Chapitre 20 : Continuer à avancer

- C'est quoi cette nouvelle affaire que tu dois mener ?

- C'est un nouveau fournisseur. Mon père pense que c'est un flic. Je le piste depuis la journée. Et il m'a conduite ici.

- Tu veux dire qu'il est dans cet hôtel ?

- Oui. J'ai réussi à entrer dans sa chambre et j'ai posé quelques émetteurs. Mais depuis tout à l'heure, notre homme semble bien trop tranquille. Pas de coup de fil ni aucune visite.

- Il doit attendre quelqu'un.

- Oui. Il parle en code avec son interlocuteur.

- Tu sais qui est son contact ?

- Non, l'autre ne parle jamais. Il lui a seulement donné rendez-vous dans cet hôtel.

- Et si c'est vraiment un flic ?

- Je devrais le tuer. Je ne sais pas encore de quelle manière je vais m'y prendre, mais on verra bien le moment venu, dit-elle en remettant l'un des deux écouteurs sur son oreille.


Il sortit du taxi avec appréhension.

Il scruta les alentours à la recherche de sa sœur. Là, il avait bien la preuve que lorsqu'elle avait une chose derrière la tête, elle ne la lâchait pas.

Bra avait passé sa journée à le surveiller. Et le pire était que son meilleur ami était de mèche avec elle. Pas étonnant puisqu'il était également son petit ami.

Je dois trouver un moyen de séparer mon meilleur ami de ma sœur ou je risque bien de terminer dans un hôpital psychiatrique, songea-t-il.

La seule solution pour semer sa sœur avait été d'utiliser les moyens traditionnels de transport mis à sa disposition pour ne pas se faire remarquer. L'idée de se fondre dans un taxi dans une ville, où les embouteillages étaient encore pires que d'accoutumer en cette période de fêtes, n'était pas la plus bonne mais pour l'instant elle suffisait puisqu'il ne voyait aucune trace de Bra.

J'ai réussi à semer cette pot de colle, pensa-t-il. Non, mais qu'est-ce que ça peut lui faire ce que je fais après le boulot ? Depuis quand elle est devenue ma mère ?C'est vraiment le monde à l'envers ! C'est moi qui devrais m'inquiéter de la voir sortir avec Songoten.

Il passa les portes de l'hôtel en jetant quelques coups d'œil coup par dessus son épaule, et se dirigea directement à la réception où une femme au sourire étincelant lui remit la clé de sa chambre.

Deux mains se posèrent alors sur ses yeux. Il saisit les poignets et les écarta. Lorsqu'il se retourna, ce fut pour découvrir April qui lui souriait.

Son bras sous le sien, ils montèrent dans l'ascenseur.

L'autre explication de son excessive prudence était due aux réelles raisons de ce rendez-vous. Il ne tenait pas à entraîner sa sœur dans une opération qu'il savait délicate. Et avec Bra dans les parages, son souci de passer inaperçu risquait d'être fortement compromis.

Il ouvrit la porte de la chambre et laissa April entrer la première puis jetant un dernier coup d'œil dans le couloir de l'hôtel, il referma la porte.

Il ôta son manteau qu'il envoya valser sur une chaise d'où elle tomba, puis sa veste qui eut le droit au même traitement. La main sur sa cravate qu'il desserrait, il se dirigea vers la fenêtre qu'il ouvrit puis regarda sa montre.

Son portable sonna à ce moment.

Il le laissa sonner.

Il entendit l'eau de la douche couler.

- April, je reviens, dit-il.

- Où allez-vous ! cria-t-elle depuis la salle de bain.

- Chercher de quoi boire.

- Faîtes le monter par le service de chambre !

- Ne vous inquiétez pas, j'en ai pour cinq minutes.

- Dépêchez-vous car cette fois je ne vous excuserai pas !

- Entendu, dit-il alors qu'il avait déjà un pied dans le vide.

Flottant dans les airs, il croisa les bras songeur.

Logiquement, songea-t-il, la chambre 319 devrait se trouver...

Il étudia l'emplacement des fenêtres et trouva celle grandement ouverte. Il fallait vraiment avoir chaud pour aérer une chambre en pleine nuit.

C'est là !

Depuis le mois de novembre, il cherchait un moyen de s'infiltrer dans un certain réseau qu'il soupçonnait d'être responsable de l'assassinat de plusieurs chefs de gang. Il avait suffi d'un peu de jugeote pour comprendre que ce nettoyage radical avait été entrepris par une certaine organisation désireuse de contrôler tout un milieu mafieux et qu'il s'agissait sans aucun doute de l'organisation où travaillait Lynn.

Il ne regrettait pas le prix payé à son informateur. Grâce à cela, il était enfin parvenu à en savoir plus sur le Ruban rouge et surtout sur le cerveau de toute cette bande. Un homme d'affaire assez réputé pour sa pugnacité, possédant une dizaine de casinos et de boîtes de nuit, des établissements toujours sous l'œil vigilant de la justice. Il avait surtout la réputation de fermer et de rouvrir aussitôt après dès qu'un contrôle fiscal ou autres l'obligeait à déposer les clés. Il était bien trop intelligent et son organisation bien trop structurée pour passer derrière les barreaux.

Je ne peux peut-être pas le tuer de mes mains, songea Trunk, mais je ferai en sorte qu'il croupisse le restant de ses jours en prison. Je vais tout lui enlever en passant par son argent, sa réputation et son pouvoir. Je vais le rendre aussi amer que je le suis devenu par sa faute.

Et la seule façon de mettre cet oiseau en cage était de jouer dans la même cour que lui. Et quoi de mieux que de s'infiltrer directement dans le réseau si habilement noué par cet homme sans scrupule ? Si ses hommes parvenaient à entrer et à récolter le plus de preuves possibles contre cette organisation, il aurait déjà un pas vers la victoire.

Cette mission requérait surtout un maximum de vigilance. Le moindre faux pas, et l'affaire tombait à l'eau, sans compter que la mort les attendait à l'autre bout du chemin.

Il entra dans la chambre faiblement éclairée par la lampe de chevet.

Il aperçut l'ombre qui s'étirait sur le sol. Il dirigea son regard vers la silhouette assise dans un coin de la chambre.

Malgré toutes les précautions prises, il ne pouvait pas s'imaginer être tranquille. Il savait de quoi était capable cette organisation. Rien ne prouvait que son indic n'ait pas été suivi et soit sur écoute.

Graduellement, l'air autour de lui se chargea d'électricité.


Lynn arracha subitement ses écouteurs et les jeta à terre.

- Et merde !

- Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Spynner.

- On dirait un court-circuit. J'ai perdu le contact.

- Tu crois qu'ils ont découverts les micros ?

- Non, ils sont bien cachés.

- C'est trop louche.

- On va devoir agir autrement.

Elle se mit debout.

- Où tu vas ?

- Je vais de ce pas trouver une autre couverture.

- Et tu comptes sortir comme ça ? dit-il en désignant le peignoir.

Elle se regarda.

- Bah, oui.

Elle ouvrit la porte.

Un groom passa avec un chariot. Elle lui fit signe de s'approcher.

- Oui, mademoiselle ?

- J'ai un problème avec ma douche. J'ai vraiment besoin d'aide.

- Je vais appeler la direction.

- Non ! Je veux dire que... Ce n'est pas la peine. Je suis persuadée qu'un grand gaillard comme vous est capable de se débrouiller seul pour... venir en aide à une jeune fille en détresse qui saura le récompenser le moment venu.

- Montrez-moi ça, dit-il.

- Entrez, dit-elle.

Elle referma la porte derrière lui.


- Alors ? demanda Trunk en s'adossant contre le mur.

- Et bien, notre homme a accepté le marché. Je dois lui fournir les capsules comme convenu. Apparemment, il ne se doute de rien. Mais, un homme de sa trempe ne donne pas facilement sa confiance. Nous devons encore rester sur nos gardes.

- Je suppose donc qu'il faudra encore du temps avant que vous ne soyez dans la capacité de me fournir ce que je souhaite… C'est pour cela que j'ai décidé d'agir aussi.

- Et comment ? Vous m'avez bien dit que vous aviez été en contact avec un de leurs membres. Ils vous connaissent donc. Ce serait vraiment risqué pour nous...Est-ce que vous voulez réellement faire capoter toute cette histoire ?

- Non, mais j'en ai assez de rester à rien faire ! J'ai envie de me confronter à cet escroc, le regarder en face et pouvoir me dire que sa belle place au soleil n'est plus que provisoire.

- Ce n'est pas une chose à faire. Ça va lui mettre la puce à l'oreille ! Je vous préviens que le trafic concerne vos produits, que pensera-t-il si vous veniez à lui ? Il pensera que vous soupçonnez quelque chose. Et il arrêtera notre marché. Je vous interdis formellement d'entreprendre quoique se soit.

- M'interdire ? Vous croyez vraiment pouvoir m'interdire de ne pas faire une chose ! Je vous ai engagé pour me trouver des informations si vous n'êtes capables de m'en donner, je vais moi-même m'en occuper !

- Et comment ? Vous croyez vraiment que notre homme vous fera confiance ? Vous courez à votre perte avec un tel bandit. A votre place, je resterais sagement tranquille pour ne pas perdre ma tête.

Quelqu'un frappa à la porte.

Aussitôt Trunk se cacha sous l'injonction de son homme.

- Oui ?

- Bueñas noches, señor. Je vous apporte cette commande qui a été oubliée.

- Je n'ai rien commandé. C'est une erreur.

Elle sortit un carnet de sa poche et regarda.

- No, señor, c'est bien la chambre 319. Et c'était pour vingt heures.

- Donnez-le moi.

- Je vous présente mes excuses au nom de tout le personnel pour cet oubli.

Elle entra le chariot puis il la fit aussitôt sortir et referma la porte.

- C'est louche ? dit Trunk en sortant de sa cachette.

- Je vous ai prévenu, dit-il en lui signifiant de se taire.

Il s'approcha de Trunk.

- Ils doivent certainement être dans le bâtiment, murmura-t-il à voix basse. Vous devriez oublier votre idée d'agir vous-même. Je m'occupe de tout.

Trunk tourna le dos à l'homme et s'envola par la fenêtre.

S'il croit vraiment que je vais l'écouter, songea-t-il en posant les pieds dans sa chambre d'hôtel, il se trompe. J'en ai marre d'attendre.

Il s'assit sur le lit et prit sa tête entre ses mains tout en soupirant.

Même si je sais que mon intervention risque de tout gâcher, je ne peux plus continuer comme ça... Lynn ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit sur lui depuis le début ? On aurait pu trouver une solution à nous deux. J'aurais tout fait pour t'éloigner de cet escroc.

Deux bras s'enroulèrent autour de ses épaules.

- Vous l'avez l'air bien soucieux.

- Je peux vous demander une faveur, April ?

- Laquelle ?

- Laissez-moi un peu de temps avant de bousculer notre relation. Je veux rester sincère envers vous et ne pas tricher avec moi-même. Vous méritez plus qu'un homme qui ne sait pas ce qu'il veut.

- C'est rare de rencontrer un homme aussi prévenant que vous. Mais, j'espère tout de même que nous pouvons nous contenter de ça...

Elle l'embrassa.

Désespéré, il répondit à son baiser.

Il la fit basculer sur le dos. Ses mains caressèrent ses jambes et remontèrent vers ses cuisses. Sa bouche quitta ses lèvres pour s'attarder sur sa nuque puis descendre vers sa poitrine.

- Ca, dit-elle, c'est un appel désespéré.

- Je crois, répondit-il en la regardant dans les yeux.

- Il serait plus judicieux de quitter cet hôtel avant que votre résolution ne tombe à l'eau, non ?

Il sourit.


Elle n'y comprenait rien.

Elle était restée à l'autre bout du couloir pour surveiller la porte, puis avait profité que son oiseau sorte de la chambre pour aller rechercher le chariot. Et, là…

Elle était certaine que l'homme n'était pas seul, alors comment se faisait-il qu'elle n'ait surpris personne dans cette foutue chambre ! A croire que l'autre s'était volatilisé par magie ! Mais comment était-ce possible ?

A moins qu'il ne soit passé par la fenêtre. Il était possible de rallier un balcon à un autre, mais c'était sans compter le danger que cela représentait.

Elle mit prestement ses talons, se coiffa d'un chapeau à large bord, posa ses lunettes noires sur son nez, puis descendit à la réception.

- Bonsoir, madame. Vous désirez ?

- Un renseignement, dit Lynn. Une de mes relations professionnelles m'a informée qu'il occupait la chambre 317 de votre hôtel, je viens de frapper à sa porte mais il n'y personne. Je voudrais savoir s'il n'a pas quitté l'hôtel.

- La chambre 317 ? C'est un certain monsieur Indô qui l'occupait mais il a rendu les clés depuis hier matin.

- Je l'ai manqué. Merci du renseignement.

Elle s'éloigna en direction de l'ascenseur.

J'occupe la chambre 321 à droite de celle de notre proie qui a la 319. Logiquement, celle de gauche la 317 est la seule à avoir le balcon accolé. Mais si personne ne l'a réservée ce soir... A moins que son contact n'est occupé la chambre sans que la direction ne le sache. Il a dû attendre l'autre dans cette chambre puis passer par la fenêtre à l'heure de leur rendez-vous et ma venue à provoqué sa fuite. Je n'aurais peut-être pas dû quitter le couloir puisque, tôt ou tard, l'inconnu aurait bien quitté la chambre…

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent.

Un couple s'enlaçait.

Lynn baissa les yeux.

La jeune femme se retourna, les joues rouges, à cours de souffle, puis sortit.

- Où allons-nous, Trunk ?

A ce nom, Lynn sentit le sol s'ouvrir sous ses pieds. Elle leva les yeux et le vit.

Il était pareil que dans ses souvenirs. Un sourire malicieux qu'elle pensait ne plus revoir.

- Il aurait peut-être mieux fallu nous rendre au restaurant avant de passer à l'hôtel, vous ne croyez pas ? demanda la jeune femme avec un sourire espiègle.

Trunk sortait.

Lynn entrait.

Ils se croisèrent l'espace de quelques instants.

Mais le parfum subtil de chacun réveilla les sens de l'autre.

- Avec vous, je ne sais plus vraiment ce que je fais, répondit-il en se tournant vers l'ascenseur dont les portes se refermaient sur la femme au chapeau.

- Ne me flattez pas, dit April.

Ce parfum n'était pas celui de Lynn mais j'ai senti une impression, songea Trunk, perplexe. Mais ça ne peut pas être Lynn. Elle est morte. Je l'ai entendue crier dans son appartement avant l'explosion. Elle s'y trouvait. Et les flammes ont tout emporté. La police n'a découvert que des cendres. Alors, cette femme ne peut pas être Lynn. Je suis en train de divaguer. C'est la seule explication.

- ... Trunk ?

-Excusez-moi, April. Je vais vous conduire à un taxi.

- Vous ne...

- J'ai oublié que j'avais une chose à faire avant de rentrer chez moi et qui ne peut pas attendre.

- Bien. C'est dommage pour le resto.

- Nous rattraperons ça une autre fois, je vous le promets.

- Si vous le dites.

C'était lui.

Il était là à quelques centimètres de moi. Et il ne m'a pas reconnue. Comment l'aurait-il pu alors que j'étais une fois de plus dans un de mes nombreux costumes ?

Lynn soupira.

Et il était accompagné. Je savais bien qu'il me remplacerait. Après tout ce temps, alors qu'il me croit morte, c'est normal. Il continue sa vie. Je ne suis pas irremplaçable.

Mais cela faisait si mal d'accepter la vérité.

Sa nouvelle conquête est ravissante. Un peu trop fardée et tape-à-l'œil, mais ravissante quand même. C'est sûr qu'à côté, je ne fais pas le poids.

Elle fixa le revolver qu'elle tenait entre les doigts, puis sa cicatrice.

Il aurait mieux fallu que je ne me rate pas. J'aurais pu enfin être en paix, loin de ce monde. Je ne peux pas me résoudre à imaginer que je ne suis plus rien pour lui... mais je dois me faire une raison. J'ai vécu un instant de bonheur, et je l'ai perdu. Et puis, je ne suis plus la Lynn qu'il a connu. J'ai désormais des morts sur la conscience. Je suis souillée... plus rien ne pourra purifier mes mains.

J'ai plus de repère, plus d'avenir, plus rien. Pourquoi continuer dites-le moi ?

Voilà le drame de ma vie.

J'aurais voulu en finir...


Il avait déjà été confronté à la mort durant tant d'années. Il ne se préoccupait pas des victimes qui de toute façon étaient des bandits sans foi ni loi. Pourquoi se poser des questions à propos de ce que ces escrocs avaient pu être de leur vivant ? Pourquoi se demander s'ils méritaient leur mort ?

Mais Lynn n'était pas pareille.

Malgré ce qu'elle montrait aux autres, elle était sensible. Tuer un de ses semblables devait lui peser énormément sur le cœur.

Assis sur la chaise, les coudes sur le dossier, Spynner contemplait le tableau que lui offrait la jeune fille. Les draps remontés jusqu'aux épaules, elle était recroquevillée sur elle-même tel un chaton qu'elle n'était plus.

La chambre était silencieuse si calme et paisible. Mais pas les rêves que Morphée apportaient à Lynn.

Elle bougea une énième fois entre les draps.

Impossible pour elle de fermer les yeux. Comme il lui était impossible de fermer l'œil. Il l'imaginait sans cesse, seule, enfermée dans une cave obscure. Et puis, cette cicatrice sur son poignet...

Qu'elle ait eu la folie d'oser un tel acte prouvait à quel point elle était fidèle à sa parole. Pour elle pas question de trahir. Et lui qui avait osé le faire en la dénonçant à ce père indigne…

Lynn était si fragile alors pourquoi son père ne le voyait-il pas ? Etait-il à ce point désintéressé du sort de sa fille pour lui infliger une telle punition ?

- Mes cauchemars ne disparaîtront jamais, hein ? demanda-t-elle soudain.

- Si. Il faut savoir en parler pour les faire fuir.

Le silence s'installa de nouveau.

Il se leva en devinant qu'elle ressassait sûrement dans son esprit les mêmes scènes des crimes qu'elle avait commis.

- Je suis une meurtrière, un monstre, dit-elle la voix tremblante. Personne ne voudra plus de moi... Il ne voudra plus de moi...

Spynner s'approcha et s'allongea à ses côtés. Elle se lova contre lui.

- Ne garde pas ça pour toi, Lynnie. T'es pas un homme et t'es à peine une adulte. Tu peux montrer tes faiblesses.

- Je suis encore une enfant, c'est ça ? Je suis un ange de la mort... C'est plus facile de suivre un chérubin que de suivre un squelette avec sa faux.

- Tu as le droit de pleurer.

- A quoi ça me servirait, hein ! Je suis une pauvre fille qui tue pour obéir à son père. Tu vois, j'extériorise à la perfection !

Elle serra les poings à sentir ses ongles meurtrir ses paumes.

- C'est drôle parce que les souvenirs reviennent... des mots... des phrases de ma mère... Je sens encore ses baisers sur mes joues... Ce sont les souvenirs empoisonnés d'une femme assoiffée de vengeance.

- Tu ne peux pas dire ça.

- Pourquoi pas ! C'est la vérité ! Elle ne m'aimait pas ! Mon père ne m'aime pas ! Je le sais maintenant ! Pourquoi je n'ai pas le droit de pleurer ou d'aimer ? Qui me hait à ce point ?... Je suis bien un ange déchu que Dieu ne veut pas et qu'il condamne à souffrir... Je n'ai plus de volonté...

- Y' a que les lâches pour demander la mort. Ceux qui n'ont pas de courage d'affronter la vérité en face et qui croient que le bonheur se trouve sous terre ! Tu n'as pas le droit de baisser les bras, Lynn, et ça même si c'est dur. Je comprends ce que tu endures. Je connais ce vide, crois-moi. Ne te laisse pas envahir par ses fantômes. Ne te laisse pas aller alors que je suis là.

- Mais comment faire ?

- On est vivant, Lynn. Toi et moi, on doit se serrer les coudes et partager nos peines. Tant qu'on sera debout, il n'y aura pas d'autres solutions que d'avancer. Cette tristesse, ce vide, transformes-les en rage et bats-toi !