Chapitre 34

« Souvent obscurcie, jamais ternie »

Je ne restai que peu de temps à Dublin, à vrai dire tout juste le temps de prendre de l'argent dans un de mes comptes irlandais. J'émigrai rapidement vers l'Ouest.

Le seul avantage de ma nouvelle situation fut que je n'eus plus à me cacher. De rien, et de personne. Ma vieille amie, la solitude, revint s'installer, ainsi que son cortège de questions sans réponses. L'amertume s'installa également, insidieuse, dévorante.

Dans la correspondance que j'échangeais avec mon ange, avec mon fils, jamais je ne fis écho de ces questions, préférant les taire quitte à ce qu'elles se perdent à l'intérieur. Au fond c'est ce que j'espérais, je crois. J'étais dévoré de regrets insensés, de haine qui ne trouvait d'extériorisation, de sorte et que je finis –à juste titre- par la retourner contre moi-même.

Elle disait que je lui manquais, que les nuits et tout le reste du temps, elle avait envie de moi, qu'elle cherchait mon odeur partout, que son ventre se tordait et que son cœur la brûlait. Je lui répondais qu'elle devait travailler, passer ses examens, qu'elle me verrait bientôt, qu'il fallait attendre…Et je n'en pensais pas un mot.

Je voulais qu'elle vienne, qu'elle laisse cet univers qui n'était plus le mien, qu'elle oublie tout pour moi.

Je ne pouvais plus mettre un pied en territoire anglais sans que le Ministère le sache aussitôt, et l'encourager à me rejoindre était quelque chose que je ne pouvais me résoudre à faire, certain comme je l'étais qu'une fois à mes côtés je ne la laisserais plus repartir. Et gâcher sa vie, une existence de plus, était une idée avec laquelle je refusais de vivre. Des remords supplémentaires m'auraient achevé.

Je lui interdis de transplaner, ce que d'ailleurs la loi lui interdisait de faire sans permission hors du territoire anglais.

Afin d'adoucir cette invective un peu brusque, ou peut-être justement parce que cet ordre cruel m'en donnait l'alibi, j'évoquai explicitement le mariage.

Je savais qu'elle était bien jeune pour prendre une telle décision, mais je savais –et c'est grâce à ce genre de détail que je sais encore qui je suis- que cette faiblesse serait un atout majeur qui la ferait accepter.

D'une certaine manière, c'était la façon la plus sûre de lui dire que de vraies retrouvailles auraient un jour lieu. Je crois que j'avais peur qu'elle finisse par m'oublier, même si je me trouve stupide de penser cela.

Quelques temps après cela, mon fils m'écrivit. Le mois de mai touchait à sa fin et sa lettre, réponse tardive à celle que je lui avais envoyée au cours de l'hiver, fut comme un point d'interrogation dans cette journée brumeuse où je voyais, de ma chambre d'auberge, la mer déchaînée se fracasser sur les côtes irlandaises.

Il renonçait à tous ses biens, du moins à la plupart de ce que je lui avais laissé. Il était majeur. Il voulait tirer un trait sur cette partie de sa vie, disait-il, il lui fallait partir de zéro, réussir par lui-même. L'imbécile. Il avait appris mes projets avec mon ange. Il lui laissait tout. Il voulait qu'on le laisse en paix. Il allait vivre. J'avais du mal à comprendre cela, mais je ne pus que le laisser faire.

Il disait aussi –et mon estomac se tordit- qu'il aimait quelqu'un. Je savais de qui il parlait, je l'avais vu, mais lire ainsi le nom écrit de sa main réveilla en moi un vieux sursaut de haine, de mépris naturel, et là encore je ne pus rien y faire. Il aimait quelqu'un, il connaissait au moins cela : des vertiges et des espérances. C'est une drôle de chose.

Le fait qu'il aimait un homme me déplaisait énormément, outre le fait que cet homme soit Harry Potter. Ne savait-il pas que les hommes étaient cruels, rivaux, conquérants, égoïstes et perpétuellement insatisfaits ? Il allait à l'encontre de tant de choses pénibles…J'en savais quelque chose. Et encore une fois, je ne pouvais rien y faire. J'avais définitivement perdu tout contrôle sur sa vie.

J'ignorais encore que c'était là dans l'ordre des choses. Savoir aussi renoncer, quand il le faut. C'est très désagréable.

Il avait fait un choix. Par ailleurs, une certaine Hermione Granger serait pour toujours à l'abri du besoin –d'où me venait cette idée qu'elle l'avait un jour été , et c'était un réconfort de savoir que mes biens se trouvaient dans ces mains-là.

Quelque part, elle avait quelque chose grâce à moi. Elle m'était attachée encore un peu plus.

La lettre suivante de mon ange fut orageuse, pour moi du moins. Elle avait accepté les biens que Drago lui avait laissés, mais elle se sentait mal à l'aise d'avoir fait cela. Elle était gênée de certaines possessions, et le manoir en faisait partie. Cette bâtisse maudite, sa première prison.

Ils avaient quitté l'école le temps d'une journée, afin de faire tous les papiers et de se rendre sur les lieux, et revenir à cet endroit l'avait profondément chamboulée.

Une fois brisés les scellés du Ministère encore apposés sur les portes (Drago lui-même n'y étant jamais revenu), ce que contenait la maison l'avait effrayée (ou bien n'avait jamais cessé de l'effrayer ?).

Tous les livres, tous les outils de magie noire avaient étés saisis, même si Drago l'avait assurée que certains bien dissimulés étaient encore sur place (et je le croyais), mais certains détails l'avaient remuée : du sang sur les murs, des portraits agressifs envers elle, une chambre bleu nuit qui lui rappelait sa douleur, ou tout simplement la croûte de sang séché qui recouvrait son adolescence.

Cette maison est lugubre, je ne veux pas la posséder, disait-elle. Je lui rétorquai dans ma réponse qu'elle en avait fait l'acquisition il y a bien longtemps déjà, au moment où elle avait décidé d'en acquérir le propriétaire. Et je trouvai que le terme « acquérir » sonnait terriblement juste. Je n'avais jamais donné mon avis dans cette histoire. Depuis longtemps, mes actes ne m'appartenaient plus vraiment. J'agissais pour elle, par elle. Le Lucius d'autrefois aurait voulu la faire plier, la briser, et il avait essayé mais sans y parvenir.

Elle me raconta également que des rumeurs couraient, sur nous.

Depuis mon procès, ces ragots proliféraient, et elle n'arrivait pas à déterminer si son attitude lors de l'audience avait mis la puce à l'oreille à certains, ou si Arthur Weasley (ou un autre) avait vendu la mèche. Il y avait des deux, je pense. On racontait que je lui avais cédé ma fortune au lieu de la donner à mon fils, avant de prendre le chemin de l'exil. On disait que je l'avais épousée en secret il y avait déjà longtemps, et que Dumbledore avait cautionné cela rien que pour s'assurer que je rejoigne la résistance. Les choses étaient déformées, amplifiées, salies. Parfois vraies, et parfois fausses mais avec un juste sentiment des choses.

Rien n'était facile pour elle, entre ceux qui la reniaient et les nouveaux amis qu'elle s'était faits malgré elle. Mon fils se montrait étonnamment protecteur envers elle, et cela me dérangea. Il n'avait pas à faire cela.

Son ami, le dernier fils Weasley, ne lui adressait plus la parole, et elle ajouta que l'attitude de Potter envers mon fils n'allait pas en arrangeant les choses. Pour la première fois, je jubilais de cette situation. Sale famille que ces Weasley.

Ces tensions étaient cependant malvenues : le mois de Juin était entamé, et elle allait passer ses ASPICs. On lui avait d'ores et déjà proposé un poste au Ministère, et elle voulait que ses résultats soient dignes des espoirs que l'on plaçait en elle, même si elle hésitait encore à accepter. Elle n'avait pas renoncé à cet espoir de me rejoindre, cet espoir s'affermissant même avec le temps, et je peux dire qu'elle n'était pas la seule à ardemment souhaiter ces retrouvailles. Je ne cherchai pourtant pas à la dissuader de continuer sur la voie honorable qu'elle avait réussi à tracer pour elle. L'honneur, voilà une chose importante, pour laquelle il faut de battre. L'honneur, la respectabilité, les apparences aussi. Elle ne devait pas abandonner cela.

Son corps me manquait, c'était une obsession. Je la cherchais partout, je la voyais partout. Je la traquais, obsédé. Mon regard était parfois attiré par une chevelure, une silhouette rappelant la sienne, mais je voyais aussitôt que c'était quelqu'un d'autre, et tout sombrait.

Involontairement, je la cherchais partout, en sachant que nulle part je ne la trouverais. Son odeur, surtout. Je me surprenais souvent à scruter la foule, avec l'espoir insensé d'y découvrir son visage, et je tentais alors de me raisonner, sans succès.

Dans la foule du marché de Galway, côté moldu comme côté sorcier, j'adorais me perdre, errer au hasard sans rien chercher qu'à marcher droit devant, et encore marcher, sans destination…

Un jour, en rentrant dans le hall de la maison que j'avais récemment acheté, je me regardai dans un antique miroir laissé par les précédents occupants (et que je n'avais pas pris la peine de retirer à mon arrivée), et ce faisant je réalisai soudain que depuis des mois maintenant, j'oubliais, ou plutôt j'évitais ce geste simple. L'homme que je vis n'était pas moi. Ma barbe avait à présent une longueur honorable, et la masse désormais sauvage qui me tenait lieu de chevelure cachait également mon visage, si bien que je ne me reconnus pas.

Je savais que ma barbe avait poussé, et c'était volontaire. Bien que je sois libre de circuler et de faire ce que bon me plaisait, je ne tenais pas à ce que quiconque me reconnaisse, souhaitant simplement qu'on me laisse en paix. La honte banale de l'homme coupable. Mais l'image que je vis me sembla être celle d'un étranger.

Les quelques cheveux blancs qui ornaient mes tempes ressortaient plus que jamais, et cette barbe imposante, s'ajoutant à cela…J'avais en face de moi mon père.

Si ce n'était les loques lamentables que je portais alors, on aurait pu nous confondre, s'il avait encore vécu.

Un homme a plusieurs vies, n'est-ce pas ?

Je n'étais plus le même.

L'été approchait.

Puis il fut là.

Juin tirait à sa fin quand un matin étincelant de rosée, un hibou tacheté se posa sur le rebord de ma fenêtre et donna des coups de bec sur le carreau. Je savais à qui il appartenait et m'empressai d'aller lui ouvrir, mon sang cognant dans mes veines, mon esprit en fête. Je détachai en tremblant la lettre qu'il m'apportait, et courus la lire sur la plage, bravant avec un courage insensé le sentier escarpé qui zébrait la falaise.

L'écriture familière, enjouée, semblait rire et exécuter une danse tourbillonnante sous mes yeux.

« Et dans peu de temps, peut-être même avant que tu n'aies fini de lire cette lettre, je serai devant toi, et je te ferai tellement peur que tu en tomberas à la renverse… »

La lettre s'achevait ainsi, moqueuse. Je me retournai tristement, mais il n'y avait personne derrière moi. La journée, un instant devenue limpide, retrouvait ses couleurs habituellement sombres.

Elle venait de terminer ses examens. Oui, elle allait venir…

Elle devrait déjà être là, il me la fallait. Pourquoi se moquait-elle de moi ? Pourquoi me faisait-elle ainsi languir ? Elle devrait déjà être là…Cette phrase ne cessait de se retourner dans ma tête, pourquoi…Elle devrait déjà…

Et j'imaginais les pires choses.

Elle ne vint pas ce jour-là. Ni le lendemain. Trois jours passèrent, et l'esprit tourmenté, les yeux grands ouverts dans le noir, allongé sur le lit que j'avais fini par détester, je résolus de lui écrire dès le lendemain. Ou plutôt…Non, tout de suite.

Geste mécanique, je tendis la main vers ma baguette.

« - Non, ne bouge pas. »

Mon cœur…

Comment avait-elle fait ? Le craquement du transplanage était caractéristique et pourtant je n'avais rien entendu.

Je scrutai la pénombre.

Un froissement de tissu, un soupir. Quelque chose qui tombe, quelque chose de mou qui tombe sur le sol.

Je fermai les yeux.

Une odeur qui vient jusqu'à moi, quelque chose que j'ai poursuivi pendant des mois.

Je ne pus attendre davantage et me levai brutalement du lit. Je l'entendis sourire…

« - La patience n'est pas ta vertu principale. »

« - Pas plus que toi l'indulgence…Six mois, mon ange, ne me dis pas que tu ne les as pas comptés. »

« - J'ai compté chaque minute. »

« - Alors viens ici, rattraper ce retard que tu as pris. J'en ai assez d'attendre. »

Elle ne bougea pas.

J'avançai à tâtons et saisit au bras la frêle silhouette qui me défiait dans l'ombre.

« - Lucius… »

« - Viens par là. »

Ce corps…Non, pas seulement. Toute sa personne…Enfin…

L'odeur, toujours, entêtante. Cette odeur. Cette odeur.

« - Pour quelqu'un qui envisage de devenir ma femme, je trouve que tu n'es pas très encline ni à obéir, ni à assumer ton devoir conjugal. »

« - Deux conditions indispensables, je crois », répondit-elle d'un ton neutre.

J'étais penché à l'aveuglette sur elle, son bras palpitant pressé dans ma main, et j'avais conscience du sourire avide et carnivore qui déformait mon visage. Je ne voyais pas la peur sur le sien, dissimulé par l'obscurité, et cela me déplaisait. De plus j'avais le sentiment qu'elle souriait, se moquant de moi, encore.

Elle parla, et j'eus alors la certitude qu'elle souriait :

« - Tu es impossible. »

« - Mais tu es là », répliquai-je.

« - J'ai renoncé à ce qui était facile. »

J'éclatai de rire. J'étais heureux qu'elle soit venue, j'étais heureux qu'elle soit là. Comment expliquer cela ? Cette simplicité ?

Elle poursuivit.

« - Je voudrais te voir… »

« - Lumos. »

Son visage qui était devenu une obsession m'observait désormais, plus tendre et plus beau que jamais, et ses yeux brillèrent un instant d'une lueur malicieuse avant qu'elle ne dise d'une voix touchante, tordue par l'émotion :

« - Cette barbe, ça te va bien… »

« - Merci. » Je souris. « Mais je n'ai guère pris soin de mon apparence, ces derniers temps, et tu m'as un peu pris au dépourvu, mon ange. »

« - Non, tu es très bien comme ça. »

Je nous trouvais stupides d'échanger ainsi des sourires niais alors que nous avions tant à faire, à prouver, alors j'ai lâché son bras et j'ai serré tout le reste contre moi.

Je m'étais habitué à la vue sur la mer, et lorsque je m'étais mis en quête d'une propriété –si modeste soit-elle- à acquérir, j'avais rapidement porté mon choix sur cette maison qui n'était guère plus qu'une cabane améliorée, toute de pierre grise, et chose assez rare pour ce genre de construction en front de mer, elle était pourvue d'un étage. Perchée sur une vertigineuse falaise, quelques arpents de terres l'entouraient, et la propriété avait l'avantage d'être entourée d'imposantes murailles mangées de mousse.

Derrière la maison, relativement abrité du vent, s'étendait un jardin, ou plutôt ce qu'il en restait. J'aimais beaucoup cette nature jadis entretenue et aujourd'hui revenue à l'état sauvage, où chaque recoin se tapissait d'un vert infiniment vivant. J'aurais pu en faire quelque chose, mais cet endroit me plaisait ainsi, et de toute façon c'était un travail de domestique.

Au fond de ce jardin, un saule pleureur étirait ses minces branches avec une grâce fragile. Et chaque fois que je contemplais le spectacle délicat du vent jouant dans cet arbre –rideau léger et ondulant- je ressentais un trouble étrange.

Le même ondoiement secoua sa chevelure le temps d'un éclair, lorsque sa cape glissa au sol. Je me tenais derrière elle et elle se tenait immobile, attendant. Je savais sans le voir qu'un sourire radieux illuminait son visage.

Mes mains descendirent avec volupté jusqu'à ses hanches, qu'elles parcoururent avec délice, en appréciant la rondeur compacte au creux de leurs paumes. Je m'attendais à tout lorsqu'elle parla, sauf à ce que l'entendis dire :

« - Tu sais dans quel département du Ministère on me propose de travailler, en Septembre ? »

Mes mains se crispèrent sur ses hanches.

« - Tu n'as pas besoin de travailler. Refuse. »

« - Ca ne m'empêchera pas de venir te rejoindre, au contraire je pourrai transplaner autant que je voudrai… »

« - Ca n'est pas la question. »

Elle se raidit.

Si j'avais su faire preuve de davantage de ruse, elle aurait fait ce que je voulais, au lieu de se braquer pour mieux me résister. J'ai fait preuve de maladresse, cette nuit-là.

« - Je te l'interdis », ajoutai-je.

Elle pivota sur elle-même, et plongea ses yeux sombres dans les miens.

« - Et si je désobéis ? »

Elle insista sur ce dernier mot.

Je ne trouvai rien à répondre.

« - Alors tu recevras une fessée dont tu te souviendras. »

Je saisis brusquement sa fesse et l'attirai vers moi.

« - C'est tout ? »

« - Si tu ne me fais pas la promesse que tu vas refuser, je pourrais bien ne pas te laisser repartir. »

« - Ca n'est pas un problème, je suis en vacances. »

« - Ou je pourrais encore t'obliger à m'obéir. »

« - Ce temps là est révolu, Lucius. »

« - Ne le crois pas, mon ange. »

« - Tes erreurs ne t'ont donc rien appris ! »

« - Rien. »

« - Tu m'exaspères. »

« - C'est pour ton bien que je te demande ça. Tu n'es pas obligée de travailler, alors pourquoi le faire ? »

« - J'en ai envie. C'est tout », répondit-elle d'un ton ferme.

« - Pense-tu que je vais te laisser faire ? Tu es trop jeune pour décider de ça, et de toute façon si tu deviens ma femme, ce genre de décision ne sera pas prise sans me consulter ! »

« - Et pourtant c'est ce que je vais faire. »

Elle se dégagea de mes bras et me lança un regard furieux.

Elle n'imaginait pas dans quel état elle était entrain de me mettre... Je massai mon front, exaspéré. Comment la faire plier ? Cette franche obstination me désarçonnait.

« - D'ailleurs, si tu persiste à vouloir m'imposer ta volonté, je préfère simplifier les choses. Je ne veux plus me marier avec toi. Voilà ! », cria-t-elle.

Je l'aurais giflée.

« - Tu as fini ? »

« - Je vais m'en aller. »

« - Pas question ! Tu ne sors pas de cette pièce. »

Mais elle avait déjà transplané.

Quel idiot j'étais…Et quelle peste elle était ! Elle avait gâché en beauté ces retrouvailles…Ces Sangs-de-Bourbe n'ont aucune éducation, aucun respect.

Elle aurait rester. Sa présence me faisait encore plus cruellement, douloureusement défaut à présent.

Nuit blanche. Je la passai à contempler, hagard, la noirceur de l'abîme où se mêlaient sans distinction le ciel et l'océan. Le hurlement du vent dans les interstices du toit et des murs me tinrent gentiment compagnie.

A l'aube, je descendis à la cuisine, mis en route une bouilloire et posai distraitement ma baguette. J'observai le jardin plongé dans la brume, espérant l'apaisement que sa vue me procurait habituellement, mais tout ce que je vis fut ce maudit saule, balançant paisiblement ses branches, me narguant, riant de moi du frisson de ses feuilles, et mon sang ne fit qu'un tour.

Je me précipitai dehors, et marchai droit vers droit vers cet arbre diabolique…J'avais l'impression que j'arriverais à le déraciner à mains nues, tellement j'étais furieux. J'avançais sans baguette, seulement guidé par la colère, un voile rouge recouvrant intégralement mon esprit, balayant les branches souples d'un geste.

« - Tu n'es qu'une garce ! »

Je frappai le tronc de ma main, de toutes mes forces, comme si j'avais voulu qu'il tombe à la renverse. Mais c'est moi qui reculai sous le choc.

« - Sois maudite ! Toi et ton sang ! »

Deuxième coup dans le tronc. Mon poing serré buta contre l'écorce avant de glisser le long du tronc, meurtri, mais je ne sentais pas la douleur. Je ne la sentais plus. Le front appuyé contre le tronc du saule, je tâchais sans succès de maîtriser cette colère soudaine.

Puis je me détournai vivement de l'arbre, écoeuré, frémissant de colère, et je repoussai violemment l'entrelacs de branches qui s'étaient refermées derrière moi, tournant le dos à l'arbre, le souffle court, tournant le dos à ma colère, et je restai debout dans ce jardin pendant un moment, jusqu'à ce que je me calme, jusqu'à ce que les battements de mon cœur se soient atténués…

« - Je comprends ton fils. Te prendre comme modèle, c'est…Donner des coups dans tout ce qui ose résister. N'est-ce pas? »

Je fis volte face.

Elle était appuyée au tronc du saule, une expression pensive tournée vers le sol. La longue chemise de nuit blanche qu'elle portait, bordée de dentelle, brillait virginalement dans la lumière timide du jour qui se levait et dansait, virevoltant derrière les branches qui en faisaient de même, et qui un instant me la montraient, un instant me la cachaient.

Je ne répondis pas.

Mes yeux étaient rivés au sol. Je vis qu'elle était pieds nus.

« - J'arrivais pas à dormir, alors je suis venue. J'attendais que tu te lèves. J'ai fait un tour dans ton jardin. Je l'aime bien. J'aime bien cet arbre. »

Je gardai encore le silence.

« - C'est à la Justice. »

Je levai les yeux, intrigué. Elle leva les siens en même temps, puis les détourna.

« - C'est au Département de la Justice, qu'on m'a proposé de travailler. Ils manquent de sorciers. Ils manquent de sorciers qualifiés, et… » Elle se tut un instant. « La reconstruction est difficile. La presse est enragée, les grands procès font beaucoup de bruit en ce moment. Si tu savais les horreurs…Mais oui, tu sais. »

Elle eut un rire sans joie. Dans ma gorge, les mots restaient prisonniers, j'avais l'impression d'être une statue.

« - C'est un poste plutôt bien placé, pour quelqu'un qui vient juste de finir ses études. Tu sais, le meilleur c'est qu'ils se moquent de mes résultats aux ASPICs, j'en suis presque certaine… », ajouta t-elle comme pour elle-même, avec un petit rire. « C'est navrant. J'ai presque choisi le poste que je voulais, en fait. Ils veulent de nouveau sorciers, de jeunes sorciers. Tu ne parles pas ? »

Elle fit quelques pas dans l'herbe.

« - Ta main saigne. »

Je n'y jetai pas un seul regard, continuant de regarder se mouvoir cette silhouette immaculée, hypnotisé. Elle jouait avec les branches du saule, et cette vision était presque surréaliste.

Elle dégagea le tissu léger de la base de son cou et, toujours sans me regarder, m'exposa une portion de peau où courait une fine et étrange cicatrice.

« - Tu m'as fait cela avant de partir, tu te souviens ? »

Je m'en souvenais, mais ne pus toujours pas émettre le moindre son.

« - J'ai choisi la Justice, en fait. J'aurais préféré la Régulation des Créatures Magiques, mais je pensais que ça irait plus vite, ainsi. J'ai la certitude de pouvoir te faire revenir dans le mois qui suit. »

Un instant, je baissai la tête.

« - Je le ferai », ajouta-t-elle. « Cet arbre… », fit-elle après un temps de silence, « J'ai entendu tout ce que tu lui as dit. Tu peux dire des choses, parfois… » Elle secoua la tête. « Je ferai pour toi ce que j'ai dit, je ferai en sorte que tu puisses revenir, si tu le souhaites. Mais ce sera tout. »

Elle marcha droit vers moi, et vint fermement saisir mon visage d'une main :

« - Tu ne décideras jamais pour moi. Si tel est ton but, alors je ne veux plus te voir. »

Elle affermit sa prise sur ma mâchoire.

« - Jamais. Ni pour faire cela, ni pour cracher une fois de plus sur mon sang. » Un instant, son regard fut comme une brûlure. « Je ne suis pas ce que tu dis », acheva-t-elle.

Elle me lâcha.