- Heu… toi?
Hum… Je ne sentais plus mes membres. J'ouvris les yeux, et rencontrait des grosses paires de bottes. En remontant un peu, je reconnus un short bleu, une chemise très bizarre, des cheveux blonds en pétard et un sourire franc. Tidus. Je réussi à me hisser sur mes jambes. Cette affreuse combinaison encore mouillée me grattait de tous côtés. Je l'enlevais, devant un Tidus ébahi. Pourtant j'avais mes vêtements dessous, non?
- Rikku? C'est toi? Oh ça me fait plaisir de te voir! Je voulais tellement te remercier pour la dernière fois.
- Ben tu as une drôle de manière de me remercier!
- Qu'est-ce que tu veux dire? Je n'ai rien fait!
- Tu parles, c'est toi qui m'a explosée dans ce machin!
- Ah… la machine, c'était toi?
- Ben oui…
- Que se passe-t-il, Tidus?
Yuna s'avançait vers moi, enfin plutôt vers Tidus. Ses gardiens la suivaient. Une grande femme au chignon noir, habillée d'une longue robe noire. Elle avait énormément de classe, et pour je ne sais quelle raison, je sus au premier regard que cette femme était exceptionnelle. Le joueur de blitzball la suivait de près. Un air benêt. Des cheveux châtains coupés courts, un corps de sportif, il ressemblait à un gros lourdaud, autant physiquement que spirituellement. Un Ronso arrivait après. Son imposante stature témoignait de sa force et de sa férocité, pourtant je crus déceler beaucoup de bienveillance dans son regard. Enfin, un manteau rouge fermait la marche. Je crus manquer d'air. Je reconnus les lunettes foncées, les cheveux foncés qui avaient pris quelques fils blancs. Je reconnus sa noble stature, je croyais retrouver l'odeur de sa peau. Auron. Ainsi nos routes se recroisaient. Je ne l'aurais jamais cru, et maintenant devant le fait accompli, je ne savais pas comment agir. Heureusement Yuna m'interpella:
- Hé, toi, qui es-tu?
- Je suis Rikku, et je dois te parler. En privé.
- D'accord.
Yuna semblait avoir tilter à l'entente de mon nom. Elle appela Lulu, la jeune femme en noir, et nous nous éloignâmes. Tant mieux, comme ça je n'aurai pas à me confronter à sa présence.
- Qui es-tu exactement?
- Je suis fille de Cid, ton oncle.
- C'est bien ce que je pensais. Mais dans ce cas, pourquoi m'avoir attaquée?
Yuna ne semblait vraiment pas comprendre. Je pense qu'elle aurait préféré que les retrouvailles avec la famille de sa mère se fasse dans d'autres conditions.
- Ne te fâches pas, Yuna. Mais j'avais des ordres de mon père. Il voulait te sauver, il ne veut pas que tu ailles à Bevelle, puis sur la plaine Félicité. Non, il ne veut pas…
- Tais-toi, murmura Lulu. Vous autres Al-bedhs avez une manière bien particulière de sauver les gens.
- Mais c'était la seule solution! Yuna n'aurait jamais accepté de rentrer au refuge par elle-même. Et pourtant c'est là qu'elle sera le plus en sécurité.
- Je comprends très bien vos craintes. Cid a toujours voulu avoir de mes nouvelles, et j'ai toujours su que je pouvais compter sur lui. Mais il ne peut pas m'empêcher de suivre la voie que j'ai choisie. Je veux vaincre Sin, même si cela doit exiger de nombreux sacrifices…
- Le sacrifice de ta vie! Crois-tu que c'est une vie, de renier sa propre vie au service de celle des autres?
- C'est un choix que Yuna a fait, répondit Lulu. Tu ne peux rien faire contre ça.
- Je le sais… Mais j'aimerai tellement faire quelque chose… Si je rentre au refuge sans Yuna, je ne pourrai plus me regarder en face.
- Rikku… Je voulais te demander quelque chose.
- Oui?
- Nous ne nous connaissons pas, pourtant tu fais partie de ma famille. Je ne pense pas que j'aurai d'autres occasions de te rencontrer, mais j'aimerai que tu devienne ma gardienne, si tu le veux.
- Moi, ton gardien? Je ne sais pas si je saurai te protéger…
- Je sais que tu en seras capable. Mais le mieux que tu puisses faire, c'est d'être avec moi. Je t'en prie. Qu'en penses-tu, Lulu?
- Je pense que nous ne serons jamais trop. Mais je pense que nous devrions en parler avec Auron…
- Oui, tu as raison. Sir Auron!
Non… pas Auron. Je suivis Yuna, la tête basse, jusqu'au groupement des gardiens.
- Sir Auron, j'aimerai que Rikku devienne ma gardienne.
Il ne dit rien. Je plongeais le regard. Il me prit par les épaules. Je gardais les yeux rivés au sol. Il me serra les épaules. Je trouvais le courage d'affronter son regard. Enfin, ses lunettes. Je cherchais quelque chose à quoi m'accrocher, une petite lueur de sa part, que ce soit le plaisir de me revoir ou le sentiment d'avoir été abandonné. N'importe quoi, mais quelque chose. Mais je ne trouvais rien, parce que ses lunettes obscurcissaient la moindre de ses émotions. Enfin je sentis le souffle de sa voix dans mon cou.
- C'est bien ce que je pensais. Tes yeux… La peur s'y lit. Mais si Yuna veut que tu sois sa gardienne, je ne peux pas l'en empêcher.
C'était tout? Mais peutêtre n'avait-il rien à dire de plus. Nous prîmes la route de Guadosalam. Le trajet fut gai, parce que Yuna et moi avions pleins de choses à nous dire, et que tout le monde y allait de sa petite plaisanterie. Une fois arrivés, nous fûmes accueillis par Tromell qui nous annonça que Lord Seymour voulait nous voir. Seymour était un des maîtres de Spira, partisan de la religion Yevoniste. Pourtant, même si ne partagions pas les même idées religieuses, j'avais toujours eu beaucoup d'admiration pour ce prêtre issu d'un mariage entre une mère humaine et un père Guado. Il avait toujours respecté ses engagements envers le peuple, ce qui faisait de lui un être très respecté. Nous fûmes donc conduits dans la salle de réception de Guadosalam, où un grand buffet nous attendait. Je me ruais dessus, parce que je n'avais rien mangé depuis ce matin et que les émotions du jour m'avait donné faim. J'avais encore la bouche pleine quand Lord Seymour entra dans la pièce et nous souhaita la bienvenue. Puis il prit Yuna à part, et lui murmura quelque chose à l'oreille. Son visage se décomposa, et quand elle se retourna vers nous, elle ne put que souffler dans un murmure:
- Il m'a demandé de l'épouser…
- J'espère que votre réponse sera favorable, ma chère. Mais réfléchissez bien avant de donner votre réponse.
- Oui, Maître.
Lord Seymour sortit de la salle. Je remarquai que Yuna tremblait, et cherchait le regard de Tidus. Elle ne savait plus où elle en était. Elle n'avait pas dû avoir la même expérience que moi…
Nous sortîmes de la salle et nous nous dirigeâmes vers l'Au-delà. Il ne s'agissait pas vraiment de l'Au-delà, mais plutôt d'une porte vers l'Au-delà. Les vivants pouvaient venir y converser avec leurs morts, ou plutôt avec le souvenir de leurs morts. Pour une raison que j'ignorais, je ne voulais pas aller dans l'Au-delà. J'en avais peur, il y avait pleins de gens que j'avais peur de retrouver morts. Je préférais faire planer le doute. C'est pourquoi je restais en retrait. J'entendis Tidus demander:
- Auron, tu ne viens pas?
- Non, ce n'est pas ma place.
- Rikku?
Je me mordais les lèvres.
- Je préfère garder mes morts avec moi.
Tidus partit en haussant les épaules, et Auron s'assit sur une marche d'escalier. Je m'assis sur la rambarde et fuyais son regard. Je me sentais tellement mal à l'aise. Je me rappelais cette nuit, et tout le plaisir que j'avais ressenti. Bien sûr je ne m'étais pas privée durant un an, mais je n'étais jamais arrivée à retrouver la même sensation. Ah… sa peau…
- Tu étais donc la cousine de Yuna…
- Comment le sais-tu?
- Je connais Cid, c'est une vieille connaissance. Si j'avais cru que je dépucellerai sa fille… Et Braska, sa nièce…
Ça ne t'avais pas gêné tant que ça, il y a un an…
- Je sais, mais je l'ai tellement regretté. Tu étais si jeune, et maintenant c'est encore pire…
- Pourquoi c'est pire? Tu ne peux pas dire que c'est pire, parce qu'il faudra que ce soit mal. Et quand tu me vois aujourd'hui, tu crois vraiment que tu m'as fait mal?
- C'est vrai, quand on te regarde on voit plutôt une jeune fille épanouie… Mais j'étais tellement mal quand je me suis réveillé…
- Pourquoi?
- Parce que tu étais partie!
- Ben, je devais partir et je ne voulais pas te réveiller.
- Tu aurais dû…
- Ben je ne l'ai pas fait.
- Et moi j'ai été terriblement vexé! Tu aurais quand même pu laisser une explication…
- Je t'ai laissé un mot!
- Oui, je m'en souviens. "Merci pour tout… Je ne sais pas quand on se reverra. Adieu" . Tu crois que c'est une explication?
- L'explication c'est simplement que je ne savais pas quoi faire. Je ne te connaissais pas, je ne savais pas si tu étais marié, ce que je représentais pour toi. Et je ne voulais pas être déçue. Je ne voulais pas avoir été une passade pour ma première fois. Alors je me suis dit que si je partais, tu te rappellerais de moi…
- Je n'avais pas besoin de ça, merci. J'aurai au moins voulu te dire à quel point ça avait été génial.
- Je suis heureuse de le savoir! Pour moi aussi… Je dois admettre que pour une première fois c'était grandiose…
- Bon, n'en parlons plus à présent. Faisons comme si de rien n'était, pour les autres ça sera plus simple…
-Je suis entièrement d'accord!
En réalité, je n'étais pas totalement d'accord. Même si je n'avais jamais éprouvé de réels sentiments pour Auron, il aurait toujours une place spéciale à mes yeux. Parce qu'il avait été le premier, et aussi parce que je ressentais un grand attachement pour lui, mais je n'aurai pas pu nommer la nature de cet attachement. Le retour de Tidus me sortit de mes pensées, et je me retournais pour voir Lord Jyscal, le père de Lord Seymour, tenter de sortir de l'Au-delà. Il semblait vouloir dire quelque chose à Yuna, mais cette dernière l'envoya.
- Je ne comprend pas pourquoi Lord Jyscal n'a pas rejoint l'Au-delà en paix, murmura-t-elle.
- Nous ne connaissons pas les véritables circonstances de sa mort. Peutêtre est-elle plus obscure que nous le pensons…
- La question n'est pas là, interrompit Lulu. Il nous faut retourner au château afin que Yuna donne sa réponse à Lord Seymour.
- Oui…
Yuna ne semblait plus très bien savoir où elle était. Ni ce qu'elle devait faire. Je ne comprenais pas qu'elle ne décide pas de suivre la voix de son cœur. Mais Yuna avait une toute autre philosophie que la mienne…
Nous sortîmes de l'Au-delà, quand Shelinda, une jeune Yevoniste, nous annonça le départ de Seymour pour Macalania. Sans perdre une minute, nous passâmes au magasin acheter des provisions, et le groupe s'avança vers la sortie de Guadosalam. J'eus alors une vision d'horreur. La plaine foudroyée se profilait devant mes yeux, une sorte de chaos bruyant et strié d'éclairs. J'avais peur de l'orage, depuis qu'un éclair m'avait brûlée étant gamine. Sans me l'expliquer, je murmurai:
- Heu… Je crois que j'ai oublié quelque chose à Guadosalam…
- Si tu as peur, tu peux rester, nous ne nous embarrasserons pas de toi.
Auron avait ainsi parlé. J'étais trop profondément touchée pour essayer de comprendre, et mon sorte d'instinct d'action-réaction prit le dessus:
- Je n'ai pas peur!
Un éclair traversa le ciel et je criai. J'entendis Auron pousser un soupir, ce qui suffit à me faire taire et nous nous enfonçâmes dans la noirceur de la plaine. Je ne sentais plus rien, si ce n'était cette peur qui me serrait le ventre et hantait mon esprit. Le voyage se fit en silence jusqu'au refuge Al-Bedh. Là, nous prîmes des chambres pour la nuit, une pour les hommes, et une pour nous. Lulu proposa un pique-nique dans la chambre des hommes qui était plus grande. Je refusais, parce que j'étais fatiguée, et parce que je ne voulais pas me retrouver dans la même salle qu'Auron. Pourtant, je m'endormis bien qu'après que Lulu et Yuna soit rentrées sur la pointe des pieds, sachant qu'Auron dormait de l'autre côté du mur…
- Rikku… Réveille-toi!
- Hum…
Je me levais avec allégresse, comme chaque matin. Et soudainement, ma réalité refit surface: j'étais au milieu de la plaine foudroyée et Auron était très distant. Je m'habillai sans rien dire et pris le petit pain rond que Lulu me tendait.
- Tu en prendras un dans ton sac, tu n'as rien mangé hier soir.
- Oui, Lulu. Merci beaucoup.
La voix presque maternelle de Lulu me sonna comme un réconfort, et je pus enfin sortir de la chambre et me diriger vers le magasin. Auron était déjà là, mais ne me regarda même pas.
- Alors, quand pourrons-nous partir? Demanda-t-il d'une voix impatiente.
- Je vais aller chercher Yuna, murmura Tidus.
Lulu discutait avec Auron, Wakka vint me faire la causette. Il était sympa, mais pas très rapide… Enfin, au moins je riais! Et ça me faisait énormément de bien. Finalement Yuna arriva, et sortit avec Tidus. Kimari suivit, ainsi que Lulu et Wakka. J'allai sortir, pleine de courage, quand le tonnerre retentit.
- Heu… On ne pas rester encore un peu?
- Tu peux rester si tu veux, mais nous ne t'attendrons pas! Et je ne vois pas à quoi ça te servirait d'attendre toute seule ici!
- Peutêtre…
- Ne me dis pas…
- Quoi?
- Que tu pensais que l'orage allait s'arrêter?
Pour réponse il eut un grondement de tonnerre. Un rictus moqueur se dessina sur son visage alors qu'il tournait les talons. Je criai:
- D'accord, je sais que tu as raison, mais tu aurais pu être plus gentil!
Je fonçais dehors, il ne dit rien. Je restai à ses côtés, bouillonnante, pendant tout le trajet. Vers le milieu, Yuna nous annonça qu'elle allait épouser Maître Seymour. Elle ne l'aimait pas, mais elle savait que c'était le mieux pour le peuple de Spira. J'admirais son courage. Elle avait vraiment renoncé à tout dans cette cause perdue qu'était la destruction de Sin.
Nous parvinrent enfin au prochain comptoir Al-Bedh après nous être perdus dans la forêt de Macalania. Là encore, une bonne nuit de repos nous sembla indispensable. Cette fois-ci, le sommeil me tomba dessus, et je ne me réveillai que quand j'entendis Tidus crier. Je m'habillai à la hâte, et découvrais toute l'équipe accompagnée du Majordome Tromell, courtisan de Maître Seymour, attaquée par un canon Al-Bedh! Vite, il fallait empêcher ça! Je courrai et fus encore plus surprise de voir que c'était Frangin qui commandait l'appareil. Je lui criai d'arrêter, mais il ne voulut rien entendre. Je savais que le laser du canon était mortel, et c'est pour ça que je compris l'urgence de la situation. Je criai à Yuna d'invoquer Ixion, la chimère électrique, et cette dernière décima rapidement le canon. Dans l'explosion, j'entendis juste mon frère qui disait:
- Rikku, je le dirai à papa! Poto, on se taille!
Tromell partit avec Yuna, et nous trouvâmes des turbo-scoots. Je fendais la neige avec Kimari, Auron ayant prit seul un turbo-scoot. Ça devait lui rappeler trop de souvenirs…
