C'était lui et moi.
Elle nous regardait. Je finis par ne plus m'en sentir gêné. Tant pis.
Tant pis si j'étais tombé en disgrâce totale. Si j'avais perdu toute dignité.
Il a passé ses bras autour de mes épaules et a pleuré en silence. Il aurait pu me haïr. M'assener cette vérité atroce, ce fait que sa mort était ma faute, le résultat d'une vie mal menée, j'étais stupide, je n'étais à la hauteur de rien.
Mais mon fils m'aimait, malgré cela.
Tout en moi gonflait, se dilatait et se relâchait, faisant fi des vannes que les évènements récents, l'âge, la raison, l'amour de mon ange –que sais-je - avaient irrémédiablement ouvertes.
Ses cheveux étaient doux, et je saisis pour la première fois qu'il les laissait pousser comme moi. C'était touchant, pensai-je pour la première fois.
Rien ne pouvait plus arriver. J'avais mon fils dans mes bras et un ange veillait sur nous.
Un ange pâle, glacé, figé contre le mur, les yeux exorbités, vis-je en tournant enfin la tête.
Mais un ange !
D'un geste, je la fis approcher. Je pris sa main et l'embrassai. Mon fils le va les yeux vers elle et de nouveau, la haine inonda ses traits.
« - Ne l'accuse de rien ! C'est un ange, sais-tu ? »
Je souris pour moi-même.
Il leva vers moi un regard où se mêlaient la perplexité et l'exaspération, l'horreur, le dégoût, et j'en profitai pour saisir brutalement sa main et la mettre dans celle de mon ange que je tenais toujours serrée.
Tant pis, il me fallait essayer.
Il chercha à la retirer, comme je l'avais prévu, mais elle le retint.
« - Je ne veux pas que tu me touches ! »
Je ne sais ce qui lui prit, mais loin de se laisser repousser, elle accentua sa prise sur sa main, s'empara de son poignet, et se pencha vers lui pour l'embrasser sur sa joue mouillée de larmes, sans détours, et ma jalousie aurait pu en être éveillée si je me m'étais pas senti immédiatement, profondément rassuré de le voir la laisser faire, immobile et froid, mais c'était déjà un début.
Il eut un sanglot réprimé, un spasme contenu, et s'accrocha convulsivement à ses épaules et la serra contre lui, la faisant se courber encore, la faisant finalement s'asseoir à ses côtés.
Il ne la lâchait pas, je voyais leurs cheveux emmêlés et le contraste en était saisissant. Verrait-on la même chose si c'était elle et moi ?
Et au fond de cette mare de douleur (de ce drame, car ma femme était morte !), je sentis naître une jalousie féroce pour celui qui s'appropriait ainsi le corps, peut-être les pensées de mon ange. Hermione.
Lâche-le…Pensai-je. Tu n'as pas besoin de le serrer si près de toi. Mais je sus me taire, bien sûr.
Me contentant de penser que Drago n'avait aucun besoin d'être aussi proche d'elle, qu'il suffisait qu'il la respecte et baisse les yeux quand elle entrait dans une pièce, c'était tout ce qui importait.
Mais il sanglotait, toujours profondément enfoui au creux de son épaule.
Je restai froid, figé. Allait-il un jour essayer de me la prendre ? Y arriverait-il ?
Et si j'en venais à mourir, qu'allait-il se passer ?
Je ne voulais pas y penser.
Je n'ignorais pas que j'étais en première ligne, dans l'armée de Dumbledore. Un des rôles les plus dangereux, bien entendu car j'étais avant tout un traître. Un élément sans grande valeur sentimentale. Quelque part, Severus était un peu dans la même position que moi, même si la sienne était nettement plus enviable.
Obligés de faire les pires tâches comme si cela coulait de source, afin de prouver la foi en notre engagement…Bien pratique pour cet Ordre du Phénix « assoiffé de justice ».
La justice, mais certains passant avant les autres, c'était la loi.
Je déplore la justice dans son ensemble, celle des sorciers, je veux dire. Trop imparfaite, bien entendu. A l'image de ceux qui la rendent.
J'avais des chances d'être parmi ceux qui tomberaient en premier.
Ma couverture dans cette auberge n'était en sûreté que parce qu'elle était prodigieusement simple et culottée. Qui oserait croire que j'osais vivre en un tel lieu, Moi, qui ne méritais que les pires châtiments de la part du Maître ?
Mais elle pouvait tomber en un instant cette couverture, et je pouvais tout perdre en un instant.
C'était le prix des précieux renseignements que je glanais çà et là.
J'avais tellement de chances de mourir…Ca en devenait presque une évidence. Dumbledore m'avait un peu envoyé à l'abattoir : en se disant que je lui donnerais sans doutes satisfaction sur le plan de l'espionnage, mais que les risques que je sois découvert et tué étaient également énormes, ce qui n'était pas une mauvaise chose finalement.
Encore une fois, j'étais un pion.
Pourquoi avais-je accepté cette mission sans en voir vraiment les risques ? Etais-je suicidaire ?
J'avais trop de chances d'y rester.
Non, je savais pourquoi j'avais accepté. Pour retrouver la fille.
Alors pourquoi s'occupait-elle tant de mon fils au lieu de moi ? Peut-être ne nous restait-il que peu de temps ensemble ? Il me la fallait dans me bras. Vite.
Pourquoi ne la lâchait-il pas ?
Mais il venait de perdre sa mère…La seule créature qui sur terre avait jusqu'ici daigné lui donner un peu de tendresse. Il fallait être sot pour ne pas comprendre cela.
J'attendis patiemment mon tour.
Dès qu'il la relâcha, je lui attrapai discrètement mais fermement le poignet pour qu'elle ne s'éloigne plus.
Puis il me raconta ce que lui avait dit Dumbledore, comment elle était morte. On avait retrouvé son corps sur l'Allée des Embrume, bien entendu…
Le sortilège mortel.
Rien d'autre que la Marque des Ténèbres pour expliquer sa mort.
Nous avions convenu que mon ange rentrerait à Poudlard avec lui, sous la cape d'invisibilité. Elle assista aux explications.
Et quand, d'un geste brisé par le désespoir, il me tendit la coupure de journal qui parlait de l'affaire, elle la saisit à ma place, voyant sans doute que j'en étais incapable.
« La lente déchéance d'une famille renommée… »
Quelle bande d'hypocrites…Que ne savaient-ils pas, quelles opinions ne partageaient-ils pas avec cette famille qu'ils s'évertuaient à traîner dans la boue ?
Mais la mode était à d'autres pensées. Et il fallait vendre ce torchon.
Nous restâmes silencieux.
Mon ange glissa sa main dans la mienne, et je songeai alors qu'elle était bien la dernière personne que j'aurais autrefois pu imaginer m'apaiser en un pareil instant.
Mais Drago dût voir cela d'un mauvais œil, car il dit tout à coup d'une voix désagréable :
« - Père, j'espère que tu ne comptes pas mélanger un jour ton sang à celui de cette fille ? »
Il marqua une pause.
« - Parce que dans ce cas, je ne crois pas que la famille puisse tomber plus bas », ajouta-t-il d'un ton féroce.
Mais avant que je ne puisse répondre, mon ange s'écria :
« - Jamais ! Jamais ça n'arrivera, votre famille me fait horreur et j'espère qu'elle s'éteindra avec toi, espèce d'immonde fouine ! »
Il croisa les jambes d'un air satisfait, sans répondre. Il avait réussi ce qu'il avait entrepris. Semer le désordre, l'éloigner de moi.
Maintenant, elle était hors d'elle.
« - Bien entendu que je mélangerai mon sang à cette fille, si elle me laisse le faire… »
Je lançai un regard à la furie adorable qui me regardait d'un air indigné.
« - …Mais la question n'est pas d'actualité. J'aimerais que vous cessiez, du moins en ma présence, d'échanger des insanités. Et je préfère te dire que c'est plus une menace qu'une mise en garde, Drago. »
Il me lança un regard haineux mais n'osa répondre.
