Chapitre 31

Chaos

Ils quittèrent La Tête de Sanglier peu de temps après, et je déplorai de ne pouvoir faire à mon ange des adieux dignes de ce nom. Je me contentai donc de la voir disparaître sous la cape d'invisibilité après un trop rapide baiser, le cœur encore légèrement pincé par la jalousie.

Trois mois plus tard, je marchais dans la Forêt Interdite et mes pas dans la neige me semblaient être les derniers, sans espoir de retour de ce lieu atroce.

Le Survivant poursuivait Voldemort, et je poursuivais le Survivant.

Je ne sais si Dumbledore eut vent de mes entrevues avec Hermione, toujours est-il que deux jours après son départ de ma chambre à la Tête de Sanglier en compagnie de mon fils, il m'envoya à l'autre bout du pays, espionner en d'autres lieux. Peut-être Drago, dans sa haine pour mon ange (et pour moi !), avait-il été tout raconter au vieux fou et ce dernier, trop heureux de trouver un prétexte pour l'éloigner mon influence néfaste, m'envoya choir à Little Hangleton. De plus en plus dangereux, presque l'abattoir, dirait-on. Je commençais à regretter la finalement douillette Tête de Sanglier.

Mais ce fut dans ce village maudit que je découvris l'information capitale. L'ultime projet de détruire le survivant. Et bien que donner une telle information à l'Ordre du Phénix me fût fort pénible, je le fis quand même.

Je l'ai fait pour elle.

Ce fut mon premier cadeau de fiançailles, mais elle l'ignorait encore.

Cela se passa aux alentours de Noël.

Je ne l'avais pas vue depuis trois mois. La correspondance prudente que nous échangions se révéla plus une torture qu'un réconfort, et je ne comptais plus les nuits où je m'endormais en sueur et en proie au manque, malgré l'air glacé qui passait à travers les murs de la maison abandonnée que j'occupais, et dont mes sortilèges ne venaient jamais vraiment à bout.

Aussitôt l'information connue, je transplanai à Square Grimmaurd d'où je contactai l'Ordre avant d'envoyer un hibou à mon ange.

Dumbledore seul savait, à cette époque-là, que l'affrontement était inévitable, et que le Survivant devrait tuer ou être tué. Ainsi, nous fûmes tous surpris lorsqu'il décida de ne rien faire contre le fait que Voldemort envisageait d'outrepasser l'enceinte protectrice de Poudlard afin de détruire le Survivant.

Voldemort lui-même n'avait averti ses mangemorts qu'au dernier moment, afin que les traîtres éventuels ne disposent pas de trop de temps pour organiser la défense. Mais j'étais caché, bien dissimulé afin de ne rien perdre de la réunion, et j'entendis tout, l'esprit plus que jamais fermé à toute forme de legilimencie, mon odeur dissimulée par un sortilège. A moitié serpent, le Seigneur des Ténèbres possédait à présent nombre de leurs avantages, dont l'odorat.

C'était dangereux, si dangereux que bien des fois je faillis céder à la panique. Mais de cela il ne faut rien dire.

L'attaque aurait lieu le lendemain. Au petit matin, Dumbledore nous disposa (nous n'étions que des pions !) aux alentours du château, certains à l'intérieur, d'autres, comme moi, dans la forêt interdite, ou dans le parc. Nous devions rester discrets, ne pas montrer trop tôt aux mangemorts que leur attaque était attendue.

Je pense que Dumbledore comptait en finir définitivement avec Voldemort cette fois-là. Il fallait le laisser venir.

Les Aurors seraient appelés plus tard.

Disséminés, dissimulés, mais uniquement pour combattre les mangemorts, nous avions ordre de ne rien tenter contre le Seigneur des Ténèbres en personne.

Enfermé dans la plus haute tour du château, tremblant de peur malgré le courage de Gryffondor qui lui apparaissait soudain comme dérisoire face à la menace irrévocable qui approchait, le Survivant attendait l'accomplissement de sa destinée. Je le sais, elle était avec lui peu avant l'attaque. Elle me l'a dit.

La neige tombait tout autour de nous, et Severus, qui faisait équipe avec moi –Dumbledore l'avait-il mis là afin de s'assurer de ma fidélité à l'Ordre - tentait tant bien que mal de se réchauffer avec des sortilèges rapidement réduits à néant par la peur et le froid qui régnaient.

Rien ne venait pour l'instant.

Il tenta une fois encore de lancer un sortilège de chaleur sur ses mains gelées, alors que je lui demandais…

« - Mon cher camarade, tu ne m'as jamais dit pourquoi tu avais trahi… »

Autour de nous, la forêt immaculée était plongée dans un profond silence. Il se figea.

« - Tu as été une grande perte, je ne te le cache pas », ajoutai-je.

« - J'avais d'autre chats à fouetter, mon cher Lucius. »

« - Le genre de chat que l'on fouette dans un lit ? »

Il se retourna vers moi, furieux.

« - Tu es mal placé pour te montrer ironique. Crois-tu être le seul avec Dumbledore à savoir ce que tu trafiques avec une sorcière à peine majeure ? Mon pauvre Lucius, tu as largement deux fois son âge, et tu es certainement tout aussi pathétique que moi, si ce n'est plus…Non, ne t'inquiètes pas, je suis le seul à le savoir. Du moins je le crois. Je ne dirai rien à personne, la situation est déjà assez confuse comme ça. »

Il eut un rire cynique. Je ne répondis rien.

Il poursuivit :

« - Crois-tu que la confiance vienne d'elle-même, par les temps qui courent ! Je t'ai observé, autant par ordre de Dumbledore que par curiosité personnelle, et pour quelqu'un d'observateur, c'est une évidence…Les autres membres de l'Ordre sont trop aveuglés par leur optimisme et leur obsession de vaincre. « Acceptons-le ! Il sera un atout ! », disait Dumbledore ! Ils sont si confiants, si pleins d'espoir que personne n'a un instant imaginé l'énormité de ce qui se passait sous leurs yeux. Certains pensent que tu as changé, et en un sens ils ont raison. Mais quand ils réaliseront quel en a été le prix, je ne suis pas sûr qu'ils se montrent très cléments. »

Je me livrai à un rapide calcul. Bien, Severus était au courant…Mais il était le seul, j'en étais certain. Passé le choc de la révélation, je constatai que les dégâts n'étaient pas aussi étendus que je le craignais. Il me restait même encore assez de mordant pour répliquer…

« - Tu n'as pas répondu à ma question, Severus…Fait-elle partie de l'Ordre ? »

Il dût calculer qu'il ne risquait pas grand-chose à me le dire, et se décida à répondre :

« - C'est Hestia. »

« - Et bien…Venez dîner à la maison, un de ces soirs, à condition qu'on sorte vivant de ce bourbier, ce qui reste incertain je l'admets. »

Il me fusilla du regard sans répondre. Ce cher Severus…

A ce moment-là un sort frappa le tronc de l'arbre qui nous abritait, et la bataille commença.

Il me poussa dans la neige et, embusqués, nous nous livrâmes à un premier jeu de cache-cache avec un mangemort qui n'en eût guère pour longtemps. Severus se chargea de son trépas avec une adresse exemplaire. Il avait bien changé depuis cette époque lointaine où il faisait ses débuts de mangemort. La guerre fait toujours ressortir ce qu'il y a de pire en nous…

Les champs de bataille sont tous les mêmes, peu de choses les distinguent les uns des autres. Il n'y que la peur, la mort, le chaos. D'ordinaire des éléments que j'appréciais, mais seulement quand ils arrivaient aux autres. Bien sûr, j'ai eu peur de mourir, comme à chaque fois. Mais j'avais aussi peur pour d'autres, et ça, c'était nouveau. Mon ange était dans ce château, mon fils aussi.

Et puis comme à chaque fois, la transformation s'opéra et je devins, comme d'habitude, un animal assoiffé de sang. Je n'étais plus moi. Je ne sais combien de sortilèges mortels je lançai, et encore moins combien des autres sortes. Mais ce fut satisfaisant, oh oui.

Des corps gisaient à terre, et je ne me souciais plus de savoir s'ils appartenaient à des mangemorts ou à des membres de l'Ordre. J'avais perdu toute trace de Severus il y avait longtemps, occupé à ses propres batailles, et je courrais dans le silence soudain de la Forêt Interdite, ce silence ouaté, vers une explosion de lumière qui s'était produite à une centaine de mètres de là où je me trouvais. Que se passait-il donc là-bas ? Ici, plus rien ne vivait…

Je courus, le plus rapidement possible, et vis soudain passer au loin une silhouette mince et noire qui s'élançait en hurlant.

« - Viens ici ! Espèce de vieille pourriture ! Tu vas crever, tu vas CREVER ! », s'époumonait Harry Potter, à une cinquantaine de mètres de moi, filant comme un flèche à travers la nature immaculée de la Forêt Interdite, poursuivant le Lord Noir qui s'enfuyait.

Sans réfléchir davantage, je me lançai à ses trousses.

J'étais à quelques mètres derrière lui lorsqu'il sentit enfin ma présence, et tourna un regard fou vers moi, sans cesser de courir :

« - Qu'est-ce que vous faites là ! C'est une affaire que je dois régler seul ! Je vais achever ce salopard !»

Il insista bien sur le mot « seul », et son visage brillait d'une lueur sauvage, démente, sans doute proche de la mienne, mais qui irradiait d'une puissance irrévocablement mystique.

« - On ne sera pas trop de deux, pauvre fou ! », hurlai-je à mon tour, à bout de souffle.

Il se remit à courir comme un fou, mais cette fois j'étais à ses côtés. Nous atteignîmes une clairière où nous nous arrêtâmes, rompus, prêtant l'oreille. Où était donc le Seigneur des Ténèbres, ce serpent en fuite ?

Je le cherchai des yeux dans la blancheur insupportable de la nature qui nous entourait, mais ne vis rien, et cet air glacial brûlait littéralement mes poumons, quand le Survivant parla à voix basse, presque inaudible :

« - C'est étrange, jamais je n'aurais crû que ce serait vous…Que vous seriez… » Il s'interrompit un instant, avant de hurler « Là ! », et de se précipiter à nouveau à travers la végétation glacée.

Quelques sorts traversèrent l'espace, mais aucun n'atteignirent leur cible, car le Seigneur des Ténèbres avait à nouveau disparu.

Mais c'était là une ruse. Même en fuite, c'était une erreur de le sous-estimer.

Je le vis à notre gauche, sa silhouette surgissant promptement de derrière un arbre, vif malgré les blessures que lui avait déjà infligées le Survivant.

Je le vis, quelques instants avant qu'il ne lance un sort d'un rouge éclatant, son visage blafard de serpent, et ses yeux du même rouge tout-à-coup si proches, trop proches de nous. Je le vis alors qu'il lançait le sort sur le Survivant, quelques dixièmes de secondes, précieuse fraction de temps où j'eus le stupide réflexe de me jeter sur lui pour lui éviter un sortilège que je ne reçus que partiellement, mais qui suffit à m'envoyer dans les ténèbres pendant presque vingt-quatre heures.

Il ne faut pas se leurrer, je n'ai fait cela rien que pour éviter au Seigneur des Ténèbres de s'en sortir une fois de plus, et dans la même foulée éviter de lui donner l'occasion de me tuer. Rien d'autre.

Le récit de se qui se passa ensuite, pendant mon inconscience, ne me fut fait dans son intégralité que bien plus tard.

Ce furent les Aurors qui retrouvèrent mon corps, quelques instants avant de retrouver celui, prostré, du Survivant, marmonnant des paroles incompréhensibles, à quelques mètres d'un magma brunâtre qui avait été en son temps le corps de Lord Voldemort. Il mit des mois à retrouver un état mental digne de ce nom.

Quand à moi, les Aurors procédèrent à ma troisième arrestation. Bien moins spectaculaire que les deux précédentes, il faut préciser.

Azkaban n'était qu'une coquille vide, une forteresse devenue inutilisable après la fuite des détraqueurs, et le Ministère conservait donc ses prisonniers dans ses propres sous-sols, sous haute sécurité, et sans visites, bien sûr. Ils avaient appris à se méfier.

Une fois soigné j'y restai deux mois à tourner en rond, fou de rage, sans savoir ce qui se passait au-dehors. Jusqu'à ce qu'on m'autorise à lire une coupure de journal usée montrant le visage blême et fuyant du Survivant, je ne fus même pas certain de savoir si Voldemort avait ou non été détruit.

Personne ne viendrait me faire évader, cette fois...

Je rêvais toutes les nuits, allongé sur le lit sommaire de mon cachot glacé et humide. Je rêvais de mon ange nu contre moi, de l'amour que nous avions fait, de celui que je rêvais de lui faire, de celui que je me promis de lui faire un jour.

Je croupis ainsi pendant des semaines, avant d'être réveillé par un Auror désagréable –il était Auror, lui…Ce n'était pas son rôle de surveiller des prisonniers, etc…Et j'en passe- qui vint m'informer que mon procès aurait lieu le soir même, avant de s'effacer pour laisser place à mon futur avocat.