Chapitre 33

La chanson de l'exil

Ca n'avait pas duré plus de quelques minutes. En penchant le visage vers elle, je vis des larmes briller sur son visage.

« - Tu pleures… »

« - Tu me manqueras », murmura-t-elle d'une voix étouffée.

Je vis sur son cou une plaie magnifique, une meurtrissure dégoulinante de sang, et je réalisai avec un frisson de contentement horrifié que c'était moi qui l'avais faite. Ses doigts vinrent effleurer mes lèvres, et sur leur extrémité je vis le même liquide sombre qui suintait de la plaie.

« - Ne pleure pas… »

Mais c'était une idiotie de lui demander cela, je le savais, j'étais moi-même dans un état émotif déplorable. Et déjà, je sentais dans mon ventre le désir commencer à refluer en vagues sourdes.

« - Allons… »

Ses jambes étaient toujours enroulées autour de moi, et je ne pouvais me résoudre à quitter la chaleur de son ventre, la portant toujours contre moi, appuyée à ce mur indigne. Elle resserra son étreinte autour de mon cou.

« - Mon ange. »

Elle pleurait toujours.

J'aurais bien voulu rester encore un peu ainsi, mais c'était déjà une folie d'avoir osé faire ce que nous avions fait, et je la reposai tristement sur ses pieds, sans toutefois cesser de l'étreindre.

« - C'est un adieu, n'est-ce pas ? », fit-elle, la respiration désordonnée.

« - Comment peux-tu penser cela ? » Je la serrai davantage. « Je quitte ce pays, définitivement. Et je ne veux pas que tu gâches ton existence à me suivre. Tu es intelligente, mon ange… »

« - Je ne suis pas un ange… »

« - Bien sûr…Et tu comprendras que je n'ai rien à t'offrir. »

« - Je ne te demande rien, tu le sais. »

« - Alors viens », fis-je dans un élan involontairement sauvage, « dormir dans des auberges mal famées, manger deux fois par semaine, tu gâcheras ton existence en beauté, nous serons heureux ! Tu finiras par me haïr, et… »

« - Je te hais déjà. »

J'avais réussi à la faire sourire.

« - Alors viens. »

Je souris à mon tour. Elle revint se blottir.

« - Tu n'es qu'une gamine, une sale peste à moitié moldue, une honte pour moi », fis-je d'un ton tendre malgré moi. « Mais tu as des choses à accomplir ici, mon cœur. »

« - Je sais. »

« - Mon fils va hériter de tout ce que sa mère et moi lui avons laissé, cette année. Je m'arrangerai pour qu'il t'en cède une partie. »

« - Je n'en ai pas besoin. Je n'en ai jamais eu besoin. »

« - J'insiste. »

« - Je ne veux pas de ton sale fric », s'écria-t-elle en s'éloignant de moi, pleurant toujours.

« - Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais je n'ai pas le temps de supporter une de tes colères, mon ange. Je vais devoir partir, et ça n'est pas ce que je veux emporter comme souvenir. »

Je ne plaisantais plus. J'étais las à l'avance devoir faire preuve d'autorité, une fois de plus. J'ajoutai :

« - Je ne sais pas ce que tu espères si tu t'obstines ainsi à ne pas faire ce que je te dis. »

Contre toute attente elle sourit.

« - Et en plus tu te moques de moi…Tu n'es pas facile…Autrefois, je punissais pour cela. Tu ne ferais pas une bonne épouse…pour quelqu'un comme moi. »

Elle baissa les yeux, gênée. Je ne compris pas.

« - Tu as de drôles d'idées », répondit-elle simplement.

Il y eut un silence gêné. Puis elle releva les yeux vers moi et murmura.

« - Il me faut partir, maintenant. »

Je l'attirai contre moi.

« - Reviens un peu par là… »

Elle se laissa faire sans trop de résistance.

« - C'est bientôt l'heure…Tu te souviens de ce que je t'ai donné, il y a quelques mois… »

Je pris sa main dans la mienne, et fis tourner le fin anneau argenté autour de son doigt. Le petit serpent me regarda de ses yeux de verts brillants, luisant au cœur de cette peau pâle. On aurait dit qu'il se moquait de moi.

« - Et de la promesse que je t'ai faite ? »

« - Je m'en souviens. »

« - Elle sera tenue. »

Je trouverais un moyen, mais plutôt mourir que d'abandonner l'idée que cette fille soit un jour à moi. Plutôt mourir.

« - Je te crois. »

Elle enfouit son nez dans mon cou.

« - J'aime ton odeur… »

« - J'espère que tu aimes aussi le reste. »

Je soulevai son menton et vis à nouveau la blessure à la base de son cou.

« - J'aurais voulu te guérir, mais... »

« - Comme ça, je garderai quelque chose de toi… », dit-elle en souriant tristement.

Une idée fugitive complètement stupide me traversa l'esprit avant que je la chasse, amer.

Sa bouche trouva la mienne, et je l'embrassai encore, sans pouvoir m'arrêter, interrompre ce délice, et avec la pensé déchirante que la fin de baiser sonnerait l'heure des vrais adieux…

Ce fut la trame insensée de nos existences, ce canevas sournois que l'on appelle « destin » qui se chargea de les précipiter, quand la porte s'ouvrit en grand et que Dumbledore entra, accompagné de Drago, derrière lequel marchait le Survivant, ainsi qu'Arthur Weasley, le probable prochain Ministre de la Magie. Le monde n'avait donc vraiment aucun sens...

Dumbledore ne laissa entrevoir aucune émotion particulière, à la vue de mon ange dans mes bras. Mon fils eut une expression qu'il s'efforça de maîtriser, mais qui ne me trompa en aucune façon. Harry Potter demeura figé, une lueur glacée dans le regard, mais ne dit rien, quand à Arthur Weasley, l'expression de son visage ressembla un instant à celle du Survivant avant de redevenir neutre, quoique légèrement figée.

Ils me demandèrent de signer quelques parchemins faisant de mon fils l'héritier immédiat de tous les biens que je possédais sur le territoire anglais, et Drago y apposa sa signature avec dédain, ce qui laissait comprendre que c'était une obligation pour lui autant que pour moi, bien que je ne saisis pas vraiment pourquoi ce mépris, ni pourquoi d'ailleurs Harry Potter se trouvait présent à cet entretien. Je n'étais pas à un détail étrange près, et quand on regardait un peu de loin mon procès…

Comment pouvais-je savoir ?

Savoir ce que je devinai, ce que je sentis quand Potter posa discrètement une main protectrice sur l'épaule de mon fils. J'en frissonnai.

Comment osait-il ?

Mais il pouvait se le permettre, bien sûr, il était le « sauveur » du monde sorcier, il avait le droit de s'approprier absolument tout ce qu'il voulait, même ce dont il n'était pas digne.

Mon sang grondait et bouillonnait dans mes veines, mais je n'osai dire un mot. Il semble que dans la famille, les préférences sexuelles ne se conforment pas aux normes…

On nous mena dans un bureau non loin des sous-sols, une pièce froide où je fis mes adieux. D'abord à mon fils, étrangement figé, comme si son esprit s'était envolé dans quelque sphère lointaine et inconnue. Il me sembla glacé quand je le serrai contre moi. Puis mon ange. Au diable ce qu'ils en penseraient, c'était le cadet de mes soucis. Je partais pour toujours, n'est-ce pas ?

Faire abstraction des quelques personnes qui nous entouraient fut en soi une chose simple, je me moquais bien qu'ils nous voient. Mais la demoiselle, rougissante, rougeoyante dans mes bras serrés autour d'elle ferma les yeux, inquiète, lorsque je l'embrassai avec une soif indécente, je l'admets, et je sentis là toute l'étendue de son malaise. Je ne pouvais rien lui dire, je ne voulais pas qu'ils entendent le moindre mot d'amour dans ma bouche alors je me concentrai et murmurai mentalement à son esprit quelque chose qui ressemblait à…

C'est une illusion…Tu verras, je ne pars pas vraiment…On se reverra bientôt…Souviens-toi…La promesse…

Quelques secs raclements de gorge me rappelèrent à l'ordre, et je consentis à la lâcher.

« - Il faut y aller. Avez-vous décidé ? »

« - Dublin. »

Dumbledore lui-même me tendit le portoloin, un vieux chapeau rapiécé, lamentable, encore un symbole de mon existence broyée, et je le touchai sans plus vouloir penser à rien, sans jeter de regard inutile en arrière.