Maintenant satisfait que les présentations aient été faites, Titus retourna au passe-temps immensément passionnant qui consistait à frapper la balle contre le mur de la maison, mais la déprime avait quitté ses petites épaules, et il chantonnait maintenant une mélodie sans y prêter attention, juste assez doucement pour que j'eusse pu capturer les notes rampantes et désordonnées si vraiment je l'avais voulu. En étirant mon dos, je permis à mon esprit de maintenir loyalement le fait que la douloureuse rigidité de mes articulations venait simplement d'un corps las des batailles ayant dormi sur un matelas peu familier, et que rien de tout cela ne ressemblait à de la rigidité cadavérique. Mais j'avais une imagination morbide, et mon sens de l'humour tordu conduisit mes lèvres à se déformer en un petit sourire auto dérisoire.
Mon sinistre amusement se dissipa soudainement tandis que je capturai l'odeur de quelque chose à la fois douloureusement familier et totalement inattendu. L'odeur impétueuse des fleurs se répandait autour de moi, augmentant d'intensité tandis que je la suivis derrière la maison. Atteignant finalement la source, je m'arrêtai net de surprise; c'était comme si un petit carré de ma terre natale avait été transplanté ici et caché furtivement derrière cette maison. Il avait l'air de manquer de place ici, alors que je humais, mais il était indiscutablement magnifique. Au centre, une collection de riotons colorés fleurissaient sur les tiges trompeusement délicates, des pétales comme des bijoux miroitaient tranquillement de la rosée matinale que le soleil n'avait pas encore évaporée. Des herbes parfumées dressaient de petites feuilles vertes en direction du ciel depuis une boîte sous la fenêtre, alignées comme des soldats verdoyant en de petites rangées ordonnées. Des buissons étaient nichés plus étroitement contre le mur, avec pour toile de fond un vert émeraude plus foncé pour les fleurs lumineuses et une autre verdure luxuriante au premier plan, certains avec de longues feuilles fines qui dansaient paresseusement sous la caresse du vent, d'autres avec de larges feuilles complexement marbrée de rainure d'un blanc perlé. Une unique rose jaune fleurissait sur une branche de vigne qui étirait les vrilles épineuses autour du cadre de la fenêtre et une minuscule araignée balançait au bout d'une toile argentée dans le coin.
Le garçon m'avait suivit derrière la maison, par curiosité.
- C'est son jardin, souffla-t-il, en soulignant le mot avec une référence
puérile. Je n'ai pas le droit d'y toucher.
- La raison à cela m'échappe totalement, murmurais-je.
- Quoi ? Son expression incrédule me rappela que je n'étais plus
en compagnie capable d'apprécier ma brillante plaisanterie sarcastique.
Je me sentis légèrement confondu.
- Rien.
Les fleurs avaient l'air d'avoir soif, la terre était sèche et desséchée autour d'elles.
- Est-ce que ta mère a un arrosoir ou quelque chose dans le genre ?
Il eut l'air de beaucoup se concentrer pour cela, s'éclairant après un moment.
- Je reviens tout de suite ! Cria-t-il en courant allègrement derrière la maison.
Cet ensemble aléatoire de verdure avait marginalement changé mon humeur, car il évoquait également une forte appartenance aux forêts luxuriantes de Spira, les champs d'herbe et les prés qui étaient toujours clairement présents dans mon esprit. Je me demandais quand j'allais les revoir, si toutefois je les revoyais un jour. Mais même ainsi, de telles choses étaient seulement pour les vivants. Après ma mort, j'avais traversé de nombreuses places de ce genre à la recherche de Jecht, et être entouré de tant de couleurs éclatantes et de vie semblait simplement attirer mon attention sur le fait que je n'appartenais plus à ce monde. La contradiction était ténue et plus facile à supporter dans le monde urbain froid et indifférent dans lequel je marchais maintenant. Même en sachant cela, une soudaine et douloureuse sensation de nostalgie me tordit les entrailles.
- Ici, Auron !
Tidus dandinait dans ma direction, chancelant sous le poids d'un arrosoir trop plein tenu dans ses bras. Il était décidément bien moins plein lorsqu'il atteignit mes pieds, mais il parvint néanmoins à déverser de façon dégoûtante une quantité abondante sur mes bottes.
Je grognai d'irritation mais néanmoins simplement repris le bidon offensif et passai beaucoup de temps à répandre ce qu'il restait de liquide sur le petit jardin, en prenant soin de couvrir toute la surface et me laissai envahir par le simple plaisir de nourrir quelque chose d'aussi beau. J'aurais pu presque tout oublier, juste pour un instant, rester ainsi debout, enroulé dans une chaude couverture de rayons ensoleillés et des doux parfums floraux, regardant les feuilles d'un vert pétillant pendiller sous le scintillement du doux jet de l'eau nourricière.
- Tu arroses mes plantes ? Une voix teintée d'inquiétude interrompit mes pensées.
L'épouse de Jecht marcha dans ma direction à un rythme presque rapide, un léger froncement de sourcils troublant ses traits. Je haussai les épaules.
- Elles en avaient besoin. Ne t'inquiète pas, je ne leur en ai pas trop
donné.
- Maman !
Le garçon enroula ses bras autour de sa mère, laquelle ne semblât même pas remarquer que tout l'avant du garçon était complètement trempé de son long séjour avec l'arrosoir. Elle retourna lentement l'étreinte en caressant ses cheveux.
- Eh ! Maman, est-ce qu'Auron va rester avec nous ?
- Auron, dit-elle lentement, comme si elle digérait une nouvelle information,
me rappelant que je n'avais pas encore donné mon nom à elle non
plus, ni demandé le sien.
Je m'éclaircis la gorge.
- Je m'excuse, mais Jecht ne m'a jamais donné vos noms. Tidus et moi
nous sommes présentés, mais..
- Je suis Serra. Je ne peux pas dire que je sois enchantée de faire ta
connaissance.
Il y avait le fantôme de la tristesse, un sourire moqueur sur ses lèvres qui disparu aussi rapidement que je crus le voir.
- Autant pour moi, répondis-je, afin de lui faire savoir que je comprenais et aurais aussi préféré l'avoir ici à ma place.
Elle inclina la tête légèrement, acquiescant la réponse avant de marcher lentement en direction de la maison.
Encore une heure ou plus dehors et Tidus décida qu'il était temps de rentrer. Serra n'était nul part. Nous passâmes le reste de l'après-midi et la soirée à regarder des « films » sur « l'écran lumineux ». Cela semblait inutile, un effort abrutissant, mais cela gardait le garçon tranquille, j'étais donc satisfait. On aurait dit des sphères, excepté que les histoires enregistrées et jouées pour le spectateur avaient été fabriquées et scénarisées. Le manque de substance m'empêchât d'éveiller mon intérêt, mais il ne semblait y avoir rien d'autre à faire. Et le garçon était complètement fasciné. Je pris un livre reposant sur le coin d'une table, le reposant après moins d'une minute, ayant découvert que l'écriture n'avait aucun sens pour moi, les signes remplissant les pages m'étant totalement étrangers et inconnus. Bien, au moins cela allait me donner quelque chose à faire.
Aux environs du crépuscule, Tidus s'exclama :
- Eh ! Auron, tu as faim ? Quelque chose dans sa voix me signifia qu'il ne me demandait pas seulement mon acquiescement.
Très bien. Comment étais-je supposé le nourrir ? J'allai dans la cuisine, mais fus incapable de localiser quelque chose qui eut l'air agréable au goût. Le « frigo » ne semblait contenir des condiments et éléments qui ne demandaient qu'à continuer de croître en paix.
Je reculai et manquai de tomber sur le garçon qui se tenait juste derrière moi.
- Bon sang, ne fais pas ça.
Il eut l'air complètement contrit pendant presque une seconde.
- On commande une pizza ?
Cela avait l'air assez sûr, j'acquiesçais de la tête.
- Oui, et comment fait-on ça ?
- Je peux le faire, je suis juste censé demander à un adulte avant.
- Très bien.
Il commença par prendre un étrange objet technologique, et j'appris plus tard qu'il s'agissait d'un téléphone puis il parla à l'intérieur du combiné. Il parla avec l'aisance de quelqu'un qui avait effectué la même tâche de nombreuses fois. Une fois terminé, il se retourna vers moi en disant :
- Ils ont dit trente minutes. J'ai pris aussi du soda.
Je n'avais pas de leur devise sur moi.
- Comment allons-nous payer pour cela ?
- Je l'ai juste mis sur le compte de papa. Je le fais tout le temps.
La marchandise arriva dans les temps promis. Il revint de la cuisine avec deux plats et tasses et déposa la boîte sur la table basse devant le canapé. Il prit la bouteille et il remplit une tasse avec quelque chose de sombre et dangereusement gazeux.
- Qu'est-ce que ce truc ?
Il me gratifia d'un regard étrange, comme s'il voulait dire « tu es un adulte amusant ».
- C'est du soda. Maman dit que ce n'est pas très bon pour la santé, mais elle me laisse quand même en prendre de temps en temps.
Il jeta un coup d'oeil en direction du hall et j'eus la triste impression qu'il aurait désespérément préféré la voir se précipiter ici et le sermonner pour en avoir bu.
Je soupirai et m'avançai pour atteindre la tasse.
- Laisse-moi essayer.
Ca avait l'air absolument répulsif, mais il avait l'air intéressé par ma réponse.
C'était sirupeux, doucement collant et brûlât ma gorge tandis qu'il descendait. Je ne pouvais pas imaginer arroser un repas avec ça.
- Intéressant. Mais je crois que je vais juste boire de l'eau.
Et du saké. Beaucoup de saké.
Et effectivement, je m'assis avec la jarre sur mon côté longtemps après avoir porté le garçon endormi dans sa chambre. Les gens dans ces films étaient insipides et peu profonds, mais au moins les couleurs clignotantes et les explosions lumineuses empêchaient toute pensée profonde de ma part. Finalement, je ne pus en supporter plus et éteignis l'appareil, me retirant dans ma propre chambre. Serra n'avait pas mis un pied en dehors de la chambre des parents de toute la soirée. Je me demandais tristement si le fait de prendre soin de Tidus n'était pas simplement un moyen de lui permettre de se retirer plus profondément dans son chagrin, et peut-être que j'aurais du partir, la forçant ainsi à émerger et à prendre soin de lui..ou peut-être que si je l'avais fait, il aurait souffert seul.
Plus tard, quelque chose m'arracha d'un sommeil léger; en fait, les morts ne dorment pas « comme les morts ». Pour être exact, un sommeil sans rêve m'avait éludé depuis un certain temps. Irrité, je me retournai et tentai d'être à nouveau confortable lorsqu'un autre cri étouffé atteignit mes oreilles. L'enfant pleurait dans son sommeil, prit dans les griffes d'un quelconque cauchemar. Aucun son ne sortait de la chambre de sa mère..était-elle si profondément immergée dans l'isolation de son chagrin qu'elle ne pouvait même pas entendre son fils lorsqu'il l'appelait ? Ses plaintes hantées finirent par déchirer mon coeur mort, et je me traînai finalement hors du lit et progressai doucement jusqu'à sa chambre, jetant un coup d'oeil par la porte partiellement ouverte pour le voir se battre dans les draps, si emmêlé parmi eux qu'il pouvait à peine bouger.
- Otousan—
Son front pâle était imprégné de sueur, sa respiration devenait de légers hoquets. Il se calma lorsque je m'assis sur le lit près de lui, il s'approcha aveuglément de moi et enroula ses bras autour de mon tronc avec une emprise dont je ne l'aurais jamais cru capable.
- Papa.., murmura-t-il dans ma chemise en se détendant visiblement, je réalisai qu'il rêvait encore. Il pensait vraiment que j'étais Jecht.
Après un moment, ma paupière devint lourde tandis que le garçon
semblait réticent de relâcher son emprise sur mon torse, je me
décalai dans une position plus confortable et fermai mon oeil..je voulais
juste me reposer une minute. Mais sa respiration douce était chaude sur
mon bras, sa petite tête un poids réconfortant sur ma poitrine.
Et pour la première fois depuis de longues nuits sans repos, je dormis.
