Pluie
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Je suis à moitié vivant, mais je me sens la plupart du temps mort..
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Ma conscience s'attardait obstinément aux frontières de ma cognition, me tirant finalement à contrecoeur des bras protecteurs du sommeil qui tenait mon chagrin au repos. Un léger bruit familier de crépitation bannit les derniers lambeaux vaporeux de la dénégation, ne me laissant aucun répit tandis que la douleur brièvement supprimée revint de pleine force, écrasant l'air de mes poumons. Il pleuvait.
Eclairée à contre-jour par la lune, l'eau se déversait sans interruption le long de la grande fenêtre vitrée de la chambre à coucher en de lumineux ruisselets argentés. L'assortiment de filets sombres des ombres jouait avec l'extrême blancheur de mes bras nus et des draps emmêlés tandis que je reposais allongée sous les vitres sans rideaux, lourde et engourdie, incapable de dormir plus longtemps mais tout autant peu disposée à me lever.
Il avait plu de la même manière lors de notre première nuit dans cette maison. D'autant cela avait alors semblé romantique, tandis que nous étions allongés, enroulés dans les bras l'un de l'autre, épuisés et assoupis, laissant le doux son répétitif nous bercer dans le sommeil. D'autant cela semblait différent maintenant..lugubre et désolé, réfléchissant les larmes que je laissais couler sans même l'avoir réalisé. J'enroulai mes bras autour de moi-même, comme s'ils avaient pu être un genre de substitut à ceux que je voulais sentir.
Jecht.
Jecht était..Jecht. Le séduisant joueur de Blitzball avait fait chavirer mon coeur dès le moment où je l'avais vu. Il aurait pu avoir n'importe quelle fille dont il aurait voulu, tirée des hordes hurlantes qui le poursuivaient partout où il allait, leurrées par le mélange intoxicant de la renommée de la star et du charisme espiègle. J'imaginai qu'il le fit, durant un certain temps. Mais une nuit, il prit la main d'une timide et tranquille jeune fille qui le regardait en silence en retrait du reste, et dès ce moment, il ne s'était plus jamais retourné.
La vie d'un blitzer professionnel exigeait de lui qu'il fût absent trop souvent, mais le sport était aussi naturel pour lui que de respirer, je n'aurais jamais pu lui demander d'abandonner quelque chose qu'il aimait tant. Je savais que pour moi il l'aurait fait, et cette connaissance était suffisante pour me soutenir durant les moments les plus difficiles. Mais ô combien avais-je ardemment désiré ces courts jours volés avec lui, passés ici et là, retenant ma respiration à chaque son égaré afin de découvrir s'il annonçait son retour inattendu à la maison. Je vivais et respirais avec lui, il était comme l'air pour moi..ou un puissant narcotique duquel j'étais en dépendance presque permanente.
Je n'avais jamais exigé un tel sacrifice de lui car je l'aimais et ma solitude était un petit prix suffisant à payer pour son bonheur. Mais ce soir, je maudis amèrement mon altruisme tandis que j'étais allongée, ma peine sombre et sans fin étant un poids tangible et écrasant sur mon âme. Si je l'avais seulement demandé, il aurait été ici maintenant. Je me répétai sans fin la triste litanie, jusqu'à que l'épuisement surpasse la tristesse et me tirât sous la surface, jusqu'à l'oubli. Si seulement...
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Je me réveillai inexplicablement irrité, sentiment légèrement confondu avec ma mauvaise humeur jusqu'à ce que la source devienne pleinement apparente: quelque chose rebondissait de façon répétitive contre le mur près de ma tête. Clignant devant la clarté, j'observai au travers des abat-jour pour voir le garçon en train de jeter une de ces ridicules balles à pointes à l'extérieur de la maison. Il avait un petit froncement de sourcil déprimé mais il s'éclaira visiblement lorsque je sortis pour le rejoindre.
Agacé, j'essayai d'avoir l'air sévère et imposant mais échouai misérablement lorsqu'il me donna un attristant petit sourire et dit :
- J'espérais que tu te lèves. Il jeta un coup d'œil nostalgique le long de la maison, là où la chambre des parents se situait. Maman ne va pas se lever et je suis tout seul.
Je soupirai intérieurement, me demandant à quel moment j'étais passé de Gardien à bonne d'enfants. Mais ses grands yeux innocents contenaient beaucoup trop de tristesse pour quelqu'un d'aussi jeune, et je me surpris à dire:
- Bien, je suis debout maintenant. Qu'est-ce qu'on fait?
- Tu veux me regarder?
J'acquiesçai de la tête et essayai de ne pas avoir l'air ennuyé. Je m'appuyai contre le mur de la maison, les bras croisés, retissant à l'idée savourer la chaleur du soleil sur ma peau nue. Je souhaitais de façon irritante de pouvoir m'asseoir sur de la véritable herbe, dans un vrai jardin, et non sur la pierre nue d'une petite cour. De ce que j'aurais pu dire, rien de vert ne poussait à Zanarkand. Chaque pouce de terre était pavé. Cela retournait mon estomac; je ne pouvais comprendre comment quelqu'un pouvait vouloir vivre volontairement ici.
- Bien. Ceci est un tir en sphère..
Il fit rouler la balle au-dessus de sa tête, se jetant en arrière dans une tentative de la frapper en l'air. Il était remarquablement adroit pour un enfant de son âge, mais il avait mal jugé et manqua complètement la balle bleue et blanche qui tournait. Se relevant du sol, il grimaça comme s'il attendait une invective de ma part.
- Quoi?
- Tu ne te moques pas de moi?
- Essaie encore. Personne n'est parfait à chaque fois.
Enfonçant ses doigts dans le sol, il abaissa son regard et murmura :
- Papa l'était.
Qu'étais-je censé répondre à cela? Les gosses.
- Il y avait beaucoup de choses pour lesquelles ton père n'était pas parfait. Le savoir-vivre et l'hygiène, par exemple.
Il rit et il me sembla préférer de loin le voir heureux. De manière inattendue, le voir sourire diminua le sentiment de mort à l'intérieur de moi. Le garçon avait besoin de quelqu'un qui croyait en lui, qui l'encourageait à essayer et non l'abaissait lorsqu'il échouait. Même moi, qui n'avais jamais joué à ce jeu, pouvais voir le talent naturel que son père avait dédaigné, mais pas estropié. Il reposait endormi sous la surface, tel un trésor enfoui qui miroitait et réfléchissait la lumière du soleil qui l'avait capturé en un jour clair. Il avait peur d'essayer, peur de le sortir et d'échouer. Je me demandais quel genre de parents Jecht avait connu pour traiter son fils de la sorte. Car je savais qu'il l'aimait, bien que les mots étaient quelque chose qu'il n'avait pu dire. N'importe quel idiot qui passait du temps avec Jecht aurait pu voir ça, de la façon dont il parlait de son fils qu'il n'avait pas vu depuis longtemps. Je ressentis soudainement une douleur teintée de chagrin qu'il n'ait pas été ici avec le garçon, au lieu de moi. Il aurait du être là à ma place, avec son fils, sa femme.
Cela aurait du être moi.
Curieux, des sales petits doigts touchèrent la décoration dorée de la plaque en cuire sur mon épaule, j'avais jeté mon manteau sur mon dos lorsque je m'étais levé, plus par habitude que par nécessité. Il envahissait mon espace personnel mais je me forçais à tolérer l'intrusion, serrant mes dents et contrôlant l'envie de l'écarter et de me lever.
- Quel est ton nom? Me demanda-t-il.
Les yeux couleur bleu ciel étaient francs et curieux, avec une tinte de morosité.
Avais-je véritablement oublié de le lui donner?
- Auron, répondis-je simplement.
Il me sourit et dit:
- Je suis Tidus.
