Disclaimer : que dire sinon que je suis tombée d'admiration devant A la Croisée des Mondes la première fois que je l'ai lue ? Philip Pullman est un génie des mots, et ce n'est pas moi qui dirais le contraire. Voici enfin la suite de cette fic ( toutes mes excuses pour ceux qui attendaient la suite depuis belle lurette ). Aimé, pas aimé, mitigé, laissez-moi vos reviews, pleaaaaaaase ! Bonne lecture !
5. L'épreuve
Une aube pâle et timide se levait sur les plaines du Nord, dispensant une lumière régénératrice sur les végétaux endormis. Un vol de corbeaux sillonna le ciel sans un bruit et glissa sur les courants ascendants. Allongée sur le sol moussu, près du feu qui dansait dans son cercle de pierres, Lyra dormait à poings fermés. Son visage affichait la plus parfaite décontraction. Son daemon-martre, lové autour de son cou, dormait lui aussi comme un bienheureux. Les sorcières s'étaient réunies en bordure de forêt pour tenir conseil, afin de ne pas réveiller la jeune fille.
Elle est à moitié sorcière ! soutenait Serafina Pekkala face à une de ses sœurs qui secouait la tête négativement. Tu as vu aussi bien que moi que Lyra n'est pas comme tout le monde !
Elle est certes exceptionnelle, mais elle n'en demeure pas moins humaine, objecta Arnóra Dalladóttir, la reine d'une tribut de sorcières des Terres Glacées. Notre communauté ne peut se permettre…
Elle est liée à notre destinée ! assena Svana Berg, soutenant Serafina. On ne peut pas ignorer ses capacités ! Lyra n'est pas et ne sera jamais qu'une simple humaine ! Elle a vaincu l'Autorité, mis fin à la tyrannie qui appesantissait ce monde ! Son rôle n'est pas terminé, elle doit encore accomplir maintes choses !
Des sorcières de différents clans secouèrent négativement la tête.
Qu'on lui laisse sa chance, alors… lança une voix ferme et claire, celle de Ruta Skadi.
Qu'entends-tu par là, Ruta ? demanda Arnóra, le sourcil levé.
Ruta Skadi ne répondit pas tout de suite. Elle parcourut du regard l'ensemble du cercle formé par les sorcières.
Il faut lui faire passer l'épreuve, finit-elle par dire simplement.
Des exclamations de surprise s'élevèrent aussitôt, causant à une nichée de chouettes de s'envoler en protestant. L'épreuve de reconnaissance était utilisée en de très rares occasions, lorsqu'un clan mettait en doute les capacités d'une sorcière. La dernière utilisation de cette épreuve devait bien remonter à une bonne douzaine de décennies.
Svana, Serafina, ordonna Ruta Skadi, allez préparer Lyra Parle-d'Or.
Les deux sorcières acquiescèrent d'un mouvement de tête avant de se diriger jusqu'au campement où elle réveillèrent doucement Lyra. Celle-ci, les yeux ensommeillés, protesta sans comprendre avant de s'asseoir et d'écouter ce qu'on avait à lui dire. Si elle fut étonnée, elle n'en laissa rien paraître, et Serafina crut même percevoir un timide sourire s'esquisser au coin de ses lèvres. Une ombre passa dans le regard de la sorcière lorsqu'elle s'adressa à Lyra.
Tu n'es pas contrainte d'accepter, Lyra, dit-elle en lui tenant le bras, la mine inquiète. Cette épreuve n'est pas sans danger, il faut que tu considères les risques que tu prends.
Avec la même insouciance, la même volonté affirmée que la première fois qu'elle l'avait rencontrée, Lyra exprima son souhait de passer l'épreuve. Aussi, Serafina et Svana conduisirent-elles la jeune fille jusqu'à une clairière où la neige formait un tapis bosselé. Svana s'avança jusqu'en son centre, éclaboussé par les flaques mouvantes du soleil matinal. Là, elle dégaina un poignard ouvragé et se piqua l'index du bout de la lame. Une goutte de sang s'échappa de la plaie et atterrit sur la neige. Le minuscule point écarlate s'agrandit doucement jusqu'à devenir de la taille d'une pièce et alors, la neige remua. Un objet étrange en émergea.
Lyra cligna des yeux pour tenter d'en percevoir la forme exacte, mais c'était chose impossible. Tout ce qu'elle fut en mesure de distinguer s'apparentait à un œuf translucide tacheté de givre, et à l'intérieur duquel de minces filets de fumée pourpre évoluaient en spirales. La chose, quel que fut son nom, était de toute beauté. Svana la déroba à la vue de la jeune fille en s'éloignant à pas vifs. Serafina posa sa main sur l'épaule de Lyra.
Je vais te préparer. Enlève tes vêtements.
Lyra fit ce qu'on lui demandait mais avec réticence. Elle ôta son épais manteau et consulta son amie du regard, dans l'expectative. Le froid était intense, son corps se hérissa de chair de poule mais elle ne protesta pas.
Enlève ton pull, Lyra. Ne garde que le minimum.
La jeune fille s'exécuta de nouveau et ôta pantalons, pull, chemise et chaussures. Elle ne garda que ses sous-vêtements. Pantalaimon, qui jusqu'ici était resté en retrait à explorer les fourrés, sauta dans ses bras pour lui apporter sa chaleur. Pendant ce temps-là, Serafina était allée au centre de la clairière, à l'endroit même où l'autre sorcière avait retiré l'œuf rouge. Agenouillée, elle avait dégagé la neige autour d'elle et creusait à mains nues le sol gelé. Elle retira une petite quantité de terre noire et la recueillit dans ses mains en coupe. Tandis qu'elle se relevait, de la vapeur s'échappa de son petit tas de terre, et bientôt une odeur âcre vint picoter les narines de Lyra.
Je vais te demander de ne pas bouger, Lyra.
La jeune fille acquiesça péniblement. Elle n'arrivait plus à articuler correctement à cause du froid qui la faisait claquer des dents. Serafina se pencha vers elle, et d'un geste de la main, sembla à première vue se débarrasser de la terre qu'elle portait. Mais la terre fumante, au lieu de retomber, se stabilisa au niveau du visage de Lyra, retenu dans une coupe invisible. La sorcière mit son doigt dans le mélange et murmura quelques mots dans un souffle, que la jeune fille grelottante ne put saisir. La terre sembla se liquéfier, elle bouillonna tout en prenant une teinte verdâtre. Serafina trempa son index dans le mélange et l'appliqua sur le visage de Lyra.
La sorcière dessina des lignes et des courbes sur son front, ses joues, et ses bras, par touches précises. La boue dégageait une odeur puissante d'herbe coupée et son contact sur la peau était légèrement chaud. Lyra sentit le froid la quitter peu à peu, tandis que des picotements indescriptibles s'installaient là où les dessins étaient tracés. Quelque chose s'opérait en elle. Elle pouvait le sentir, mais pas le définir. Pantalaimon lui mordilla affectueusement le lobe de l'oreille.
Voilà, fit Serafina en se penchant pour essuyer ses doigts dans la neige. Maintenant, mets ceci.
Elle lui tendit une étoffe de soie beige qu'elle avait sortie de sa ceinture. Lyra la prit et la déplia : il s'agissait d'une tunique courte. Elle l'enfila rapidement. Ensuite, la sorcière lui noua un bandeau sur les yeux.
Viens maintenant.
Lyra prit le bras de son amie et se laissa guider sur plusieurs centaines de mètres. Puis la sorcière s'arrêta. Lyra, qui ne ressentait plus le froid, caressa la neige de ses pieds nus. Le contact lui parut soyeux, duveteux même. Sa peau goûtait elle aussi les sensations de la nature, elle acceptait le souffle du vent avec délice. Quelque chose, définitivement, avait changé. C'était comme prendre conscience pour la première fois.
Lyra Parle-d'Or, fit la voix de Ruta Skadi. Tu dois prouver ta valeur, tu as accepté de te soumettre à l'épreuve. Lorsque je te le dirai, tu ôteras le bandeau de tes yeux. En attendant, écoute. Tout ce que tu as à faire, c'est ramener une plume de l'Oiseau de Feu. Par tous les moyens dont tu jugeras nécessaire, il te faudra ramener une plume. Maintenant, tu peux enlever ton bandeau.
6. Le sacrement
Lyra défit le morceau d'étoffe et papillonna des cils. Elle se trouvait dans la plaine neigeuse. Autour d'elle, de nombreuses sorcières faisaient cercle, leurs visages impassibles. A ses pieds se trouvait le mystérieux œuf né du sang de Svana. La fine coquille se fissura brusquement, libérant des volutes de fumée. Un tourbillon écarlate s'éleva rapidement avant de prendre la forme d'un grand oiseau au plumage ardent. En quelques secondes, la créature se matérialisa complètement et s'envola vers la forêt. Lyra se ressaisit et courut dans la même direction, Pantalaimon lui ouvrant la voie. Elle ne devait pas quitter des yeux cet oiseau flamboyant, elle devait à tout prix le rattraper. Pantalaimon sautillait dans le sous-bois, incapable de voir où l'oiseau était parti.
Lyra repéra une tache rouge dans la frondaison des sapins et s'approcha en silence d'un tronc d'arbre massif. Animée d'une énergie nouvelle, elle chercha des prises parmi les callosités de l'écorce et se hissa lentement jusqu'à la première branche. L'effort l'avait mise en nage. Cependant elle ne s'accorda pas de pause et poursuivit sa progression, toujours plus haut. La créature n'avait pas bougé. La jeune fille agrippa une branche au niveau de sa tête et entreprit de monter dessus. Mais son pied glissa et elle chuta. Désespérément, elle se rattrapa à une branche inférieure. Un craquement sinistre lui indiqua que celle-ci n'avait pas résisté.
Lyra tomba dans la neige. La violence du choc lui coupa le souffle pendant un instant. Son daemon, inquiet, vint lui lécher le nez.
Ce n'est rien, Pan, je vais bien. Je suis juste un peu sonnée.
L'oiseau de feu, Lyra ! Il s'envole !
Lyra suivit du regard les évolutions gracieuses du volatile à travers les branches jusqu'à ce qu'il se pose à nouveau. Puis elle se mordilla la lèvre inférieure, perplexe. Elle regarda la branche de sapin qui avait accompagné sa chute, puis fixa Pan. Ce dernier lui renvoya un regard perplexe.
Ça ne marchera jamais, Lyra, fit-il.
Pan, Pan, Pan… soupira-t-elle en secouant la tête, un sourire fiché aux lèvres.
Oh non, Lyra, tu te leurres complètement !
Bon, eh bien ça ne coûte rien d'essayer.
Pantalaimon se percha sur une souche enneigée et se dressa sur ses pattes arrières, goguenard, tandis que Lyra arrachait quelques brindilles à la branche de sapin. La jeune fille ne souriait plus, elle avait adopté le masque de concentration qu'il lui avait souvent connu du temps où elle utilisait l'aléthiomètre. Pantalaimon n'en restait pas moins au bord du rire. Il émit un sifflement mi-moqueur, mi-affectueux lorsqu'elle enfourcha la branche. Lyra ferma les yeux et resta dans cette posture un long moment, pendant lequel son daemon ne cessa de sautiller sur place.
Puis, à son vif étonnement, Lyra s'éleva dans les airs, lentement, maladroitement. Mais au bout de quelques secondes, elle battit des jambes dans le vide et perdit l'équilibre. Elle chuta une seconde fois, la branche lui retombant dessus. Pan courut jusqu'à elle et frotta son menton contre sa joue.
Ah ! Tu vois Pan ! rit Lyra en grattant la tête de martre d'une façon taquine. Ne doute jamais de moi !
Oui, tu as décollé ! rétorqua Pan, faussement outré. Mais de là à faire des pirouettes en l'air, il y a une marge…
Ahaha, fit semblant de ronchonner Lyra.
Elle ne s'avouerait pas vaincue de la sorte, aussi se remit-elle sur pied, secoua la neige de sa branche et l'enfourcha de nouveau. Retombant dans sa concentration, Lyra ne se focalisa plus que sur la légèreté qu'elle souhaitait atteindre. Cette méthode s'avéra être la bonne, car bientôt elle se remit à léviter. Cette fois, elle conserva son sang froid et parvint à s'élever. Cependant, elle ne put retenir un cri de frayeur lorsque sa branche prit de la vitesse et fila entre les troncs massifs.
Pantalaimon, rongé d'inquiétude, ne pouvait détacher ses yeux de la jeune fille, et son cœur se serrait dès qu'il la voyait relâcher son attention et basculer dangereusement. Néanmoins, Lyra ne se laissa pas décourager et orienta son balai vers la cime d'un immense sapin. Pantalaimon poussa des cris de détresse lorsqu'il la vit disparaître dans le couvert végétal et que des craquements sonores retentirent dans la forêt.
Lyra ! Lyra ! Réponds-moi ! Oh, Lyra ! gémissait Pan, fou d'angoisse.
Impuissant, le daemon-martre tournait en rond en appelant le nom de l'être qui lui était le plus cher au monde. Il était tellement bouleversé qu'il ne vit pas Lyra se poser un peu brutalement derrière lui. Lorsqu'elle s'approcha de lui, rayonnante, il bondit dans ses bras pour qu'elle le câline.
Gros malin, tu ne croyais tout de même pas que je m'étais égarée dans les airs ? lui fit-elle en le berçant pour apaiser ses battements de cœur frénétiques. Tiens, regarde donc ça !
Entre le pouce et l'index, elle tenait une étrange plume vaporeuse aux reflets changeants, allant du rouge sombre à l'or pur.
Les sorcières s'étaient réunies en lisière de forêt, où elles avaient entretenu le feu pour le retour de Lyra. Elles discutaient à voix basse des nouvelles des divers clans, certaines plaisantaient. Seule Serafina Pekkala, qui s'était mise en retrait, gardait le visage fermé. Un cri de Valdís Edel la tira de ses craintes. Très vite, un cercle se forma autour de Lyra qui, triomphante mais essoufflée, tenait d'une main sa branche de sapin, de l'autre sa plume. Même Pantalaimon ne put s'empêcher de se rengorger. En équilibre sur l'épaule de la jeune fille, il fit bouffer les poils de son poitrail.
Les sorcières se pressèrent pour féliciter Lyra de sa réussite.
Lyra, tu sais ce que cela signifie ? lui demanda Ruta Skadi en lui faisant face d'un air solennel.
La jeune fille, un peu intimidée, garda le silence.
Tu es une sorcière, une de nos sœurs désormais. Tu ne finiras jamais de m'étonner, et ça c'est une grande qualité. Maintenant viens, il faut préparer notre voyage.
Notre voyage ? s'enquit Lyra, sans comprendre.
Tu as déjà oublié ? lui répondit la sorcière en riant doucement. La République des Cieux, Lyra… Tu dois la bâtir, la peupler avec des êtres, humains ou animaux, de tous horizons.
Mais… les sorcières ne peuvent…
Si Lyra, nous pouvons t'accompagner. Tu es loin d'être commune, tout ce que tu as accompli jusqu'ici, peu, voire aucun, n'aurait pu le faire. Une prophétie existe parmi les sorcières, nous ne pouvons l'ignorer. S'il y a sur Terre quelqu'un qui lui corresponde au mieux, c'est bien toi, Lyra. Tu es exceptionnelle, tu consacres ton existence aux autres, mais ton parcours requiert aussi de l'aide, et cette aide –je peux sans crainte m'exprimer au nom de toutes mes sœurs ici présentes –nous serions honorées de te l'apporter.
Lyra, les yeux brillant de larmes de reconnaissance, serra la sorcière dans ses bras. Bâtir la République des Cieux ne serait plus une tâche solitaire désormais. L'aide précieuse des sorcières, ainsi que le don qu'elles lui avaient fait, lui permettraient de parcourir les continents le cœur léger, pensant que chaque pays parcouru la rapprocherait de Will.
