Réponse aux reviews :

Leila : Merci beaucoup !

Lunenoire : Je ne savais pas qu'on lisait ma bio (!) ça te fais penser à un bouquin en particulier ? En tout cas, merci beaucoup.

Miss-nymphadora : la voilà, la suite, j'espère qu'elle te plaira et que tu comprendras (encore) mieux

Dumati : merci.

Flochi : Merci à toi aussi !!!

Et bonjour à tous les lecteurs silencieux, en espérant qu'ils aiment ce qu'ils lisent !

o

o

o

o

o

6. Le temps des rois

o

o

o

Car je ne crois pas que tout va bien

Par ici

Je veux aller quelque part

Je veux aller vers un paradis

(…)

Ils passèrent comme des rois égarés

A travers toute leur vie

Dans des villages appauvris

Ils pensèrent résister

Autours de gens agités

Que leur amour puisse exister

Toutes les nuits à l'infini

A l'infini…

o

Punishment Park

o

o

o

o

18 mai 1990.

o

Seul le silence accueillit Sarah quand elle ouvrit les yeux sur la pénombre matinale, ce jour-là. Elle en déduisit que Connor était parti plus tôt que d'habitude car, en temps normal, c'était la musique sortant à plein volume de sa chaîne stéréo qui la réveillait.

La lumière du soleil s'infiltrait entre les volets qui fermaient mal, formant des flaques chaudes et brillantes sur le sol et sur son lit. Avec un soupir, elle roula sur le côté et laissa la lumière lui caresser le visage. Les yeux mi-clos, elle crispa les poings, rassemblant l'énergie nécessaire au lever.

La petite maison aurait pu sembler vide, on n'entendait pas un bruit. Mitch était parti travailler, Neil était Dieu seul savait où, pas à la maison en tous cas, et Connor était sorti "faire une course", l'explication que Mitch donnait invariablement à Sarah quand elle demandait où était son frère.

Oui, la maison aurait pu sembler vide ; elle ne l'était pas. Elle ne l'était jamais.

Sarah était levée depuis plus de vingt minutes quand elle se décida à aller frapper à la vieille porte grise. Elle avait repoussé le moment le plus longtemps possible, mais à présent qu'elle était lavée, habillée et qu'elle avait pris son petit déjeuner, elle ne pouvait plus reculer.

"Oui ?" la voix n'était qu'un souffle, Sarah la devina plus qu'elle ne l'entendit.

La fillette ouvrit doucement la porte, prenant garde à ne pas faire trop de bruit, et se glissa dans la pièce. La clarté venant du couloir était la seule source de lumière dans la chambre aux volets tirés, et Sarah cligna des yeux un moment avant de distinguer la forme fragile de sa mère sur le lit.

"C'est toi, Soleil ?" c'était un autre murmure.

"C'est moi, maman." confirma Sarah.

Amy sourit à sa fille, un sourire effrayant, songea Sarah, et fit un effort pour se redresser, sa main osseuse s'enfonçant dans les oreillers.

"Qu'est ce que tu veux, chérie ?"

Sarah se racla la gorge, mal à l'aise.

"Il faut… Il faut que j'aille à l'école…"

La main d'Amy se posa sur la table de nuit, cherchant à tâtons le paquet de cigarettes, alors que son regard était concentré sur sa fille.

"Demande à ton frère… Ce n'est pas lui qui t'emmène, d'habitude ?"

"Il… Il est pas là." répondit Sarah, très vite.

Amy fronça les sourcils. Ses doigts maigres se crispèrent sur le paquet.

"J'imagine que Mitch l'a encore entraîné dans ses combines." soupira t'elle "Soleil, tu n'as qu'à… Tu n'as qu'à prendre le bus, il y a de l'argent, dans la boîte de la cuisine… Tu sais ? La boîte de biscuits."

Cela faisait près de six mois que Mitch n'utilisait plus la boîte à biscuits, mais Sarah acquiesça quand même, elle savait où trouver de l'argent.

"Alors, tu en prends un peu, de quoi prendre la bus… Tu sais où est l'arrêt ?"

De nouveau Sarah acquiesça.

"Alors, vas-y, ma chérie."

Elle s'éloigna du lit à reculons, tandis que sa mère allumait sa cigarette.

"Soleil ?"

"Oui maman ?"

"Ferme la porte, en sortant, et… Passe une bonne journée."

Sarah repoussa le battant sans prendre la peine de répondre ; elle savait très bien qu'il fallait toujours refermer la porte, et il y avait bien longtemps déjà que sa mère ne passait plus de bonnes journées.

Elle prit quelques pièces dans le coffret du salon, le visage triste, en s'efforçant de ne pas penser à avant. A ces jours où sa mère l'emmenait à l'école sans qu'elle ait besoin de le lui demander, quand Connor allait au collège sur son vélo, quand on fêtait encore Noël et les anniversaires et quand ils partaient l'été tous les trois au bord de la mer.

On ne parlait plus jamais d'avant dans cette maison. Une fois, une seule, Sarah avait abordé le sujet devant sa mère, tout au début, quand elles se parlaient encore pour autre chose que des tickets de bus. Amy lui avait répondu que ça ne servait à rien de vivre dans le passé et que Sarah pouvait s'estimer heureuse d'avoir encore un toit sur la tête. Mais quand elle avait quitté la pièce quelques secondes plus tard, Sarah l'avait entendue pleurer.

o

o

o

Sarah s'installa dans le fond du bus, tout au fond, la dernière rangée de sièges, comme le faisait toujours Connor.

Quand elle était plus petite, elle ne comprenait pas pourquoi il fallait s'asseoir là ; elle, au contraire, aurait préféré le premier rang, juste derrière le chauffeur, où l'on pouvait voir tout l'horizon qui emplissait le pare-brise. Du fond du bus, là où elle s'asseyait toujours parce qu'il fallait faire comme-le-disait-Connor-et-tais-toi-donc-tu-n'es-qu'une-petite-fille-qui-ne-sait-rien-du-tout, on ne voyait que ce qu'on laissait en arrière.

Mais maintenant, elle comprenait. C'était la position stratégique, là où l'on pouvait voir sans être vu, là où l'on était le mieux placé pour ne pas se faire remarquer.

Il monta dans le bus trois arrêts après elle. Apparemment, c'était un habitué, le chauffeur bougon qui avait à peine répondu au bonjour de Sarah le salua d'un sourire, et lui, il fit un signe de tête assuré, comme s'il possédait l'endroit.

C'était le garçon aux yeux verts, celui de l'autre jour, à la gare.

Sarah l'avait souvent cherché du regard, dans la cour de l'école. Sans trop savoir pourquoi, elle s'était dit que peut-être il lui parlerait, peut-être il n'écouterait pas ce que racontaient les autres. Elle savait que sur lui aussi, ils disaient des choses, parce que son sac à dos était tout déchiré, ses vêtements trop grands et ses cheveux trop longs, parce que les mamans - les vraies, celles qui n'étaient pas comme Amy et qui disaient toujours la vérité - répétaient que c'était un "petit voyou", et que plus tard il serait "un de ces paumés" qui brisaient des vitres avec des pierres et volaient à l'étalage.

Pour tout ça, elle s'était dit que peut-être il oserait lui parler, malgré ce qu'il avait vu à la gare. Mais il ne l'avait pas fait, alors elle s'enfonça plus profondément dans son siège, jusqu'à coller son visage à la vitre, pour être sûre qu'il ne la voit pas.

o

o

o

o

o

o

"Enfin, Dan, regarde un peu où tu vas !"

Harry agrippa prestement l'épaule de son ami pour l'éloigner de la trajectoire de Chyles Artwood, qui fonçait tel un chevalier chargeant l'ennemi en direction de trois garçons d'une dizaine d'années qui s'amusaient à grimper sur le toit du préau en s'aidant de la gouttière déjà bien mal en point.

Danny hocha mollement la tête en guise de remerciement sans quitter des yeux la page 304 de son roman de science fiction.

Harry poussa un soupir agacé. Pour une fois qu'il avait envie de parler à quelqu'un, pour une fois qu'il avait quelque chose à raconter, il n'y avait personne pour l'écouter. En plus de ça il était épuisé par son manque de sommeil de la nuit précédente, et la bosse sur son front lui faisait un mal de chien.

Autours d'eux les élèves bavardaient avec animation. Il était neuf heures passées, la sonnerie du matin venait de se taire et tous attendaient dans la cour de récréation que leur enseignant fasse signe d'entrer. En-rang-deux-par-deux-et-en-silence, s'il vous plaît.

"Hé, le têtard, on peut savoir ce que c'est que ce truc ?"

Avec un sourire qui ne laissait rien présager de bon, Dudley se planta devant eux et agrippa le livre de Danny par le sommet pour l'écarter de son visage, puis tira d'un coup sec. Trop surpris pour réagir, Danny laissa son bien lui échapper.

Harry sentit sa lassitude se muer en exaspération.

"C'est un livre, Dudley.", expliqua t'il calmement, "Mais on comprend que tu ne sois pas au courant."

Personne ne rit. Ils semblaient choqués, observant la scène avec une attention douloureuse, le visage empreint de crainte et d'une certaine excitation, le genre d'expression qui traduit le sentiment "Dieu merci je ne suis pas à sa place".

Dudley se tourna vers son cousin, sa face lunaire se teintant de rouge, et, regardant Harry droit dans les yeux, il expédia d'un geste sûr le roman dans la poubelle à côté de lui.

Danny poussa un cri de rage et Harry sentit une vague de colère froide l'envahir.

Dudley se contenta de ricaner bêtement, bientôt imité par ses quatre copains.

"Et ben, têtard", lança t'il à Danny, "on dirait que tu vas devoir faire les poubelles !"

Et il s'esclaffa de plus belle.

"Je ne crois pas, non.", fit une voix derrière lui.

C'était Emily Linsay, l'institutrice du matin. Dudley perdit d'un seul coup sa belle assurance.

"Je crois plutôt que tu vas aller faire les poubelles, Dudley."

Dudley se redressa de toute sa hauteur.

"Quoi?", fit-il avec un sourire incrédule.

"Tu m'as bien entendue : vas chercher ce livre."

Dudley se tourna vers Danny, qui parut rétrécir sous son regard.

"Qu'il y aille, lui, c'est son bouquin !"

"Tu veux qu'on en discute avec Mr Artwood ?", s'enquit posément Mlle Linsay.

Avec un grognement de frustration, Dudley se pencha au-dessus de la corbeille et récupéra le livre, qu'il tendit à un Danny plus mort que vif.

"Et tu lui présente tes excuses."

"Hein ? Alors là, pas question !"

"Dudley…", menaça t'elle.

Sa voix était calme, mais c'était un calme trompeur, un calme avant la tempête. Un calme fait-ce-que-je-te-dis-ou-sinon…

Dudley se tourna vers Danny, son visage chargé de menaces silencieuses.

"'m'excuse", marmotta t-il. La classe était sous le choc. Quand l'institutrice leur fit signe d'entrer, ils contournèrent Dudley avec révérence et regardèrent Danny comme ils auraient regardé un condamné à mort.

"Je suis foutu.", souffla ce dernier à Harry alors qu'ils entraient à leur tour.

Harry lui tapota l'épaule d'un air encourageant, n'osant le contredire.

o

o

o

"J'ai rencontré un errant, cette nuit."

Là, il était sûr que Danny l'écouterait, en classe il ne pouvait pas sortir son bouquin, et la prof expliquait une leçon de grammaire ennuyeuse à mourir à laquelle même Danny ne pouvait pas s'intéresser.

Le profil de Danny se plissa au niveau des sourcils, signe qu'il réfléchissait intensément.

"Qu'est ce que c'est, un errant ?" finit-il par demander.

Harry sourit.

"Quelqu'un qui habite dans le ciel." répondit-il sans réfléchir.

"Quoi ? Tu débloques !"

"C'est une sorte de vagabond, je crois."

Danny haussa le sourcil.

"Comme un type qui se balade tout le temps et qui n'a pas de maison ?" Harry acquiesça "Ma mère, elle appelle ça un sans-abri."

Harry haussa les épaules.

"Comme les types qui font la manche ? Non, il avait quelque chose de différent."

Danny leva les yeux au ciel.

"Un sans-abri, c'est un sans-abri." répliqua t'il d'un ton docte. La formule était probablement empruntée à l'un ou l'autre de ses parents, il avait dit ça sur un ton "appelons un chat un chat" bien trop adulte pour lui.

"Qu'est ce qui te prends ?" s'étonna Harry "C'est toujours toi qui invente des histoires bizarres, d'habitude."

"Oui, mais là, c'est différent. Je vais probablement me faire tabasser dès la sortie des classes par la bande à Dudley, alors excuse-moi si mon imagination est restée dans la poubelle avec mon livre."

"Tu l'as récupéré, ton livre." observa Harry.

"Ouais, mais maintenant il est couvert de jus d'orange, c'est tout collant. Dis, tu te rends compte ? Je vais mourir pour un livre couvert de jus d'orange…"

Mais Harry comprenait autre chose, tout d'un coup. Il comprenait que la magnifique faculté qu'avait Danny d'inventer des histoires merveilleuses s'était envolée pour cause de trouille, et ça avait quelque chose de déprimant. Est-ce que les gens oubliaient tout quand ils avaient peur ? Est-ce que c'était pour ça que le visage de son oncle devenait tout rouge quand il se passait quelque chose de bizarre ? L'espace d'un moment, il eut envie de demander à Danny s'il croyait aux verres qui disparaissaient tout seuls.

Mais il préféra rester silencieux devant l'expression désespérée de son ami, et se sentit même un peu coupable de lui en vouloir. Affalé sur sa table, le menton dans le creux de son coude, il se concentra sur le tableau noir couvert de phrases stupides comme "Kévin a mangé un gâteau à la fraise" ou "Sophie et son petit frère sont allés au parc" en faisant son possible pour rester éveillé.

o

o

o

o

o

o

Réfléchis, mais réfléchis, bon sang !

Les deux poings appuyés sur la table de bois, Rémus fixait d'un regard exaspéré les parchemins étalés devant lui.

Je sais que ce type est dans le coup !

Bien sûr, il l'avait vu !

Rémus savait qu'ils allaient s'en prendre à Harry, c'était inévitable, c'était déjà arrivé, mais il ne savait ni quand, ni où, ni ce qu'ils allaient faire ou plutôt ce qu'ils avaient fait.

Il ignorait aussi qui était celui qu'ils avaient envoyé, et ça, c'était bien plus inquiétant. Car lui le reconnaîtrait probablement.

Et le temps passe !

Frustré et exaspéré, il envoya voler du plat de la main tout les feuillets qui recouvraient la table.

Tout ceci est inutile !

Mais son regard se posa sur un parchemin qui voletait toujours, glissant plus lentement que les autres vers le sol. Ce n'était pas vraiment le papier en lui-même qui avait attiré son attention, non, c'était le symbole…

o

o

o

o

o

o

1er décembre 1998

o

Le ciel s'éclaircit sensiblement, ou peut-être n'était-ce qu'une impression. C'en était fini pour aujourd'hui.

Le village n'était plus que ruines. Des ruines désertes, la plupart des moldus qui vivaient là avaient fui dès le début de l'attaque ; quant à ceux qui était restés, que ce soit par courage ou par terreur, ils ne se relèveraient pas.

A présent, l'orage était passé, comme tant de fois auparavant, et il ne tarderait probablement pas à frapper de nouveau, ailleurs.

"On pourrait se demander à quoi ça sert, quand on voit tout ça." souffla une voix triste à côté de lui.

C'était Harry. Face au vent, il contemplait la scène. Le pli de sa bouche était amer, mais ses yeux exprimaient une détermination farouche.

"Ca sert à éviter le pire." répondit-il.

Sa voix à lui était triste également. Mais cela semblait si dérisoire.

"Vous n'y croyez plus, Rémus ?" demanda le jeune homme dans un murmure.

Il haussa les épaules.

"J'avoue que par moments…"

Il n'acheva pas sa phrase, c'était inutile, il comprenait. Alors, Harry fit quelque chose qu'il n'avait encore jamais fait. Il posa une mais sur son épaule, fermement, et fit pivoter son ancien professeur, pour pouvoir le regarder dans les yeux.

"Je mettrais un terme à tout ça." dit-il.

Son jeune visage était décidé. Il avait la même expression que le jour où il avait dit que si, il apprendrait à se défendre contre les détraqueurs, et peu importait s'il n'avait que treize ans, il y parviendrait s'il le fallait vraiment.

Rémus l'avait cru ce jour-là. Et là, sur les ruines de ce champ de bataille qui n'en était pas vraiment un, devant ce regard vert qui, de l'avis de certains, détenait tout l'espoir du monde, il le crût encore.

"Potter ? Lupin ? C'est vous ?"

Il se détourna vivement. Du haut de la petite colline, les silhouettes de Maugrey et de Ron, encore toutes petites sous le pâle soleil de décembre, descendaient vers eux.

"Ca va ?" pressa Ron dès qu'ils furent auprès d'eux.

"Des blessés, de votre côté ? Potter ?" grogna Maugrey.

Harry secoua la tête.

"Rien de sérieux." répondit-il.

"Vous ne devriez pas vous mêler de ces escarmouches, Potter. S'il vous arrivait quelque chose, nous serions tous sérieusement dans la panade !"

Harry haussa les épaules.

"Ne comptez pas sur moi pour rester au chaud en attendant que Voldemort pointe le bout de son nez." répliqua t'il.

"Mouais… Enfin, je ne peux pas vous séquestrer." soupira Maugrey.

Mais à voir sa tête, on pouvait dire qu'il en avait bien envie.

"Mais qu'est ce que c'est que ça ?" s'exclama brusquement Ron.

Rémus se retourna et vit la Marque, nuage sinistre et menaçant, maintenant habituel.

"C'est la Marque des ténèbres, Ron." répondit Harry "Enfin quoi… tu ne la reconnais pas ?"

"Mais… Mais non… Regardez… Regardez mieux !"

Et ils regardèrent. Rémus plissa les yeux, stupéfait. L'immense forme verte ne représentait une tête de mort, la marque de Voldemort ; mais un étrange soleil, entouré de six rayons en forme de triangles, et portant un œil noir en son centre.

"Mille Gargouilles !" jura Maugrey "Non mais qu'est ce que c'est que ce truc ?"

"Aucune idée." souffla Ron.

Rémus ne dit rien. Quoi que ce fut, c'était forcément quelque chose de mauvais, quelque chose de très mauvais…

Ce fut un cri qui le ramena brusquement à la réalité. Un drôle de cri étranglé. Un râle de souffrance. Puis la voix de Ron, vibrante d'angoisse.

"Harry ? Qu'est ce qu'il t'arrive ?"

o

o

o

o

o

o

18 mai 1990.

o

Quatre heures et demi.

La cloche annonçait bruyamment la fin d'une nouvelle journée de classe, un pas de plus vers les grandes vacances, que le timide soleil des printemps d'Angleterre faisait miroiter droit devant.

Ils étaient là, tous les cinq, massés près du portail, comme une meute de chiens prêts à bondir. Ils ne passaient pas spécialement inaperçus, mais Danny était plongé dans l'un de ses bouquins ; il n'aurait même pas remarqué un dinosaure. Dudley ricana.

C'est presque trop facile !

Danny, qui ne se doutaient de rien, avançait tranquillement vers la sortie. Seul. Harry avait été retenu par la conseillère.

Sale têtard ! Tu vas pas comprendre ce qu'il t'arrive.

Quelques élèves des grandes classes, qui avaient senti le coup venir, s'étaient arrêté pour observer la scène. Echangeant des regards où se mêlaient inquiétude et excitation.

Danny vit le piège trop tard. Une jambe se tendit en travers de sa route quand il atteignit le portail. Il trébucha, son front heurta le goudron et des dizaines de cailloux minuscules s'enfoncèrent dans sa peau.

Il voulu se relever, mais un brusque choc dans le dos le renvoya au sol. Quelqu'un lui immobilisa les mains. Piers. C'était toujours Piers qui faisait ça. Il se débattit. En vain. Un autre garçon aidait Piers.

" Lâchez-moi ! ", grogna Danny.

Le visage appuyé contre le sol, il ne pouvait pas voir ce qu'ils faisaient, et tout ça s'annonçait très très mal.

" Lâchez-moi ! ", le singea Dudley d'une voix aiguë, " Tu rêves mon pote ! On va pas te laisser comme ça ! "

Et lui donna un violent coup de pied dans les côtes.

Danny sentit la douleur se diffuser dans son ventre, lui coupant la respiration. Il entendit une fille pousser un cri.

Un autre coup.

" Arrêtez ! Arrêtez ça, laissez-le, maintenant ! ", lança un garçon.

" On va aller chercher un prof ! ", lança un autre.

Tu parles ! Personne ne bougea. Ils avaient bien trop peur pour oser s'opposer à la bande de Dudley, bien trop peur de se retrouver à la place de Danny. Un autre coup l'atteignit sur l'oreille. Sa tête se mit à bourdonner. Mais où sont passé les profs ? Qu'est ce qu'ils foutent tous ?

o

o

o

Harry aperçu la scène de loin. Il vit l'attroupement derrière le portail, puis distingua le dos de Dudley, derrière Mary-Ann Hyes qui avait l'air horrifiée. Bande de crétins ! A qui s'en prennent-ils cette fois ? Gordon masquait la victime. Harry se dirigea vers le groupe d'un pas décidé. Peut-être la carafe brisée de la veille faisait-elle encore impression sur Dudley.

Gordon s'écarta, et Harry reconnu brusquement la chevelure blonde de Danny. Bande de… Son sang ne fit qu'un tour. Il se mit à courir à toute vitesse en direction du portail. Quelques élèves stupéfaits s'écartèrent sur son passage.

Il percuta Dudley et Piers avec la force d'un boulet de canon. Déséquilibré, Piers s'étala à côté de Danny. Dudley resta debout, l'air mauvais. Bon, il a peut-être oublié l'épisode de la carafe. C'était le problème majeur avec ces abrutis, de l'avis de Harry : il était inutile de gagner une bataille, ils l'oubliaient. Leurs cerveaux ne pouvaient pas retenir une donnée plus de vingt-quatre heures.

Danny roula sur le dos, l'air nauséeux. Et tous ces idiots qui les regardaient sans rien faire, ils ne pouvaient pas au moins l'aider à se mettre debout ? Harry était en colère contre le monde entier, en cet instant ; Dudley et sa bande de débiles, ses trouillards de camarades d'école, les profs qui ne pouvaient même pas surveiller la sortie des classes, les parents qui arrivaient et qui murmuraient entre eux d'un air choqué…

Le poing de Dudley partit, Harry fit un bond de côté pour l'éviter. Piers, qui s'était relevé, éclata de rire.

" Alors, Harry, on a la trouille ? "

" La ferme, tête de rat ! ", siffla Harry, refusant de se laisser impressionner, " Tu ne serais même pas capable de te battre si tu n'avais pas tes copains. "

" Ah ouais ? Tu crois que je peux pas t'aplatir, mauviette ? "

Il s'approcha de Harry, les poings en avant. Dudley s'écarta, l'air amusé, pour laisser le champ libre à son copain. Harry n'était pas rassuré : Piers avait une tête de plus que lui. Mais il ne le montrerait pas ; pas devant Dudley. Il espéra que son sourire ne tremblait pas trop.

" Je suis sûr que, le dimanche, tu te planques derrière ta mère quand tu croises les petits que Dudley tabasse. "

Il ignorait d'où il sortait ça, mais c'était plutôt bien envoyé. Piers rougit de colère. Sa réplique tomba, cruelle.

" Moi au moins, j'ai une mère. "

Harry crispa les poings, la peur était oubliée.

" Je paries qu'ils t'ont trouvé dans une poubelle, ", continuait Piers, " Pas vrai, Dud ? Sale petit bâtard, ils t'ont trouvé dans une poubelle. Si ça se trouve ta mère c'était une pute ! Et elle… "

Il n'eut pas le temps de finir. Harry se rua sur lui. Pour la première fois de sa vie, il attaquait quelqu'un. Il ne se battait pas pour se défendre, il se battait parce qu'il était en colère, pour faire ravaler toutes ces horreurs à Piers. Ni Dudley ni les autres ne s'en mêlèrent. Harry lançait des coups dans tous les sens, il sentaient à peine ceux de Piers. Il n'entendait plus rien ; le silence, autours de lui. Il lui semblait que ça pourrait durer des heures. Les coups et le silence. Un goût de sang lui envahit la bouche : sa lèvre était ouverte.

" Non mais que c'est que ce cirque ? "

Harry et Piers s'immobilisèrent. C'était Artwood. Il semblait furieux. Le professeur Kyles se tenait près de lui, fixant Harry d'un air étonné.

Artwood détailla la scène, Harry et Piers qui saignaient tous les deux ; Danny, toujours par terre, un bleu s'étalant sur sa joue, Dudley, Malcom, Gordon et Dennis, qui se dandinaient sur place, soudain nettement moins à l'aise. Le proviseur ne fut pas long à sauter aux conclusions.

" Une bagarre ? Polkiss, Potter, cette fois je vous jure que vous… "

" C'est pas la faute de Harry, monsieur. ", intervint Danny.

" On ne vous a rien demandé à vous ! ", rugit Artwood.

" Mr Artwood, ", intervint posément le professeur Kyles, " il vaudrait peut-être mieux l'écouter. Pour comprendre ce qui s'est vraiment passé. "

Lui avait remarqué la pâleur de Danny.

" Oh, mais je comprends très bien. ", grogna Artwood, " Bon, allez-y Hayles, racontez-moi, je meurs d'impatience ! " ajouta t-il néanmoins.

Ignorant le sarcasme, Danny résuma ce qui s'était passé. Les autres l'avaient attaqué, Harry avait pris sa défense, puis Piers l'avait provoqué. Dudley tenta bien de le contredire, mais quelques témoins prirent position.

" Parfait ! ", cria Artwood, " Polkiss, Dursley, Potter, Hayles, Prowns, Johns et Ardings, DANS MON BUREAU ! "

" Mais ma mère m'attend ! ", intervint Dudley.

" QUE VOULEZ-VOUS QUE CA ME FASSE, DURSLEY ? ", Dudley sursauta violemment, " Il fallait y penser avant d'agresser un camarade de classe ! "

Harry aperçut sa tante qui les observait d'un air curieux depuis le parking. Une boule se forma dans sa gorge. Peu importait si c'était Dudley la grosse brute qui avait battu son ami ; à coup sûr, cette histoire lui retomberait dessus. Avec un soupir, il repassa le portail à la derrière Dudley qui traînait les pieds en grognant.

o

o

o

Leur procès fut expédié en moins d'un quart d'heure, et la sentence tomba après seulement quelques secondes de délibérations. La concertation se révéla inutile : au cours de sa vie de directeur, Artwood avait bien trop souvent punis des criminels de leur espèce pour perdre son temps, et, de plus, il allait manquer son émission télévisée favorite, mais il se garda bien de partager ce dernier point avec les accusés.

Danny fut déclaré innocent, le professeur Kyles soigna ses plaies et bosses du mieux qu'il put, et l'enfant fut rendu à sa mère affolée en quelques minutes. Harry fut congédié un peu plus tard, après un bref sermon sur l'inutilité de la violence, avec trois pages de conjugaison à rendre pour le lendemain. Les cinq autres restèrent dans le bureau, et d'après ce que Harry entendit en sortant, il était plus que probable qu'ils écopent de châtiment suprême : une lettre à l'attention des parents.

Sachant que sa tante se rongeait les ongles sur le parking et n'osant sortir de l'école avant Dudley, Harry erra sans but dans la cour, désœuvré. La mère de Danny avait emmené le garçon, aussi il n'avait aucun moyen de savoir comment toute cette histoire avait commencé.

Pour tromper son ennui, il se mit à bombarder le toit du préau avec de petits cailloux, qui faisaient un drôle de bruit "tip tiiip tip" en dévalant les plaques de tôle. Il les lança de plus en plus haut, pariant en silence sur le nombre de tip qu'ils feraient avant de rejoindre le sol goudronné.

Un porte claqua, non loin de lui. Harry cessa aussitôt son manège, peu désireux de s'attirer de nouveau les foudres d'Artwood.

Mais ce n'était pas Artwood.

Une petite silhouette émergea sous le préau. Harry ne pouvait pas la voir, car elle restait dans l'ombre, mais il était plus que probable que ce fut un fille : la seul porte donnant sur le préau menait aux toilettes des demoiselles.

"Qui est là ?" demanda t'il à voix haute, se disant qu'elle l'avait probablement déjà vu, de toutes façons.

En silence, elle s'avança dans la lumière, et il la reconnut.

C'était Sarah.

La gorge soudainement très sèche, Harry tenta de sourire.

"Salut. Qu'est-ce que tu fais là ?"

Elle ne répondit pas à a question, au lieu de cela, elle s'approcha encore, et le détailla de la tête aux pieds. Elle était plus grande que lui, remarqua t'il.

"Tu es le garçon de la gare."

Ce n'était pas un question, plutôt un constat. Son cœur battit plus vite : maintenant qu'elle l'avait retrouvé, est ce qu'elle allait le dénoncer aux autres type ?

"Je… Je m'appelle Harry."

Elle ne dit rien, mais elle le regardait toujours.

"Et toi… Toi, tu es Sarah."

Elle est sûrement au courant, crétin ! fit une petite voix dans sa tête. Il se força à l'ignorer, de plus en plus intimidé.

"Tu prends le bus, le matin, je t'ai vu." annonça t'elle brusquement.

Pris au dépourvu, il ne sut que répondre.

"Ta mère, elle ne peux pas t'emmener ?"

Il se fit la réflexion que c'était bizarre, comme question. Mais ça n'avait aucune importance, maintenant qu'elle lui parlait, qu'il était sûr qu'elle existait.

"Non, elle… Elle…"

Oh, après tout, pourquoi mentir ?

"Elle est morte."

"Oh !" souffla Sarah "Je ne savais pas. Moi, c'est mon père qui est mort." confia t'elle, comme si le fait d'avoir perdu un parent lui aussi lui donnait le droit de savoir.

Il lui adressa un bref sourire, ne sachant quoi ajouter.

"Eh dites donc là-haut !"

La voix d'Artwood les interrompit brusquement. Harry se retourna vivement. Le directeur, entouré de Dudley et de sa clique qui suivait, l'oreille basse, les hélait depuis l'autre côté de la cour.

"La classe est finie, je ne sais pas si vous êtes au courant !"

Les deux enfants se hâtèrent de rejoindre le portail, penauds.

"Si vous aimez tellement mon école, Potter, " ajouta Artwood, sarcastique "essayez donc d'arriver à l'heure, le matin."

o

o

o

Une fois dehors, Dudley fila vers sa mère, qui l'entraîna sans même un regard pour Harry. Alors qu'il montaient tous deux dans la belle voiture de l'oncle Vernon, Harry vit, avec un pincement au cœur, son cousin qui parlait à sa mère en faisant de grands gestes, relatant sons doutes les derniers événements à sa façon. Sarah rejoignit un adolescent aux cheveux sombre qui l'attendait en donnant des coups de pieds dans une vieille canette. Harry reconnut le garçon de la gare. Piers, Malcom, Gordon et Dennis rejoignirent leurs parents respectifs avec plus ou moins d'enthousiasme, et Harry se retrouva bientôt seul sur le trottoir.

"Personne ne vient de chercher ?" s'enquit une voix douce derrière lui.

Harry se retourna et se retrouva face au professeur Kyles.

"Oh, j'ai des tickets de bus, monsieur."

L'instituteur le dévisagea un moment, et Harry vit un éclair de tristesse traverser son regard.

"Je vois." dit-il simplement.

Harry fixa le sol sans rien dire, se demanda s'il était impoli de partir maintenant. A vrai dire, il n'en avait pas vraiment envie ; la dernière demie heure avait été si riche en émotions qu'il se sentait à présent étrangement vide.

Il leva de nouveau le yeux vers Brian Kyles.

"J'ai trouvé Sarah, monsieur." annonça t'il, l'œil brillant.

Il s'attendait à ce que l'homme le dévisage sans comprendre, mais il éclata de rire, à sa grande surpris.

"Alors je crois que je peux maintenant clore mon enquête." dit-il avec un clin d'œil.

Harry sourit.

Le professeur Kyles resta silencieux un moment, puis se tourna vers Harry, le visage sérieux.

"C'était la faute de Piers, tout à l'heure, n'est-ce pas ?"

Harry fronça les sourcils, surpris que l'on prenne aussi ouvertement son parti.

"Tout ce qu'a dit Danny était vrai," répondit-il en toute sincérité "ils étaient en train de lui taper dessus quand je suis arrivé, je l'ai défendu et puis ensuite Piers m'a dit des choses… Méchantes."

Il marqua une pause, hésitant.

"Des choses sur ma mère." acheva t'il, mal à l'aise.

Le professeur hocha la tête en signe de compréhension, la mine sinistre.

"Ils disent souvent… Des choses comme ça ?"

"Non," répondit Harry "d'habitude ils disent des gros mots, ils sont trop bêtes pour trouver autre chose… Mais il y a des fois où… Piers raconte que je suis un bâtard, parce que je n'ai pas de parents…"

Il réfléchit un moment, peut-être que le professeur Kyles savait lui ?

"Dites, monsieur, est-ce que… Est-ce que c'est vrai ?"

A côté de lui, l'homme eut un sursaut.

"Tu plaisantes ? Harry, tu en as, des parents, même s'ils… Même s'ils sont morts. De toutes façons, ce mot ne veux rien dire. Harry, tu avais des parents, et ils t'aimaient beaucoup… Enfin, j'imagine. Piers est un idiot."

Harry s'étonna vaguement de le voir traiter d'idiot son propre élève, mais il ne fit pas de commentaire. Au fond, il n'était pas si étrange de voir que Brian Kyles ne se comportait pas comme la plupart des professeurs.

"Harry, tu sais, ce que je t'ai dit l'autre jour…"

"Comment ?"

"Si tu as des problèmes, s'il y a… Quelque chose qui te fait peur, tu peux m'en parler, quoi que ce soit, même si… Même si ça te paraît étrange."

Approche, mon mignon…

L'espace d'un instant, les yeux rouges et brillants lui apparurent nettement, comme s'ils avaient été devant lui, et l'espace d'un instant, Harry fut tenté d'accepter, de parler… Peut-être que le professeur aurait compris ?

"Merci monsieur, mais tout va bien, vraiment."

Ou peut-être pas.

o

o

o

o