Les cris inquiets des autres nous réveillèrent.

Ils doivent penser que nous sommes partis, murmurais-je en me levant.

Ils n'auraient pas tord, nous n'avons pas été loin de partir…

C'est vrai. Mais c'est peut-être mieux comme ça…

Mais qu'est-ce que j'avais dit?

Oui, c'est mieux comme ça. Tu sais, nous deux ça ne pouvait pas continuer de toutes façons. Ça se serait terminé un jour ou l'autre…

Oui, mais j'aurai préféré que ce soit dans d'autres circonstances.

Moi aussi, crois-moi.

Je ris.

Auron! Rikku!

Il me regarda en remettant ses lunettes. J'eus l'impression qu'il cherchait à se cacher, ou qu'il voulait me dire qu'il était presque déjà parti. Puis, il me prit la main.

Je crois qu'il faut rentrer.

Oui…

Il m'embrassa. Une dernière fois.

Il me lâcha la main juste avant de paraître devant les autres.

Où étiez-vous? Demanda Yuna d'un air inquiet.

Je me suis réveillé tôt, alors j'ai voulu marcher un peu, répondis-je. Et j'ai trouvé Auron qui avait passé la nuit à réfléchir, comme d'habitude…

Ah bon? Tu es insomniaque? Plaisanta Wakka.

On peut dire ça…

Ah ce Wakka, si j'avais pu le tuer… La vérité c'était que Auron ne dormait presque plus, c'est à dire qu'il n'avait pas besoin de sommeil pour se régénérer. Sa dernière nuit, il l'avait passée à me regarder dormir.

Nous tournâmes nos regards vers la tour, et dans un silence religieux, nous nous dirigeâmes vers elle. Après une longue ascension, Jecht se tint devant nous. Le père de Tidus. Sin. Je ne sais pas. Tidus et lui se parlèrent. Je sentais que chacun des deux auraient voulu que ça se passe autrement, je sentais tant de non-dits… Mais je ne suis pas là pour juger la relation de Tidus avec son père. De toutes façons, il n'y avait plus rien à faire. Jecht ressentais Sin trop profondément au fond de lui pour pouvoir ressentir des sentiments totalement humains. Le détruire, une bonne foi pour toute. Malgré toute l'affection que je portais à Tidus, ce fut sans remords que je me précipitais sur Jecht, en souvenir de tous les maux dont il nous avait affligés. Pour moi, pour mon frère, pour Nyaka… Pour Braska, pour Yuna… Pour toi, Auron…

Le dernier souffle de Jecht me déchira les tympans, comme le cœur. Je me sentais comme libérée, et c'est de cette libération que je puisais la force pour les derniers combats, à savoir les chimères, et Yu Yevon. Une fois le dernier coup porté, la terre se mit à trembler. Nous fûmes projeté au sol, et je ne sais pas exactement ce qu'il se passa. Je me réveillais en même temps que les autres. Yuna nous regardait tous avec soulagement. C'était fini. Nous avions gagné. « Merci… » murmura-t-elle.

J'entendis des pas lourds derrière moi. Je ne me retournais pas. Je regardais droit devant moi, surtout ne pas croiser son regard… Il me dépassa, sans rien me dire. Dans un silence entendu, Yuna commença la cérémonie d'accompagnement. Je regardais toujours devant moi, quand je sentis mon corps se décomposer, comme si je me déchirais. Je retins un cri, et tournais la tête en direction d'Auron. Je ne sais pas ce qui fut le pire… La douleur de sentir mon corps s'écarteler, ou celle de le voir se détacher en de minuscules furolucioles… Auron… Auron… Je voulus crier, mais me l'interdis. Assez égoïstement, la suite n'eut pas tellement d'importance pour moi. Même si après Auron, c'est Tidus qui rejoignit l'Au-delà, car il n'était que le rêve des priants… Je vis ma cousine, je vis sa peine… Mais je la comprenais trop bien pour pouvoir être affectée de son malheur.

Nous retournâmes sur Spira. Nous fûmes acclamés à Bevelle, à Luca, à Besaid, partout… Mais cela n'avait pas d'importance, puisque tu n'étais pas là… Je serais ingrate de dire que ce ne fut pas agréable, mais tout cela me semblait si futile. Après ce que j'ai appelé la « campagne de promotion », Yuna m'a proposé de rester avec elle à Besaid, en tous cas dans un premier temps. J'acceptais avec plaisir. Je pensais que la quiétude et la joie de vivre du village de Besaid allait m'aider à relativiser la perte d'Auron. Cependant, dès le premier matin je fus confrontée à son absence. J'avais passé une nuit paisible, dans la grande hutte des bannisseurs. Je me levais pourtant la première, vers 6h30 du matin. Le soleil n'était pas encore dans le ciel, mais il faisait déjà jour. Un léger vent balayait la place du village. Je marchais, pieds nus sur la pierre. Je me sentais mal, je ne savais plus où aller. Puis j'entendis le croassement d'un corbeau. Ce cri me perça le cœur, comme si je revivais la même douleur de quelques semaines auparavant. Je retournais dans la tente en chancelant, me dirigeais vers la cuisine pour manger un gâteau sec. Sa confection pâteuse me resta en travers de la gorge, et un sale goût avait prit possession de mon palais. A l'image de ce matin-là, plus rien n'eut de saveur dans ma vie, et je gardais au fond de moi cette même douleur, toujours aussi vivace dans mon cœur. Je ne me morfondais pas, bien au contraire. Je voyais le maximum de monde, je m'amusais, j'étais joyeuse… Mais ce n'était que pour mieux me cacher que je n'avais pas oublié Auron.