Merci pour les reviews ! (qui sont quand même beaucoup moins nombreuses que pour les marches, il y a donc si peu de gens qui lisent/aiment cette histoire ?)
Donc merci doublement aux reviewers.
Carabinette : c'est possible dis, de mourir de curiosité ? J'ai bien aimé ta petite parodie (je ne sais pas si on peut dire ça comme ça…) des misérables, et je suis bien d'accord avec toi ; c'est vrai que battre Harry à mort tous les soirs de la semaine me parait un petit peu irréaliste (pauvre petit bonhomme…). Toutefois, dans ce chapitre, je lui fais passer une très mauvaise soirée, quand même.
Leila : merci beaucoup !
Elsa : contente que ça te plaise, voici la suite.
¤
¤
¤
¤
5. Le murmure des étoiles
¤
¤
¤
C'est juste une flamme
Qui brûle sur la montagne
J'espère que tu la vois
J'espère que tu l'aimeras
Juste un signal
Comme un bruit de balle
Est-ce que tu m'entendras
Que tu m'y trouveras
Oh le ciel
Regarde le ciel
Il est à toi
Il est pour toi
¤
Atomic sky
¤
¤
¤
¤
17 mai 1990.
¤
Il avait foutu le camp.
Ce fut au cours de cette nuit, la nuit du 17 au 18 mai 1990, que Harry fit la connaissance de l'Ombre. En fait, il se produisit deux événements décisifs pour Harry cette nuit-là ; mais, étrangement, aucun n'eut véritablement d'impact sur le moment, non, ce furent plutôt les conséquences. Le premier de ces deux événements fut l'ombre.
Par la suite, l'homme lui semblerait totalement différent de cette impression première, et encore plus tard, il l'aurait presque oublié ; mais ce fut comme cela qu'il lui apparut cette nuit-là, comme l'Ombre ; et, bien qu'il ne le sut jamais, ce nom marqua l'homme pour le reste de son existence.
Il avait foutu le camp.
La soirée avait mal commencé pour Harry. En fait, il avait sentit que ça ne s'annonçait pas bien peu de temps après le retour de l'école. Quand il était entré dans la maison, la tante Pétunia rangeait la cuisine et Dudley était installé devant la télévision avec un saladier de pop-corn ; bref, une fin d'après-midi classique au 4, Privet Drive, rien de nouveau sous le soleil.
Au moment où le téléphone sonna, Harry tentait de gagner discrètement le placard, essayant d'atteindre son antre avant que Dudley ne le remarque et ne signale sa présence à sa mère, laquelle n'aurait pas manqué de lui trouvé une tâche quelconque à accomplir – selon sa tante, un Harry inoccupé était un Harry dangereux. Et le téléphone avait sonné, déclenchant de ce fait la série d'événements plutôt désagréables qui allaient aboutir
Il avait foutu le camp
à la rencontre de Harry avec l'Ombre.
C'était l'oncle Robert. Ce furent les premiers mots que prononça la tante Anita dans le combiné quand Pétunia décrocha : " Pétunia, c'est Robert. ".
L'oncle Robert et la tante Anita était des gens dont Harry avait de temps en temps entendu parlé mais qu'il n'avait du voir qu'une ou deux fois au cours de sa vie. Et, même si la question l'avait intéressé, il aurait été incapable de les replacer dans l'arbre généalogique Dursley. Tout ce qu'il savait, c'est qu'ils étaient des parents de l'oncle Vernon – ils n'avaient donc rien à voir avec Harry – et qu'ils étaient vieux ; moins que Mme Figg, mais plus que la grand-mère de Dudley qui venait à Privet Drive chaque année pour le réveillon du nouvel an.
Ce fut au moment où la tante pétunia plaqua sa main sur sa bouche d'un air horrifié que Harry sut qu'il allait passer une mauvaise soirée. L'habitude, une prémonition, ou peut-être son instinct de survie, qu'il devait avoir un poil plus développé que la moyenne.
L'oncle Robert n'était pas mort, non ; bien qu'il ne lui restât sans doutes plus beaucoup de temps à vivre. Ce n'était pas ça la tragique nouvelle qu'apportait la tante Anita ; en fait, l'oncle Robert avait disparu.
Au fond, disait Anita, on – qui donc était ce on ? - aurait du le voir venir. Robert se comportait de façon étrange depuis qu'on lui avait diagnostiqué un cancer du poumon – résultat de cinquante années passées à fumer cigarette sur cigarette, avait déclaré l'oncle Vernon – en novembre l'année précédente. Il " oubliait " ses rendez-vous à l'hôpital, refusait de prendre ses médicaments, s'énervait contre sa femme quand elle lui préparait des soupes de légumes ou quand elle " le traitait comme un invalide ", et puis, ce soir, il avait prit la voiture et il était parti, tout bêtement. Et elle, elle aurait du le voir venir.
Au fond, cet événement n'aurait du avoir qu'un impact mineur sur la vie de Harry : sa tante était nerveuse, ce qui constituait une situation à risques, mais rien d'insurmontable.
¤
¤
¤
Il avait foutu le camp.
Tout s'était gâté après l'arrivée de son oncle, une heure et demie plus tard. Il avait passé une très mauvaise journée ; c'est ce qu'il annonça ce soir-là en traversant le salon, et Harry sentit son mauvais pressentiment se préciser.
L'oncle Vernon se mit en colère lorsque sa femme lui annonça la nouvelle. Mais enfin, qu'est ce qu'il lui prenait, à ce vieux fou de partir sans crier gare ? Avait-il pensé à la pauvre Anita ? Et qu'est ce que ses voisins en penseraient ? Harry observa la scène avec intérêt : c'était bien la première fois qu'il voyait son oncle se mettre en rogne pour quelque chose qui n'avait rien à voir avec lui.
Toutefois, la colère de l'oncle Vernon retomba sur chacun des habitants du 4, Privet Drive. Il cria contre Pétunia parce que les pâtes étaient trop cuites, rouspéta après Dudley parce qu'il ne cessait de faire tomber sa fourchette ; mais ce fut au moment du dessert que les ennuis commencèrent vraiment – du moins, pour Harry.
Ce fut à ce moment-là que son oncle remarqua vraiment sa présence. Pour une chose toute bête, une petite chose qui serait passée inaperçue dans n'importe quelle autre maison ; mais pas ici. Harry renversa un verre d'eau. Le verre de sa tante, plus précisément ; et il le renversa dans l'assiette de son oncle.
Le liquide froid envahit la nourriture. Harry tendit vivement la main pour rattraper le verre mais ne fut pas assez rapide, il continua sa course jusqu'au rebord de la table, où il disparut.
Chacun se figea, attendant le bruit qu'il ferait forcément en heurtant le carrelage.
Rien ne vint.
D'un même mouvement, Vernon et Dudley plongèrent sous la table, cherchant le verre, ou des éclats, quelque chose…
Rien.
L'oncle Vernon se tourna vers Harry. Son visage était calme mais quand il parla, ce fut d'une voix tremblante.
"Où est le verre ?" articula t'il.
"Je ne sais pas." souffla Harry.
"Comment ça, tu ne sais pas ? Où est-il ?"
"Je sais pas !" répéta Harry, éperdu "Je ne l'ai pas touché !"
"Est ce que tu te moques de moi ?" rugit son oncle.
"Il a disparu tout seul." insista Harry, bêtement.
La suite se passa très vite. Son oncle se leva d'un bon et attrapa le garçon par le bras, le tirant, le poussant et hurlant tout son soûl. Cette scène n'avait rien d'inhabituel : en général, les soirées qui commençaient avec un Vernon Dursley mal luné s'achevaient de cette façon, Harry houspillé et secoué dans tous les sens puis expédié dans son placard comme un vulgaire sac de pommes de terre.
Mais il y eut une différence notable ce soir-là.
Le poing de son oncle, lourd et solide comme une balle de base-ball, s'éleva et projeta une ombre toute ronde sur le visage de l'enfant. Il resta suspendu en l'air une fraction de seconde et Harry l'observa, hésitant entre la fascination et la terreur ; puis l'ombre s'agrandit jusqu'à atteindre la racine de ses cheveux et la masse s'abattit sur son front, tout près de
L'horrible cicatrice, cette affreuse cicatrice…
l'étrange marque en forme d'éclair
"Vernon !" s'exclama la tante Pétunia d'une voix tremblante.
Le choc le projeta au sol, hébété et abasourdi. Les couleurs semblèrent se télescoper, comme s'il avait regardé le monde à travers un kaléidoscope, et une fine brume envahit son cerveau. Incrédule, il leva les yeux sur l'immense silhouette de son oncle.
Hésitant et surpris, son oncle se pencha en avant, vraisemblablement pour le remettre sur ses pieds, mais Harry terrifié, fit un bon en arrière en se protégeant le visage.
" Mais viens ici, petit crétin ! ", grogna Vernon Dursley en se penchant un peu plus.
Pris de panique, Harry poussa un hurlement. Derrière lui, sur la table de la cuisine, la carafe d'eau explosa dans un claquement sonore.
Dudley poussa un cri aigu. L'oncle Vernon s'immobilisa, son regard vide allant de Harry aux débris de verre, tentant de comprendre ce qui venait de se passer. Puis, son teint vira au rouge brique.
" Ce n'est pas moi ! ", s'écria Harry.
Une vague de terreur l'envahit ; on allait le tuer cette fois, et pour de bon ! Sans trop réaliser ce qu'il faisait, il se redressa et, les jambes flageolantes, fila vers la porte d'entrée, sourd aux hurlements provenants de la cuisine.
¤
¤
¤
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
¤
¤
¤
1er janvier 1999.
¤
Le visage était immobile, emprunt d'une royale sérénité que rien ne pouvait troubler. Les larmes de guerre s'étaient taries, le vent ne soufflait plus si fort qu'avant.
Une trêve. Sous ses paupières closes, il l'avait sentie. Le destin relâchait l'emprise sur son âme ; un simple répit : il reviendrait. Mais, actuellement et pour les heures à venir, quelqu'un se battait à sa place, et il le savait.
Savait-il aussi que, si tout allait bien, il lui faudrait reprendre son rôle ? Probablement. Son entendement dépassait ce que bien des hommes, plus sages et plus expérimentés, pouvaient imaginer.
Ils n'ont pas idée…
Les gens entraient et ressortaient, nerveux, hésitants. Ils parlaient à voix basse, comme dans une église. Des gens qu'il connaissait, d'autres qu'il n'avait jamais vus.
Mais il ne les regardait pas. Tout ce qu'il regardait, c'était le visage clair, les mains inertes, plus blanches que les draps. Ce n'est que l'œil du cyclone ; ils ne font qu'étouffer leurs hurlements, peut-être par respect. Sa présence ici n'est pas plus utile que celle des autres, ceux venus comme pour adresser une ultime prière, rendre un dernier hommage. Mais il était là ; peu importe ce qui se disait, ce n'était pas pour cette raison. Contrairement à ces crétins, il était venu entretenir l'espoir.
Il n'y aura pas de dernier hommage, certainement pas maintenant. Non, mon vieux.
Il n'était pas utile, ici ; mais, de toutes façons, personne ne l'était.
¤
¤
¤
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
¤
¤
¤
17 mai 1990.
¤
Il avait erré dans les rues pendant deux bonnes heures, puis il avait fini dans le parc. Pourquoi le parc ? Aucune idée, pourquoi pas ? Il connaissait cet endroit, le square derrière Wisteria Walk, et il l'aimait bien, avec ses arbres solides et rassurants, et ses bancs de bois qui avaient été repeints si souvent qu'on pouvait voir des traces d'au moins dix teintes différentes sur les pieds métalliques.
Toutefois, c'était la première fois qu'il voyait les allées familières depuis ce côté-là du crépuscule. La nuit donnait un aspect étrange à l'endroit, presque irréel. Mais il n'avait pas peur ; pas vraiment, tout juste cette légère inquiétude teintée d'excitation qui accompagne toute expérience inédite.
Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes qu'il entendit la musique ; pourtant, il fut certain qu'elle était là depuis le début.
Par la suite, Harry, l'Ombre lui-même, et tous les gens qui entendirent cette drôle d'histoire se demandèrent si Harry aurait autant cherché à connaître l'Ombre s'il n'avait pas entendu la musique ce soir-là. Probablement pas, ou peut-être plus tard ; peut-être même trop tard, qui sait ?
Les notes, fines et aiguisées comme des lames de poignard, le percutèrent de plein fouet ; et ce fut comme si quelque chose à l'intérieur même de son esprit ouvrait les yeux. Une sorte de seconde conscience, qui n'était pas tout à fait lui mais pas vraiment quelqu'un d'autre non plus. Quelque chose qui s'éveillait à un monde inconnu et magnifique, où rien n'était impossible. Et, l'espace d'une seconde, il eut cette impression, absurde et merveilleuse, d'être rentré chez lui.
C'est où chez lui ? Où ?
L'espace d'une seconde seulement.
¤
¤
¤
Il suivit la musique. Elle formait un chemin devant lui, un sentier riche et coloré, qui rendait la nuit affreusement terne.
Il vit l'homme
Pas un homme, une ombre… Une ombre…
de dos. Ramassé sur lui-même, roulé en boule autours de son instrument
Bulle de nuit…
oscillant faiblement d'avant en arrière au rythme des sons merveilleux.
Il était assis sur l'un des bancs
Le commencement et la fin… Oh, le chemin des étoiles…
mais il sembla à Harry qu'il flottait.
Dans toute sa courte vie, Harry n'avait jamais recherché le contact d'un adulte. Ca ne lui ressemblait pas non plus d'aller, en pleine nuit, s'asseoir sur un banc à côté d'un inconnu. Pourtant, ce soir-là ; beaucoup de choses semblaient complètement différentes.
Si l'homme eut conscience de la présence de l'enfant à ses côtés, il n'en laissa tout d'abord rien paraître. Son front tourné vers les étoiles, il ne laissa pas la mélodie s'altérer une seule seconde. Harry écoutait, en silence, laissant son propre esprit se dissoudre, remplacé par l'âme que le musicien faisait naître sous ses doigts.
La musique raisonna longtemps dans l'air lorsque l'Ombre cessa de jouer, comme un astre mourant, son écho habitant le silence pour les heures à venir.
" Qu'est ce que tu fous là, gamin ? "
La voix, rocailleuse et vaguement agressive, fit dégringoler Harry des hauteurs où il planait. Il retomba brutalement sur terre, s'écrasant sur le vieux banc tel un vieux corbeau aveugle portant sur le dos le poids de sa stupide réalité.
C'était une question simple, mais il n'avait pas de réponse, aussi, il resta coi.
" 'y a d'autres bancs dans ce parc, tu sais ! "
Harry reçu l'hostilité de plein fouet. Choqué, il se laissa tomber au sol et recula d'un pas, tremblant.
" Qu'est ce que tu fabriques ici ? ", répéta l'Ombre, " C'est pas une heure, pour un môme ! "
Harry redressa la tête et croisa un regard bleu sombre. Sans un mot, il scruta ces yeux de nuit, à la recherche de quelque chose
De la musique… La musique !
Il ne savait quoi.
L'autre parut ébranlé.
" Eh bien, parles, je ne vais pas te manger. "
" Je sais. ", répondit Harry d'une voix calme, toute trace de timidité disparue.
" Comment tu t'appelles ? ", s'enquit l'Ombre.
" Harry. Et vous ? "
" Pas tes affaires. Pourquoi t'es venu squatter mon banc ? "
" A cause de la musique. Je ne savais pas que le banc était à vous. "
Soupçonneux, l'Ombre fronça les sourcils.
" Tu te fiches de moi ? "
Harry eut l'air étonné.
" Non, pas du tout. "
Comme l'Ombre ne disait rien il ajouta d'une petite voix, " C'est vraiment votre banc ? "
" Ouais gamin, dès le coucher du soleil et ce, jusqu'à l'aube ! "
Pas vraiment convaincu, Harry acquiesça néanmoins, avant de se laisser tomber dans l'herbe douce.
" Eh ! ", protesta l'autre, " On peut savoir ce que tu fais ? "
" Je m'assois par terre, puisque je ne peux pas m'asseoir sur votre banc. ", expliqua calmement Harry, à qui le raisonnement semblait logique.
" Mais je ne veux pas de toi par terre non plus ! "
" Mais pourquoi ? "
" Parce que tu m'embêtes ! "
Harry perdit d'un seul coup toute son assurance.
" Mais… Mais je ne vous ai rien fait ! ", bégaya t'il.
" Si, tu es là. Je voudrais que tu ailles ailleurs. "
" Où ça ? "
" Où tu veux, qu'est ce que ça peut me foutre ? T'as qu'à rentrer chez toi. "
" Je ne peux pas ! "
" Alors, vas te balader ailleurs. "
Il y eut un moment de silence.
" Pourquoi tu ne peux pas rentrer chez toi ? "
" Ils sont fâchés. C'est à cause de l'oncle Robert et de la carafe d'eau. ", confia Harry.
L'Ombre ne semblait pas très intéressé par l'oncle Robert et la carafe d'eau, aussi Harry n'entra pas dans les détails.
"Et vous, pourquoi vous êtes là ?"
"Qu'est ce que ça peut bien te faire ? Peut-être que j'ai des ennuis avec mon oncle Robert, moi aussi…"
Probablement pas, décida Harry, mais il garda son opinion pour lui. Machinalement, il se mit à arracher de petits brins d'herbe.
"Je suis un errant." expliqua l'Ombre au bout d'un moment.
L'enfant suspendit ses gestes.
"Qu'est ce que c'est ?"
"Une sorte de vagabond."
Harry ne dit rien, méditant l'information. Les yeux sombre se plissèrent.
"Tu sais ce que c'est, un vagabond ?" demanda l'Ombre.
"C'est quelqu'un qui n'a pas de maison." répondit Harry qui avait recommencé son manège.
L'Ombre le considéra un moment, pensif.
"En fait, je dirais plutôt qu'un vagabond à des tas de maisons."
"Comment ça ?"
"Hé bien, il y a les bancs, il y a les arbres… Il y a le ciel…"
"Le ciel ?" Harry fronça le nez "Personne n'habite dans le ciel !"
"Vraiment ?"
"Ce sont des histoires de bébés !"
Seul Dudley pourrait croire un truc pareil. L'ombre haussa les épaules, indifférent, et Harry ne dit plus rien. Au bout de quelques minutes de silence, l'ombre reprit sa guitare et la douce musique s'éleva de nouveau sur le parc endormi.
¤
¤
¤
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
¤
¤
¤
Le second événement se produisit bien plus tard cette nuit-là, après que Harry eut silencieusement regagné son placard en passant par la fenêtre du salon, celle qu'on peut ouvrir de l'extérieur.
Ce fut quelque chose de bien plus banal mais bien plus effrayant que sa rencontre avec l'Ombre, en fait, ce fut probablement le moment le plus effrayant de toute sa vie, et cela incluait les gangsters de la gare et la fois où il s'était retrouvé coincé sur le toit de l'école.
Un cauchemar.
Un cauchemar qui le saisit alors que sa tête avait à peine touché l'oreiller, un cauchemar qui se glissa dans chaque fibre de son être, tel un serpent.
Le monde qu'il connaissait sembla fondre autours de lui dès l'instant où il ferma les yeux, se muant en une autre réalité, le genre où l'on entend des loups hurler dans le lointain et où les voix résonnent longtemps dans la nuit vide.
Le genre qui fout la trouille.
La rue, d'abord.
La rue semblait ne mener nulle part, elle continuait vers l'infini, et au loin, on ne voyait que du noir. La rue filait en pente douce vers les ténèbres.
Il ignorait où il se trouvait. Où plutôt, il ne reconnaissait pas l'endroit. Car il était déjà venu, de ça, il était certain ; mais il avait oublié, car cela s'était produit bien des années auparavant, une centaine d'années, au bas mot.
Puis, la maison.
Les maisons étaient toutes semblables, et le plus étrange était qu'elles n'avaient pas de fenêtres. Des volets étaient rabattus contre les murs, comme on le fait en pleine journée, mais au milieu, il n'y avait aucune vitre.
De l'une des maisons, des cris et des rires s'échappaient. Ils ne lui semblaient pas bien engageant, mais il ignorait où aller, il ignorait comment revenir, alors il se dirigea vers la maison.
Dans le jardin obscur, les arbres qui tendaient leurs griffes vers la nuit ressemblaient à des fantômes, des silhouettes tourmentées. Harry remonta l'allée grise. Aucune lumière ne s'échappait de la maison sans fenêtres, mais la porte était ouverte.
La porte…
Elle fut brusquement devant lui, sans qu'il ait fait un pas de plus. Comme dans les vieux films d'horreur, quand le monstre surgit brusquement des ombres, juste devant sa victime.
Le battant bougeait doucement, comme pour l'inviter à entrer, comme pour lui dire que dedans, tout irait pour le mieux.
Mais c'est pas vrai…
Il fit un pas, puis un autre. Viens… Encore un, tout petit. Reculer, il ne pouvait pas. Viens… Tout comme regarder en arrière. Ses yeux étaient fixés sur la porte Viens sur l'espace tout noir que découvrait le battant. Viens ! L'espace tout noir qui grandissait puis rétrécissait au rythme des oscillations du battant Viens ! comme un cœur qui bat. Viens, mais viens ! Harry posa le pied sur la petite marche, son menton arrivait à la hauteur de la poignée. VIENS ! Il ouvrit alors la porte en grand, et s'engouffra dans les ténèbres.
La musique l'envahit instantanément. Mais cette musique-là n'avait rien avoir avec la musique de l'Ombre, non, rien du tout. C'était une musique inquiétante, une musique de fête foraine abandonnée, aux paroles cruelles, aux accords sombres et glaçants.
Il ne voyait pas les gens, leurs visages étaient couverts. C'était une scène irréelle. Ils dansaient, sans visages et sans voix, au son de cette musique ricanante, leurs vêtements claquant comme des voiles à chacun de leurs mouvements. Les jupes vaporeuses étaient grises, blanches, noires. On ne pouvait dire s'ils étaient hommes ou femmes, juste des formes, ondoyant dans une musique fantôme.
Une main glaciale effleura le cou de Harry. Terrifié, il battit en retraite vers l'escalier. La silhouette sans visage le suivit, et la tête voilée se pencha vers lui.
"Eh bien, mon mignon…"
La voix était grinçante, ni grave, ni aiguë, asexuée. Harry recula un peu plus contre les marches.
"N'aie pas peur, petit ange…" souffla la voix "Tu es chez toi, ici."
Sans quitter la forme des yeux, Harry grimpa les deux premières marches de l'escalier. L'autre ne fit pas un geste. Alors, retenant son souffle, il se retourna et monta l'escalier le plus rapidement qu'il le put.
En haut, il n'entendait plus la musique. Mais ce n'était pas forcément mieux, parce que maintenant, les seuls bruits qui lui parvenaient étaient les grincements du plancher et sa respiration hachée.
"Avance, avance" se murmura t'il.
Tout plutôt que rester immobile, il avait bien trop peur que les ombres ne l'attrapent. Il se souvint brusquement d'une chanson qu'il avait entendu des années auparavant, une chanson qu'avait chantée le vieil homme qui faisait la manche devant le sept à onze. Une chanson qu'il n'avait pas aimé du tout.
Il se mit à fredonner pour lui-même, sans trop savoir pourquoi.
"Un cri est passé dans l'hiver
Un petit homme gémissant…"
Il entendit un drôle de bruit sur sa droite, derrière la première porte, une sorte de gargouillis, de petit cri étranglé. "Ils baignent dans leur sang, mon mignon…" susurra la voix qui n'était ni homme, ni femme à son oreille.
"Un diable en route vers l'enfer…"
Il se dirigea vers le son, même s'il savait qu'au fond, il n'avait aucune envie de savoir, que ce n'était vraiment pas une bonne idée.
"Qui traversait brouillard et vent…"
Il ouvrit la porte. C'était une chambre. Il se fit la réflexion que c'était drôle, une chambre sans fenêtre. Pas drôle-marrant, non,
"Un vélo passa angoissant…"
Ni même drôle-bizarre, mais plutôt drôle-morbide.
"Avec une gueule de lune lasse…"
Mais il oublia tout ça quand il vit la bosse, sur le lit. La bosse sombre que formait les couvertures. "Approche-toi, mon mignon, approche-toi…"
On aurait dit que quelque chose était caché dessous.
"Le rire du pédalier grinçant…"
Sa voix s'éraillait. Quelque chose dépassait, sous les couvertures, quelque chose de blanc, qui brillait presque dans l'obscurité. "Viens, mon mignon…"
Il fit un pas en avant.
"Comptait les heures du temps qui passe." acheva la voix en même temps que lui.
Il s'immobilisa devant le lit, suffoquant. La chose blanche, c'était…
Une main.
Il fit un pas en arrière. "Attends" souffla la voix "tu ne veux pas savoir ?"
Non, il ne fallait pas voir, parce que ce serait… Parce que ce serait horrible. Mais son corps bougeait malgré lui, sa main se tendait vers la bosse, ses yeux refusaient de se fermer, de lui épargner le spectacle.
"Et quel spectacle !"
La couverture se gonfla comme la voile d'un bateau, une voile noire. Et il vit.
L'oncle Vernon.
"Quel spectacle, non ?"
Et la tante Pétunia.
Morts. Leurs yeux vides fixaient le plafond. Leur peau était bleue et leurs lèvres étaient noires. La plaie béante laissait s'échapper un liquide qui n'était pas du sang, un liquide sombre et épais, qui s'écoulait en formant de petites bulles.
Morts.
"Demande… Demande, mon mignon…"
"Demander quoi ?"
Harry ne reconnut pas sa propre voix dans ce couinement terrifié.
"Demande qui a fait ça… "
"Non…"
Il ne voulait pas savoir. Ca ne pourrait qu'être pire.
"DEMANDE !" intima la voix.
Harry tenta une nouvelle fois de fermer les yeux. En vain.
"Qui… Qui a fait ça ?"
Alors, la chose-oncle Vernon bougea sa tête, et Harry rencontra le regard mort. Avant qu'il n'ait pu s'enfuir, une main recouverte de ce liquide sombre et répugnant agrippa son poignet. Les lèvres noires s'entrouvrirent.
"C'est toi, mon garçon, C'EST TOI !"
Et Harry se mit à hurler.
Mais il ne se réveilla pas. Alors, il se mit à courir. Le paysage se brouilla autours de lui, comme cela arrive parfois dans les cauchemars, et il se retrouva dans la rue.
La rue, de nouveau.
Non, ce n'est pas possible…
La pancarte était devant lui. Retenue par des clous rouillés, elle oscillait au gré du vent, en faisant un drôle de bruit. Swiiiing.
Et on pouvait lire, en grosses lettres brillantes "Privet Drive"
Pas possible…
Swiiiing
Alors, la maison, c'est…
A ce moment, tout se mit à trembler, et il sentit qu'il arrivait.
L'homme aux yeux rouges.
Swiiiing
L'homme de ses cauchemars.
Swiiiing
Il ne voulait pas le voir, ce serait pire que tout, pire que les choses-fantômes, pire que les cadavres de son oncle et sa tante, pire que…
Swiiiiiiiiiiiiiing
¤
¤
¤
Il était trois heures dix du matin quand Harry, hurlant de toute la force de ses poumons, ouvrit les yeux sur les ténèbres rassurantes de son placard.
¤
¤
¤
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
¤
¤
¤
Le journal noir, huitième page.
¤
Les signes sont déjà là. L'enfant les a senti. Puisqu'il sait qui est l'enfant, pourquoi ne l'écoute t'il pas ? Pourquoi ne cherche t'il pas à savoir ?
Parce qu'il est stupide.
Parce que c'est un homme.
Pourtant il sait. Lui qui connaît l'appel de la nuit, comment peut-il ignorer que la véritable noirceur se trouve à l'intérieur ?
Les ténèbres vomissent leur trop-plein de haine, qui depuis l'aube des temps éclabousse ce monde.
Les hommes n'ont jamais su combattre.
Il ne saura pas non plus.
¤
¤
¤
¤
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
